En ce froid matin d'hiver, le Chevalier avait pris son son aile son plus jeune fils. Il ne le faisait pas souvent - avec aucun de ses enfants d'ailleurs - bien qu'il essayât depuis quelques lunes de se montrer plus proches d'eux, d'apprendre à connaître cette progéniture qui était la sienne, légitime ou non. Avec Helga, ç'avait été facile. Elle était d'une gentillesse sans égal, et il n'avait pas eu l'impression qu'elle lui en voulait. Puis avec ses deux aînés, ç'avait été... plus complexe. Il s'était moins approché, de l'un car il avait déjà trouvé un mentor et se construisait à ses côtés. Désormais, il le connaîtrait adulte. De l'autre car il faisait montre d'une réserve extrême à son égard, notamment depuis la naissance de Solelio et Elvazio. Quant à Rowena... Eolle était sous la tutelle de Lymphalème, et il ne savait trop quoi en penser. Elle affichait un faciès et un regard froid la plupart du temps, ne cherchait aucunement le contact avec sa famille, tout en étant une élève extrêmement studieuse d'après les retours qu'il avait du loup gris. Le guérisseur était une sorte de pont encore entre le Chevalier et cette fille revenue d'entre les morts, avec laquelle il ne savait comment se comporter.

Ce jour-là, il avait suggéré à Elvazio de l'accompagner - tout en sachant que l'adolescent ne refuserait pas. Il ne lui refusait jamais rien - pour une expédition jusqu'au temple d'Aka. Il savait qu'il avait déjà vu le temple de Dairo ainsi que celui de Kiro, mais pas encore celuide l'Ours. Celui dont la lumière brillait autour du cou de son père. C'était à se demander si le Chevalier souhaitait présenter le Grizzlià son fils, ou son fils au Grizzli. Lui-même n'était pas certain de la réponse à cette question, mais il avait suivi  son instinct lui disait que c'était peut-être une bonne occasion de comprendre ce qui se cachait sous la figure réservée de son cadet. Il était bien différent de ses frères et soeurs, et surtout de sa jumelle. Si physiquement ils avaient indéniablement de grandes ressemblances, il n'y en avait pas beaucoup au niveau de la personnalité.

"Il sera bientôt temps de te trouver un mentor, jeune Sire." Lança-t-il alors qu'ils cheminaient entre les arbres des Dents de Roc. "Quelqu'un t'a-t-il déjà proposé ?"

Il y eut un instant de silence, qu'il interpréta comme une hésitation, avant que le jeune loup ne réponde :

"Non... Non, personne ne m'a proposé."

Le tricolore hocha une fois la tête, tout en se demandant s'il était supposé participer à cela ou le laisser se débrouiller, voire même leurs chefs décider. Lui-même n'avait pas retrouvé d'apprenti encore - et pourtant ce n'étaient pas les jeunes qui manquaient ces temps-ci chez les Etelkrus. Alors que ses pensées dérivaient lentement sur les souvenirs des primes temps de l'apprentissage de sa première apprentie, Pepper, une odeur familière chatouilla sa truffe et le ramena à la réalité. Une lueur s'alluma dans son regard lorsqu'il reconnut, en baissant le nez au sol, la piste de la petite louve bleue. Il redressa la tête et allongea imperceptiblement le pas. Alors qu'ils arrivaient en vue du temple, un détail attira l'attention du chevalier. Outre la grande créature qui désormais gardait, immobile, le temple d'Aka, une petite silhouette foncée se tenait assise bien droite non loin de l'entrée. Il reconnut le petite Désastre, cet enfant né dans de mystérieuses circonstances que tous avaient du mal à comprendre et expliquer. Il ne faisait presque aucun doute qu'il était le fils de la solitaire Oxomo, que Pepper avait été tuer seule une nuit. Une action folle, déraisonnable, mais qui s'était soldée par une si brillante victoire. Avec cependant à la clé ce petit être apparu et à l'ascendance si visible, si évidente.

Il s'appelait Désastre. Un nom lourd de significations, dont il ne pouvait qu'espérer qu'il ne porterait pas trop de sitgmates. Il avait observé de manière lointaine le comportement de cet enfant, différent des autres, toujours collé à une mère sévère avec lui. Il s'approcha, talonné par Elvazio, d'un pas tranquille et lança :

"Bonjour, jeune sire Désastre."

L'odeur de l'alpha menait à l'intérieur, et d'ici il pouvait même entendre en quelques éclats doux sa voix. Sans plus hésiter, il pénétra dans le temple, silencieux et respectueux, alors que s'achevait la prière de la louve bleue. Il s'arrêta à une distance respectueuse, ne voulant pas l'interrompre, et elle finit par se retourner pour lui adresser directement la parole. Ce fut le signal qui le fit s'avancer vers elle, un sourire aux babines et une lueur chaleureuse dans le sprunelles, qui s'entendait jusque dans sa voix.

"Dame Pepper." Répondit-il en la saluant d'un mouvement de tête, juste asseza ample pour qu'elle perçoive le bruissement de sa fourrure en ce geste qu'il pratiquait tant. "Mon intention première était de présenter le jeune Sire Elvazio à notre dieu Aka, et naturellement cela fait une excellente occasion de l'honorer."

Il jetait un regard en arrière, mais son fils était resté sur le pas de la porte, non loin de celui de Pepper, comme s'il n'avait pas osé participer à cet échange. Ses prunelles vairon revinrent sur l'alpha, puis sur la fontaine juste derrière elle.

"Comment vas-tu ?" Souffla-t-il finalement, d'un ton un peu moins pompeux, avec cette familiarité qu'il se permettait uniquement avec quelques loups dont elle menait la troupe.

Les temps n'avaient été faciles pour personne récemment, et encore moins pour elle. Elle avait traversé tant d'épreuves pour quelqu'un de si jeune, et pourtant elle était toujours là, brillante de majesté et d'autorité. La fierté l'enavhit, comme à chaque fois qu'il songeait à ce qu'elle était devenue. Il avait du mal à croire que la petite louve insolente qu'il avait prise comme apprenti, bien des années auparavant, était devenue cette figure emblématique des Etelkrus. L'histoire la retiendrait, sans nul doute. Et c'était sans doute là le plus beau cadeau que l'on puisse lui faire, à lui.

Lorsque son père entra dans le temple, il eut une hésitation. Il lui fourmillait dans les pattes l'envie de le suivre pour enfin découvrir cet endroit si important pour leur meute. Le dernier à découvrir avant de pouvoir affirmer qu'il avait visité les trois lieux divins. Avant d'essayer de choisir où serait sa voie. La question d'Athelstan avait fait renaître dans son esprit une vague d'angoisse qu'il tâchait de réfréner au quotidien, mais qui se montrait de plus en plus insistante. Où était sa place ? Qui était-il ? On voulait qu'il devienne un grand guerrier, ses parents et ses alphas le voyaietn sans doute déjà comme cela. Il était le fils de deux vétérans de la meute, et sa soeur montrait déjà de bonnes dispositions et un désir de faire ses preuves tout à son honneur. Mais lui... Lui ne savait pas trop. Il n'éprouvait aucune envie de se battre, mais cette pensée était refoulée par le désir de ne pas décevoir ses proches et ceux qui comptaient sur lui. Il était avant tout un Etelkru non ? Il devait veiller au bien de sa meute, et devenir un soldat... C'était si compliqué.

Il se figea en voyant le changement d'attitude du Chevalier lorsqu'il entra dans le temple, et son coeur se serra soudain, fort, tout comme sa gorge. Même sans qu'ils échangeane tle moindre mot, la complicité entre son père et leur alpha crevait les yeux. Il semblait moins rigide, plus... plus heureux en sa compagnie qu'en celle de son enfant. Et sans qu'il ne sache exactement pourquoi, cela alluma dans son esprit une tristesse immense, si bien qu'il préféra faire quelques pas en arrière et se tourner vers le jeune loup qui se trouvait là lui aussi. Il déglutit pour essayer de ne pas montrer les émotions qui le secouaient, et lança en s'approchant de lui :

"Salut ! Tu es... Désastre c'est ça ? Moi c'est Elvazio."

Il lui adressa un sourire sincère, quand bien même un lueur de tristesse pointait encore dans ses grands yeux bleus.

"Ce serait un grand honneur, pour lui comme pour moi." Répondit-il à sa proposition.

Autant profiter du hasard qui les avait réunis ici au même instant. Il ne connaissait pas assez Désastre pour savoir s'il s'entendrait bien avec Elvazio - ou peut-être ne connaissait-il pas assez son propre fils... Mais c'était une autre question - mais la pensée que leurs deux enfants soient baptisés par le Grizzli le même jour lui était plaisante, il ne pouvait le nier. Peut-être cela mènerait-il à un lien entre les deux jeunes, et dans le pire des cas cela avait une importance, une symbolique forte aux yeux de leurs parents.

Il la vit rabattre les oreilles lorsqu'il lui demanda si elle allait bien, mais elle ne se renferma pas pour autant. Elle le faisait rarement en sa compagnie, et cela était rassurant, d'une certaine manière. Il avait été terriblement mal lorsqu'elle-même l'avait été, chacun plongeant dans une détresse qui se mêlait à celle de l'autre car liée à un événement commun. La mort de Lucie, et le vol de Rowena par Oxomo. L'un dans le chagrin, l'autre dans la rage, tous deux avaient manqué de se noyer et avaient in extremis remonté la pente alors que tout espoir semblait vain. Le rétablissement de Pepper avait sans nul doute participé au sien, car si elle n'avait plus été, alors il n'aurait plus eu de raison de se battre. C'était une cruelle réalité, car il avait encore trois enfants très jeunes à ce moment là, dont la vision lui était si insupportable qu'il les avait évité durant les premières lunes de leur existence. A ce moment-là, il ne serait pas resté simplement pour eux. Cruelle faiblesse, cruelle réalité.

Elle lui avoua après un instant de silence combien être mère se révélait plus compliqué que ce qu'elle avait cru de prime abord. Les mots qui suivirent furent poignants, parce qu'elles étaient criantes de vérité, de confidence, mais aussi car il y voyait une sorte de douloureux écho à ses propres sentiments et qu'il ne le souhaitait à personne. Visiblement, Pepper avait affronté le même genre de tempête. Certes, leurs deux situations étaient loin d'être complètement similaires, puisque son enfant à elle avait été une surprise - bonne ou mauvaise, seul l'avenir le leur dirait - et qu'il portait en lui le sang de son ennemi. Peut-être fallait-il le voir comme une victoire, l'ultime victoire sur la solitaire, de lui arracher cet enfant qui porterait son sang et son pelage, tout en devenant un parfait membre de ceux qui avaient toujours été ses ennemis. Lui avait attendu les siens, dessiné avec leur mère l'esquisse d'un avenir radieux que le destin lui avait ensuite arraché. Il souffla doucement et répondit :

"Je ne sais pas... Je n'en suis pas certain."

C'était un aveu terrible, mais elle était peut-être la seule personne à qui il pouvait le faire sans crainte aucune, ni de jugement ni de ragots. Ses épaules s'affaissèrent légèrement, même s'il garda la tête relevée. Il était là comme un père, pour partager avec elle ce moment mais aussi pour être un pilier si elle avait besoin de support, de soutien. Il ne s'autorisait pas à s'effondrer complètement, mais il pouvait se confier sans.

"Je ne suis pas un très bon père, j'en ai conscience." Ajouta-t-il. "Je n'ai pas... eu la force de supporter le visage des enfants que nous avons eu avec feu Dame Lucie pendant très longtemps. Je n'ai pas été là quand ils ont grandi, et maintenant ils sont adultes. Quant aux plus jeunes... Il m'est difficile de savoir comment je suis supposé les aimer."

Il s'approcha d'un pas, cliquètement de griffes sur le sol de pierre, et frôla de son museau la joue de l'alpha en un geste affectueux.

"Un peu est un premier pas." Murmura-t-il.

Il se demandait parfois si lui-même éprouvait un réel amour pour sa progéniture. Il était fier de ce que devenaient les plus grands - notamment de Godric, devenu l'apprenti de l'alpha Anette, et dont la pensée lui était douloureuse face à la récente disparition - mais il y avait entre eux une distance un peu froide et respectueuse qu'il n'avait pas à l'égard de ceux qui comptaient beaucoup pour lui. Pepper, bien-sûr, mais également Joy, Nachos, ou encore parmi les disparus Lucis, Brienna, ou Geb. Il avait du mal encore - et pourtant cela commençait à faire longtemps - à se projeter comme figure paternelle et mentor implicite de ces quatre jeunes loups qu'il avait encore moins connus que Pepper lorsqu'elle avait leur âge. Peut-être était-ce là la différence, peut-être était-ce trop tard pour eux. Il essayait pourtant, faisait des eforts pour combattre ces chimères qui le hantaient toujours, pour prêter attentions aux actions de ceux qui partageaient son sang. Il avait ressenti le malaise léger d'Elvazio lorsqu'il lui avait demandé s'il s'était trouvé un mentor, mais ne savait comment trouver les mots pour lui demander ce qui ne semblait pas aller. Avec Solelio, c'était un peu plus simple... Mais l'était-ce vraiment ?

Son camarade plus jeune ne refusa pas la conversation, toutefois il ne parut pas très à l'aise non plus. Les oreilles rabattues, il lut visiblement en lui comme dans un livre ouvert, et ce fut au tour du jeune hauts sur pattes d'afficher une expression un peu gênée. Il ne sut trop que lui répondre, une partie de lui ayant envie de lui parler avec sincérité, et l'autre lui rappelant qu'il s'agissait d'un loup qu'il ne connaissait pas, d'un enfant de surcroît. Il paraissait pourtant avoir bien plus d'aplomb que lui, malgré leur différence d'âge. L'adolescent hésita un instant, puis finit par répondre avec un léger soupir :

"Non, pas vraiment... Ils s'entendent très bien, je ne voudrais pas déranger."
Et souvent j'ai l'impression de déranger.

La fin de sa phrase ne se fit qu'en pensée. Il chercha quelque-chose pour rebondir sur un sujet plus joyeux et chasser l'espèce de cafard qui rôdait dans son esprit. Mais ce ne fut pas une grande réussite, et il finit par ajouter :

"Pourquoi tu es resté ici toi ?"

Un sourire attendri passa sur son museau lorsqu'elle lui répondit qu'avec elle, il avait été un bon père. Dans ses prunelles vairons, un mélange de gratitude et de nostalgie se dessina, émotions troubles sur l'azur et l'émeraude de ce regard qui en avait tant vu déjà. Oui, l'époque était bien différente. C'était un temps de candeur, comparé à celle dans laquelle ils vivaient désormais. Un temps de jeunesse pour lui, un temps d'enfance pour elle. Car même si son corps ne subissait que peu les sévices du temps - il en était conscient -, son esprit n'était plus celui du jeune loup qui avait intégré les rangs des Etelkrus, puis quelques années ensuite avait pris la petite louve bleue comme apprentie. Même si elle avait conservé sa petite taille, même si une partie de lui ne pouvait s'empêcher de la voir encore ainsi parfois, elle n'était plus cette enfant d'antan.

Elle s'avança contre lui, cherchant son contact en blottissant la tête sur le pelage clair de son poitrail. Il baissa la tête et lui rendit son étreinte, une patte venant se poser entre ses deux épaules comme pour la protéger du monde extérieur. Mais c'était là quelque-chose d'illusoire, qu'il ne pouvait plus faire depuis bien longtemps. C'était là l'un des fardeaux des parents, que celui de devoir un jour laisser s'en aller leurs enfants du cocon où ils pouvaient dresser entre eux et les désillusions du monde une solide barrière. Une fois partis, ils n'y revenaient jamais, sauf lors de ces moments rares et précieux où une petite partie de l'esprit veut retrouver ce temps béni.

"Absolument." Souffla-t-il simplement en réponse.
Ils y arriveraient ensemble.

Elle finit par rompre leur étreinte, pour quitter la peau d'enfant et se glisser à nouveau dans celle de l'alpha, dans celle de mère. Il hocha la tête, et lui emboîta le pas en direction de l'extérieur, d'où montaient sans qu'ils ne puissent les comprendre à cette distance les voix des deux jeunes mâles.

Désastre lui répondit sans hésiter, tel un miroir de ses propres pensées. Lui non plus, ne voulait pas déranger. Ils se retrouvaient donc tous les deux ici, à ne pas trop quoi savoir faire de leurs pattes mais en étant certains que s'ils les menaient là où se trouvaient leurs parents, ils seraient de trop. Il éprouva une sorte d'élan de gratitude à l'égard du petit loup sombre, parce que durant un instant il le fit se sentir bien moins seul dans cet océan d'émotions qu'il avait difficulté à maîtriser au quotidien. Et ce qui suivit renforça encore cette impression : ainsi donc, il ne se reconnaissait pas vraiment dans le dieu de la force ? Les oreilles d'Elvazio se redressèrent légèrement de surprise, alors qu'il répondait :

"Je... crois que je préfère Dairo. Mais je ne connais pas très bien Kiro encore, je n'ai jamais vu son temple, seulement rencontré la prêtresse Sheina. Et toi ?"

Une porte s'ouvrait, chassant le cafard pour les mener vers une conversation qui les intéresseraient tous les deux. C'était se jouer de malchance, d'une certaine manière, car les silhouettes des adultes étaient à deux pas de les trouver pour interrompre cette rencontre et les emmener voir ce dieu en lequel ils n'étaient pas certains de vouloir prêter la plus forte des allégeance - porter sa lumière.

"J'ai pour mission d'offrir quelque-chose à Dairo, mais je manque d'idées." Avoua-t-il, et la tristesse fut un peu chassée de ses yeux lorsqu'il chercha le regard étoilé de Désastre. "Le loup gris qui vit dans son temple m'a dit qu'en utilisant mes qualités, je trouverai un présent... C'était un peu énigmatique."

Désastre lui confia sa préférence pour Kiro, même si le jeune loup ne sut trop comment en interpréter la justification. Etait-ce simplement parce qu'il... aimait bien les serpents ? Ils n'inspiraient pas grand chose de positif à Elvazio, avec leur corps froid, leur tête rigide et dépourvue de la moindre expression, leur regard perçants et leurs mouvements vifs et sinueux. Et c'était sans parler du fait que certains étaient dangereux, bien-sûr. On les avait soigneusement mis en garde contre les serpents et les rats, la morsure de l'un ou de l'autre pouvant s'avérer fatale sans soins immédiats - et parfois même avec. Le grand loup chocolat avait très vite imprimé cette idée et avait rangé les serpents dans la case "dangers" de son esprit. Peut-être devrait-il rencontrer le dieu Kiro lui-même avant d'émettre un vrai jugement, cependant. Car Dame Sheina ne lui paraissait pas vraiment refléter cette vision particulièrement négative qu'il avait des serpents.

Il eut un sourire timide en direction de Désastre lorsque celui-ci baissa la voix pour lui répondre, alors qu'un mouvement de son oreille attirait l'attention d'Elvazio vers l'entrée du temple. Il n'eut pas l'occasion de lui répondre, et se contenta de lui lancer un regard reconnaissant - au moins, il avait essayé de l'aider, et cela le touchait véritablement. Des cliquetis de griffes et bruissements de fourrures précédèrent l'arrivée de leurs parents.  Il coula un regard rapide vers on père, mais le détourna rapidement pour coller ses prunelles à ses pattes posées sur le sol rocheux. Sa gorge se serra, avec la sensation plus accrue encore qu'il n'avait rien à faire ici. La vision du loup tricolore et de l'alpha lui paraissait l'incarnation de chair de toutes les attentes que l'on avait à son égard, et qui dessinaient chez lui une angoisse incommensurable. Il préférait ne pas l'éprouver trop longtemps.

Ce fut la voix de Pepper qui leur intima de les suivre, afin de rencontrer Aka. Un frisson parcourut l'échine du jeune loup et il parut se rassembler un peu plus sur lui-même, comme pour se cacher à leur vue - ce qui frisait le ridicule vu la taille qu'il faisait déjà. Son père n'ajouta rien et se contenta de lui adresser un signe de la tête lorsqu'il releva rapidement les yeux vers lui. Il déglutit et emboîta le pas à Désastre pour pénétrer dans le lieu de culte. Il jeta quelques regards à la fois curieux et intimidés autour de lui. Il n'était jamais entré dans le temple du Grizzli encore, et le temple n'avait pas du tout la même allure que celui de Dairo. Il était plus grand, tout y était plus imposant, teinté de ce rouge sanguin qui allumait aussi les glowstick de bien des guerriers. La statue, énorme, se dressait au bout de l'allé centrale. Ce fut vers elles qu'ils dirigèrent leurs pas.

Imitant ses pairs, Elvazio s'inclina avec déférence. Il ne savait pas exactement à quoi s'attendre, mais une chose était certaine : il n'avait pas réalisé la possibilité que le dieu lui-même leur fasse l'honneur de se montrer. Lorsque Pepper cessa de parler et qu'un craquement - ou était-ce un grincement - de pierre se fit entendre, il redressa la tête après une hésitation. Alors qu'il constatait que la tête de la statue s'était illuminée et leur souriait, une voix terrible tonna. Il se sentit comme parcouru d'un courant électrique, et en tout cas incapable de détacher les yeux du visage de pierre qui s'était faite lumière, et qui articulait des mots qu'il entendait à la fois dans ses oreilles et directement dans son esprit. C'était étrange, c'était effrayant et exhalant à la fois. Sa première rencontre avec un dieu.

Parmi les mots qu'il prononça, une phrase résonna à l'infini dans les pensées d'Elvazio, serrant son coeur d'une angoisse terrible. Leur route n'est pas chez moi. Il n'avait parlé à personne de ses doutes et de ses craintes, et avait soudain le sentiment qu'il n'avait fallu qu'un regard au dieu pour le comprendre et le mettre en mots, face à son père, face à son alpha. Il y avait la maigre consolation de ne pas être seul dans ce cas, mais il ne la voyait pas. Son coeur battait avec force dans son poitrail, si vite, petit coeur affolé par ces mots qu'un dieu lui-même avait prononcés presque avec nonchalance. Le grizzli avait atténué ses mots en disant qu'ils seraient de bons Etelkrus, qu'il les protégerait, mais ces mots-là lui parurent bien lointains. Les larmes lui montèrent aux yeux, alors qu'il avait la sensation que tout s'effondrait autour de lui. Comment pourrait-il croiser le regard des deux adultes après cela. Il inspira violemment, il en avait même oublié de respirer.
Mais sa gorge resta serrée - et le serait encore longtemps.