Let's take a look! [Ely]

Il était loin.

Très très loin des terres Etelkrus. Il n'aimait pas s'éloigner autant. Et puis, ça n'était vraiment pas très joli, et du coup ça ne rattrapait rien. Il avait fait beaucoup de chemin, il était fatigué, il avait mal aux pattes, il avait mal au crâne, il avait mal au ventre (ça faisait des jours que ça durait ! Si seulement il se rendait compte qu'il ne mangeait pas assez, que la famine et l'hypoglycémie le guettaient...), il avait mal partout et était d'assez mauvaise humeur.

Il soupirait, le nez au ras du sol, à essayer de trouver...

Quelque chose.

Quelque chose qui rendrait un minimum intéressante cette visite, qui vaudrait le coup qu'il ait fait tout ces kilomètres - mais rien ne pointait à l'horizon. Et plus la journée avançait, plus Ely était fatigué, plus Ely voulait réussir à se téléporter dans la Crypte de la Renarde, et plus il était malheureux et découragé. La faim et le manque de repos devaient beaucoup jouer sur son état d'esprit, mais il avait du mal à relever le museau. Lui qui, habituellement, ne s'enjaillait de rien mais sans se plaindre non plus, se retrouvait à maugréer dans sa barbe, fronçant les sourcils et débitant mille phrases et mots qui n'avaient pas de sens, se suivaient sans s'allier.

Il ne portait aucune attention aux environs.

Encore moins à quelqu'un.

Une louve.

Une louve à la chevelure de feu et aux ailes de cristal, qui s'avance vers lui avec un air soucieux. Il fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'elle lui veut, celle-là ? Ely recule d'un pas. Elle fait peur, la bougresse, avec ses teintes prune et ses grands appendices cristallins. Ca devait salement couper.

Et un mouvement de la louve projeta mille lueurs sur le sol de pierre, transformant leur morne couleur en arc-en-ciel éclatant, illuminant momentanément ces terres si tristes. Ely se figea.

L'instant n'avait duré qu'une seconde, le soleil se réfractant à l'infini sur cette matière divine, une seconde qui le marqua énormément, mais chassé par des questions inutiles et fatigantes de l'inconnue. Le loup gris ne quittait pas les ailes de ses prunelles dorées, mais dut finalement se résigner à regarder son interlocutrice dans les yeux.

Tu peux. Reculer s'il te plait ? Lever les ailes.

Il fronça les sourcils, et point un endroit bien précis, à quelques centimètres à droite de la petite louve.

Là.

Il était sûr. Il était sûr qu'il pouvait les faire revenir, ces mille lucioles bleues, vertes, dorées, argentées, violettes et oranges, multicolores, si attrayantes.

Si la louve s'exécutait.

Elle eut un peu de mal, mis finit par s'exécuter. Il fallait un indice de réfraction parfait pour que la lumière se sublime en milliers d'arc-en-ciel sur le sol fade et rocheux de la Plaie du Monde. Ce paysage, qu'il trouvait jusque là morne, inintéressant et indigne d'attention, offrait le contraste nécessaire pour mettre en avant les éclats de lumière passant au travers des ailes.

Ely se contenta d'une réponse à peine audible, n'ayant pas tout suivi de ce que la louve lui avait répondu.

Oui.

Et il se mit à fixer les bouts colorés qui gigotaient tranquillement sur le sol.

Et c'était tout.

Il était plutôt content, en soi. C'était un peu pour ça qu'il était venu, après tout.

Et elle bougeait, créant mille lueurs et mille reflets sur le sol. Ely ne bougeait pas, fixant ces paillettes bigarrées se mouvoir en une danse qu'elles étaient seules à connaître. Le loup gris accueillit la question de la louve avec un certain flegme. Pourquoi ? Le Beau avait-il vraiment besoin d'une justification, était-il toujours nécessaire de savoir ? Les loups ne pouvaient-ils pas se contenter de voir et d'apprécier ce qu'il y avait en face d'eux ? Mais la question avait été posée, et c'était elle qui faisait ces lumière, aussi Ely se concentra-t-il.

Je pense que c'est... Le soleil. Qui se réfracte. Sur les. Plumes.

D'une patte il désigna l'extrémité des ailes de la louve violette, qui laissaient passer des rais plus fins et distordus de soleil. C'était eux, visiblement, qui provoquaient ces arc-en-ciel sur le sol. Par contre, il n'était pas capable d'expliquer pourquoi ; c'était hors de ses compétences.

Un présent de Yurai. Evidemment, pour faire montre d'une telle beauté, ces ailes ne pouvaient provenir que des dieux. Eux seuls avaient la capacité d'ouvrager de si délicates plumes, sur de si délicates articulations. La couleur était merveilleuse, et l'agencement aussi.

C'était donc sans surprise, qu'il accueillit cette première phrase.

La seconde, par contre, lui fit dresser les oreilles. Et ça, c'était quelque chose, qu'Ely dresse les oreilles. Parce que ce loup ne connaissait pas le langage corporel, ne l'utilisait pas. Il était une statue vaguement animée qui procédait à ses tâches chaque jour. Mais elle lui proposait une plume...

Il n'en rêvait pas tant. Il voulait simplement les admirer un instant, profiter de leur présence, des reflets qu'elles avaient au soleil. En posséder une ? Ses yeux brillèrent. Il pourrait l'observer le temps qu'il voulait, refléter les soleil sur le sol de la Crypte, devant le paysage merveilleux qui y régnait.

Et, peut-être, Dairo serait-elle intéressée par tel présent. Il venait d'un autre dieu, peut-être, mais il aurait fait du chemin, entre temps. Ely finit par parler d'une voix hésitante, un peu rêche :

Ce serait. Un beau présent.

Il ne disait pas oui. Ni non. Avait-il seulement le droit d'accepter quelque chose d'aussi beau ?

Elle sait. Elle comprend, bien mieux que lui, les paroles et les sous-entendus de ses semblables. Elle sent, dans ce non emprunté qu'il s'agit d'un oui hurlé au monde, une formule de politesse qui ne sert qu'à cacher un désir intense. Et elle s'arrache deux plumes de l'aile droite, deux plumes ravissantes, presque identiques - presque. L'une d'entre elles brille un peu plus intensément que l'autre, il le sent du plus profond de ses entrailles. Mais il ne comprend pas, alors il ne s'y intéresse pas.

Détacher les plumes semble douloureux, mais Ely ne s'en rend pas compte. Son museau est fixé sur les plumes.

Deux plumes.

Elle les lui tend. Ely les fixe. Il n'ose pas les saisir. Il va les abimer. Elles sont si grandes ! Elles sont plus longues que sa tête n'est large, et elles sont d'un blanc pur, intense. Elles brillent, diffractent mille fois la lumière qui en se reflétant dessus explosent en myriades d'arcs en ciel sur le museau violine de la louve.

Mais elle les lui tend.

Ely hésite une seconde encore.

Une minutes encore, une très longue minute, mais finit par s'approcher avant de les saisir délicatement entre ses crocs. Le plus délicatement possible. Aussi délicatement que s'il saisissait un bébé nouveau né, à peine sorti du ventre de sa mère, si fragile et doux.

Il n'avait pas anticipé ce qu'il se passa ensuite.

Il voulut dire merci.

Mais il avait les plumes dans la gueule.

Il ne pouvait pas, au risque des les abimer, prendre la parole.

C'est indécis et fortement perturbé qu'il resta immobile, face à la louve, redevenu statue, deux énormes plumes immaculées dans la gueule.

Il l'observa sans rien dire, l'écoutant attentivement, alors qu'elle repliait ses ailes et s'enfuyait sur une dernière vision éblouissante de sa silhouette disparaissant à l'horizon.

Tout heureux, sa queue battant très légèrement les airs derrière lui, Ely retourna à la grotte de Dairo avec son précieux fardeau, hâtif de le mettre en sécurité.

Une rencontre curieuse, mais ô combien gratifiante.