Les dernières leçons · Horus

[Est après le Raid]


Sa vision s'étrécissait doucement en ne laissant plus qu'un tunnel en face de lui, flou de presbytie pour les choses proches. Son ouïe avait chuté doucement sur les dernières années mais cela s'empirait, il se trouvait bien pleinement sourd d'une oreille maintenant. Son odorat n'était plus aussi bonne qu'avant. Et ses pattes commençaient à ne plus vouloir le porter aussi loin que sa légendaire endurance avait pu par le passé ; ses petits enfants filaient déjà trop vite pour lui. Il avait du mal à leur raconter des histoires et à les porter, c'était fort dommage, il les adoraient plus que de raison.  
L'âge le préparait doucement.

Il avait plus rarement fait le voyage jusqu'au cimetière, mais il avait avalé la distance à force de pauses. Bien protégé dans sa cape il n'avait pas eu froid ; elle avait toujours eu cet avantage, avec sa douceur. Parmi les tombes le Croque-mort se stoppa, et inspira l'air. Le cimetière ne changeait pas, jamais, il s'agrandissait seulement magiquement avec les années, dévoilant des recoins inexploités comme si la brume avait toujours attendu pour les montrer. Lugubre, et pourtant si familier.

Aujourd'hui serait une des dernières leçon pour son apprenti, il le savait. L'âge le préparait doucement. Le cimetière serait bientôt sa maison. C'était cependant un moment crucial aussi pour d'autres raisons : si lui avait laissé sa compagne, Horus venait de laisser ses parents, il tenait à lui transmettre ce qu'il comptait lui apprendre aujourd'hui avait de s'en aller à son tour. Quand il trouva Horus, alors, sa voix un peu éraillée s'éleva, plus lente et articulée qu'avant, ironiquement.

"Hé, Gamin, viens."

Il incita le jeune à le suivre. Il l'appréciait fortement, après l'avoir formé à maintes étapes du métier, il le savait prêt mais savait ce sujet crucial pour qu'il puisse officier à sa suite. Pour qu'il soit pleinement prêt. 'Clou se dandina avec ses pattes bossues et rendues plus pataudes, jusqu'à une tombe qui ne payait pas de mine. Elle était simple. Maladroite. On distinguait avec difficulté le mot "Kim", gravé un peu de travers.

"C'est la tombe de ma maman. La première qu'j'ai faite." Il se souleva d'un petit rire. "Elle est moche, hein ?"

Il observa Horus, le visage rieur.

Horus ; 4 ans
F A E I

Creuser la terre, la sentir s'amasser entre ses coussinets en pâtés mou, respirer son odeur parfois lourde d'humus ou gorgée d'eau, travailler la pierre, racler ses outils contre le marbre ou le roc, tailler les stèles, tout ça... Tout ça avait toujours eu du sens, toujours été un travail ardu mais bienfaisant à son corps et à sa jeune âme. Ça avait toujours été une évidence pour le loup beige. Et pourtant ces derniers jours, l'atmosphère du cimetière ne lui avait jamais paru aussi froide, aussi triste. Passer tous les jours devant les deux nouvelles pierres tombales au nom si chers à son coeur lui était douloureux : sa gorge se nouait et sa respiration se suspendait en un sanglot silencieux. Horus était adulte depuis plusieurs lunes maintenant, son escapade forcée dans le monde rouge avait réduit à néant les bribes d'enfance que gardait jusque là son esprit. Mais être un grand ne l'avait pas rendu invulnérable au chagrin et à la peur. Celle de demeurer seul, maintenant que sa famille se réduisait rapidement. Malgré tout l'élève du Croquemort ne pouvait quitter le lieu de repos des défunts. Quelque chose le retenait prisonnier de ces allées : la culpabilité. Celle de n'avoir été un meilleur fils, celle de n'avoir été à la hauteur des espoirs de son père, celle de n'avoir su ramener sa jumelle à leurs parents avant leur départ pour l'au delà, et tant d'actes manqués...

« J'arrive ! »

La voix de Clou l'avait réveillé de sa torpeur, alors qu'il fixait la dalle qu'il était en train de tailler depuis de torp longues heures. La mort de ses parents affectaient sa rapidité d’exécution. Il devait se secouer ! Faire son deuil ne devait pas l'empêchait d'être efficace et présent pour les autres. Le beige se releva et suivit son mentor dans un sourire discret. Il avait énormément d'affection pour ce loup aux larges épaules. Il savait que son temps était compté et que sa disparition ferait un trou de plus au plus profond de lui. Il le voyait décliner lentement, mais sans inquiétudes. Sans doute l'expérience et le caractère du fils d'Aka faisait qu'il n'appréhendait pas cette étape. Ou bien le cachait-il avec soin. Horus posa son regard vert d'eau sur les grosses pattes de celui qui lui avait appris autant que ses propres parents, qui apparaissaient à chaque pas avant d'être à nouveau dissimulées par sa grande cape. Clou était autant un tuteur qu'un modèle que le disciple de l'Anaconda voulait suivre. Il espérait un jour être à la hauteur de ce grand loup et transmettre à son tour tout ce que le père de l'Alpha lui avait apporté. Apprendre à son côté était une chance et un honneur. Le mâle observa attentivement la stèle désignée par le Croquemort. Une des plus anciennes du cimetière, une tombe austère d'où s'échappait pourtant un sentiment fort. On en avait prit soin, bien qu'elle ai été plutôt gauche dans sa réalisation.

Les oreilles d'Horus tiquèrent tandis que son regard se riva au museau de son mentor. Le vieux loup souriait, sa peine avait été dépassée avec le temps probablement. Cela lui arriverait aussi, il le savait. Le temps guérissait toutes les blessures.

« J'aurais dit plus... Naturelle. Sans artifices. Ça en fait la plus belle du cimetière plutôt ! »

Horus répondit au sourire de son tuteur avec un petit rire, il se moquait gentiment, sur un ton plein de complicité. Le disciple de Kiro inspira, posant la question qui lui brûlait les babines :

« Ca n'a pas été trop dur à faire ? »

Il n'était pas sûr que sans la présence du Croquemort, il serait parvenu à enterrer dignement ses parents.

Naturelle, sans artifice.
Ce n'était pas si faux, même si Horus badinait avec lui, pour danser quelques secondes dans une contrée loin des soucis. Mais s’égrainèrent à nouveau les minutes sombres, car la question s'en était venue. Celle qui apportait le début de la dernière leçon, amenait aussi le réconfort de la part de 'Clou. Piclou, comme l'appelait Alexandrine. Les paupières affaissées sur ses yeux, il s'assit à côté de son apprenti.

"La plus dure d'ma vie."

Évidemment, laisser Karigan dans sa demeure l'avait déchiré, plongé et noyé dans la torpeur. Il avait su qu'il en sortirait et reprendrait son souffle malgré tout, d'autant plus que la chaleur d'une âme ayant pleuré pour lui l'avait rappelé aux vivants. Il n'avait pas été seul quand son propre tour était venu d'affronter le deuil qu'il aidait à faire traverser, meneur de barque sur la rivière du Styx. Horus lui empruntait à la mythologie égyptienne, le deuil serait son oncle qu'il affronterait et tuerait pour mieux s'en sortir. Il entama, berça avec sa voix, les paroles qui se feraient baume, parchemins de sagesse.

"Y'a pas qu'une façon d'et triste."

Il accrocha le regard d'Horus.

"T'verras plein d'réactions différentes, comme j'pu en voir. Y'en a qui pleurent, t'pourrais leur filer dix plantes y pourraient toujours pas s'moucher l'nez. Y'en a qui hurlent, pas d'accord 'vec le destin, surtout si c'est brutal. C'pas agréable de se ramasser les secondes mais..." Il fit une pause, son regard dérivant vers ses souvenirs. "Ceux qui faut s'inquiéter, c'est ceux qui disent rien, où tu leur tire pas un vers du nez. J'tait comme ça pour ma mams. J'pas pipé un mot pendant deux lunes. J'pense que c'est du choc, du déni parfois."

Il amena une patte à sa propre poitrine.
Incapable d'accepter qu'elle ne serait plus jamais à ses côtés, si tôt, jamais là pour le voir avoir une famille ou faire une dernière connerie. Sa cellule familiale en avait explosé, son père broyant sa tristesse juste pour l'ingérer à nouveau en pensées noires. Et ne jamais la digérer, toujours en lui, jusqu'à ce que lui aussi ne finisse par la rejoindre. Il avait eu beau la manger, c'est elle qui l'avait consumé.
Chose qu'il comptait bien transmettre au jeune, pour que ça ne lui arrive jamais.

"C'est important d'pleurer, d'hurler, de... ressentir. Faut qu'ça sorte. Et not' rôle, c'un peu ça quand on accompagne les gens."

La patte sur sa poitrine toucha doucement le torse d'Horus.

"C'mon rôle, maint'nant, pour toi."

Laisses-toi faire le deuil, je suis là.
Prononcé à la façon 'Clou, évidemment.

Horus ; 4 ans
F A E I

L'aveu fit dresser les oreilles du plus jeune des deux mâles aux poils clairs. Ainsi, son mentor, qu'il avait toujours vu comme un roc solide et immuable, était également pourvu d'émotions telles que la tristesse, la douleur d'un deuil. Bien sûr il le savait déjà, forcément. Le Croquemort n'était pas un monstre manquant de compassion et de sympathie, au contraire. Mais voir son professeur parler ouvertement d'une difficulté vécues lui ouvrit les yeux sur un point essentiel : tout le monde, sans exception, pouvait être touché. Absolument tout le monde. Certains le cachait simplement mieux que d'autres. Derrière le silence, derrière un masque indifférence, ou dans le cas de Clou, derrière un sourire chaleureux. Il avait manqué une chose au disciple de l'Anaconda pour parfaire son rôle d'accompagnant dans la mort : il n'avait connu la souffrance d'une perte jusqu'à très récemment. Maintenant, plus que compatir, il serait capable de comprendre. Horus redressa la tête et lâcha la tombe de ses prunelles vert d'eau. Il regarda celui qui lui avait déjà tant appris, et qui continuait encore à lui transmettre, aujourd'hui, la force et le courage d'avancer à travers la peine. Le fils d'Aka planta son regard dans le sien. L'instant était solennel, propice à la leçon. Chacun réagissait différemment aux émotions ressenties. Ça il le savait déjà.

La suite, pourtant, éclaira quelque chose dans son esprit. Il était important d'accompagner tous les loups, même ceux qui ne semblait pas en avoir besoin. Au contraire, c'était même ceux-là qui nécessitait le plus d'attention et de soutien. Il réalisa donc ce que sa tête venait de mettre au jour : son père avait été comme ça. A porter tout le monde, à se mettre en retrait pour être le pilier, à s'ignorer au profit des autres, sans jamais se donner le temps, à lui, d'appréhender ses émotions. Et ce depuis bien avant sa venue au monde, depuis la naissance de leurs premiers enfants Parce que déjà là, lui et sa mère avait perdu ce qui leur était le plus cher. Un enfant. C'était donc la raison directe de sa folie, les dernières lunes avant son départ. ce trop plein de sentiments refoulés et rejetés au fond de son coeur. Horus se promit d'être celui qui soutiendrait tous ces loups trop nobles et fiers ou trop altruistes pour penser à eux. Sans s'oublier, parce qu'il comprenait aussi que si on ne se soignait pas, on ne pouvait apaiser les autres. Un sourire vint étirer les babines de l'apprenti. Clou n'était pas toujours bavard, parfois bourru dans ses propos, parfois grincheux comme beaucoup de vieux loups, toutefois, Horus n'aurait pu rêver meilleur mentor. Et si aujourd'hui il était ce loup optimiste, plein de confiance et de tendresse pour tous ce qui l'entourait, il devait remercier autant le gardien du cimetière que ses parents.

« Je comprend. Personne ne ressent une même émotion de la même manière ou de la même intensité, et chacun doit être prit en compte. »

Lorsque la patte du loup encapé vint toucher son poitrail, là où battait son coeur, une vague de tristesse envahit son corps, mais pas de colère, pas de frustration, pas d'incompréhensions.

« Je n'ai pas envie de pleurer ou de crier. Je sais qu'ils ont eu une longue et belle vie ensemble malgré les épreuves. Je sais aussi qu'ils étaient fiers de chacun de nous, même si j'en ai longtemps douté. Je suis seulement triste pour ma soeur... Sokaris est loin et ne sait sans doute même pas encore. Est-ce... Un mécanisme de défense ? De ne penser qu'à mes soeurs et mon frère ?»

Il avait déjà la réponse, parce que c'était ce qu'il avait comprit au travers des mots de son mentor. Toutefois la confirmation lui était nécessaire pour accepter qu'il n'était pas prêt à faire son deuil, et pour refouler cette culpabilité qui pointait déjà à l'idée de se laisser envahir réellement par le chagrin avant d'avoir pu soulager ses proches.

Il ft un peu surpris.
Mais pas déçu, car le gamin avait articuler sa pensée à voix haute posément, distinctement. Il savait ce qui se tramait dans sa tête, ou au moins commençait à le comprendre. Il était dans un mécanisme de déni oui, à repousser doucement sa tristesse mais il n'était pas englué dedans. Et rien que cela, 'Clou en était sûr, était suffisant au moins pour ne pas qu'il se fasse manger par la tristesse. Car le tout, c'était de saisir, même si c'était grossièrement comme lui avait fait toute sa vie. Tant qu'il en avait conscience... Ce n'était pas la même chose que lui qui n'avait eu que brouillard visuel et bruit blanc dans ses oreilles, pendant sa phase de mutisme.

"Ouais."

Il n'hésita pas à compléter sa réponse, parlant plus qu'il n'avait décidément jamais parlé. Même lors de leurs leçons précédentes Boîte à Clou était toujours resté concis. Ici par contre c'était une leçon qui avait besoin de mots, d'être explicitée autant que possible.

"Mais c'sain. J'veux dire... Tu vois un peu tes pensées et comment ça progresse t'vois ?  On appelle ça le chemine-truc j'ai oublié mais c'est pas grave. Tu sais d'où t'viens et où ça t'emmène, c'est ça qui compte." Il secoua la tête. "Tant qu'ça l'reste. Certains y oublient en bossant plus, d'autres picolent jusqu'à pu soif, certains restent en colère et oublient qu'c'est dla tristesse, 'pis ceux qui vont dans les bras d'la mort après en pensant qu'y pourront pas s'relever."

Il parlait des extrêmes, il en avait conscience. Mais pour lui c'était autant de chemins qu'il avait vu, de gens emportées sur des routes sans s'en apercevoir ou parce qu'ils avaient fermés les yeux volontairement. Les croque-morts n'étaient pas fait pour être des psys, mais il était persuadé malgré tout qu'ils pouvaient accompagner dans ce genre de moments difficiles. Lui qui parlait d'aider sa famille avant de pouvoir s'autoriser à être triste devait savoir quelque chose d'autre, aussi. Une idée qui était particulièrement dure, horrible à avaler. Amère, très amère. Car parfois...

"Tsé..." Il souffla mais hocha la tête, résolu à le dire. "On peut pas sauver tout l'monde non 'pu."

'Clou resta silencieux une seconde.

"Y'en a ce sera pas leur première blessure, et com' z'auront pas soigné celles d'avant..." Ce sera celle de trop. "D'autres... Ils voudront pas d'ton aide. Et t'pourras pas leur faire changer d'avis. Et parfois y'a des contexte tellement horrib' q'y'a sincèrement pu rien à dire."

Les morts injustes, nombreuses d'un coup, les assassinats gratuits...
Tant d'histoires qui était déchirantes et où parfois dire ou faire quoi que ce soit ne faisait qu'agiter une plaie béante, hémophile. Des moments qu'il fallait juger au bon sens, et où là seul l'expérience pouvait l'amener. Mais il pouvait au moins le prévenir, ce serait un petit bout de connaissance où il pourrait faire pousser ses actions. Comme on pouvait faire grandir un diamant artificiel sur une tranche de diamant naturel.

Horus ; 4 ans
F A E I

Horus ne dit pas un mot, écoutant la cascade de paroles du vieux loup. Il était vrai qu'il était plutôt bavard sur cette leçon. Inconsciemment, peut-être, l'élève comprit à quel point les mots pouvaient se révéler nécessaire. Extérioriser ses pensées, sombres ou moins sombres d'ailleurs, était une part de processus d'acceptation. De toute les leçons, celles-ci était sans doute celle qui pouvait s'adapter à la vie entière, pouvant aller aussi loin du contexte du cimetière qu'être indispensable en ces petits murs de pierres. Les oreilles du mâle beige tombèrent vers l'avant tandis qu'il étudiait une nouvelle fois les gravures maladroites sur la tombe austère de la mère de Clou. Ses prunelles vert d'eau longèrent les lettres du prénom tracé aors que le mentor dispensait sa bonne parole.

« Comme pour Hanna ? »

Il revoyait la scène affreuse, choquante. Il ré-entendait le bruit sec des os qui se brisaient, le son désagréable du corps écrasé. Pour lui qui n'avait connu la louve, cela avait fait partie intégrante du cauchemar du monde rouge. Il en avait passé des sales nuits à revoir ce monstre essayer de tuer la louvette qu'il avait sauvé avec Eva, et prendre à la place la vie de la mère. C'était si soudain, si inattendu, si injuste. Si violent aussi.

« As tu su quoi dire à l'Oracle à ce moment là ? A sa fille ? »

Il savait qu'il entamait une discussion difficile, sans doute plus dure à répondre pour le vieux loup qu'à lui d'entendre, mais que pouvait-on dire ou faire pour apaiser la tristesse d'un évènement si barbare ? Bien que Clou lui ai dit que parfois il n'y avait rien à dire, il semblait au disciple de Kiro qu'il y avait forcément quelque chose à faire pour montrer sa compassion ou son soutien. Peut-être avait-il tort, mais en éternel optimiste, il espérait tout de même qu'il y avait une réaction appropriée pour ce genre de situation, et si possible, un geste ou des mots pouvant aider si la victime de la tragédie était, bien entendu, ouvert à l'écoute. Le regard clair de l'Etelkru revint vers le Croquemort, attentif, sérieux.

Comme avec Hanna ?
Voilà qui était un exemple concret d'histoires qui brisait le cœur, et d'une plaie si grande qu'elle n'avait pas pu cesser de couler avant un long moment. Lui aussi pouvait revoir cette scène claire comme le jour dans son esprit. Il lui arrivait parfois d'oublier un peu ce qu'il avait fait le matin, mais ce temps là... Jamais. Ce terrible instant T où ils avaient tous vu la compagne de Volstein sauver sa fille mais être emportée par cette patte désarticulée porteuse de mort.
Typiquement un des pires moments que lui-même avait vécu.
Et où il avait fallut juger avec ce fameux bon sens.

"Comme pour Hanna."

Il acquiesça et ses paupières se fermèrent sous la lourdeur de cette confirmation. Ainsi que sous le poids de ce qu'il allait dire, mains ainsi allait le moment : il y avait sans doutes besoin de ça, pour illustrer ses propos précédents. Il prit sa respiration et lâcha tout, à nouveau.

"Trouver quoi dire à c'moment là, j'pu... Pask Volstein c'tait mon ami. J'savais comment il allait réagir, j'vais déjà enterré son frère. Et qu'Hanna, elle a sauvé sa fille, alors y'avait qu'une chose à faire : adresser la bravoure d'son âme. La dresser com' l'héroïne qu'l'était."

Il sentait ses yeux s'humidifier à dire tout ça, sa gorge se serrant de toute l'admiration qu'il ressentait encore. Elle avait donné sa vie pour offrir à sa fille la chance de continuer d'exister. Elle avait brillé d'une pureté sans égal aux yeux du vieux Clou, d'un altruiste inquantifiable. Mais il exposait là les facteurs qui lui avaient permis de trouver quelles paroles délivrer sur le moment. Il y avait beaucoup de cas malgré tout où tout n'était pas aussi clair. Il tenta de trouver un cas pratique pour l'expliquer.

"C'tait pas la situation la pu' horrib' mais y'a eu c'te louve, Bree. C'tait la nièce de Volstein. Quand j'ramené l'collier d'Roy j'l'ai vu le fixer et tomber dans l'déni. Tout son corps 'tait bloqué, prêt à fuir et j'sentit que p'importe c'que j'aurais dit, elle s'serait envolée. C'aurait polluer sa tête."

Il rouvrit les yeux sur Horus, sa tête accompagnant son mouvement.
Il se souvenait de la louve blanche, l'image crachée de son père, qui n'avait pu que désespérément s'accrocher au collier comme à une bouée de sauvetage. Elle se serait envolée comme une hirondelle sinon, où il aurait brisé son cheminement de pensée silencieux. Ça n'aurait pas été bon.
Alors il avait choisit de...

"D'fois, l'silence c'qu'on peut offrir d'plus précieux. Juste et' une présence."

Et laisser la personne traiter les informations à son rythme, ainsi ne rien imposer.
Chacun avait ses besoins.

Horus ; 4 ans
F A E I

Une autre constatation se fit dans son esprit. Ou plutôt la réalisation d'un besoin. Celui de connaître le monde, celui de pouvoir être une épaule pour tout ce qui en ressentirait le besoin alors qu'il serait là à travailler auprès des défunts. Ainsi il décida qu'il serait l'ami de tout le monde. Pas dans le sens bisounours du thème, quoi que cela lui collait plutôt bien, mais dans le sens où même s'il était Etekru de naissance, devenir Croquemort serait une façon de s'affranchir des limites d'une meute pour être capable de donner à tous la même chance d'écoute, à tous le même réconfort, sans soucis d'origines et de liens sociaux. Chaque être méritait le même droit au deuil et le même droit aux soins de l'âme, s'ils le réclamaient. Clou le lui appris : il fallait respecter chaque loup dans son approche de la mort, et ce, sans les forcer. Horus observa son vieux mentor, puit de sagesse et honorable personnage.

« Je ferais de mon mieux pour accompagner. Je promet que je serais aussi soigneux des survivants que des partis. »

Un sourire un peu triste étira ses babines. Son père n'était pas mort en héros, il était mort malade. Pourtant il avait été, tout au long de sa vie, un noble guerrier et c'est ainsi qu'on devait se rappeler de lui. Comme on se rappellerait d'Hanna comme celle qui avait sauver la vie de sa fille, de sa bienveillance et de sa générosité. De même il s'efforcerait d'apporter à tous le réconfort dont ils auraient besoin, en se renseignant sur les gens déjà de leur vivant, et encore plus pour donner d'eux les bons souvenirs. Il s'efforcerait d'être neutre, car le cimetière et la mort ne faisait de distinction de genre, d'âge, de rang, de provenance.

« Merci, Clou. »

Les paroles d'Horus lui firent dresser ses oreilles fines et cabossées par l'âge. Se dessina sur son visage un sourire qui baignait dans la fierté. Ce qui venait de sortir de la bouche d'Horus, était ce qu'il avait désiré transmettre silencieusement dans cette leçon. Un aspect qui était pour lui, primordial dans ce métier, et qui en faisait la difficulté, mais aussi la beauté.

Le désir de prendre soin de tous. Ecouter, parler, conseiller, ou bien se taire, c'était apporter quelque chose à ceux qui pleuraient un proche. Le devoir était accomplit quand la tombe était faite, et que les émotions s'étaient écoulés pour les proches. C'était le désir de la plupart de ceux qui étaient ici il en était certain, que les familles ne se sentent pas esseulées pendant cette période. Quand il n'y avait pas de proches, eux le devenaient symboliquement. Dès lors, personne n'était jamais seul ici. On en venait à une conclusion toute simple, qu'Horus avait saisit aujourd'hui : honorer les morts passait aussi par accompagner les vivants.

Il se sentait heureux que le beige ai prononcé ces mots de lui-même. Car c'était ceux qu'il avait espéré entendre. Cela voulait dire qu'il avait réussit sa leçon, il n'avait pas été sûr de pouvoir le mener vers ce chemin mais... Tout s'était réalisé. Il espérait avoir pu inculquer un peu comment également, et l'avoir préparé un peu.

Il avait pensé que ce serait les dernières leçons, car pour lui cela aurait pu prendre plusieurs étapes, mais Horus l'avait surpris. Alors, doucement, il se leva et posa une patte sur l'épaule de celui qui serait désormais... son ancien apprenti.

"J'suis heureux. T'es prêt."

Il l'observa de ses yeux noirs, son sourire s'agrandissant. Il se détacha de lui et détacha sa cape, attrapa sa lanterne. Il la passa la première sur les épaules du jeune et déposa la lumière en cage devant lui.

"Désormais, c'toi qui guidera. T'prends pleinement ton rang."

Voilà qu'une petite larmichette menaçait à nouveau ses yeux, alors il remplaça l'émotivité par la joie qu'il ressentait. Il émit un petit rire, et se détourna, indiquant l'entrée du cimetière et le chemin qui se démarquait dans l'herbe et filait droit vers le bout de l'île là où il était facile de traverser. Le chemin de la maison.

"Passe devant, M'sieur l'croque-mort."

Qu'ils rentrent enfin.

Horus ; 4 ans
F A E I

Le contact frais des coussinets râpeux de la patte de son mentor sur son épaule le surpris. Il regarda cette large patte, qui avait tant creusé, qui avait tant gravé, qui avait tant soutenu, avant de lever le museau vers le visage de Clou. Ce que l'apprenti lu dans le regard charbonneux du père de l'Alpha le gonfla de fierté, de confiance, d'honneur aussi. Son tuteur était heureux, le déclarant prêt. Prêt à quoi ? Il avait déjà son glowstick, il avait déjà un travail auprès du vieux loup, il était déjà devenu quelqu'un. Grâce à ses parents bien sûr, mais aussi en grande partie grâce à son mentor. Il le vit détacher son habit, chercher sa lumière et lui transmettre ses artefacts de Croquemort. Il était prêt. Le tissu doux glissa sur son dos, tandis que la passation de la lanterne se fit. Il était désormais le gardien du cimetière et de ses habitants, ainsi que le garant des âmes en peine. Il était Croquemort. Ce qui signifiait la retraite du précédent. Clou allait pouvoir se reposer...

« Tu vas pouvoir profiter de tes petits enfants ! »

Sourit le crêté avant de retrouver son sérieux et de lorgner la direction montrée par l'aîné. Pour la première fois, il ferait le trajet vers la maison en étant plus un apprenti. Il était à la fois si fier, et se sentit si petit face à la tâche qu'il accomplirait désormais. Joie et humilité se mêlait dans son coeur. Il était Croquemort. Entre ses crocs il attrapa délicatement la anse de la lanterne et ouvrit la marche... Non sans presque trébucher en posant la patte sur sa cape ! Dieux qu'il était maladroit pour un disciple de l'Anaconda ! Il allait falloir apprendre à marcher avec une cape ! Il sourit, tout innocent, et reprit la route vers la maison, vers leurs familles, vers leur meute, côte à côte, comme des égales. Clou serait toujours son maître et son modèle, et son respect pour le vieux loup ne se flétrirait jamais mais aujourd'hui, il se sentait fier de marcher à sa hauteur, et non plus légèrement en retrait. Il avait pensé être quelqu'un. Et il avait raison, il avait toujours été fait pour ça. Aujourd'hui était la consécration de son labeur, de ses efforts. Aujourd'hui était le premier jour du reste de sa vie. Il était impatient de dire ça à Thalion, Nòtt et Noé !