L'honneur de la rose ☾ Asclepia

(J'espère que tu voudras bien m'excuser si je fais des erreurs de genre, j'ai du mal à accorder au neutre u_u)

Asclepia flânait sur l'Île, passant d'un bord à un autre, explorant les environs, les recoins, examinant les endroits où la terre y était plus rêche, plus dure, plus pierreuse, et d'autres où la nature commençait déjà à reprendre ses droits, les grands plants de rose se parant de bourgeons. Il faudrait pas mal de boulot, mais probablement peu de temps pour que tout refleurisse et ne se pare de nouveau de ses couleurs d'antan.

Mais pour l'instant, c'était fade et morne, mort.

Asclepia s'interrogeait.

Que devait-il faire ? Il avait fait tant de chemin, passé tant de temps à attendre que le Dôme tombe enfin, et alors qu'il touchait au but, il ne pouvait plus avancer aveuglément. Devait-il prêter allégeance à cette déesse de la beauté ? Voulait-il prêter une quelconque allégeance, et surtout la Tigresse en voudrait-elle ? Asclepia était-il capable de survivre l'affront d'un refus de sa beauté ? De ce dernier point, il en doutait, tout en espérant n'avoir jamais à le voir confirmé.

Une déesse.

Le renier, lui.

Mais ils n'en étaient pas là. Pour l'instant, la question était : cette déesse existait vraiment ? Cette affirmation remettait en cause les fondements de tout ce qu'il savait et avait appris jusque là. Y avait-il une entité supérieure qui pouvait gouverner leurs vies ? Si oui, alors est-ce que leurs actions avaient vraiment du sens, ou n'étaient-ils que des pantins à leur bon vouloir ?

Ces dieux avaient-ils d'autres dieux qu'ils vénéraient eux-aussi, étaient-ils tous maillons d'une chaîne infinie ?

Il sentit posé sur lui un regard de braise, qui le tira de ses réflexions. Un jeune loup, allongé lascivement sur une pierre, bien à l'abri de la saleté. Iel partageait sans doute possible une ascendance avec la prêtresse qui, hier, l'avait accueilli. Anianka.

Comment serait son enfant ? Curieux, pédant, à en croire le choix des mots, mais ce devait aussi être un enfant qui s'ennuyait. Asclepia rougit violemment à ses paroles, une mascarade qu'il exécutait toujours avec brio, et détourna le regard, gêné. Il ouvrit la gueule à deux fois avant de réussir à prendre la parole :

Tu me trouves... Beau ?

C'est tout ce qu'il avait retenu de la phrase, heureux simplement qu'iel ait posé les yeux sur lui, emprunté dans sa manière de s'exprimer.

Le gai luron, en face de lui, a l'air de se gausser de la situation. Iel est important, dans l'histoire, et iel le sait. Iel le montre. De son fier poitrail, de son allure paresseuse et de son œil inquisiteur. Iel veut lui ressembler, mais iel lui ressemble déjà beaucoup. Asclepia recule d'un pas, alors que l'autre s'approche et l'envahit de ses odeurs de rose, qui auraient été si à propos dans ce temple à son apogée, et qui dénotait vaguement au milieu de ce champ de ronces et de chardons. Il était comme un pied de nez à ce qui était.

Asclepia rougit de plus belle, passe une patte devant son visage pour en cacher le fard, baisse les yeux.

J-je ne sais pas-

Etait-ce son intérêt d'être beau ? Quelle drôle de question. Il faisait de drôles de choses avec les paons, lui.  Dans la nature... Bien que cela chagrine le loup aviaire de l'accepter, dans la nature les paons n'étaient que des proies. Leur intérêt était de se nourrir, grossir, et devenir assez lourds et patauds pour être attrapés sans difficultés. Il lui était déjà arrivé d'en manger, comme à tout ceux de son clan : c'était un met qu'ils considéraient comme... Divin, en quelque sorte. Loin d'être un sacrilège, c'était les grandes occasions qu'ils célébraient de cette façon. Une naissance. Un mariage. Un enterrement. Une fête, grandiose.

L'odeur de rose le ramena au temps présent. Il huma l'air, se déporta légèrement sur le côté, hésitant sur ses pattes. La question qu'on lui offrait était une véritable opportunité, qu'il attendait bien saisir. Asclepia regarda ses pattes, le sol, et le tapota nerveusement, comme une jouvencelle prise en défaut.

Je... Le peux. Mais uniquement en... Certaines occasions. Lorsque mon cœur bât la chamade, et que mon regard est attiré par... Enfin...

Plus l'autre s'approchait, et plus il montrait des signes de nervosité, se couchant presque à ses pieds, servile et effrayé. Sa queue évoquée trainait à un ou deux centimètres du sol, oscillant de mouvements erratiques.

C'était un mensonge, évidemment. Il pouvait faire la roue comme il le souhaitait. Mais qui n'aimait pas se sentir spécial ?

Ah, lea voilà enfin qui se décide à entamer sa danse. Asclepia lea regarde approcher avec une certaine crainte, baissant la tête et lâchant un peu de terrain d'un demi-pas en arrière, effrayé en apparence de son attitude si agressive et avenante.

Des mots, cependant, lui piquent l'oreille. Elle ? Avait-iel donc instinctivement décidé qu'il était un mâle, ou n'était-ce qu'une supposition ? Mmh, il n'a pas l'air de jouir de sens autres, ne porte pas un de ces tubes lumineux qui, le dit-on, confère d'immenses pouvoirs à ceux qui les portent. Etait-ce un bluff ?

Une question en amenant une autre, Asclepia se rendit compte qu'il n'avait aucune idée de comment genrer la personne en face de lui. Si ça lui était déjà arrivé dans sa famille natale, où les paons cherchaient tous à atteindre la même perfection, mâle ou femelle, c'était bien une première chez d'autres de ses congénères. Il aurait, s'il l'avait pu, froncé les sourcils. Mais le moment n'était pas venu de lui poser la question - autant attendre de le découvrir. Et sinon, ça n'avait de toute façon aucune importance.

Il bafouille :

Jj-je, peut-être-

Il ne trouve pas ses mots, subjugué par tant de beauté et perturbé par sa façon de s'avancer vers lui. D'un oeil appréciateur, toutefois, il sait voir chez cet être la marche fluide bien qu'empruntée caractéristique de cette famille, alors que ses pattes semblent effleurer le sol.

Mais Asclepia refuse le contact, tâchant là d'un demi-pas, ici d'un mouvement nerveux, de toucher cet être, de peur de ce que cela pourrait provoquer chez lui. Il rougit de plus belle, alors que le long poil duveteux de son interlocuteur glissa contre le sien, ajoutant à son malaise. Le parfum, moins capiteux mais plus frais, tout aussi enivrant que celui de la prêtresse, le saisit. C'est décidément un lieu d'odeur, que ce temple : tout résonne dans sa truffe. Le loup-paon gémit, si doucement que seule la promiscuité le porte aux oreilles du loup chocolat.

J-je ne savais pas-

Sa respiration se fait légèrement sifflante, sa queue se soulève très légèrement, assez pour suggérer un mouvement, pas assez pour être considéré comme une victoire, pas même à l'horizontal. Asclepia baissa légèrement la tête de nouveau, ne sachant où poser les yeux, incapable de croiser son émeraude avec la chaude teinte d'ambre brûlé qui brille dans le regard de celui ou celle qui tente en vain de le séduire.

Il ne plie pas, joue l'innocence, mais ne fuis pas non plus - tout pour l'encourager à continuer. Jusqu'où irait-iel ? C'était là ce qu'Asclepia souhaitait savoir.

Sa démarche avait été un peu hésitante, au début, lorsqu'iel le couvait de son regard mordoré, mais maintenant qu'iel était lancé, on ne l'arrêtait plus. Mais Asclepia allait-il reculer, à l'idée qu'il avait probablement moins à y gagner qu'il ne le pensait au début ? Car loin sur les sentiers qu'il lui pensait interdits, le jeune loup s'aventurait, sans arrière pensée ni hésitation. Son corps se mouvait avec une délicatesse empruntée, hypnotique. C'était un beau spécimen, qui pratiquait une belle danse.

Dommage, pour luelle, qu'Asclepia ne pensait qu'à son propre être aussi.

Et surtout qu'il avait forte expérience dans le domaine, s'essayait sur la mère avant de s'attaquer à la progéniture, et sans compter les milliers de danses qu'il avait déjà effectué, pour gagner en prestige, et améliorer son quotidien, dans son pays natal. Aussi, la danse de la personne en face de lui ne faisait que raviver doux souvenirs, et il pouvait l'apprécier à son plein potentiel sans en craindre les dérives.

C'était chou, vraiment. Asclepia appréciait beaucoup.

De nouveau, il tenta de fuir ce regard de braise, mais ses yeux émeraude se trouvèrent épinglés, comme par magie, dans les siens. Il frémit, de tout son être cette fois pas seulement de sa queue de paon, et secoua ses ailes, gêné. Il inspira, difficilement.

Lorsqu'en face de lui lea loup eut un dernier mouvement, plus engageant que les premiers, il n'eut qu'un mouvement de recul très léger, leurs museaux s'effleurant et leurs souffles se mêlant un instant avant qu'Asclepia ne brise le simili contact pour détourner la tête en rougissant fortement. Innocemment, il mettait en avant son corps, le poil plume de son poitrail qu'il savait si épais et si doux dans lequel perdre son museau, ses pattes si fines, ses oreilles duveteuses...

Je ne- sais- même pas qui tu es-

Il tremblait, de tout ses membres, mais de cédait plus de terrain.

Approche.

Approche encore, va jusqu'au bout.

S'il n'avait décidé quelle serait sa réaction finale, il se régalait de l'instant comme d'un mets précieux.

Et lea voilà qui jette son corps contre le sien, qui pousse, qui cherche à l'envahir de son corps si doux (il est vrai) et si juvénile, si curieux et maladroit à la fois. On en croquerait. Peut-être, pour le coup, qu'Asclepia lea trouve vraiment mignon.ne avec son petit manège. Avec ses yeux en amande, son attitude effrontée, ses manières curieuses et empruntées.

Alors il ploie, sans lui laisser gagner de terrain, sans reculer d'un pas il ploie, branche de saule sous l'assaut du vent, son corps part vers l'arrière et sa respiration se fait sifflante, sa queue encore monte de quelques centimètre, ses plumes s'écartent doucement, laissent apparaître ses yeux auparavant superposés pour laisser entrevoir leur beauté divine. Il lui offre, en récompense de sa témérité, une petite partie de ce qu'il convoite. Asclepia profite de la promiscuité pour venir glisser son museau dans le cou de son adversaire, massant doucement la base de sa mâchoire, remontant doucement à ses oreilles délicate pour y murmurer, gémir son nom :

Isrâ-

Ce gémissement contient toute la ferveur, toute la luxure qu'il a pu y mettre, obscène façon de l'appeler à lui. Asclepia se ramasse sur ses postérieurs, y prend appui et de ses pattes avant vient délicatement chercher les épaules de celuielle qui l'attaque ainsi, pour garder son équilibre, ne pas tomber, mais aussi et surtout pour l'empêcher de s'enfuir de cette pression délicate et si faible, mais mentalement présente. Asclepia gémit de nouveau et fourre sa tête tout entière dans l'encolure du loup brun, s'enivre de son odeur, se frotte à son poil délicat.

Comment peut-il penser tel jeu si facile, que la proie toujours ploie devant le maître ?

Mais Asclepia n'a pas toujours l'occasion de pousser son rôle dans de tel retranchements, et s'y complait formidablement.

La caresse du loup louve contre lui le régale, il lâche un soupir d'aise, l'encourage de toutes les manières qu'il peut pour qu'il continue son petit manège. Asclepia mordille le bout de ses oreilles, en gratte la base et l'arrière de son cou, cette zone habituellement si difficile à atteindre soi-même. Et l'autre se joint à son étreinte, se glisse plus encore contre lui avant de les jeter au sol d'une souple manoeuvre, se plaçant lui-même en position de faiblesse. Que cherchait-il, à l'appeler ainsi ?

Considérant l'invitation d'Isrâ, le loup-paon fit mine une dernière fois de renâcler, le rouge gagnant ses joues.

Je ne devrais pas...

Alors, que ressens tu à l'idée de faire basculer une âme innocente dans tes rets, le piège que tu lui joues depuis son arrivée ? Est-ce grisant ?

Asclepia en est certain, et l'imagine bien car il la ressent à cette instant. Une jubilation, un sentiment de puissance, d'entièreté. Un sentiment de complétion. L'assurance, la jubilation.

Il se pencha en avant, s'allonge complètement sur le brun animal, l'envahit de son corps, de ses fragrances et de sa présence, comme s'il voulait l'étouffer. Il glisse ensuite son museau sur le coin de sa joue, le laisse tomber sous sa mâchoire et vient gratter cette jugulaire si délicieusement offerte.

La saisit.

Et serre, délicatement. Juste assez pour lui rendre respiration difficile, bloquer sa trachée, induire en lui un sentiment de panique, l'obliger à se battre pour son souffle lui qui était si pleinement bloqué sous le corps du paon. Il serre, donne du mou et serre à nouveau, imposant à son partenaire de jeu la mainmise la plus complète sur son organisme.

Il relâche, enfin, cette gorge offerte pour frotter son visage contre le sien, doux de nouveau, lascif et joueur.

Aimes-tu ce jeu, Isrâ ?

Le murmure, délicat, était accompagné d'un sourire amusé. La luxure avait laissé place à une lascivité plus claire et entrainante.

Ainsi, le jeune loup aimait à se donner, mais ne se nourrissait pas de la peur qui parfois faisait chavirer les coeurs, chavirer les êtres. Cette peur qui envahissait maintenant les environs, saturant les odeurs de rose qui l'accompagnaient, changeant entièrement le contexte dans lequel ils évoluaient. Asclepia sentit un frisson le parcourir lorsque le stylet frôla sa patte et se planta profondément dans la terre. Quelle réaction exagérée, voyons ! Un peu de tenue ! Et des menaces, avec tout ça. Le grand loup paon alors recule. Il rompt d'un pas, libère de son corps ce loup au poil si épais, si doux, délicat. Ce corps tendre qui était prêt à s'offrir à lui. Mais pour quoi ?

Asclepia secoua doucement la tête. Si jeune, et déjà si...

Cassé.

Pourquoi t'offres tu ainsi, à quelqu'un que tu ne connais pas.

Son ton était vraiment empli de curiosité. Et de reproches, aussi. Son attitude avait changé du tout au tout. De docile, perdu et insignifiant, il s'était redressé, arborant fièrement son pelage moiré.

Pourquoi.

Pourquoi un loup d'ici, d'une meute, ou même solitaire, voudrait-il l'attirer dans ses filets, avec tant de maladresse, tant de curiosité. Par volonté de pouvoir, pour voir plier sous lui une âme moins ferme ? Une âme moins brute ? Pour combler un sentiment d'infériorité ? Chez un loup aussi jeune ? L'exemple de sa mère, peut-être ?

Ne sous-estimes pas ceux que tu rencontres, ils n'offrent que des masque.

S'il voulait jouer à ce jeu, au moins Asclepia pouvait lui donner ce conseil.

Mais rapidement, il perdit son air sérieux et ennuyé, pour un sourire enjôleur. Il recula de quelques pas encore, et à chaque mesure à laquelle ses pattes touchaient la pierre, sa queue se redressait. D'une ou deux centimètres. Lorsqu'il fut assez loin, c'est une roue complète qui s'offrait à lui, une roue de paon avec ses mille yeux.

Mais l'instant ne dura pas.

Tel un renard malicieux, Asclepia la fit disparaître avant de s'échapper dans les fourrés, ne laissant derrière lui qu'une vague odeur indescriptible.