«Élevée dans les roses sacrées»
Elely & Moiro - Epreuve de glowstick

Elle avait brossé sa cape au plumage ébène de longues heures, rassemblé et remonté ses cheveux bordeaux en un parfait chignon retenu par les piques dorés offert par son père. Elle avait affûté et nettoyé ses dagues ainsi que sa ceinture, taillé ses griffes, et bien évidemment.. Elle avait fait un nettoyage complet de sa fourrure pour qu'elle soit radieuse. La digne fille de sa mère, c'est avec fierté qu'elle entra dans le temple de la tigresse, lieu qu'elle avait construit avec sa famille des lunes durant. Bien plus que la déesse de sa mère, c'était la déesse de sa famille. La grande, la magnifique tigresse, celle qui les avait vu naître et grandir sur son île, celle qui, de son parfum de rose, avait parsemé le pelage d'elle et de ses sœurs pour l'éternité.
Elely était prête, elle s'était préparée physiquement et mentalement pour cette épreuve car c'était pour elle un rituel, celui qui marquerait son passage à l'âge adulte, celui qui lui offrirait son indépendance et la fierté de ses parents. Elle voulait voir les prunelles de mère briller lorsqu'elle porterait le glowstick de sa bien aimée. C'était l'épreuve à ne surtout pas rater si elle ne voulait pas la décevoir.. Elle qui était si exigeante. Oh mère était aimante et encourageante, mais avoir sa fierté était quelque chose de difficile. On devait devenir plus fortes, plus redoutables, c'était le but à atteindre : être aussi redoutable qu'Anianka, la fabuleuse prêtresse de Moiro. Comme cela pouvait parfois être difficile de suivre les pas de parents aussi importants, aussi célèbres.. Il y avait un fardeau qui pesait sur leurs épaules, celui d'être toujours à la hauteur, de perpétuer la forte réputation de leur famille.

Délicate elle s'avança, tête droite, queue et poitrine relevées comme mère le faisait si bien. Elle se montra sûre d'elle, malgré la nervosité qui irradiait son cerveau et faisait battre son cœur sensible. Elle avait envie de pleurer tant elle était anxieuse. Non. Pleurer c'est une preuve de faiblesse.
Tu ne dois pas pleurer, Elely.

Elle coula un regard aux majestueux tigres qui gardaient l'entrée, l'un fait de rose par un solitaire et l'autre, forgé dans la pierre et dans les joyaux, par sa mère. Elle souffla calmement par les narines, puis s'arrêta face à l'immense statue de la tigresse, à la fois séduisante et puissante. Elle se gratta la gorge, puis dans une démonstration de grâce elle s'inclina en courbant son corps, museau vers le sol et dos droit. C'est ainsi que mère leur avait appris. D'ailleurs, elle devait sûrement l'attendre à la sortie du temple.. Elle qui savait toujours tout.

Bonjour, Déesse Moiro.

Sa voix tremblota légèrement, elle se pinça la babine pour se concentrer davantage.

Je souhaiterai passer votre épreuve et avoir l'honneur de prétendre à votre couleur, si vous me l'accordez.

Elely

Alors qu'elle parvenait à contrôler le tremblement de ses pattes pour rester la impeccable possible, son cœur manqua toutefois un battement lorsque la tigresse apparue, resplendissante, puissante. Elely était impressionnée, que dis-je, émerveillée par la beauté de la déesse tant vantée par sa mère. Elle se releva, dos droit, poitrine queue et museau bien relevés pour mettre en avant ses atouts. Elle n'était pas la plus magnifique non, elle n'était pas la plus charmante, son corps était encore marqué par la famine qu'elle avait connu depuis son enfance. Son pelage d'été n'attendait plus que de grossir, de s'onduler comme celui de mère pour venir camoufler toutes ces imperfections de sécheresses. Elle plongea ses grandes prunelles bleutées dans celles, insaisissables, de la majestueuse tigresse et se sentit bien nue. La pression pesait sur ses épaules, celle de ne pas être à la hauteur. Venir ici juste pour satisfaire mère? Non, bien sûr que non ! Comme une claque sur son visage, elle sentit un frisson glaciale lui parcourir la tête jusque dans le bas de son dos.

N..Non bien sûr que non, déesse Moiro je.. Je souhaite devenir votre disciple parce que c'est vous que j'ai choisi. Répondit-elle en bégayant, elle était une sentimentale et une émotive à l'inverse de mère, et ce n'était pas toujours facile de le cacher.

Père lui avait toujours apprit que les sentiments n'étaient pas une faiblesse, bien que mère lui dise l'inverse.. Elely devait s'entraîner un peu plus à les cacher si elle ne voulait pas se faire marcher dessus. Elle était très dépendante du regard des autres et surtout celui de ses parents, mais ce genre de décision.. C'était une évidence dans son cœur, encore plus maintenant qu'elle pouvait la voir enfin, pour la première fois.
Elle inspira un grand coup, envoyant valser les picotements dans ses mâchoires. Son visage au charme encore enfantin et innocent se rida avec détermination, elle devait se montrer courageuse si elle voulait convaincre la déesse.

Je suis née entourée de vos roses, j'ai grandi en écoutant les louanges que mère vous faisait c'est un fait. A l'inverse de certains de ma fratrie je suis tombée sous le charme et j'ai tout de suite compris où était ma place. C'est ce que je souhaite, Moiro, être à vos côtés, et ce depuis toujours.

Suivre les traces de sa mère, oui, mieux encore elle voulait faire son propre chemin, être encore plus forte, plus féroce.  

Elle hôcha la tête franchement, c'était un oui sans hésitation. Elle était prête, et si elle ratait alors les doutes de la tigresses auront eu raison d'elle.

Elely

Son regard tourna un instant sur l'imposant félin qui passa à côté d'elle pour rejoindre la déesse et se lover contre elle. Comme cela était étrange de voir un prédateur aussi redoutable faire preuve d'autant de tendresse et d'amour, il incarnait la douceur et la puissance au même titre que la déesse qu'il protégeait. Elely envia secrètement un amour aussi tendre et fidèle et elle se perdit dans ses rêveries, le regard ailleurs. Oh ce que ça devait être réconfortant d'être aimé de cette manière..
Elle releva bien vite le regard lorsque la voix de Moiro la ramena à la réalité, et elle fronça doucement les sourcils sans comprendre le sens de ses paroles. Avant qu'elle ne puisse la questionner, la tigresse disparut devant elle et Elely tenta de la rattraper d'un mouvement de la patte, action vaine car c'était comme vouloir toucher de la fumée..  
Frustrée, elle attendit de longues minutes avant de se retourner, attirée par un bruit soudain derrière elle. Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un la surprenne aussi facilement, elle n'avait entendu personne entrer..
Lorsqu'elle aperçut le corps de sa mère gisant à la lumière de l'entrée, ses yeux s'arrondirent sur son doux visage et l'information ne mit qu'une demi-seconde à monter jusqu'à son cerveau.

Maman ! Gémit-elle en s'approchant d'un bon vif et souple.

Elle s'accroupit tout près d'elle et tenta de lui faire ouvrir les yeux d'une tape du museau contre le sien, mais rien ne fonctionna.

Que vous est-il arrivé maman, qu.. qui vous a fait ça ? Sa voix tremblait aussi violemment que son corps qu'elle agita partout autour de sa mère, comme un enfant trop innocent pour comprendre et accepter la vérité.

Son si beau pelage était recouvert de sang et de plaies et.. à mesure qu'elle examina avec effroi l'étendu de ses blessures, elle découvrit non sans horreur qu'il lui manquait ses canines. A cette observation, elle s'arrêta soudainement, comme si tout s'éclaira dans sa tête et la colère monta, si vite qu'elle en devint presque rouge comme une tomate. Comme un volcan prêt à entrer en irruption, ses veines gonflaient et son cœur s'accélérait dans sa poitrine comme un compte à rebours. Elle vit les yeux d'Anianka se lever sur elle et son visage se décomposa lorsqu'elle sentit la détresse de sa mère en ce court instant où ses prunelles croisèrent les siennes. Des larmes se mirent à perler aux bords de ses yeux et elle se tourna vers la belle statue de la tigresse, museau relevé avec une expression désemparée.

Je vous en prie Moiro aidez ma mère.. Vous êtes la seule qui puisse faire quelque chose..

Sa gorge était aussi asséchée que si quelqu'un lui avait fait avaler des gorgées de sables. L'angoisse la faisait suer et ses pattes menaçaient de la faire tomber à tout instant. Elle n'était pas soigneuse elle, elle n'y connaissait pas grand chose.. Pouvait-elle seulement être soignée dans un tel état ? La jeune louve ne pouvait se résoudre à perdre sa mère, à la laisser partir de cette manière..
Oh non.. Pas encore une fois..

Personne ne vint et la pression était à son point culminent, elle savait qu'il n'y avait plus rien à faire, que le peu de temps qu'ils leur restaient était les derniers instants qu'elles partageraient. Comment les autres réagiront ? Son cœur se serra si fort qu'elle sentit des picotements monter dans sa gorge jusqu'à ses mâchoires, ses yeux se noyèrent d'un coup et elle baissa le museau pour cacher les larmes qui se roulaient comme des diamants sur ses joues. Elle pleurait doucement, presque silencieusement pour ne pas décevoir sa mère. Était-ce une faiblesse de la pleurer en cet instant ? De l'aimer et d'avoir peur de ne plus pouvoir revoir son sourire tant envié ? Qui allait lui donner des conseils si elle partait ? Qui serait son modèle ? Qui la réconforterait lorsqu'elle sera triste ?

Elle fit volte face et courut près de son corps agonisant, une flaque rougeâtre s'était formée autour d'elle et se séparait en plusieurs petits chemins dans les rainures de la pierre. La jeune louve s'allongea contre le flanc de celle qui l'avait élevé, imprégnant son pelage de ce liquide qui était aussi le sien. Son corps était si froid.. Les oreilles rabattues contre sa belle chevelure, elle glissa sa truffe dans la douce encolure de sa tendre mère et savoura son odeur une dernière fois, laissant ses larmes se fondre dans ses poils avec une délicatesse amère.

Je vous vengerai mère.. Murmura-t-elle d'une voix qui se voulait rassurante et qui pourtant était étranglée par la douleur.

Tous la vengeraient car tous l'aimaient, Mildred, Méridor, Maxim, Isrâ, Rhaegar..  Il s'agissait là d'un assassinat et ils devaient faire éclater la justice. Elle serra les crocs lorsque ce mot résonna dans ses pensées comme un écho lointain prononcé par la voix doucereuse de sa mère. C'était la moindre des choses pour honorer sa mémoire, pour montrer qu'ils avaient grandi et compris la leçon. Ils surmonteront ce deuil ensemble, comme une famille soudée et unie, comme ils l'avaient déjà fait pour Akira..
Oh Akira.. Elely réalisa soudainement à quel point cette épreuve avait dû être difficile pour sa mère, elle avait montré tant de force et de sang froid pour ne pas s'effondrer devant eux, pour leur montrer l'exemple et les endurcir. Méridor avait été terriblement dur et sévère avec elle, malgré cela elle était restée implacable et n'avait jamais rien laisser paraître. Si seulement il avait su qu'en réalité elle avait fait preuve d'une incroyable force.. Pour eux, pour qu'ils se relèvent et se battent.

Elely glissa son visage près de celui de sa mère pour la regarder une dernière fois. Son regard était triste mais calme, presque serein. La jeune louve devait se relever à son tour, comme mère leur avait appris et garder la tête haute. Elle devait apaiser sa conscience et lui montrer qu'elle était prête à faire son propre chemin désormais, qu'elle était adulte et forte. Elle resterait à ses côtés aussi longtemps qu'elle garderait les yeux ouverts et elle lui sourirait, la couvrirait de son amour par ce dernier câlin, par ce dernier soutien. Elle qui avait toujours été là pour elle, désormais c'était à son tour d'avoir le rôle de la présence réconfortante.

Alors qu'une dernière larme se glissa sur le coin de son si joli minois pour y laisser une traînée salée, elle se mit à chanter, doucement.. intimement.. comme un souffle presque inaudible accompagné d'un dernier regard étincelant et d'un sourire.

«  In peace may you leave the shore.
In love may you find the next.
Safe passage on your travels.
Until our final journey on the ground.

May we meet again... »

Je vous aime maman..

Elely

Le temps semblait s'écouler affreusement lentement autour d'elle, sa mère respirait encore mais avec une lenteur démesurée et le chagrin n'en était que plus terrible pour la jeune louve. Les larmes continuaient de couler silencieusement sur ses joues rougies, et elle chantait, comme une douce berceuse à sa mère.. Elle ne voulait plus s'arrêter car ce serait comme annoncer la fin, l'effondrement de tout ce qu'il restait à partager avec celle qu'elle considérait comme son modèle. Sa voix commençait à s'éteindre malgré elle et c'était un supplice tant sa gorge était sèche.
Puis il y eut un petit courant d'air sur son visage, comme pour essuyer ses larmes.. Elle sentit une vague de chaleur et d'espoir la soutenir et lorsqu'elle releva les prunelles elle aperçut la gracieuse tigresse en face d'elle qui l'observait avec une tendresse semblable à celle de sa mère. Elle voulut lui demander de l'aide mais le corps d'Anianka disparut soudainement sous ses yeux écarquillés, comme si elle n'avait été qu'une illusion, un mirage..

Elle se sentait déboussolée, son visage et ses yeux étaient fatigués et une impitoyable migraine lui barrait le front, que lui arrivait-elle ? Pourquoi ses joues étaient-elles tiraillées par cet eau iodée ? Elle ne se souvenait même plus pourquoi elle était couchée là.. La douce voix de Moiro était comme une caresse à ses oreilles et elle se sentit soudainement mise à nue de ses émotions. Bien qu'un peu sonnée par tous les sentiments différents qui l'envahissaient elle écouta, museau relevé vers la déesse. Ses prunelles luisantes se tournèrent sur le tigre qui lui donnait un présent et elle ne réalisa pas en cet instant ce qu'elle venait d'accomplir. Elle le fixa avec un mélange de tendresse, de respect et de perplexité avant de se résoudre finalement à l'accepter, un « merci » se lisant sur ses babines.

Puis un nouveau courant d'air vint lui rafraîchir le visage et elle se releva pour se montrer plus digne, plus fière. Voilà que le bourgeon devenait une fleur, et pas n'importe laquelle.. Une rose parmi les plus prestigieuses. Elle était désormais indépendante, plus forte que jamais et surtout plus déterminée à atteindre son but. La joie lui fit relever les babines en un ravissant sourire et une ultime perle coula sur son visage, une larme de bonheur, la plus belle de toutes celles qu'elle avait pu verser.

J-Je m'en montrerai toujours fière, déesse Moiro. Merci de votre confiance.. Répondit-elle nerveusement, son cœur s'emballant dans sa poitrine.

Ce jour là elle avait été totalement dépossédée de son masque, de ses vêtements et de ses principes. Comme une renaissance.. Elle se sentait intimement liée avec Moiro, elle était désormais la seule à avoir vu la puissance de ses sentiments, à connaître les tourments de son âme et ses faiblesses. La dernière brise qui marqua le départ de la tigresse la fit sourire un peu plus, elle sentit l'effluve ensorcelante de rose lui imprégner ses poumons et elle savait qu'en cet instant, cet odeur ne la quitterait plus jamais.

Alors qu'elle attrapa son glowstick avec délicatesse pour aller le montrer à mère et les autres, il éclata mystérieusement devant elle et le liquide divin se mit à voler devant ses prunelles bleutés, comme si il était vivant.. Elely l'observa avec curiosité se mouver comme une chose gluante et avant qu'elle ne puisse le toucher et il se jeta sur sa cape et éclaboussa certaines plumes. Elle sursauta et détacha sa cape, craignant qu'elle ne prenne vie à son tour, mais la cape tomba au sol et demeura immobile, inchangée. La jeune louve approcha son museau des plumes sombres et aperçut avec stupeur que les plumes changeaient de couleur.. Elles prirent une teinte violacée, et certaines se nimbèrent entièrement de rose comme la couleur du présent divin, elles illuminaient la cape toute entière d'une aura puissante.

Émerveillée par ce changement, elle remercia une seconde fois la déesse et se mit à danser autour de sa statue inanimée ainsi qu'autour de celle de son fidèle protecteur avec son présent sur le dos. C'était un cadeau inestimable et elle en était si heureuse qu'elle voulait leur montrer, oubliant totalement le masque qu'elle avait l'habitude de porter. Ici, elle se promit que plus jamais elle ne le porterait, elle serait elle-même : une louve sentimentale et émotive pleine de joie, une rêveuse dans l'âme qui laisserait libre cours à son imagination et à ses émotions. Et qu'est-ce qu'elle se sentait bien d'être elle même, comme si elle retirait ses talons hauts et son maquillage après une longue journée de travail.