Soleil Rouge — Justice, Tabralt... [Raid Scorpion]

Il émit un bref grognement étouffé pour seule réponse aux paroles de Roakine, la gueule déjà pleinement occupée à décortiquer avec difficulté la chair tenue entre ses pattes.

Et alors qu'il leur avait semblé à tous que la tranquillité était revenue planer sur eux et qu'ils allaient simplement pouvoir se reposer et festoyer de leur triomphe, le sol se mit à trembler.
Tous ses muscles se contractèrent douloureusement - ils semblaient d'un seul coup si rigides, comme si le venin les avait solidifiés et avait volé de leur élasticité- et il planta par réflexe les griffes dans sa pitance, levant une gueule aux crocs dévoilés face à lui. Mais il ne s'agissait pas d'une quelconque attaque envers eux, et le monstre vert n'avait pas ressuscité sous leurs yeux - au contraire, il était en train de glisser. Dans le sol.
Tous se remirent sur pattes en une coordination presque parfaite motivée par la surprise et la frayeur, mais le calme retomba bien vite sur eux, seulement perturbé par le chuchotement du sable qui en certains points continuaient à glisser ou s'écouler.

Le cadavre de l'alakrane en moins, restaient désormais eux trois et un gros trou.

Le gris tendit le cou vers le précipice puis vers eux, perplexe et hésitant ; et Roakine fut le premier à s'avancer à pas prudents, poil gonflé, jusqu'au rebord de cet abîme nouveau. Après un temps d'hésitation à l'observer analyser le fond du gouffre en silence, il finit par faire quelques pas à son tour.
Arrivé suffisamment près pour pouvoir correctement voir le fond et le tunnel à la gueule sombre qui s'y était dévoilé. Son rythme cardiaque s'accéléra légèrement et il frissonna - mais cette fois-ci, il n'était pas sûr de pouvoir blâmer l'action du venin.
Le trou béant semblait danser devant ses yeux comme un mirage, attirant et repoussant à la fois ; son corps se balançait presque de lui-même, irrésistiblement happé par l'attraction du précipice tout autant qu'il aurait voulu s'arracher à sa vision, s'en éloigner, partir, loin.
Mais ses yeux, ses yeux tant habitués à l'obscurité, ses yeux qui aspiraient presque à retourner se lover dans les sous-terrains qu'il avait quitté depuis des années et à entraîner son corps à leur suite, ses yeux ne se détachaient pas, ses yeux ne le lâchait pas, ce boyau noir comme les abysses qui l'appelait si fort.

— Ca a l'air accessible.

C'est le sursaut provoqué par les paroles de Roakine qui lui permit finalement de renouer avec la réalité et de s'arracher à sa contemplation de l'entrée étroite vers les entrailles de la terre. Il tourna la tête vers le mâle qui était retourné près de la nourriture pour terminer son repas.
Il n'avait même pas remarqué qu'il avait disparu de ses côtés.
Un nouveau frisson le secoua et il fit demi-tour à contrecœur, ne s'accordant pas le droit à un dernier coup d'oeil vers les profondeurs. De peur d'y être de nouveau absorbé.

Avec un soupir il s'affala près de son reste de viande et s'occupa à son tour d'en achever la consommation, pensif, avant de donner son avis d'une voix rauque et atone.

— Faudrait attendre un peu et se reposer. Attendre au moins que le venin passe. On est un peu mal en point.

Enfin, surtout vous, se retint-il d'ajouter en notant les estafilades bien plus nombreuses qui couvraient leur corps et en se rappelant du nombre d'épines qui s'était retrouvé planté sur leur peau. Roakine en particulier, qui avait eu le privilège d'être le petit préféré de l'alakrane après l'infanticide de la bestiole.
Il déglutit difficilement, laissant son regard se perdre au plus loin du souterrain, quelque part sur l'horizon - tout en gardant les rebords dans sa vision périphérique, préférant avoir un œil sur la présence silencieuse et lugubre de cette entrée sur un autre monde. Juste au cas-où quelque chose en sortirait.

S'il demeurait engourdi, Joaquín ne manqua pas de noter l'avidité avec laquelle Justice contemplait l'abîme qui s'ouvrait sous leurs pattes. Comme si la vision qui s'offrait à lui ravivait un écho d'un passé lointain. Mais pas comme lui-même pouvait parfois se prendre à contempler le soleil qui se couchait sur le canyon de la Passe Ventue : il y avait là quelque chose qui lui semblait presque malsain. Il ne releva pas, mais tâcha de ranger l'information dans un coin de sa tête. Au cas où ça se retournait par la suite contre eux, plus que par désir de l'utiliser plus tard.
Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée que ça, d'y aller. Avec ce type.
Déjà que ce n'était de base pas une bonne idée.

Poil Ras finit par revenir vers eux, visiblement secoué, avançant qu'il était préférable de se reposer avant de tenter quoi que ce soit. Un mince sourire satisfait fleurit sur les babines de Joaquín, et il décida d'ignorer ce sentiment d'alarme qui germait peu à peu en lui. Il était agréable de voir qu'ils avaient la même idée. Visiblement moins emballé qu'eux, Tabralt annonça qu'il se joignait à eux.
Il y avait une grande part d'égoïsme à embarquer le pauvre mâle dans cette affaire avec eux. Il s'était déjà montré plutôt égoïste en les incitant à venir jusqu'ici avec lui. On n'était clairement pas sur les bases d'une relation saine. Il aurait pu se sentir comme un connard, mais son désir d'aller explorer les cavités sombres et mystérieuses l'emportait sur toute réelle capacité de réflexion. La promesse d'une nouvelle aventure. Enfin, il se passait quelque chose.

— Avant on se repose.

Il n'y avait malheureusement pas de véritable endroit où s'abriter à proximité à part le trou lui-même, et il ne souhaitait pas s'éloigner pour trouver un coin d'ombre ou même quelque chose pour se désaltérer, de peur que le gouffre ne disparaisse.
Imitant leur cadet, il entreprit ainsi de nettoyer ses blessures, profitant de l'occasion pour arracher quelques épines qui restaient accrochées à son poil. La tâche accomplie, il posa sa tête entre ses pattes avant, et ferma les yeux, profitant de la relative fraîcheur du petit matin pour se permettre de somnoler un peu.


Lorsqu'il rouvrit les yeux le soleil était déjà haut dans le ciel. Il avait probablement dû s'assoupir ; il constata dans tous les cas que les effets du venin semblaient s'être dissipés et qu'à l'exception de quelques débuts de courbature, il se sentait nettement mieux que quelques heures plus tôt. Peut-être que la viande du scorpion disposait de quelques propriétés régénératrices, ou aidant à combattre les effets du poison qu'il injectait à ses victimes : dans tous les cas, il s'estima heureux d'en avoir conservé un morceau. Ca pourrait s'avérer utile pour la suite.
Il se leva et s'étira lentement, avant de s'ébrouer, ébouriffant l'épaisse masse de poil qui garnissait tout son corps. A en juger par la position du soleil dans le ciel, on arrivait aux heures les plus chaudes de la journée : il était grand temps d'aller se mettre au frais. Après un rapide coup d'oeil à ses deux compagnons de route, il se dirigea de nouveau vers le trou, avant d'en aviser les parois. Il tenait avant tout à vérifier qu'ils seraient capables de remonter, surtout de remonter en urgence, s'ils se décidaient à s'aventurer là-dedans.
Il y avait de toute évidence des prises accessibles : pas de souci à se faire de ce côté-là.

— Pues vamos... marmonna-t-il avant de prendre une grande inspiration, et de bondir dans le trou, pour atterrir souplement en contrebas.

Il lui fallut quelques longues poignées de secondes pour que ses yeux ne s'habituent à l'obscurité qui régnait ici-bas, et il parvint peu à peu à discerner les contours de son environnement direct, papillonnant des yeux.

C'est un long boyau, haut comme deux loups, large comme trois, qui se dévoile de toi Joaquin. Silencieux. Vide. Rien de bien spécial. Il semble continuer sur une centaine de mètres.

Les trois compagnons d'un jour prirent quelques instants pour nettoyer leurs plaies et en déloger les derniers résidus d'épines et autres grains de sable ayant pu s'y faufiler.
Au-dessus d'eux, le soleil était encore bas dans le ciel, côtoyant l'horizon de près et ne diffusant que de timides rayons qui n'avaient pas encore pour ambition de réchauffer l'atmosphère, les laissant dans une fraîcheur suffisante pour qu'ils puissent envisager de fermer l’œil pour un petit moment sans risquer l'insolation. La fatigue leur tombait dessus une fois l'adrénaline complètement évaporée, contrecoup de leur éreintante lutte contre l'alakrane.
Un regard à Roakine lui apprit qu'il n'était pas le seul à sentir ses paupières lourdes, et ils s'assoupirent alors avant même d'avoir le temps de s'en rendre compte.

Lorsqu'il émergea, les teintes rosées de l'astre timide qui donnaient au désert d'argent des reflets de nacre avaient disparues pour laisser place à un soleil bien plus féroce qui crachait sur eux des rayons enflammés.
Sa peau au poil ras le brûlait presque -probablement ce qui l'avait tiré de son sommeil par ailleurs- et il se roula mollement dans le sable pour tenter de la préserver de la morsure de la chaleur.
Roakine fut debout peu de temps après, ébrouant l'épaisse toison dont les poils captaient la chaleur tout en protégeant son corps de l'agression directe des rayons. Le mâle noir se dirigeait à présent vers le trou - seule possibilité désormais pour se mettre au frais dans ce désert qui s'étirait à perte de vue.
Justice se redressa avec un bref grognement. Il se sentait bien plus en forme et reposait, mais ses muscles et articulations le tiraient en quelques endroits, courbaturés et esquintés. Il n'avait plus l'habitude de s'adonner à de tels jeux de violence. Il observa la silhouette du solitaire noir qui se découpait au bord du précipice alors qu'il se dirigeait à pas lents dans la même direction, tentant au maximum de rester concentré sur autre chose que sur le souvenir obsédant du sombre tunnel.
Il ne pourrait pas y échapper pour longtemps cependant : après un dernier marmonnement le loup à plumes avait sauté.

Justice chassa le tressautement qui vint assaillir son échine.

Il s'approcha à son tour ; et après une brève hésitation se laissa aller à regarder par-dessus bord pour voir Roakine sain et sauf au fond du trou, bien en face du boyau souterrain mais pas encore engagé à l'intérieur.
Il souffla entre ses crocs serrés et sans se laisser le temps de divaguer bondit à la suite du mâle noir.

La bouche obscure vers les entrailles du désert s'ouvrait désormais devant ses yeux familiers à l'obscurité des tunnels. Le long boyau rocheux semblait plutôt banal, vu comme ça, assez grand pour qu'eux trois y passent - ou l'une de ces bestioles. Il huma l'air poussiéreux qui s'en dégageait et dressa les oreilles - instinctivement, certains réflexes lui revenaient sans même qu'il n'ait à y penser, et c'est presque à la manière d'un automate qu'il se mit brusquement à avancer à grands pas jusqu'à doubler Roakine pour s'engouffrer dans le couloir sans crainte ni hésitation, encolure tendue vers l'avant et regard fixe porté vers le fin fond des ténèbres.

Il se laissa engloutir par les ombres, marchant sans se retourner.

Après plusieurs minutes de marche, tu déboules dans un cavité ronde, au plafond haut et vouté. La première chose qui te saute aux yeux, Justice, c'est le grouillement par terre. Des milliers de minuscules scorpion, de la hauteur de tes doigts de pieds, s’affairent de ci de là. Ils sont couleur sable, et seuls leurs yeux et bout de pinces noirs t'ont permis de les remarquer. Certains semblent transporter des œufs, plus gros qu'eux, à la manière de fourmis.

Et puis soudainement, tous s'arrêtent. Plus rien en bouge. Ils vrillent leurs petits yeux vers toi - vers vous-, et attendent, visiblement confus. L'ambiance est tendue, comme si elle même grouillait le long de vos échines. Ce n'est visiblement pas vous qu'ils attendaient, et c'est presque un soulagement. Si bien que certains reprennent leur activité, c'est-à-dire, transporter des œufs. La plupart cependant continuent de vous reluquer, curieux, reculant lorsque vous approchez.

Et en parlant d’œufs.
Joaquin, toi, tu les reconnais. Ce sont les mêmes que cette saloperie qui t'as attaqué dans ta tanière. Et il y en a plein. Des dizaines et des dizaines sur les murs, englués dans... des carcasses non identifiées. Ils pulsent, et en forçant un peu sur tes yeux, tu peux voir à l'intérieur des embryons, déjà bien avancés, se contorsionner.

Visiblement, vous avez trouvé le nid de la bête abattue.

Profitant de l'air frais qui régnait devant l'entrée du tunnel, Joaquín attendit que les deux autres le rejoignent, laissant à ses yeux le temps de s'habituer complètement à la pénombre ambiante, scrutant les parois et les moindres recoins de son environnement direct dans l'optique où quelque chose de particulièrement discret s'y serait tapis. Mais non : de prime abord, il était bel et bien seul. Jusqu'à ce que Justice et Tabralt ne descendent à leur tour, et que tous ne s'engouffrent dans la cavité qui s'offrait à eux.

Et tandis qu'ils parcouraient la galerie, il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il s'y serait aventuré ainsi, sans avoir au minimum échafaudé un plan au préalable, quelques années plus tôt. S'il demeurait d'un naturel méfiant — il le serait toute sa vie, certaines choses étaient inébranlables –, il s'était clairement ramolli avec les années passées ici. C'était notamment ce qui l'avait conduit à garder ce putain d'oeuf au lieu de le dégager de chez lui, ce qui, par conséquence, l'avait mené jusqu'ici, et l'avait conduit à embarquer dans son périple absurde et revanchard les deux autres solitaires. Sa vie, du reste, était devenue bien monotone. Tristoune. Pour ne pas dire ennuyeuse.
Ce qui, pour quelqu'un comme lui, revenait un peu à mourir à petit feu.
Ce tunnel obscur et particulièrement peu rassurant, gardé par un scorpion géant hostile, était pour ainsi dire une aubaine. Il détestait la situation autant qu'elle le grisait. Voilà que son tour de montagnes russes s'avérait prolongé. Il n'avait peut-être pas gravi son ultime côte. Consommé son dernier shoot d'adrénaline.

Justice, devant Tabralt et lui, se coulait dans le boyau de roche avec aisance et sans la moindre hésitation. Comme s'il s'était senti chez lui. En observant sa silhouette sombre qui progressait devant lui, il ne put s'empêcher de s'interroger. Au final, les origines de son comparse étaient totalement mystérieuses à ses yeux. Il pouvait deviner qu'il venait d'un endroit relativement chaud, à en juger par la longueur et l'épaisseur de son poil. Mais paradoxalement peu exposé au soleil : le poil ras était le meilleur moyen de se faire griller la peau.
Alors, d'où ? Pas d'un putain de volcan quand même ?
Tabralt, à sa gauche, avait des origines plus faciles à deviner. Avec sa stature plus qu'imposante et son long poil gris, il venait à n'en pas douter d'un endroit froid.
Pour lui-même, c'était un peu tricky : il venait d'un endroit où on crevait de chaud, mais la couleur de son poil pouvait porter à confusion. Il estimait que la langue qu'il parlait et ses parures colorées étaient un indice facile quant à son pays d'origine, mais c'était sans prendre en considération le fait qu'il débarquait d'une contrée bien trop éloignée de ce continent pour qu'ils en aient jamais entendu parler. Etait-il aussi difficile à lire que Justice, pour les habitants du coin ?

Il n'eut pas vraiment le temps de pousser la réflexion plus loin, car le trio déboucha sur une sorte de salle plus spacieuse que le couloir déjà relativement large qu'ils avaient emprunté. Une salle dont le sol semblait s'agiter, comme vivant. Le corps entier de Joaquín se raidit lorsqu'il vit ramper à ses pattes une armée de petits scorpions, bien plus proches que ceux qu'il connaissait cela dit. Scorpions qui s'affairaient à transporter des oeufs. Qui lui étaient tristement familiers eux aussi. Instinctivement il hérissa le poil et ses babines frémirent, tandis qu'un grognement étouffé sortit de sa gueule. Il y en avait de partout, putain.
Si le souvenir de la piqûre brûlante du rejeton à pince qu'il avait évincé de chez lui quelques jours plus tôt n'avait été aussi frais, il aurait probablement souri à la remarque de Tabralt. A la place de ça, il fit un pas en avant, s'avançant légèrement pour mieux voir l'espace autour d'eux, ses crocs à demi-dévoilés. Les scorpions sombres ne semblaient pour le moment pas hostiles, mais il n'avait aucun doute quant à la nature peu avenante de ce qui dormait dans les oeufs.
Il y en avait beaucoup trop. A moitié enchevêtrés dans ce qui ressemblait à s'y méprendre à des restes d'animaux divers, pulsant paisiblement dans l'attente d'un nouveau jour. Ou plutôt d'une nouvelle nuit.
Il fallait détruire ces merdes, putain, mais c'était quand même incroyable, quand il emménageait dans la Savane il se faisait attaquer par une bestiole d'une autre dimension, quand il emménageait dans le Désert voilà que c'étaient des scorpions mutants cactus qui venaient l'emmerder... N'y avait-il donc pas un seul foutre endroit où il aurait la paix ? Arabella n'avait jamais parlé de ce genre de choses, quand elle se remémorait à ses côtés les temps où elle avait vécu ici. En tout cas, il n'y avait pas de scorpions dans son désert à elle. Jamais.

— Les petits n'aiment pas le soleil. Il faut destruir el... techo, fit-il en indiquant le plafond au-dessus d'eux d'un signe du nez.

Il avait parlé d'un air sûr de lui, à voix basse, comme s'il était convaincu que c'était là la solution. C'était en tout cas la seule option qui s'était imposée à lui. Si ces oeufs étaient enterrés sous terre, ce n'était pas pour rien.
S'ils n'agissaient pas il y aurait des centaines de ces merdes qui pulluleraient dans le désert. Et il ne refoutrait plus jamais la patte ici, comme il se refusait à foutre les pattes dans la Savane depuis l'incident de la Chose. Sinon il aurait passé son temps à guetter l'arrivée d'un scorpion cactus, et n'aurait jamais pu dormir sur ses deux oreilles.

— Nous devons faire vite avant le soir. Et il y a peut-être autre alacrán. Elle n'a peut-être pas mangé l'autre. Ou alors ce n'est pas la mère qu'on a tué, fit-il en se retournant vers eux.

Ils pouvaient toujours espérer que chez ces bestioles-là la femelle ait aussi la mauvaise habitude de bouffer le mâle à la fin de l'accouplement, mais on était quand même très loin des scorpions qu'il connaissait. Et puis s'il y en avait deux, il devait bien y en avoir plus. Quelque part. Pas forcément ici.
Eh bien, il était temps qu'il songe à faire ses valises.

Le plafond est haut, très haut. Soit proche du la surface, soit sous quelque chose de plus haut haut que le désert, ou qui ne risque pas de s'effondrer. Une idée à double tranchant donc. Rien ne dépasse, pas une racine, pas un rocher, de l'endroit. La mère semble avoir consolidé tout ça pour éviter que la lumière et le sable n'emportent ses petits.

La cavité servant de pouponnière abrite deux autres tunnels sombres, en plus du votre.

Celui à votre droite est celui où les scorpions se hâtent d'embarquer les œufs, les faisant rouler pour certains. Car si quelques uns continuent de vous fixer, la plupart ont reprit leur travail initial. Unis dans un grouillement infecte, ils se grimpent dessus, de plus en plus entassés, pour atteindre les précieuses coquilles. De là, ils découpent de leurs pinces la chair putréfiée, et tire pour en récupérer le butin. Et au vu de la difficulté de la tâche, vous vous rendez compte à quel point ils ne pourraient vous entailler de leurs minuscules armes.
Quoiqu'il en soit, le tunnel qu'ils empruntent monte légèrement puis, semble chuter brusquement, au vu de leur soudaine disparition lorsqu'ils l'empruntent.

Et au bruit que cela fait, vous savez que ce n'est pas bien profond ; que certains œufs ne semblent pas s'en sortir indemne.

Celui de gauche, pour reprendre les tunnels, est vide. Mais en vous approchant un peu, vous pouvez deviner qu'il continue comme un couloir plus loin. Allez savoir où.

Les sensations multiples et contradictoires qui le parcouraient secouaient son corps de multiples frissons.
Il y avait une moitié de son esprit - si ce n'est plus- qui lui hurlait de fuir, de retrouver la lumière tandis que le reste de son corps fonctionnait en mode pilote automatique, s'enfonçant toujours plus loin dans le sombre tunnel sans faire de halte ni se retourner une seule fois vers ses congénères.
Il ne fit halte que lorsque l'espace autour de lui sembla soudainement se relâcher - d'un rapide coup d'oeil il constata que les flancs du boyau souterrain n'étaient plus si proches, et qu'ils avaient débouché dans une cavité bien plus dégagée. Le solitaire au poil gris l'avait rejoint et avait commencé une phrase qui s'interrompit bien vite - Justice y prêta à peine attention, car il était déjà focalisé sur ce que son compagnon du jour venait tout juste de remarquer.
Ces innombrables bestioles qui grouillaient sur le sol, d'abord immobiles pour les observer de leurs petits yeux noirs et luisant dans un silence suspendu, puis retournant s'affairer autour d'eux en contournant leurs doigts dans le murmure humide et désagréable produit par le mouvement de milliers de pattes. Sur leurs dos mais autour d'eux également, collés aux murs, des dizaines d’œufs bien plus imposants que cette armée de serviteurs patientaient dans la pénombre.
Le solitaire gris se laissa aller à une remarque, Justice lui resta silencieux, le museau vaguement tordu par une moue de mécontentement. Il était familier au monde souterrain dans des tunnels secs et pratiquement dénués de vie. Il était pas habitué à... ça.

Quand ce fut au tour de Roakine de s'avancer et de s'engager dans la cave -les mini scorpions s'écartant sur son passage à la manière d'une vague divisant un océan- il semblait déjà avoir une idée en tête.

— Les petits n'aiment pas le soleil. Il faut destruir el... techo.

Justice suivit le regard du mâle brun - vers le plafond qui culminait haut, très haut au-dessus de leurs têtes, sans pour autant laisser percer la moindre goutte de jour. Il laissa entendre un vague grognement affirmatif pour seule réponse - l'idée pouvait être bonne, en revanche son attention avait déjà été attirée ailleurs par les deux galeries sombres qui creusaient les flancs de la cavité, deux chemins supplémentaires qui s'ouvraient à eux en peignant sur l'obscurité deux gueules béantes plus noires encore.
Justice s'avança à pas prudents, échine basse et le regard acéré fouillant les ténèbres, marchant au milieu des créatures aux pinces inoffensives qui d'elles-mêmes se pressaient pour ne pas se faire écraser - quelques unes étaient parfois trop lentes, au craquement qu'il sentait parfois sous ses griffes.
Des deux tunnels qu'il analysa d'un coup d’œil, sa concentration se porta naturellement sur celui qui s'emplissait des scorpions et de leur funeste cargaison.

— Venez voir.

Sa voix sourde résonna faiblement dans la lourde atmosphère poussiéreuse.
Il s'était engagé dans ce nouveau tunnel à la suite des minions de l'alakrane pour voir où diable ils partaient tous avec cet empressement, et où chutaient les œufs qui renvoyaient parfois un craquement humide. La pente s'élevait - puis disparaissait brusquement, comme laissant place à un gouffre.
Il étira l'encolure pour y voir plus clair, les yeux froncés.

Tu t'avances, Justice, et découvre la raison de leur empressement : ils transportent les œufs et les jettent de cette pseudo faille. Ils éclatent alors sur le sol, mettant à nu embryon et liquide vert translucide. Deux choses, que, de tout évidence, les scorpions raffolent. Car à peine l’œuf à t'il touché le sol en bris de glace qu'ils se ruent sur lui, le dévorent, ne laissant de leur triste repas que coquilles.

S'ils sont si empressés, c'est parce qu'ils redoutent la venue de la mère.

Derrière toi, un craquement : un amas vient de décrocher leur prochain repas, s'approchant en cliquetant des pinces de la faille - de toi. Et il le jette, sans vraiment faire attention aux loups qui regardent leur petit manège. Nouvel éclatement. Nouvelle vague affamée.

Tout ce qui leur importe, c'est de bouffer.
Si bien que les corps que tu as écrasé ont déjà disparus.

Peut-être avait-il parlé trop vite.

S'il se voulait d'un naturel réfléchi — un naturel réfléchi si l'on prenait comme standard le mâle typique de son pays, en tout cas –, Joaquín était également quelqu'un qui se voulait réactif, et jouissait d'une fabuleuse propension à se jeter rapidement dans l'action. Sans doute parce que là d'où il venait, il ne fallait jamais réfléchir trop longtemps lorsque la situation était délicate : généralement, cela entrainait la mort. Réagir vite et bien était donc rapidement devenu l'un des piliers sur lesquels il avait bâti sa vie.
Cependant, à présent qu'il y regardait mieux, il peinait à trouver un moyen de détruire le plafond au-dessus d'eux. Il avait initialement pensé à ressortir et à creuser comme un dératé jusqu'à percer littéralement la paroi par l'autre côté, mais il s'interrogeait sur la véritable profondeur à laquelle ils se trouvaient. C'est que ce plafond était haut. Etaient-ils descendus si bas ? Trop absorbé qu'il était par son environnement et les mille promesses qu'il recélait, il en avait perdu la notion de l'espace. Pensée qui lui soutira une grimace, témoignage éphémère de l'amertume qui le gagnait à mesure qu'il réalisait qu'il s'était, au cours de ces quelques années passées ici, tristement ramolli.
Cela s'annonçait comme une impasse. Et Joaquín n'aimait pas les impasses.

Songeur, il s'engouffra donc dans le premier tunnel à la suite de ses deux comparses, pour déboucher à son tour à la lisière d'un sombre précipice, dont il ne pouvait distinguer le fond, tout au plus le supposer lorsqu'il entendait l'un des oeufs que les petits scorpions y jetaient éclater en heurtant le sol. La situation était décidément bien étrange.
Ses yeux allant se poser sur les petites créatures à ces pattes, il s'interrogea. Loin d'être aussi stupides qu'on pouvait le supposer, ces dernières faisaient preuve d'une ingéniosité et d'un esprit d'équipe remarquables pour se nourrir. Chose qu'il aurait plutôt cru voir chez des fourmis que chez des scorpions.
A chaque fois qu'il croyait cerner un peu mieux ce monde, voilà qu'il se retrouvait encore mis face à de nouvelles incongruités.
Il tourna la tête vers Tabralt lorsque celui-ci émis un commentaire, acquiesçant d'un vague signe de tête. Il ne préférait pas savoir ce qui aurait pu se passer si ces petites bêtes n'avaient pas été là pour purger le nid.
Comme il n'était pas sûr de savoir ce qui pourrait se passer si ils se retrouvaient tous trois toujours ici une fois ce dernier totalement pillé des oeufs qu'il abritait.
Il n'était par ailleurs pas super ravi de savoir qu'une légion de petits scorpions à la puissance aussi destructrice existe de manière indéterminée dans ce désert où il avait élu domicile. Les gros scorpions cactus lui semblaient largement suffisants. Il commençait à en avoir vaguement plein le cul des scorpions, pour être tout à fait honnête.

Il rebroussa chemin à la suite du Nordique, qui se stoppa à l'entrée du second tunnel, humant l'air. L'imitant, Joaquín pu constater qu'il n'y avait guère d'information dans l'air concernant ce qui aurait pu se trouver face à eux. Et si l'envie d'aider les petits scorpions à décrocher leur butin était présente en lui — bien plus par désir de se débarrasser des monstres que les oeufs abritaient avant que ces derniers n'éclosent que par sympathie pour les bestioles –, sa méfiance naturelle ainsi que la curiosité que suscitaient ces lieux étranges le poussaient avant tout à aller s'assurer qu'aucune force obscure n'attende de l'autre côté du boyau qu'ils ne baissent leur garde pour mieux les attaquer par surprise.
Il n'hésita pas un instant de plus et, la tête basse, ses yeux scrutant avidement les alentours, il s'engouffra d'un pas lent dans cette nouvelle cavité.

Cette cavité est longue. Très longue. Et semble rétrécir au fur et à mesure. Ou plutôt, s'obstruer. Car après plusieurs minutes de marche dans le silence et le noir d'un tunnel frais, vous vous retrouvez face à un éboulement. Sable et roches ne font qu'un, ouvrant un passage vers l’extérieur. La lumière du matin s'y engouffre, et vous pouvez entendre le vent se lever doucement. Grimper sur le tas d'éboulis serait facile, et vous permettrez de sortir. Ou bien vous pouvez faire demi-tour, et retourner avec le festin des petits scorpions.

D'ailleurs, il ne vous faut que quelques secondes pour entrevoir la tête de l'un d'entre eux depuis le trou. Visiblement, c'est par là qu'ils sont entrés dans l'antre du Scorpoca.

C’est avec une certaine fascination qu’il laissa à ses yeux le loisir d’observer le drôle de spectacle se déroulant en contrebas durant un temps indéterminé, alors que ses deux camarades étaient venus le rejoindre un à un pour en prendre connaissance.
Dégringolant dans le vide, poussés sans ménagement par l’armée de petits scorpions vaillants, les œufs allaient s’éclater les uns à la suite des autres jusqu’à former une mélasse peu ragoutante qui excitait pourtant bel et bien l’appétit des petites créatures. Nombre de pinces et de mandibules s’agitaient dans un concert de sons humides et de craquements, s’appliquant à faire disparaître tout le contenu de leur repas.
Il ne réagit pas à la remarque du loup gris bien qu’il fusse plutôt d’accord - ses pensées à lui étaient retournées divaguer vers un endroit plus lointain et pareillement enfoui dans les profondeurs sombres de la terre.
Légitime lui semblait être la question de savoir si lui aussi, dans son ignorance, avait pu fréquenter de près ou de loin pareilles créatures lorsqu’il vivait dans les entrailles calcinées de son morceau de continent.
Il n’arrivait pas à décider si l’idée avait quelque chose d’effrayant ou de rassurant.
Probablement un peu des deux.

Ses oreilles pivotèrent vers l’arrière au son des pas des deux autres mâles s’éloignant une fois leur intérêt en la scène épuisé, et Justice les fixa quelques secondes encore avant de s’en détourner à son tour, marchant à pas lents dans le tunnel jusqu’à rejoindre à nouveau la plus large cavité.
Si le gris et mauve se contenta de humer le second tunnel, Roakine décida de s’y engouffrer et peu de temps après, tous trois se retrouvèrent de nouveau à suivre un boyau obscur et silencieux mais heureusement exempt de mauvaises surprises.
Jusqu’à ce qu’un rayon de jour ne vienne percer les ténèbres poussiéreuses.
Justice s’avança au plus près de l’éboulis, plissant vaguement les yeux quand la lumière piqua vivement ses rétines,
L’un des petits scorpions de sable dégringola le long du chemin dans un petit nuage de sable, se précipitant pour rejoindre ses camarades, tout là-bas.

Leur porte de sortie était là, s’ils le désiraient. Tournant l’encolure vers ses acolytes il les parcourut d’un regard interrogateur, se perdant aussi un court instant dans l’obscurité entre deux dans laquelle venait de se fondre la petite créature.
Chez lui aussi avait pu bourgeonner l’idée d’accélérer la mise à mort des futurs alakranes, en décrochant les coquilles des murs gluants.
Mais chez lui aussi avait succédé l’inévitable question : une fois les derniers œufs avalés,  vers quoi se tourneraient les innombrables bestioles ?

Sa conclusion avait été plutôt rapide.  
Les scorpions semblaient se débrouiller très bien tout seuls, et Justice ne désirait pas tellement leur tenir compagnie.

Un bref soupir franchit ses lèvres et il se retourna vers l’éboulement, posant une première patte sur l’amoncellement de roches et de sable qui s’effrita légèrement - mais resta stable.

— On devrait partir.

Du moins était-ce son ressenti.
Mais tous trois étaient solitaires, libres de leurs choix et seulement liés par l’action d’un moment éphémère. Si l’un d’eux décidait de rester ici-bas, et bien... Il ne l’en empêcherait pas.

D’une impulsion de ses postérieurs, le loup noir se hissa sur l’éboulis, plantant ses griffes de métal à travers les interstices pour assurer sa prise et regagner l’air libre.
Sentir l’air sec mais vivifiant du désert s’engouffrer dans ses poumons lui fit plus de bien qu’il n’aurait cru, libérant sa cage thoracique d’un poids dont il n’avait pas réalisé la présence.

Posté non loin du trou, il s’ébroua de la poussière venu se coincer dans son pelage ras et attendit quelques instants, les yeux posés vers l’orifice, de voir si les têtes des autres loups se pointeraient à leur tour.

Après un temps qui lui parut démesurément long — lui qui n'avait jamais montré le moindre signe de claustrophobie commençait même à avoir la désagréable impression que les murs se refermaient lentement sur lui, et ce qu'il soit en mouvement ou non –, ils finirent par déboucher sur ce qui ressemblait à un petit éboulis. A leurs pattes, quelques petits scorpions retardataires qui se hâtaient de rejoindre leurs congénères avant que le repas ne touche à sa fin.

Joaquín papillonna rapidement des yeux lorsque l'un des rais de lumière qui provenaient de l'extérieur vint toucher son visage, attendant que ces derniers se réhabituent à ce soleil qui lui avait décidément sacré manqué, durant ce très long moment passé sous terre.
Désormais un peu plus avancé dans la clarté du jour, la chaleur du désert embrassant de nouveau son épais poil noir, il se risqua à lancer un nouveau regard en arrière, vers cette abysse qui, si elle l'avait tant attiré lorsqu'elle s'était offerte à eux, ne recelait semblait-il désormais plus aucun secret susceptible d'attiser sa curiosité. C'est la voix de Justice qui le tira de sa contemplation, et il leva le nez vers l'extérieur pour y voir disparaître ce dernier, rapidement suivi par Tabralt.
Après un ultime regard en arrière — peut-être pour vérifier qu'aucun nouveau scorpion des Enfers ne se tapissait dans l'ombre, prêt à s'en arracher pour venir planter son dard de mort dans sa chair dès qu'il aurait le dos tourné –, le loup noir s'engagea à leur suite, et laissa définitivement derrière lui cette sombre histoire.

L'anecdote aurait sans doute monopolisé bien des conversations, chez lui. On n'y était guère habitués à ce genre de déboires, le seul véritable ennemi qu'on ait pu y croiser étant l'autre — et c'était déjà plus qu'assez. Ça lui aurait pour une fois fait quelque chose à raconter, quand bien même il avait toujours largement préféré écouter les histoires des autres plutôt que monopoliser l'attention à leur place, lors de ces longues soirées passées autour d'un feu de camp qui étaient coutume chez lui.
Ici, il était évident que le récit d'un affrontement à mort avec une créature gigantesque risquait plus de relever de la banalité que de l'exploit d'une vie. Preuve était que ce n'était pas la première fois qu'il finissait la journée avec une telle histoire à raconter.
Laissant là ses réflexions, il retrouva les deux autres solitaires qui attendaient sur le sable chaud. Il s'ébroua à son tour, ses yeux allant de l'un à l'autre.

Bon.
Eh bien c'était sympa.

Il hésita un bon moment.

— Merci, finit-il par lâcher en fixant un point indéterminé au sol, ne voyant guère quoi dire d'autre, mais supposant que c'était là la moindre des choses.

Il était certain que l'affaire aurait été bien plus délicate s'il s'était pris à affronter cette chose en solitaire. Il se refusait à envisager une situation dans laquelle il se serait frotté à cette chose seul et y aurait probablement laissé la peau : ce genre de réflexion n'avait pas lieu d'être, et ne serait-ce qu'envisager un échec, qui plus est aussi futile, se révélait plutôt contraire à sa manière de fonctionner. Néanmoins, bien cachée sous son épaisse carcasse hirsute, une part de lui était franchement reconnaissante d'avoir croisé leur route à tous les deux.
Au final, ce n'était peut-être pas si différent de chez lui.
Le groupe assurait la victoire.
Constat qui ne pouvait que laisser dans sa gueule un désagréable goût amer.

Il finit par de nouveau lever les yeux vers eux, mais ne dit rien de plus.

Ses deux camarades ne perdirent pas de temps à émerger à leur tour de la sombre cavité qui avait percé le dos plat et monotone du désert d’un point noir.
D’abord le loup gris qui s’en extirpa sans tarder à sa suite, puis peu après Roakine retrouva lui aussi l’air libre. Les yeux de Justice, après être passés tour à tour sur ses collègues d’un mouvement rapide, revinrent se planter sur le tunnel qu’ils avaient emprunté avec une certaine vigilance.
La tension n’avait pas tout à fait quitté son corps. Après tout, il aurait été naïf de s’imaginer complètement tirés d’affaire par le simple fait d’avoir quitté les galeries souterraines, dans un endroit comme celui-ci où d’hostiles créatures semblaient surgir assez régulièrement de n’importe où. Et puis il avait une certaine expérience quand il s’agissait de surveiller ce qui sortait des souterrains et de craindre leur retour.
Il savait d’expérience à quel point ce genre d’adversaire pouvait être tenace.

Mais malgré les secondes passant et s’égrainant, malgré le vent déplaçant déjà de fines pellicules de sables qui tombaient dans le trou... Celui-ci demeurait silencieux et inanimé. Rien d’autre ne semblait vouloir en sortir à leur suite.
Il relâcha alors un souffle qui s’était bloqué dans sa gorge et parvint à détacher son regard du tunnel qui bientôt disparaîtrait presque complètement, à nouveau dissimulé par le souffle du vent qui créait les dunes.

— Merci.

Son oreille tiqua vers le mâle noir et il tourna le museau vers lui. Fronçant un instant les sourcils. Il était rare... Qu’on le remercie. A vrai dire, il ne savait même pas si cela était déjà arrivé.
Aussi ne trouva-t-il rien de mieux à répondre qu’un bref geste du museau, légèrement confus. Il n’avait pas tant l’impression d’avoir rendu un service. Leurs routes s’étaient simplement à nouveau croisées en ce lieu pour se dénouer encore sur des élans de violence, qu’ils avaient accepté sans broncher.
Car cela faisait partie de leur vie. Et il était probable qu’aucun d’eux deux se soit un jour résolu à la possibilité que cela cesse véritablement un jour.
Son regard quitta Roakine pour retrouver les yeux vert du loup gris qui patientait un peu plus loin. Au moins avait-il fait la connaissance d’un nouvel énergumène.

Justice leva le museau vers le ciel et le soleil montant, dont les rayons brûlants s’attaquaient à tout son corps et agressaient sa truffe ainsi exposée. D’un coup de langue il l’humidifia, avant de baisser de nouveau l’encolure, peu enclin à se laisser cramer ici plus que nécessaire.
Il était temps pour lui de reprendre le chemin des montagnes, où il connaissait les lieux de fraîcheur et les nombreuses cavernes qui lui permettraient de se reposer.
Il esquissa un pas un arrière et commença à incliner le poids de son corps vers l’arrière, adressant un dernier regard à chacun.

— Nos chemins se recroiseront dans d’autres lieux.

Possiblement pas dans un désert. Ni sur la banquise.
Et peut-être sans monstre vert ou noir, cette fois-ci.

Et sans plus attendre le solitaire quitta le groupe d’un jour, trottant d’une foulée rapide et soutenue vers ce qu’il avait de plus proche d’un territoire.