La gamine et l'aveugle (feat Vénuve)

Angelo arpente les plaines et les forêts de ce qui était autrefois le territoire de la meute Lazuli. Ô souvenir tout frais dans son esprit ; il se remémore à cet instant les regrets qu'il éprouve pour que la situation ait dégénérée de la sorte. Mais que pouvait-il faire, lui, pour éviter cela ? Pas grand chose hélas. C'est humblement qu'il se rappelle de son rang de garde fraichement obtenu et de son importance moindre dans la meute. Lui, orphelin retrouvé à seulement quelques mois de sa venue au monde ; à qui la vie ne réserve rien de particulier, pouvait-il changer l'inévitable ? Peu de chances, il en avait conscience. Il sait pourtant que les petites pierres mises les unes à côté des autres pouvaient bâtir de grands édifices, chose qui n'a pas été le cas cette fois-ci malheureusement. C'est réaliste, et non pas optimiste, qu'il se laissa vagabonder sur ces terres qui lui semblaient si familières au début, mais qui part la sécheresse ont pratiquement tout changer à son ressenti de loup aveugle. Il ne voyait pas le massacre qui avait été opéré sur les terres Lazulis, mais il le sentait. Ces quatre autres sens étaient en alerte du moindre son, de la moindre odeur, du moindre cailloux jusqu'au goût. Le territoire verdoyant du clan Lazuli n'était plus qu'un vaste terrain désolé, abandonné par tous les habitants et animaux qui constituaient autrefois la vie et le charme de ce domaine.

Arrivé au sommet de la colline, le loup sombre marqua une pause. Il n'y avait personne. La plaine était calme, un peu comme d'habitude. Une légère brise se leva et lui chatouilla le bout de son museau humide. Il cligna des yeux plusieurs fois, embêté par la sécheresse provoquée sur son unique oeil -aveugle évidemment- mais toujours pourvu de nerfs.
Un corbeau vint briser le calme qui demeurait. Le croassement de ce dernier, bruyant et soudain, s'est entendu comme une agression aux oreilles de l'aveugle. Le battement de ses ailes s'arrêtant, il venait de se poser dans un arbre juste à côté d'Angelo, sur une branche un peu trop fine qui vacilla de bas en haut avant de se stabiliser vers le bas après quelques secondes. Angelo imagina la scène un peu macabre dans sa tête. Il haussa légèrement les épaules avant de descendre de sa colline en direction du centre de la plaine, vers le lac aux couleurs argentées. Il savait ce lieu spécial. Non pas qu'il voyait les étranges couleurs qui teintaient l'eau en argent, mais il sentait quelque chose d'étrange, de peu commun en ce lieu. Quelque chose de mystique. Il ne saurait mettre de nom dessus, mais il ressentait quelque chose. Et cette chose l'apaisait de manière inexpliquée.

Il marchait calmement en direction du lac, savant que plus rien ne l'attendait désormais et qu'il avait tout le temps devant lui pour ne rien faire. Ce mode de vie de solitaire ne lui convenait pas du tout. Lui pourtant si discret et indépendant, ne supportait pas du tout le poids de la solitude bien longtemps. On s'ennuyait bien vite sans les autres... Cela lui rappelait le triste temps où il jouait tout seul parce qu'aucun louveteaux ne voulaient jouer avec lui. Lui, l'aveugle, l'orphelin, le bizarre. Quel affreux temps. Il est pourtant heureux d'avoir enterrée la hache de guerre avec ces congénères louveteaux devenus loups depuis, tout comme lui. Cela ne sert à rien de ressasser les mauvais souvenirs, si ce n'est que pour vous faire du mal à nouveau. Il avait une vision assez optimiste de la chose en se disant qu'en pardonnant, il pourrait tourner la page plus rapidement et passer à autre chose. Angelo n'a jamais été connu pour son grand optimisme. Mais il avait envie de croire que les choses s'arrangeraient. L'histoire ne peut tout simplement pas se terminer comme ça.

Par les Dieux, faite que cette solitude cesse au plus vite.

Le grand mâle s'arrêta au niveau du lac et se baissa pour y boire à grosse gorgée. Il sentit l'eau froide faire son chemin dans son oesophage. AHHH, ça fait du bien ! En relevant la tête, il entendit des pas s'approcher de lui ; non pas ceux d'un loup adulte. Ceux-là étaient beaucoup plus faibles, moins marqués, plus fébriles. Et à l'entendre, la loupiote était seule. Non curieux et très surpris de cette visite, Angelo tourna la tête vers la petite qui venait le saluer de sa petite voix enfantine. Elle avait de la chance de ne pas avoir affaire à un psychopathe, à un loup dangereux. Mais il est très imprudent pour un louveteau de son âge s'aventurer tout seul dans les parages.

- Hey, gamine ! Qu'est-ce que tu fais là ? T'es toute seule ?

C'était comme ça, pour lui tout les jeunes et les louveteaux écopaient le nom de "gamin". Non pas comme une insulte ou comme un surnom rabaissant ; simplement un nom impersonnel pour s'adresser à plus jeune que lui. Tout comme la loupiote venait de l'appeler "Monsieur".
Il n'était pas très habitué au contact avec les louveteaux. Il ne sait tout simplement pas comment s'y prendre avec eux. Que faut-il dire ? Comment simplifier un maximum le langage pour qu'ils comprennent tout ? Qu'est-ce qu'il ne faut justement pas dire ?
Les gros-mots, non. La violence, niet. Les allusions sexuelles ? Et puis quoi encore. C'est à partir de cette base que se construirait le dialogue d'Angelo avec la petite. Lui ne parlant déjà pas beaucoup, il était peu habitué à user de filtres dans ses paroles.
Les questions ne se firent pas attendre. A peine avait-il saluer la jeune qu'il posait les questions pratiques et inévitables qu'un adulte responsable dirait. Peut-être était-elle perdue ? Mais vu le ton enjouée de cette dernière, cela ne semblait pas être le cas. Tout ceci semblait bien étrange dans la tête du solitaire...Bien que la situation soit des plus bizarres, il était content que la monotonie de ses journées soit enfin chamboulée.

Ah bah si, elle était perdue. Angelo fut un peu surpris de la réponse hâtive qu'elle lui donna. Il a toujours eu l'image des louveteaux pleurnichards quand ils étaient perdus et sans leurs mères, mais cette petit ne semblait pas du tout perturbée d'être perdue, toute seule, sans protection. L'insouciance même, c'était bien là la définition du louveteau dans toute sa splendeur.
Néanmoins, il était amusée par la petite, qui lui demanda si lui aussi était perdu.

Il sourit, amusé et répondit d'un ton calme et posé "On peut dire ça oui", avant de perdre son sourire.

- La meute d'où je viens n'existe plus. Les Lazulis. Et toi, d'où viens-tu ? demanda-t-il à la jeune our se donner une idée du chemin qu'elle avait parcouru pour venir jusqu'ici. Qu'elle le veuille ou non, Angelo n'allait certainement pas la laisser seule. Il allait la ramener chez elle, en lieu sûr et la confier à sa mère en espérant qu'elle fasse plus attention à sa progéniture la prochaine fois. Mais vu la vivacité qu'il décelait déjà chez la jeune, la surveiller devait être une tâche vraiment compliquée.

- Comment tu t'appelles ? Mon nom est Angelo, fit-il. Ce n'était pas dans ses habitudes de poser autant de question, mais il semblerait que la situation soit bien différente de toutes celles qu'il a pu connaître jusqu'à maintenant. D'ailleurs, il lui sembla bon d'ajouter quelques informations sur lui, pour ne pas lui faire peur et la mettre en confiance. Après tout, il avait pour ferme conviction de la ramener chez elle, autant que le voyage se fasse dans les meilleurs conditions possibles.

- N'aies pas peur de moi, ni de mon oeil étrange. Je ne vais pas te faire de mal, dit-il doucement pour rassurer la jeune.