Pie et grenouilles — Eva

Le printemps.

Les p’tits gazouillis des oiseaux, les fleurs fleurissaient et…

LES GRENOUILLES.

Les grenouilles redevenaient plus nombreuses, la plupart sortant d’hibernation à la suite de l’hiver. La queue recourbée de Lewis remua doucement, alors que Poe sur son épaule — toujours habillé de ce beau bleu qu’avait bien voulu lui accordé Ombre-Traversée-Par-L’-Orage — croassa, la Nakhus en devenir avait posé son arrière-train dans l’herbe, ses yeux mauves posé sur la silhouette fine de celle que les autres nommaient «  Eva ».

Cette louve portait bien plus l’odeur de l’océan que n’importe qui sur ce continent, mis à part Lewis et Ajani, mais c’était normal après tout ? Z’étaient né là-bas, avaient grandi en parti sur l’île…Mais elle, cet oiseau, n’était-elle pas de ces terres dépourvues de sel ?

L’ancienne pirate ne souriait pas, bien trop intriguée par cette étrange louve.

« — C’est toi qui va m’apprendre, Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan ? »

Lui apprendre à mieux se dérober, comme demandé… Lui apprendre à mieux éviter les coups.

Cet entrainement se passe dans le futur. Il se passe dans un futur pour l'instant très incertain, où Eva a retrouvé une bonne partie de ses rémiges abimées, dans un futur où elle est mère de trois louveteaux incroyables, un futur où elle n'est pas encore allée chez les Etelkrus, un futur où Kerguelen est et n'est pas revenue, incompatible avec cet évènement mais peu importe parce qu'après tout, elle n'y était pas.

Cet entrainement se passait quelques temps après le passage de l'Alouette, ce passage indélicat où Safran avait mangé nombre de ses plumes parmi les plus importantes, labouré ses épaules et ses flancs, tiré sur sa queue et l'avait mise à terre au point de la faire défaillir.

C'est la raison pour laquelle l'appellation dont la gratifia la petite louve violette la fit sourire. Echappée à l'océan. C'était si fort-à-propos... Eva hocha doucement la tête.

Si toutefois cela te convient, bien entendu.

Elle étendit ses ailes pour en exposer les trous largement visibles dans sa parure :

Je ne suis pas au mieux de ma forme, et cette première leçon je ne pourrai pas te proposer de véritable échange. Mais je t'assure que si tu acceptes que je te guide, nous y viendrons rapidement. Il y a beaucoup d'exercices qui vont te permettre de progresser sans nécessiter d'affrontement.

Elle y avait beaucoup réfléchi, souhaitant proposer des exercices ludiques et amusant à celle qui serait son élève, comme demandé par le grand lion blanc. Eva était ravie à cette opportunité : elle adorait partager et surtout découvrir de nouvelles têtes. Lewis, âme libre et sauvage, résonnait en elle avec puissance : si elle ne se montrait pas trop versatile, elle était sûre qu'elles pourraient s'entendre.

L’oiseau avait perdu des plumes, de nombreuses d’ailleurs visiblement. Lewis observa avec une certaine neutralité les trous visibles dans l’aile de la noire et blanche. Les blessures telles que celle-ci, elle ne les connaîtrait jamais de par l’absence d’ailes, mais la mauve connaissait la douleur. L’ancienne pirate hocha doucement la tête.

« — Oui, Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan, cela me convient. »

Pourquoi refuser ? C’était une occasion en or que d’apprendre. La louve-oiseau s’engageait dans le long terme et Lewis se retenait de lui dire de se méfier, qu’on ignorait de quoi l’avenir était fait, que demain tout pouvait s’arrêter, mais les Nakhus étaient optimistes, alors l’ancienne pirate se devait de faire cet effort aussi, de ne pas briser leurs rêves, au risque de passer pour la méchante.

« — Ce n’est pas grave, du moment que tu m’apprends. »

Eva hocha doucement la tête, pour montrer qu'elle l'avait entendue. Bien. Elle s'assit sur le sol et réfléchit un instant.

L'art de l'esquive se base sur beaucoup de choses. Je ne vais pas aujourd'hui en aborder les notions physiques, incapable de te les montrer, mais je te proposerai à la fin de notre cours quelques exercices à faire tous les jours pour augmenter ta souplesse et t'offrir plus d'opportunités.

Eva agita une oreille, et reprit :

Une bonne esquive vient d'une bonne anticipation, une bonne compréhension des mouvements de ton adversaire. Tu dois comprendre, où se dirige son regard, les tressaillements de ses muscles, la façon qu'un loup a d'assurer ses appuis avant de bondir, pour éviter la chute, surtout sur un terrain humide. Mieux tu comprendras ton adversaire, sa façon de bouger et d'attaquer, mieux tu t'en sortiras face à lui. En combat, si tu n'as pas l'avantage de la force, il est toujours bon de comprendre à quelle sauce tu vas être mangé.

De la même façon que son esprit avait cessé de fonctionner face à Safran, qu'elle s'était offerte à ses mâchoire de crocodile à trop la prendre pour une louve.

Mais ça ne fait pas tout. Si chaque seconde gagnée te sera bénéfique, tu dois aussi réfléchir en quatre dimensions, et exploiter tout le terrain autour de toi. Beaucoup de loups tendent à se concentrer sur leurs griffes et leurs crocs, et oublient le monde qui les entoure.

Eva d'un mouvement de patte désigna la combe dans laquelle ils étaient, bordée de champs certains aux hautes herbes et d'autres en jachère, terres retournées. Ci et là, quelques pierres et gros rochers donnaient du relief à ce lieu d'entrainement.

Que vois tu ?

Que peux-tu me dire, quelles idées auras-tu de ce vide qui nous entoure ?

Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan parla beaucoup.

Lewis avait écouté, patiemment, même si les trucs trop formels c’était loin d’être son truc. Elle conserva le silence à la question de la Nakhus, ses yeux mauves parcourant l’environnement. Il y avait beaucoup de rochers… de l’herbe… et des rochers… Whouah. Quel environnement riche en possibilité. M’enfin, la mauve était loin d’être à court d’inspiration.

« — Des rochers pour prendre de l’élan si l’on me coince. »

La fille d’Alys se releva, observant son interlocutrice.

« — Mais dans un environnement aussi peu rempli, ne serait-il pas judicieux d’utiliser la force de l’autre pour esquiver ? »

Parce que certains se comportaient comme des brutes, comme la Corneille Noire, qui fonçaient sans réfléchir.

Eva sourit à sa réponse.

Dans n'importe quel environnement, il est bon d'user de la force de son adversaire. Beaucoup confondent vitesse et précision avec force. L'important, ce ne sont pas les muscles, mais le timing et la position du corps. Tu peux en jouer. Mais ça n'est pas la leçon d'aujourd'hui.

Elle était heureuse de voir le coeur que mettait la petite louve violette à l'ouvrage, mais si elle ne suivait pas un minimum le pattern qu'elle avait défini, elle ne s'en sortirait pas.

Cette combe est bien pauvre, et pourtant. Comme tu l'as dit, les roches font un point d'appui duquel s'élancer. Beaucoup de loup pensent horizontalement lorsqu'ils se battent, mais tu as trois dimensions pour te déplacer : n'oublie jamais que tu peux exploiter une différence de taille pour te glisser entre les pattes de ton adversaire, ou un renflement de terrain pour l'esquiver de dessus. Ce faisait, prends garde toutefois car tu exposes ton ventre qui est une cible facile.

Elle glissa ses pattes sur le sol et laissa s'écouler un filet de terre.

Mais il y a d'autres trésors. Cette terre sera très désagréable dans les yeux de ton adversaire, et t'offrira une opportunité de fuite. Les hautes herbes sont à la fois amies et ennemis : vu d'en haut tu les agites et trahis ta position, mais à hauteur de loup, impossible de t'y retrouver. Tu peux aussi savoir, par exemple, qu'une terre fraichement retournée est très désagréable à parcourir, et qu'un loup très lourd s'y enfonce, alors qu'avec assez d'agilité tu peux t'y déplacer plus aisément.

Elle conclut, d'une patte désignant les champs et la plaine :

C'est avec la nature, toute la nature que tu dois combattre.

Elle se redressa et se plaça face à la louve violette.

Bien. Si par exemple, je souhaite t'attaque. Où et comment préfèrerais tu te placer dans ce lieu, et pourquoi ? Partons du principe que l'on sait tout deux que l'on va s'affronter, et qu'il n'y a pas d'effets de surprise.

Les yeux mauves de Lewis brillent d’une lueur étrange, alors que son expression demeure d’une neutralité presque… déconcertante. Utiliser toute la nature… Elle est étrange cette louve noire et blanche, alors que les Nakhus prône la paix, elle, connaît la guerre, l’affrontement, la violence. À la question, l’ancienne pirate répond presque immédiatement, par habitude avec les Raeders, de foncer directement sur l’adversaire, par le goût du sang que Céto leur avait transmis à tous.

« — Sous ton ventre, Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan, parce que c’est là, que les griffes creuseraient une ouverture avec le plus de facilité. »

Oupsi.

Peut-être un peu trop creepy ça Lewis non ? Ne gâches pas l’image d’enfant qu’ils ont tous de toi, même si t’étais une adulte…

L’ancienne pirate laissa un sourire étirer ses babines, sa queue remuant doucement alors qu’elle tentait de justifier son choix.

« — Vous êtes tous si grands, avec ma petite taille je peux facilement me glisser sous vous… Par temps de pluie par exemple, la boue me permettrait de mieux me placer. »

N’empêche que l’idée de base était la même, atteindre le ventre de l’adversaire. Les hauteurs la rendraient bien trop visible, le sol lui permettait de mieux voir ce que faisait un adversaire. Lewis pencha doucement sa tête sur le côté.

« — Faut-il que je te montre ? »

Eva ne sembla s'offusquer ni prendre ombrage des paroles de son élève. Lorsque l'on travaillait quelque chose, il fallait le faire de façon pratique. Pas la peine de passer par quatre chemin. Si elle ne prônait pas la violence, son concept ne lui était pas étranger. Elle nota, dans un petit coin de son esprit, de lui apprendre ce qu'elle avait découvert dans les livres de la bibliothèque, et pratiqué avec Ajani. Pourquoi toujours faire couler le sang, lorsqu'un peu de précision suffit à clore un combat ? Un sourire étira ses babines.

Plus que ça, Lewis. Par temps de pluie, la boue te rendrait invisible.

Elle agita très légèrement ses ailes, avant de reprendre :

Pour ta survie, il faut être prête à tout sacrifier. Petite et vive par ta taille et ta stature, recouverte de boue par mauvais temps tu deviendrais Démon des Eaux. Il faut juste faire attention à ne pas glisser.

Elle finit sur un petit clin d'oeil. Sentant qu'elle avait besoin de se défouler et se dérouiller les pattes, elle accepta d'une dernière consigne :

Montre moi. Sans me blesser, s'il te plait : je ne bougerai pas pour cette fois.

Elle faisait la maligne, mais sa peau la tirait encore, et la moindre technique d'évitement ferait éclater ses croute encore fraîches, laissant reparaître le sang.

Oh, la louve lui tendait une perche ? Lewis remua sa queue recourbée, plutôt intriguée par cette idée, ses griffes jouant avec la terre meuble. L’exercice semblait plutôt simple, peut-être même un peu trop. Creek lui avait appris à foncer dans le tas, avec plus de brutalité, Eva jouait davantage dans la douceur. Hum…

« — D’accord ! »

(lancé de dé PC Réussite ATT)

Avec rapidité, Lewis se glissa sous le ventre de la louve noire et blanche, avant de coller sa truffe humide là où le poil était plus doux. Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan avait demandé de la douceur, la pirate avait donc répondu à sa demande, un sourire étirant ses babines.

« — C’est bien ici, comme ça tu me protèges de la pluie ! »

Oh oui, la cachette rêvée ça encore !

Hum… Grimper aux arbres ça l’enchantait moins tout d’un coup. Les oreilles de Lewis se couchèrent sur son crâne à l’idée de prendre de la hauteur, c’est qu’un arbre c’était quand même méga haut ! Toute fois, hors de question de contrarier Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan. La mauve regarda donc un arbre d’en bas, agissant la première branche. Han merde, c’était vraiment très très haut.

« — Euh… »
« — Bouges toi le fion Lewis, on va pas camper là ! »

Poe sortit sa tête du capuchon en croassant. Bon. Quand fallait y aller… La pirate escalada tant bien que mal jusqu’à la première branche peu épaisse qui tremblait sous son poids, voyant cette fois Eva de haut… Oulà… Oulà.

Lewis se cramponna solidement à la branche.

« — J’veux descendre, ça bouge trop. »

Le bateau pirate bougeait nettement moins.

La queue de Lewis remua doucement à la remarque de la Nakhus.

« — Les arbres n’ont pas de branches chez les pirates ! »

Les p’tits palmiers en plus étaient bien trop haut, Lewis ne s’était jamais risqué à les escalader.

« — C’est plus facile de tenir sur le dos des loups. Regardes ! »

La pirate se suspendit à la branche où elle était appuyée avant de tomber avec douceur sur le dos d’Eva, pile entre ses ailes mutilées. La louvette passa sa truffe dans la tignasse blanche de la pie.

Les Nakhus étaient vraiment une espèce à part quand même.

La louvette laissa son corps glisser jusqu’au sol.

« — Faux ! Il n’y a pas de manière particulière à avoir. Les loups sont étranges à faire des hiérarchies alors qu’ils prônent l’égalité. »

Vraiment étranges.

Lewis préférait ne pas faire de manière, que ce soit avec celui à la tête de la meute, ou l’exclu. Après tout, n’étaient-ils pas tous loup dans cette aventure ? Tant qu’on touchait pas à Poe et qu’on ne vénérait La-Vielle-Murène-Flétrie, tout allait bien, la louve ne s’énervait pas.

Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan annonça la suite et la pirate remua sa queue recourbée, plutôt contente à l’idée de pouvoir dépenser son arrive.

« — Oui ! »

Aux exigences de l’Oiseau-Qui-Échappa-À-L’-Océan, Lewis se contenta d’un sourire mystérieux. Les autres n’aiment guère que l’on conteste leur autorité, jugeant que c’était cela qui leur conférait du pouvoir, aussi la pirate ne s’en offusqua pas.

« — Hésiter, c’est un mot absent de mon vocabulaire enfin ! »

Encore une plaisanterie, une autre pirouette pour rendre les choses un peu moins formelles. Décidément la louve-oiseau avait besoin de parler. La mauve pencha sa tête sur le côté à l’entente de reproches. bah, elle ne vivait pas pour satisfaire le monde ! Simplement son esprit farfelu.

« — Mais dans ce cas je ne serais plus celle que je suis. »

Simplement une âme parmi tant d’autres dont la vie serait bien fade.

La crevette remua sa queue recourbée, se contentant d’un large sourire en guise de réponse. À quoi bon nier de toute façon ?

« — Hum… D’accord ! »

Ça pouvait être amusant et peut-être y aurait-il des livres sur les grenouilles, ou un bon coin confortable. Puis bon si ça parlait de mammouth, ça devait bien se manger tout ça ! Fallait apprendre à les attraper.

« — Hâte de jouer demain alors ! »

Parce que Lewis appréciait ces jeux où elle apprenait à mieux se défendre, ils étaient si drôles !