Si, quelques années plus tôt, on lui avait dit qu'il obtiendrait son glowstick bien après tout le monde, Noé ne l'aurait pas cru.
Et pourtant, c'était à l'aube de ses cinq ans qu'il retrouvait l'occasion de se présenter devant une divinité. Tout ça par ce que, petit, il n'avait pas été foutu de retrouver son chemin et s'était éloigné de ses terres. Pour mieux les retrouver, bien qu'elles soient changées et qu'il ne parvienne pas encore à poser un nom sur tous les visages. Mais ça, ce n'était pas grave : Il lui restait la fin de sa vie pour se familiariser avec tout ça. Là, tout de suite, le plus important, c'était de se fondre dans la meute, de ne pas faire tâche.
D'avoir un glowstick pour enfin oser reprendre contact avec sa famille adoptive.

Il était aussi nerveux que décidé, les muscles tendus, douloureux, le regard flou et les crocs serrés. Pour peu, c'était limite si son estomac ne risquait pas de rendre le peu de viande qu'il avait réussi à avaler avant de partir. Mais non, il ne fallait pas : Ce ne serait pas correct, devant une divinité. Ça ferait mauvais genre. Il ne voulait pas de ça.
Noé se racla la gorge et se jeta à l'eau.

- B-Bonjour Kiro. Je me nomme Noé et je suis Etelkru.

Gloups. C'est le bruit de Noé qui déglutit.

- Je suis désolé de vous déranger. J'aimerais passer votre épreuve pour devenir l'un de vos disciples, si c'est possible.

Il leva vers la statue un regard plein d'espoir, dans l'attente d'une apparition divine.

La voix du Divin le fit sursauter, quand bien même, en venant ici, il s'était attendu à ce qu'on lui réponde.
Il le chercha du regard, regardant tantôt la statue, à gauche, à droite... Et au sol pour, enfin, voir l'anaconda ramper à ses pieds. Puis venir à son contact, beaucoup trop proche, pour écraser ses joues entre ses pattes. Ah, mais comment allait-il faire pour répondre correctement à ses questions, comme ça ? Et pourquoi le Dieu le taquinait-il de la sorte ?
Soulagement, lorsque Kiro le relâcha.
Moins soulagé, par contre, lorsque les questions qui fâchaient furent posées.

- Oui, j'étais très jeune quand je suis parti. J'ai aussi conscience que mon absence a été longue et que, durant toute ma vie, j'ai été plus solitaire qu'Etelkru, que je ne porte plus vraiment leur odeur et qu'il va falloir un peu de temps pour que je parvienne à me réintégrer. Mais telle est ma volonté.

Maintenant, pour les raisons qui pousseraient le Dieu à lui accorder un glowstick... Il ne savait que répondre. Du moins, pas dans l'immédiat. C'est qu'il ne débordait pas de confiance en vie, notre Noé et se vendre n'était pas chose aisée lorsque l'on était, de base, meilleur lecteur qu'orateur. Et pourtant, il le faudrait, si il souhaitait ce fameux petit tube rempli de liquide jaune qu'était le glowstick de l'anaconda.

- Il y a, parmi les Etelkrus, des loups qui me sont toujours chers. Et ce, malgré les années qui ont pu s'écouler. Je souhaite me rapprocher d'eux afin que nous puissions, à nouveau, former une famille et j'ose espérer que nous pourrons rattraper le temps perdu. Voici, je vous l'avoue, la raison première qui m'a poussé à revenir chez les Etelkrus, en plus du fait que je dois ma survie à deux loups de ce clan.

Horus et Sokaris étaient ces loups qu'il souhaitait recontacter. Ses parents adoptifs, il ne les avait pas revus, hélas. Et par ce que le pire n'était pas envisageable et qu'il se plaisait dans son déni, il préférait se dire qu'ils n'étaient peut-être pas souvent au camp, ou qu'ils avaient suivi une autre voie...

- Mais je ne compte pas être un Etelkru sans glowstick. Cela nuirait à mon intégration, je pense. Ces raisons ne répondent pas à votre question du pourquoi, vous, Kiro, devriez m'accorder le droit de tenter votre épreuve. Je vais donc vous dire pourquoi : En étant votre disciple, je pourrai, avec votre bénédiction, être utile à ce clan que je retrouve. Durant mon périple, j'ai acquis quelques connaissances en soins. Je serai donc panseur Etelkru.

Ah, mince, ça le refroidissait, tout à coup, cette remarque. Noé pinça les babines, un peu gêné.
Trop tard pour reculer et se rattraper, cependant, il avait déjà sorti tout son discours qui, même si il n'était pas très drôle aux yeux du tout puissant, avaient au moins le mérite d'être honnête.
Mais il n'eut pas le temps de réfléchir davantage à cet échange, se retrouvant téléporté dans un endroit qu'il ne connaissait guère. L'épreuve allait commencer. Alors il se concentra sur Kiro, les oreilles pointées vers l'avant, attentif. D'accord, ça allait simple, dit comme ça. Les boyaux du souterrains avaient beau être étroits, Noé était agile et, surtout, de carrure particulièrement fine. Donc ça devrait le faire. Les doigts dans la truffe, même que.

Sauf que le Dieu jaune comptait bien lui compliquer la tâche, visiblement, faisant apparaître entre ses doigts un petit insecte. Une courtilière. Un petit insecte dégueulasse avec deux grosses pinces dégueulasses. Un petit insecte dégueulasse avec deux grosses pinces dégueulasses qui venait littéralement de doubler de volume sous ses yeux. Horreur. Damnation.
Noé déglutit bruyamment.
Devait-il courir ou tourner de l'oeil, là, maintenant ?

- Oh putain... !

Adieu le beau ton solennel. Adieu contenance. Il vrillait, de peur, de dégout face à cette chose qui ne cessait de grandir.
Et puisqu'il n'avait pas du tout envie de finir coupé en deux à cause d'un coup de pince de courtilière géante, il prit ses pattes à son cou et s'élança en avant, se précipitant dans l'un des boyaux. Il lui fallait trouver l'autel, la statuette et tout le bordel. Vite. VITE.

Ses pattes martelaient le sol lorsque son ventre n'était pas en contact avec celui ci, lorsqu'il fallait ramper, ses pattes arrières s'agitant pour lui donner de l'élan alors que celles avant labouraient le sol, ses griffes sillonnant la terre, sous la panique. Si toi, qui joue Kiro, tu ne savais pas que Noé avait horreur des insectes... C'était chose faite, désormais.
Tic tic tic faisaient les petites pattes de l'abomination, derrière lui, de plus en plus grosse...

- Putain putain putain !

Non, aucun autre mot ne viendrait enrichir son vocabulaire tant qu'il serait dans cet état. Au moins, ça le rendait efficace, et rapide. Ses mouvements se succédaient sans latence. Hop, on tournait la tête, à gauche, à droite, pour trouver un boyau qui n'était pas un cul de sac. Hop, on s'y engouffrait, rapidement, et on avançait sans se retourner et en essayant d'ignorer la bestiole qui ne le lâchait pas.
Calme toi, Noé, ça va bien se passer.
Ça va bien se passer.


Bien que fatigué et ayant les membres écorchés à force de ramper lorsqu'il le fallait, le loup brun ne lâchait rien, déterminé comme il n'avait jamais été déterminé. Il lui fallait cette statuette, à tout prix, sinon... Sinon il ne pourrait retourner fièrement chez les Etelkrus. Il serait à jamais un raté, tout juste bon à s'enfermer à la bibliothèque pour se noyer dans ses livres.
Mais ça n'arriverait pas.

Il le voyait enfin, l'objet tant convoité. Il ne l'aurait pas cru. C'était si irréel. Tout en poussant un râle mêlant soulagement et agonie, il se jeta dessus, posant ses paluches sur le serpent qu'elle représentait.

- C'est bon ! Je l'ai !!

Si on pouvait rappeler la sale bestiole, maintenant, ça l'arrangerait bien...