Lestat - Justice [TERMINE]

Vous dormiez, loups. Profondément. Et puis, juste après l'appel de cette mystérieuse voix, vous vous réveillez. Enfin pas vraiment. Votre esprit sait qu'il dort, qu'il est loin de son corps d'origine. C'est une sensation étrange, mais ce monde, aussi insolite soit-il, est réel pour votre nouvelle enveloppe charnelle.

Justice, tu es un coq brahma !
Lestat, tu es un lapin nain !

Allez donc récupérer ces œufs avant qu'il ne soit trop tard. Car vous le sentez. Quelque chose déchire le continuum ici. Quelque chose de puissant. Et il vaut mieux fuir avant que ça n'y parvienne. Le réveil risquerait d'être beaucoup plus brutal que prévu...

Qu'est-ce que quoi.
Justice ne rêvait presque jamais. Enfin, pas comme ça, en tout cas. Il ne rêvait pas de voix profondes et mystérieuses qui venaient faire trembler le ciel et la terre pour lui demander de l'aide.
Et il ne rêvait pas non plus qu'après il s'éveillait dans un monde inconnu, chaussé sur de grandes pattes plumeuses qui avaient l'air tout à fait disproportionnées par rapport au reste de son corps de... piaf. Soit.
Il ne chercha pas pour le moment à comprendre. Après tout, il paraissait qu'il aurait tout le temps de s'épancher sur ses sentiments de coq un peu plus tard, dans de longs monologues mentaux imposés.
Alors il se contenta de se laisser guider par son nouvel instinct de beau coq noir et soyeux, jetant un regard sombre au lapin noir à ses côtés qu'il savait loup, au fond, sans pouvoir expliquer pourquoi ; mais les rêves avaient ce don de toujours se suffir à eux-mêmes.

Ok, reprenons depuis le début.
Des voix gutturales et venues d'un autre monde avaient visité son sommeil, avaient imploré son aide pour une tâche qui à première vue ne le concernaient pas, mais alors pas le moins du monde. Pour une raison qu'il n'avait pas non plus tout à fait compris, il avait accepté, de son esprit embrumé par les rêves et le délire, espérant ainsi clore la parenthèse, mais au lieu de se réveiller comme d'habitude, il avait ouvert les yeux dans un monde... changé.
Il n'était plus dans sa grotte temporaire au fin fond des montagnes. Il était dans un monde étrange et changeant qu'il ne reconnaissait pas, qui n'avait pas pourtant l'air maléfique comme le Monde Rouge ; et tout autour de lui des fragments de voix continuaient à crépiter sans pour autant oser trop s'approcher. Ce serait ici qu'il aurait à accomplir la mission pour leur rendre service, dans ce corps de... coq. Il n'avait pas la moindre idée de pourquoi un loup ne pourrait pas faire l'affaire, mais ce point serait peut-être éclairci plus tard.

Autour de lui, l'air semblait presque électrique, comme chargé d'une énergie qui dépassait tout ce qu'il avait toujours connu, et cela lui donna une impulsion de hâte et de motivation. Peu importe de ne pas avoir toutes les explications logiques à cette situation, il fallait accomplir son devoir pour s'en délivrer le plus vite possible et retourner à sa vie normale. Tournant la tête, il réalisa que le lapin, petit et duveteux, était toujours là. Lui au moins n'était donc pas fruit d'une hallucination. Enfin... Dans ce monde-là, du moins. Il était comme lui, probablement, coincé dans ce songe si particulier.
Il se présenta -Lestat, apparemment. Il se demandait qui il pouvait bien être, dans le monde réel. Un autre solitaire ? Le louveteau d'une des meutes ? Il ne s'y connaissait pas vraiment en lapin, mais par un savoir quasi omniscient assez unique au monde des rêves, il semblait avoir conscience de la jeunesse de son compagnon d'infortune. Bon, en tout cas, il était bien plus petit que lui. Il devait bien y avoir une raison logique derrière leurs formes respectives et chacun aurait des points forts pour la suite.
Ici, il ne risquait rien à révéler son nom, en espérant que celui ne lui porte pas préjudice... Plus tard.

— Justice.

Même dans cet endroit, on ne transformait pas un loup en coq de manière profonde et définitive. Il restait peu loquace, et concentré sur la tâche à accomplir pour pouvoir en finir au plus vite et ne pas s'éterniser en paroles près du lapin. Cela lui rappelait qu'il avait faim, mais n'étant ici pas prédateur, il n'était pas pensable de planter ses crocs dans sa chair juteuse.
Soudain, c'est un éclat vert qui attira son attention et lui fit presque manquer un battement de cœur. Au sol, mystérieusement apparu alors qu'il aurait juré ne pas l'avoir vu quelques secondes auparavant, un œuf tout carapacé de vert, d'épines et... Orné d'une fleur rose.
Comme cette putain de bestiole qu'ils avaient éventré au désert.
C'était assez ironique, et il n'avait aucune idée d'à quoi ressemblait un sourire chez une poule, mais cela le fit sourire -au moins mentalement.
Il hocha la tête aux paroles de Lestat, l'écoutant distraitement, déjà occupé à s'approcher avec douceur de l'oeuf pour le surplomber et jauger de la meilleure façon de s'en saisir. Déployant une de ses pattes aux talons acérés, il contourna prudemment les épines, parvint à l'effleurer de la griffe...
Et pouf ! L’œuf avait disparu. Perplexe, il regarda autour de lui -mais plus de trace de l'oeuf cactus.
Bien. Il espérait que ça comptait comme une tâche accomplie.

Le petit lapin l'observait avec attention et un air quelque peu perplexe. Effectivement, ce n'était pas tous les jours qu'on se baladait dans un autre espace-temps, transformés en quelque chose qu'on n'était pas censés être pour aider à récupérer des oeufs qui s'évaporaient simplement une fois qu'on les effleurait. Certes. Même le Monde Rouge avait été une expérience moins étrange.
Ce n'était pas une raison pour rester inactif : quelque chose lui soufflait qu'il valait mieux se presser, qu'ils n'étaient pas seuls en ce monde étrange ; et que la fils de puterie régnait dans ce monde entre tous ceux qui étaient censés aider les étranges commanditaires tout en cherchant à ramasser le plus d'oeufs pour leur propre pomme.

Coq et lapin nain se remirent en route, silencieusement, foulant désormais une herbe douce et pas trop haute - sauf pour le lapin qui semblait patauger dedans, complètement perdu dans la masse herbeuse. Justice s'estimait plutôt heureux d'avoir été doté de si hautes et imposantes pattes et de ne pas raser le sol à la manière de Lestat.
Alors qu'ils avançaient et que le lapin bondissait allégrement sans voir grand chose, ses yeux sondaient les environs, à la recherche d'une autre trouvaille.
Là.
Lestat n'avait pas du le voir, vu sa taille, alors il attira son attention.

— Là, regarde, un oeuf.

Et celui-ci avait l'air tout à fait normal et aisé à acquérir. De ses grandes pattes, il avança donc jusqu'à l'oeuf dont la coquille luisait d'un joli bleu, le contournant prudemment pour vérifier qu'aucun vice caché n'était là pour le surprendre, puis il se pencha, effleurant la surface de l'oeuf de son bec solide.
Pouf !
Comme l'autre, il disparut en répandant un genre de sentiment de satisfaction. Comme s'ils étaient sur la bonne voie. Il lança un regard entendu à Lestat, puis repartit tout droit.

Le lapin bondissait ici et là, mais il était trop tard pour voir l'oeuf.
Ils continuèrent d'avancer dans la plaine -la sensation était presque agréable, sentir l'herbe molle caresser ses drôles de pattes, une brise venue d'on ne sait où caressant leurs poils et plumes. On en oublierait presque que ce monde ne faisait pas réellement de sens, qu'ils étaient ici peut-être au péril de leur vie comme dans le Monde Rouge, et qu'ils ne savaient même pas à qui appartenaient les voix grondantes dans le ciel. Justice préféra ne pas y penser, secouer sa tête légère et la crête de peau qui s'y attachait, ébourriffant ses plumes de jais pour les remettre en forme. Pour le moment, ils avançaient en silence, dans la prairie qui semblait sans fin.
A ses pieds, quelque chose de rouge -et rond. Il se pencha pour la renifler -malheureusement, il ne possédait pas réellement de flair. Rien à voir avec le flair d'un loup, en tout cas. Aucun moyen de savoir s'il y avait quelque chose à tirer de ce truc qui ne ressemblait pas vraiment à un oeuf. Mais comme il doutait que les éléments soient ici laissés au hasard, il ramassa délicatement ce qui ressemblait à un fruit, le glissant à l'abri d'une de ses ailes sous le regard curieux de Lestat.
Il eut un mouvement qui était censé ressembler à un haussement d'épaules, puis repartit, encore une fois, vers l'avant, de son pas ample et tranquille.

Jusqu'à ce qu'un éclat bleu et familier vienne se refléter jusqu'à sa rétine - mais bien plus proche de Lestat, cette fois. Il eut un mouvement de bec pour lui désigner, plus loin dans la prairie.

— Tu devrais aller voir, encore un oeuf là-bas, le même.

Si cette plaine était fertile, c'était plutôt une bonne nouvelle.

Il observa le lapin s'éloigner à travers les touffes d'herbe jusqu'à n'être plus qu'une petite tâche sombre au milieu de cet océan de verdure. Il prit un peu de temps à tourner autour, le toucha à son tour, puis rebroussa chemin en direction du grand coq.
Il hocha la tête aux paroles de Lestat, balayant la zone du regard et espérant voir quelque chose pour se repérer, mais rien en vue. Bon. Il se contenterait simplement d'avancer, alors ; jusque-là cela avait toujours fonctionné.

Leur marche reprit à nouveau, lente, irréelle, rythmée des bonds du lapin et de la foulée du coq. Justice n'avait aucune notion du temps. Déjà en tant que loup, il faisait rarement attention au temps qui passait ; préférant se laisser guider par ses instincts et ses besoins, rythmant ainsi ses journées selon les nécessités et laissant autrement filer le cours du temps. C'était l'un des bénéfices de la vie de solitaire, seul et loin de l'influence d'une meute. N'avoir que soi-même à gérer et sa propre compagnie pour organiser ses journées permettait une certaine liberté et souvent, il ne voyait personne pendant de longues périodes. Autrement dit, le temps s'écoulait simplement au rythme des levers et couchers de soleil, et les jours se confondaient en semaines, parfois en mois sans même qu'il ne les compte.
Ici, c"était assez similaire et même pire. Malgré cet empressement qu'il sentait planer sur eux, comme une présence qui flottait autour d'eux pour les inciter à ne jamais s'arrêter, tout semblait comme suspendu dans le temps. Il ne voyait aucun indicateur du temps qui passait et ne savait pas s'il marchait en ce monde depuis quelques minutes seulement ou bien des heures... Voire bien pire.

Un bref coup d'oeil vers son compagnon rongeur lui apprit que celui-ci, en tout cas, semblait pleinement profiter du paysage et de la végétation dense qui les entourait. Vu sa taille, c'était pratiquement une forêt. Pour le coq, qui pouvait voir bien plus loin vers un horizon plat et sans défaut, l'avenir semblait se déballer dans une multitude de couleurs indistinctes, si bien qu'il ne pouvait même pas dire quand la plaine s'arrêtait.
Un bruit de succion lui fit tourner la tête - Lestat venait de s'affaler dans une flaque de boue, éclaboussant de marron son pelage soyeux. Il sembla se débattre avec lui-même, puis finalement se tirer de ce mauvais pas - et à peine Justice avait-il repris sa route que le lapereau attira son attention : il avait trouvé un oeuf, mais pas frais, selon ses dires.

Intrigué, le poulet se dirigea vers son camarade avant de devoir faire une soudaine halte, assailli par une odeur pestilentielle. Eeerk. Effectivement. Il espérait que cela ne compromettait pas la validité de cet oeuf pour la quête. Il faudrait s'approcher pour en être sûr...
Progressant à pas prudents, le solitaire commença à se rapprocher de l'oeuf verdâtre à moitié enfoncé dans la boue et la vase, retenant son souffle de son mieux pour ne pas se laisser envahir par la puanteur. Ne pouvant se retenir éternellement il reprit son souffle en tournant la tête dans une autre direction, prenant une brève inspiration -et manquant de vomir au passage.
Il tenta de se hâter d'en finir, progressant vers l'oeuf qui semblait suinter et qu'il n'avait absolument pas envie de toucher. Il préférait y aller doucement - un oeuf aussi peu accueillant pouvait peut-être cacher des saloperies, et il n'avait pas envie de se confronter de nouveau à un insecte géant.
Mais rien en vue, et il n'avait pas envie de s'attarder plus longtemps que nécessaire en apnée. Donnant un vif coup de bec pour ne pas être en contact avec la coquille trop longtemps, il percuta l'oeuf. Qui disparut, comme les autres - et l'odeur aussi, heureusement.

Il jeta un regard noir et agacé à Lestat, qui était resté sur le bord pour ne pas salir ses petites pattes.

— La prochaine fois, tu t'en charges.

Il était pas là pour ramasser les ordures.

De nouveau, ils tombèrent rapidement sur une trouvaille.
L'oeuf, vert et rose et assez similaire au cactus précédent, était coincé dans un buisson d'épines. Il grimaça. Il allait falloir se débrouiller à deux pour le décoincer, celui-là. C'était peut-être pour ça qu'ils avaient été dotés de nouvelles peaux si... Différentes.
Le lapin pourrait tenter de briser des branches avec ses pattes puissantes et sa petite taille, lui devrait user de sa hauteur, de ses serres précises et de son bec pour essayer d'atteindre l'objectif sans se faire érafler par les épines cruellement acérées du buisson.

Il hocha la tête aux paroles de Lestat, se mettant en position. Le lapin se glissa tant bien que mal vers l'oeuf et donna un coup pour le déséquilibrer ; à lui de jouer pour réussir à le récupérer, fourrant son bec et son long cou entre les branches.

[3 PC Agi]