Atsuko - Anita

Vous dormiez, loups. Profondément. Et puis, juste après l'appel de cette mystérieuse voix, vous vous réveillez. Enfin pas vraiment. Votre esprit sait qu'il dort, qu'il est loin de son corps d'origine. C'est une sensation étrange, mais ce monde, aussi insolite soit-il, est réel pour votre nouvelle enveloppe charnelle.

Atsuko, tu es une poule bernavelder !
Anita, tu es un lapin hyplus!

Allez donc récupérer ces œufs avant qu'il ne soit trop tard. Car vous le sentez. Quelque chose déchire le continuum ici. Quelque chose de puissant. Et il vaut mieux fuir avant que ça n'y parvienne. Le réveil risquerait d'être beaucoup plus brutal que prévu...

Souvent, Anita faisait des rêves vraiment chouette. Ils étaient plein d'aventures et de couleurs, il y avait sa famille, ses amis, des pirouettes dans les arbres et entre les rochers, bref, elle vivait sa vie à fond même lorsqu'elle dormait.
Cette fois-ci, c'était un peu différent, un peu étrange, même un peu effrayant - puisque la voix sombre qui l'avait interpellée lui avait rappelé celle de la créature vaporeuse qui l'avait embêtée, et Désastre aussi, lors de la chasse aux rats.
Mais là, il y avait également un frisson d'excitation, car on lui confiait une mission. Et ils n'avaient pas l'air malfaisants du tout !

La petite louve avait accepté et avait été surprise d'ouvrir les yeux sur des petites pattes duveteuses. Elle se sentait... différente. Son corps était bondissant et souple comme l'ancien, mais bien plus petit.
Et sans même avoir à y réfléchir, elle sut d'emblée ce qu'elle avait à accomplir.

Tu aimes rêver, petite Atsuko. Les rêves se nourrissent à même la fontaine de ton imagination douce, comme les adultes vont puiser leurs pouvoirs héroïques dans les fontaines divines. Ce sont des créatures spéciales, les rêves, n’attendant que de manger les pensées, les sentiments, les souvenirs d’aujourd’hui et de hier pour se donner forme. Tu aimes rêver, petite Atsuko, car dans tes rêves, tu crées à l’infini. Les illusions nées de ton don inné se transforment en êtres vivants bien réels qui gambadent, flottent ou rampent à tes côtés. C’est un monde moins exigeant, moins bruyant, davantage magique. Un monde où tu es princesse, seule héritière et maître de ce qui s’y trouve. Un monde où tu y retrouves parfois le Renard, et où vos conversations et aventures se poursuivent comme dans celle des romans, des histoires fabuleuses que papa te raconte avant d’aller dormir. Cependant, ce rêve-ci, il est différent. Tu le sens. Il y a quelque chose qui n’est pas normal ici, et ça t’en donne des frissons. Tes yeux s’ouvrent comme à l’éveil, mais tu dors encore, petite renarde. Petite renarde ? Non, aujourd’hui, ici-même, tu n’es pas renarde. Tu cherche du regard des repères qui ne te viennent pas. Ton corps normalement petit et agile te semble plus compact, plus redressé. Lorsque tu étire tes membres comme l’on étire ses muscles après une longue nuit de sommeil, tu aperçois des ailes, des plumes sombres. Des pattes longilignes et maigres, des os légers. Tu es habituée au caractère imprévisible des rêves, mais c’est la première fois que tu te vois transformée en un autre animal. Curieuse, tu t’avances un peu, cherche du regard le Renard mais il n’est point-là avec toi. Dommage. Mais tu n’es pas seule ici, détrompes-toi. C’est un lapin, qui gambade là-bas ? Tu cours vers lui, toutes plumes devant, avec toute la grâce dont ne fais pas preuve une poule, heureuse de trouver quelqu’un avec qui partager ce songe étrange. Elle est louve, comme toi, tu le sais. C’est Anita. Tu l’as vue plusieurs fois, juchée sur ton observatoire du Grand Castel. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu es convaincu qu’il s’agit d’elle. D’ailleurs, autre conviction qui te martèle ton petit crâne d’oiseau, c’est que vous devez ramasser des œufs pour sortir d’ici. Elle pourra peut-être t’aider ??? Il y en a un, d’ailleurs, non loin. Il repose dans un tas d’herbes, lançant dans les airs des petits arcs électriques bleutés.  Tu sautilles, toutes ailes devant, juste en face de la lapine. Tes yeux de poulet pétillants d’excitement, tu caquette à l’intention de ta nouvelle amie :

« Petite chose, comme tu es jolie ! »

Tu saute sur place quelque fois, levant l’une de tes pattes sous ton plumage. Ton cou se penche sur le côté, observant la petite lapine de travers.

« Mais pas aussi jolie que l’œuf qui crépite »

Tu aurais voulu sourire, mais ton bec n’est pas souple, et tu te retrouves le bec entrouvert dans une hilarante expression de confusion.

[ 504 mots]

Qu'il était étrange d'incarner un corps qui n'était pas sien.
Elle qui dans le monde réel marchait à grands pas vers les débuts de son adolescence, hybride née de la puissance et de la souplesse qui avait vite appris à maîtriser ses pattes et ses muscles pour se départir de la lourdeur du louveteau, la voilà qui devait reprendre cet apprentissage pratiquement du début.
Elle étira alors ses muscles et ses tendons, contracta une articulation après l'autre, se laissa envahir par la sensation de nouveauté que lui renvoyaient ses nerfs. Ses pattes étaient de tailles bien particulières. Elle nota une grande différence entre le train arrière et l'avant-main -cette dernière était plus courte et semblait servir de support, alors qu'elle sentait les muscles se gonfler dans ses cuisses, puissants et prêts à être détendus.
Elle s'essaya à un bond - les ressorts se détendirent, les longues pattes se déplièrent, et elle fut tout de suite propulsée dans les airs sur quelques mètres. Elle retomba tout en douceur -ce corps semblait si léger et fait pour aller vite, comme le sien- dans l'herbe, remuant moustaches et oreilles pour continuer à prendre possession de son corps. Au bout de ses doigts, des griffes longues et recourbées, similaires aux siennes là encore.
Elle se redressa pour tester son équilibre et plus les secondes passaient, plus elle se sentait en communion avec cette nouvelle forme.
Finalement, Anita en tant que lapin restait Anita.

D'un mouvement d'oreille, elle s'intéressa à un détail important - la présence d'une autre créature non loin d'elle.
Une jolie poule aux belles plumes de jais dont les reflets teintés de bleu et de vert n'étaient pas sans lui rappeler un certain pelage... Ses yeux s'illuminèrent quand la révélation se fit, fluide et immédiate, comme si ce savoir était une évidence et qu'il n'y avait aucune question à se poser. L'oiseau en face d'elle était Atsuko, l'une des jeunes louves plus âgées qu'elle -elle devait avoir l'âge de Désastre, à peu près.
Elle s'avança vers elle d'ailleurs, agitant ses plumes en tout sens et gambadant avec toute l’élégance dont une volaille était capable, pour se placer devant elle et l'observer du haut de sa tête haute perchée sur ce long cou et ce corps redressé, et dans ses yeux Anita put lire la même excitation et les mêmes convictions que dans son esprit. Toutes deux s'étaient vues confiées une mission et elles l'accompliraient.
Sa queue de lapin s'agita, et Anita répondit brièvement à sa camarade avant que ses yeux ne tombent eux aussi sur l'oeuf qui avait été repéré par Atsuko.

— Merci, Atsuko ! T'es pas mal non plus en poule, les motifs sur tes plumes sont jolis.

Et ils reluisaient des mêmes couleurs que son pelage de louve.
Elle exécuta un clin d'oeil à son attention et fit volte-face vers l'objectif qui les attendait. La coquille était violette et brillante, parcourue d'éclairs souples qui s'enroulaient autour fluidement comme autant d'éclairs, et plus elle s'approchait plus sa fourrure se gonflait sous l'effet de l'électricité statique. Mais Anita n'avait pas peur. Malgré les éclairs qui parfois s'éjectaient de l'oeuf et claquaient comme des fouets ou des serpents menaçants, elle se savait agile et si souple -et surtout, elle se savait immortelle. Elle était dans un rêve, c'était une conviction, ce corps n'était pas le sien, son esprit était simplement parti en voyage pour voguer dans le firmament et ses mille secrets - ici, elle ne risquait rien, et elle était encore plus confiante que lors de ses jeux dangereux en altitude où elle aurait pu se casser le cou et toutes les pattes.
Alors sans crainte, Anita avança en plusieurs bonds, esquivant les zébrures d'énergie qui tentaient de l'attraper ; et elle vint poser sur l'oeuf violet les deux pattes et même l'effleurer du bout du nez.

Et elle se sentit vibrer, d'abord doucement ; puis en quelques instants il n'était plus devenu qu'une brume colorée qui dansa devant ses yeux avant de se reformer - un oeuf miniature, bien plus aisé à transporter, et qui luisait encore de quelques éclairs inoffensifs.
Elle adressa un hochement de tête complice à Atsuko.
Il fallait en trouver d'autres !

Curieuse, Anita observa la carapace s'envola vers de nouveaux horizons, moustaches frétillantes. Elle n'avait aucune idée de ce que celle-ci ferait, là où elle semblait partir ; mais elle fit le vœu que cela les aide dans leur quête.
Et il fallait désormais repartir à la recherche de nouveaux œufs à ramasser.

Alors que vous observiez la carapace voler à toute vitesse vers d'autres contrées pleine de crânes à cogner, un lapin noir apparu soudainement devant vos yeux ébahis. Ils vous tendis une baie violacée en vous expliquant que lui aussi avait eu à trouver les œufs et qu'il vous donnait un coup de patte afin de terminer la votre. Tu sautilla sur une patte puis sur l'autre, avant de gober la baie sans ménagement. Pourquoi avait-tu fait cela sans réfléchir ? Un instinct lointain de poulet, fort probablement. Le lapin n'avait certainement pas menti; tout de suite après avoir avalé, tes ailes se gonflèrent de nouveaux muscles magiques super virils. Ça tombe bien, parce que voilà qu'un nouvel œuf roulait jusqu'à vos pattes, et qu'il a l'air extra lourd ! Malgré tes muscles gonflés, t'es pas une championne d’haltérophilie, surtout transformée en oiseau à grains. Ça valait le coup d'essayer malgré tout, et c'est avec un clin d’œil mystérieux à ton amie lapine que tu tentas de soulever l’œuf obèse.

[Lancement dé réussite FOR x2]

Le premier essai fût lamentable. En tentant de ramasser l’œuf, tu déboula vers l'avant, trébucha sur l’œuf, et tomba tête première dans l'herbe. Bousculé par toute cette agitation, ce dernier roula doucement... jusque sur ton aile. Immédiatement, l’œuf disparu s'ajoutant à votre inventaire.

Un oeuf énorme apparait devant elles - il est brun et couvert d'écailles de pierre ! Anita n'a décidément rien vu de pareil - elle se demande quel genre de créature peut être en train de dormir à l'intérieur de la coquille.
Elle se souvient que l'animal qui suit fidèlement son frère Narcy était né d'un oeuf, lui aussi, et elle était presque tentée de l'ouvrir pour savoir ce qui s'y trouve. Mais Atsuko prend les devants, elle gonfle ses muscles de poule et utilise une baie qu'une mystérieuse ombre est passée leur offrir. Et elle réussit ! Admirablement bien, même. L'oeuf qui avait l'air si lourd quelques instants plus tôt est déplacé tel un poids plume. Et il est une victoire supplémentaire pour le jeune duo.
Anita laisse s'échapper un hululement de joie pour sa partenaire et bondit de l'avant, le nez frétillant, pour trouver un nouvel oeuf.

C'est lapine Anita qui pris les devants cette fois, son petit nez de lapin frétillant à la recherche d'autres œufs mystiques. Tes pattes nerveuses faillirent trébucher à nouveau sur une carapace, que cette fois vous laisserez tranquille. Tu t'imagines la tortue qui tournoie dans les airs, cachées dans sa grosse maison écailleuse, et un petit rire moqueur t'échappe à cette idée, mais vous n'avez plus beaucoup de temps à perdre, tu le sens. Vaux mieux laisser cette torture rose tranquille pour aujourd'hui.

Du coin de l'oeil elle voit que la jolie poule trébuche encore sur une carapace, mais elles ont d'autres priorités, et toutes les deux le sentent - c'est comme un chuchotement pressant à leurs oreilles.
Alors Anita continue de bondir de l'avant jusqu'à tomber nez à nez avec un oeuf tout vert - mais juste derrière lui, dressé sur ses pattes en chocolat et découvrant sa gueule à son intention, une créature tout de sucre et de cacao cherche à l'empêcher de prendre l'oeuf.
Alors sans prendre de pincettes et se doutant que tenter la discussion serait inutile, la petite lapine voltige et se retourne sur elle-même et envoie ses deux pattes arrières dans le crocodile.