Narcisse - Keren

Qu’il était étrange ce monde.

Lui et ses habitants de chocolats.

L’œuf il est là, tout beau, tous lisse et il te temps les pattes, les plumes, le bec, bref tout ce qui te permettait de l’attraper d’une quelconque manière. La solution était simple, se baisser pour le saisir. Mais pas si simple que ça au final. Rien ne l’était après tout. Un aigle vint défendre l’œuf, s’en prenant directement à toi et ton co-équipier, ses serres tranchantes menaçant de vous infliger de lourdes blessures.

Mais pouvait-on vraiment se blesser dans un rêve tel que celui-ci ?

N’étais-ce pas le but même de ce rêve, faire abstraction de la douleur simplement pour s’amuser ?

L’aigle piaille, menaçant, se pensant suffisamment intimidant pour un lapin et un coq.

Mais, Narcisse aussi était un oiseau, un coq presque aussi imposant que cet aigle, un coq prêt à défendre son tribut, à le protéger bec et plume contre cet envahisseur. Parce que rien ne l’arrêterait et encore moins un foutu Piaf trop ronchon. Alors, il gonfle ses plumes, son poitrail, incline sa tête vers l’arrière avant de pousser un majestueux « cocorico » à en décoiffer des bigoudis. Parce que tu ne laisserais rien, ni personne entraver ton chemin et t’empêcher de gagner cette fougue compétition. Ces œufs tu comptais bien les récupérer TOUS et les garder précieusement.

« — On va les avoir. »

Au moins quand Narcisse se réveillerait de ce rêve il pourrait raconter à ses sœurs l’incroyable aventures à laquelle il avait assisté... enfin si seulement dans la vraie vie il était plus expressif et ne laissait pas Alexandrine s’assoir sur lui... ouais en fait non mieux valait abandonner l’idée. Dommage que y’a personnalité soit davantage différente que celle de tes rêves Narcisse, dommage que tu ne sois trop expressif, dominé par cette envie constante de gagner sur tout et rien.

Les yeux de Narcisse détaille le lapin, lui qui aurait pu constater une proie bien intéressante pour cet aigle, penchant sa tête rapidement de droite à gauche alors que comme par réflexe, ses serres raclent le sol, visiblement à la recherche de quelque chose. Lui aussi allait se mettre à la recherche de vers comme les poules communes ? Encore un peu et en se réveillant c’est d’insectes dont-il aurait envie... Quoique cela serait sûrement bien nourrissant.

Décidé, le coq se redressa, ses sens à l’affût de leur prochaine prise.

« — Allons-y, nous devons continuer de chercher des vers... euh des œufs. »

Merde Narcisse, t’allait pas t’y mettre hein à bouffer des vers ? Parce que clairement là ce serait fini pour toi... Jamais plus tu ne voudrais en repartir de ce rêve si dans le monde réel c’était pour te réveiller avec le souvenir d’avoir bouffé une bestiole.

Fier comme un paon d’avoir fait fuir l’ennemi, le coq vont poser sa patte sur l’œuf, gonflant son poitrail à l’idée que leur petite collection s’agrandissait. Encore un et ils seraient à l’abris de tout vol possible. Une maigre victoire, mais tout de même réconfortante.

T’étais motivé Narcisse, beaucoup trop motivé. Voilà que tu te mettais à sautiller partout sur tes deux pattes, remuant des ailes à la recherche DU MOINDRE œuf dans les parages. Te voilà devenu avide de ces œufs, tu les aurais.

« — Allons voir par là. »

Tu te tournais vers un nouveau coin pour voir... tiens c’était quoi ça ?

Celui-ci, il était spécial quand même. Un œuf pas discret, pour un événement peu discret... c’était de circonstances après tout !

Celui-ci produisait une musique étrange, trop biennnnn. Cela donnait presque envie à Narcisse de sortir une guitare comme dans Robin des bois et commencé à chantonner en suivant les bandits de grands chemins. Oh yeah en voilà une idée. Devenir troubadour, comme feu Alys jadis avant de devenir alpha. Une perspective d’emploi qui tentait bien le coq.

Soudain la réalité le frappe.

Mais ça n’allait plus du tout, pas possible il ne pouvait pas penser ça quand même ! Lui qui avait tant de projets, lui qui comptait servir l’alpha Etelkrus ! Non mais ce rêve, nawak, bientôt il se réveillerait en mode bisounours dans le meilleur des mondes. Autant partir immédiatement chez les Nakhus faire un joyeux pèlerinage.

Non décidément, toutes ces fleurs, ce monde féerique ça lui montait au cerveau et le détraquait complètement. Où donc étaient les arbres et montagnes à escalader ? Son ami Désastre avec lequel faire un peu plus ses preuves ? Dans une autre dimension visiblement, bien loin de toute trace de réalité.

Le coq thaï bondit tout autour de cet œuf musicien, posant doucement sa patte dessus pour voir quels bruits il pouvait produire. Ne s’amusaient-ils pas les autres enfants à produire des sons similaires en tapant sur divers matériaux à l’aide de branche ? Narcisse se rappelait que trop bien avoir observé rapidement ces jeux qu’il avait jugé comme une perte de temps, parce que cela ne les aiderait pas dans leur combat contre la vie, parce que la mort s’en moquerait. Alors lui, ne s’y était jamais intéressé à ces sons, biens que ne les trouvant guère désagréables, plutôt jolis même ! Peut-être aurait-il du y prêter d’avalanche attention à ces jeux futiles ? Ne serais-ce que pour en apprécier le son.

Le coq hoche doucement la tête à la question du lapin.

« — J’sais pas... »

Il avait vraiment envie de répondre, mais c’était un rêve après tout non ? Puis il avait pas les mots en bec...

Ses sœurs aussi devaient en apprécier la mélodie, elles qui étaient si joyeuses dans la vie, loin des grommèlements de Floyd, loin d’être aussi silencieuse que lui. Mais c’était sa manière à Narcisse, de veiller sur eux dans l’ombre, de mieux apprendre pour pouvoir les protéger, de savoir se battre pour les défendre, parce qu’ils étaient sa famille.

Vous l’aviez passé ce satané palier, ça y est, tu te sentais tout bizarre Narcisse maintenant avec la nette impression que t’avait accomplie quelque chose de grandiose. Un peu quand même non après tout ? C’était pas tous les jours qu’on récupérait des œufs en se battant contre des crocodiles en chocolats, se faisait voler par des poules fusées, se faisait attaquer par un aigle... que d’émotions pour une si petite aventure.

Une aventure ridicule même.

Une aventure d’œufs et de chocolats.

Le coq posa le bout d’une aile sur la tête du lapin, regardant au loin.

« — C’est pas encore fini, Lapin, la guerre sera longue, mais nous en sortiront triomphants, crois-moi, personne ne nous empêchera de gagner. »

La vache Narcisse.

Encore un peu et tu te lancerait dans une croisade. Une croisade d’œufs. Si c’était pas ridiculement beau tout ça. En tout cas, cette croisade semblait être partie pour durer en compagnie du Lapin Keren, une aventure longue et périlleuse qui nécessiterait de mobiliser TOUTES les plumes à disposition, sans en délaisser une seule.