Encore un matin l P.V. Littie

Il a peur, mais il ne sait pas pourquoi.
Sortir de la grotte devient difficile, suivre Pepper l'est plus encore. Ça le sert, là, fort dans l'estomac. Ça ne fait pas mal, mais ça le tétanise pourtant. Ses mouvements se bloquent, ils sont comme au ralenti, et il a l'impression que son petit cœur va le lâcher, là, quelque part dans les couloirs du Castel.
Ça devient dur, de se battre.
Il doit se forcer toujours un peu plus.

Oublier le palpitant qui s'emballe dans sa poitrine, quand Pepper lui tourne autour. Ne plus penser aux entrailles qui se tordent, quand il s'entraine avec Alexandrine.
Et plus il feint de ne rien sentir. Et plus il angoisse pourtant, que revienne ce moment.

Mais il esquive de mieux en mieux, et Pepper est contente, et Alexandrine ne peut rien voir.
Il change de stratégie, adopte une autre méthode. Ça lui passera la peur qui se mue phobie, hein.
Ce n'est que temporaire.
Même si ce n'était qu'une appréhension, tout au début...

Il a si peur d'avoir mal.

Il marche tête basse et queue au sol, dans une démarche si écrasée. Il n'a pas envie, d'aller là-bas. Il lutte et s'y force, encore, encore.
C'est l'heure de retrouver Alexandrine. Il a entendu le fracas de ses pas, au loin, il la vue rentrer avant lui dans la salle des trônes. Il marque un arrêt, la patte en suspens. Il peut dire qu'il en a mal, à cette patte. si il se la bandait, elle n'en saurait rien.
Non. Il ne sait pas mentir.
Alors il rentre, dans la salle, sans un sourire. Ses oreilles sont en avant et son corps déjà tendu. Il appréhende le mouvement brusque à son égard. Et si elle lui saute dessus, et qu'il finit au sol ?

Il était déjà si embêtant de compagnie, que deviendrait-il si on lui retirait ses ambitions.
S'il ne se battait plus, toujours plus fort. S'il ne grimpait plus aux arbres, toujours plus haut.

Il souffle par le nez et lève le museau vers elle, les yeux plissés dans un drôle d'air.
Elle devenait de plus en plus jolie, Alexandrine. Avec ses larges épaules et ses grandes ailes de cuir.
Elle ressemblait de plus en plus à ce dragon, qu'il lui avait déjà trouvé toute petite.
...
Il ne peut pas l'observer indéfiniment, alors qu'il est déjà en position, prêt à bondir pour échapper à un contact un peu trop brutal.

« ... »

...Et pourtant il continue de le faire, comme subjugué.
Ses mouvements dans les airs le passionne.

Elle ressemble à une gargouille. Mais pas une gargouille effrayante, ou une gargouille ratée avec un visage particulier, faisant plus peur qu'autre chose. Non. Une jolie gargouille, qu'on est fier d'afficher sur les colonnes entourant les portes d'un vieux temple. Il la regarde, il ne lâche plus les mouvements de ses ailes.
Il aimerait faire pareil. Mais elles venaient si peu, les siennes, c'est comme si elles n'existaient déjà plus.
Il n'aura jamais compris à quoi était lié leur apparition.
Soudain Alexandrine tombe et il bondit presque en arrière. Il évite de se faire toucher, elle échoue à ses pattes mais reste à distance suffisante.

Elle a dû avoir mal.

Il baisse la tête comme un chien aux aguets, surveillant quelque chose ne lui plaisant pas. Elle se lève et s'esclaffe, elle fait son Alexandrine. C'est à ça qu'il la reconnait, et si des fois il tournait l'oreille invalide vers elle... Au fond, elle ne le dérangeait jamais vraiment, faisant partie de celles qu'il supportait le mieux.
Même si initialement, leurs entrevues si régulières étaient seulement dû au fait qu'il ne savait dire non.

Puis... Puis elle est perspicace. Ou est-ce l'empathie qui la fait ainsi réagir ? Elle tourne autour de lui et elle suspecte.
T'es malade ?
La question fait dresser ses poils et écarquillés ses yeux, d'un coup. Les oreilles sont restées en avant et les yeux rouges lui donne l'air un peu hagard, comme ça.
Il a freezé.
Merde.
Ça l'empêche de bouger à temps, quand elle lui saisit la patte : elle était devenue plus forte que lui, de toute façon, elle l'avait dépassée en taille et il ne pouvait plus vraiment lutter.
Elle l'inspecte, elle parle, elle demande. Pas la gale, pas de fièvre. C'est autre chose, mais lui même ne peut pas poser les mots dessus.

Enfin.
Il sait, qu'il a peur.
Et que cette peur est irrationnelle. Et qu'il ne devrait pas avoir si peur.
Et surtout, surtout... Qu'il ne sait pas, lui, pourquoi il a si peur.
Il est énervé contre lui-même, ça le tend. Il sait qu'il devient quelque chose de moche, quelqu'un d'inutile. Il aimerait changer ça, persévérer et devenir plus fort, comme il se devait de l'être !
Mais plus il force, plus c'est dur.

Il peut pas dire tout ça.
C'est idiot.

Il baisse juste les yeux, d'un coup, ils tombent en même temps que ces poils.

« Non. »

Il est pas malade. Il a pas mangé de lièvre. Il a rien mangé du tout, de toute façon, parce que ça le retourne et que ça le bloque, quand il veut avaler.
Mais que lui dire ? Désastre ne sait pas mentir, il n'en a pas même idée. Il ne sait pas ce qui le saisit, alors il finit par lâcher.
Dans un tact étrange il lui dit, alors qu'il se recule d'un pas, dos vouté, museau vers le sol mais les yeux qui la fixent, elle.

« C'est...parce que...
...
J'ai perdu quelque chose dans les montagnes.
...
Et...
...
...
Et maintenant j'ai peur, mais je ne sais pas pourquoi. »

Elle n'était pas Pepper. Elle n'était pas un adulte. Elle...
Elle était son amie, alors il devait avoir droit de dire ça. Alexandrine parlait beaucoup, on ne l'écouterait peut-être pas si elle répétait ça. C'était bien, du coup.
Oui.
C'était l'idéal, de lui dire à elle, parce qu'elle avait deviné qu'il n'allait pas bien, pas bien du tout, et que ça lui donnait un petit pouvoir en plus, par rapport aux autres.

Ça ne fait ni du bien, ni du mal, de se confier ainsi, d'afficher une faiblesse qu'il n'aurait pas eu droit de montrer. Ça ne le fait pas sourire, mais ça ne le fait pas pleurer non plus.
C'est... C'est comme ça.
Il ne peut plus retourner en arrière, de toute façon ; c'est fini. Il n'a aucun regret, car il était assuré de toute chose qu'il faisait et ne se retournait sur ce qui avait déjà été fait.

Et il a eu raison, de le faire. Il n'y a pas la trace d'un jugement, ni même l'ersatz d'un sentiment de supériorité qui brille dans ses yeux. Rien que cette sincérité flagrante, qu'une honnêteté déroutante. Alexandrine vivait, elle était là.
Oui, c'est ça.
Elle était là.

Elle lui dit même que ce n'est pas grave. Parce que tout le monde a peur. Lui. Elle aussi ? Même Pepper.
Il se souvient, qu'elle avait eu peur pour Anita, pour lui, quand l'Autre était revenu.
Il se détend. Un tout petit peu. Ce n'est pas beaucoup, mais contentons-nous de ça.

Se laisserait-il protéger par elle ? Il pensait être autonome et indépendant.
Il avait tort.

T'as peur de quoi ?

« D'avoir mal. »

Il avait peur des coups et des blessures. Il appréhendait les courses et les escalades, parce qu'il pouvait tomber, il... Il ne vivait plus vraiment.
Il ne voulait même plus qu'on le touche. Enfin, encore moins. Ce n'était plus simplement le fait de ne pas aimer ça, c'était de ne plus pouvoir.
Quand à ce qu'il avait perdu...


Il s'est passé quelque chose de grave, dans les montagnes et il est marqué maintenant. C'est depuis le drame, qu'il souffre en silence et sans douleur, dans la crainte exacerbée d'en avoir une.
Parce que sa patte était foulée, et qu'il a couru. Parce que ses flancs se sont écorchés contre les parois, et que les dents des dragons noirs l'ont menacés.
Parce qu'il a entendu l'écho d'un corps qui tombe, et la mort avec.

« Ça ne se trouvera plus, c'est parti avec Bamboo je crois. Mais... C'est arrivé après, la peur. Juste après ça, le voyage dans les montagnes. »

Il parle beaucoup, presque il s'affole ; il n'en a cependant pas le timbre dans sa voix. La voix est un peu plus rapide que la sienne, il a l'impression qu'un instant, elle ne lui appartient plus.
Il se mue un peu dans son silence, ensuite, qu'Alexandrine meuble de ses questions, de ses propositions.
Un câlin ?

« Mmh. »

Elle allait t'en faire un, tu le sais Désastre, si tu ne répondais que ça. C'était le risque, andouille.

« Je ne préfère pas maintenant. »

Voilà, bien. On progressait, bientôt il deviendrait lui aussi plus bavard.

A la proposition de câlin, qui ne disposait de moindre date de péremption, il hocha la tête. Ok, il s'en souviendrait, même s'il ne pensait jamais user de ce bon qu'elle lui offrait là. Mais Désastre n'était en mesure de la contredire, parce qu'elle donnait déjà d'elle pour lui.
Et Désastre reconnaissait, les efforts.

Elle rit plus elle s'arrête, elle a l'air de réfléchir.
C'est sans doute la première fois, qu'il la voit comme ça.

Calme, avec l’œil vif et l'empathie palpable. On... On aurait dit Anette, comme ça. Oui, c'est ça. C'est à elle, qu'elle lui faisait penser, toujours un peu plus. Dans sa bienveillance, dans son envie irrévocable d'aider autrui. Cette même capacité à poser le doigt sur un soucis, aussi. Un bobo, là, juste ici...
Il souffle par le nez, diminue la vitesse de son cœur en cherchant le calme dans cette situation qui ne présente plus de risque maintenant. Il n'a plus à appréhender, maintenant.
Regarde, comme elle est capable de ne plus être un risque, pour toi. Tu le comprends et tu le saisis.
Elle s'allonge.
Il s'assied, les membres bien au carré. De la même façon stricte que Pepper, pourtant avec le dos vouté.

« On ne doit pas trop en parler, je crois. »

Le problème avec Désastre, c'est qu'il n'était pas en capacité de mentir. Les mots filaient dans une honnêtement parfois déroutante, un tact insoupçonné, lorsqu'il ne répondait pas d'une simple onomatopée. Mentir n'était pas une option avec lui.
Soit il répondait. Soit il se taisait.
Il pense qu'il doit se taire, parce qu'on ne doit pas effrayer les autres jeunes, parce que c'est triste, aussi. Parce que Bamboo avait commit une erreur grave, en emmenant avec elle deux enfants qui auraient pu perdre beaucoup, payer sa bêtise par leur propre vie. Et que Mint... Il ne l'avait plus compris, avec la queue de sa mère dans sa gueule, qu'il tenait tant à ramener.
Son visage était resté de marbre. Mais l'estomac s'était soulevé dans un spasme qui avait contracté ses flancs.
Ça lui refaisait pareil, rien qu'en y repensant.

Mais il fait l'effort pour elle, puisqu'on avait dit qu'elle, elle en faisait un pour lui.
Il trie ce qui peut être dit de ce qui ne peut pas l'être, enfin il suppose.

« C'était des dragons tout noirs. Une meute de dragons noirs.
Mais pas des dragons comme toi.
Des dragons moches. »

On était trop occupé pour lui donner le nom de ces prédateurs. Ceux si fins, si maigres. Si difformes. Désastre aimait les reptiles, les lézards et les dragons.
Ceux-là... Non.

« Ils étaient forts, ensemble. Comme une patrouille.
Ils l'ont fait tombés de la montagne.
Ils nous ont chassés, j'ai cru qu'ils pourraient nous attraper. »

Mmh.

« Elle a quand même tué un ours, avant. Elle était forte et j'ai cru qu'elle était invincible comme Pepper. Et Anette. »

Moi aussi, je pensais être invincible.
Mais je crois maintenant qu'on peut tous tomber dans les montagnes.

Il n'aurait sans doute pas dû parlé autant. Il le savait. Il ne parle jamais beaucoup, d'ordinaire, et sans doute aurait-il dû en faire autant. Ces phrases si longues, trop de mots dans sa bouche...
Pepper lui avait dit, qu'il ne fallait pas le dire.
Et elle avait eu raison, il ne le comprend qu'un peu trop tard. Il retiendra son erreur, comme il le faisait si bien.
Ses oreilles se couchent en arrière, quand le visage ne suit pas. Il voit bien, que Alexandrine est triste maintenant. Et qu'elle aussi, peut-être...

Elle a peur maintenant.

Ah, Désastre. Il ne fallait plus recommencer.
C'est contagieux, la peur, quand on en parle. Il le voit bien maintenant. Ce sont des choses que l'on doit enfouir loin en soit. Alors il apprendrait à mieux la cacher, la phobie, pour que tout aille mieux.
A force d'être si bien cachée, elle finirait même par s'oublier. C'est comme ça que fonctionnent les grands, il en est certain.
Désastre prend des résolutions, à hauteur du nom qu'il traine.
Sa tête se baisse, ses yeux fixent le bout de ses pattes et ses griffes trop rouges. Ce n'est plus une couleur qu'il est content de porter.
Il y en avait trop, sur Bamboo, à la fin.

« Moi aussi. »

Douleur, dans le silence d'Alexandrine.

Il finit par relever les yeux vers elle. Piteux, un peu. Il la regarde et se demande s'il l'a un peu cassé, avec ce-qu'il-ne-devait-pas-dire.
Il allait se faire gronder, pour ça. Pepper n'aimait pas, lorsqu'il était désobéissant. Mais il savait maintenant pourquoi il fallait cacher les choses tristes, et il s'en souviendra.
Il se lève de sa position.

Il se souvient aussi de ça.

Il se met assis à côté d'elle, sa cuisse frôle son flanc. Il hésite et ne semble pas trop à l'aise, parce qu'il ne sait pas comment on fait.
Il l'a surtout regardé.
Ses pattes glissent sur le sol, il se couche à côté d'elle. Il tend le cou et il pose sa tête sur la sienne.

C'est maladroit et bancal.
C'est un câlin comme un autre.

Elle a frémit et il doit refréner le reflex de se déporter soudain sur le côté, pour créer la distance. Ce n'est rien. Juste la surprise, sans doute, de le voir amorcer chose si inhabituelle. Son acceptation vient, d'une immense aile de dragon, les beaux, qui vient couvrir son corps à la carrure moins développée que le sien.
Il sent contre son poil court, qui a perdu tout le duvet de l'enfance en même temps que l'innocence, la texture de son cuir, la chaleur qui s'en dégage et qui l'englobe.
Il se sent dans une bulle. Il se demande si c'est ce que ressent Pepper, lorsqu'Anette vient et l'englobe d'une façon aussi différente dans la mise en œuvre que semblable dans cette intention.

Il reste donc sous l'aile, Désastre. Là où il fait chaud, là où le temps passe et où le silence se fait.
Il est tendu, un peu, mais il s'y fait, car il voit à quel point il ne peut avoir mal, là-dessous.
Puis... Puis elle se redresse, la louve. Elle parle à nouveau.

« Mmh. »

Il ne sait pas quoi répondre d'autre, à ce compliment. Ou cette remarque, il ne fait pas trop la différence.
Au moins se lève-t-il lorsqu'elle l'incite à le faire, car il est plus aisée d'ainsi faire. De se remettre debout, de quitter l'aile et de laisser le froid de la salle au haut plafond se rappeler à lui. Il s'y ferait, c'était le temps de s'habituer à cette baisse de confort soudaine mais prévisible.
Il ne suit pas son éclat de vie, mais il ne se morfond pas plus dans les traumatismes et les mauvaises images. Il est d'accord sur certains points de son discours, au moins.

Ils doivent devenir plus grands et plus malins.
Il doivent grandir, et égaler leurs parents.
Peut-être même les surpasser.

Désastre hoche la tête, avec assurance. Il est certain de ça. Il sait que c'est le chemin à suivre, la voie à viser.
Et si elle force, lui lutte. C'est un combat personnel, eux contre eux-même. Ils avaient changés d'ennemis, empruntant celui de l'autre, se retournant finalement contre soi.

Elle lui demande l'avenir. D'autres apprentissages. Est-ce qu'il peut faire ça ? Il doit déjà lui dire certaines choses. La conversation se modèle et s'éloigne de la zone noire pour revenir à celle qui est grise, là, dans sa banalité.

« Peut-être que je regarderais Pepper s'entrainer seule, à la place. Pour ne pas tout oublier. Pour rester fort, parce qu'il faut que je le sois. Mais...
Oui. Je veux devenir panseur. Je suis un apprentissage depuis quelques mois. Avec Tawana.

Je veux protéger les blessés et soigner les plaies, là où être panseur ne suffit pas, mais où il faut aussi être un peu Épée. »

C'est la première fois qu'il l'évoque à voix haute.
Les maladies l'intéressaient moins, d'autres le faisaient mieux que lui. Il voulait se faire médecin militaire, Désastre. Se rendre sur le champ de bataille. Se battre pour défendre, repousser l'adversaire pour secourir. C'est pour ça, qu'il continuait à s'entrainer avec Pepper sans négliger son mentorat avec Tawana. Une double vie, qu'on aurait pu penser à l'opposé l'une de l'autre, mais qu'il comptait ainsi lié.
Il plisse les yeux.
Réfléchit, un peu, à quel savoir lui transmettre.

« Je peux t'apprendre à soigner tes plaies, celles qui ne sont pas graves. Pour durer plus longtemps en combat, pour rester la plus forte.
Et puis...
On pourra continuer à se battre. Un tout petit peu. Puis un tout petit peu plus à chaque fois. »

L'amorce d'une désensibilisation.

C'est vrai. Il pourrait tout faire.
Et enfin, il satisferait Pepper. Il la rendra fière, en occupant cette place qu'il estimait importance, ce rôle qui se marquait autant dans son corps que dans son esprit.
Il serait fort. Il serait intelligent. Du moins...
En soin.

Car il n'était pas parfait, Désastre.
Il y a des choses qu'il n'avait toujours pas acquis, et que peut-être il n'aurait jamais. Des choses qu'il avait du mal à comprendre, qu'il ne saisissait qu'en observant et analysant les visages, les tons et les positions des autres. Et ça l'induisait parfois en erreur. Et ça le perdait, lorsqu'il se retrouvait contre son grès dans une situation inédite, où il se devait d'évaluer tant bien que mal l'expression qui passait sur le visage de l'autre, et la réaction qu'il se devait d'avoir.
Et quand elle, Alexandrine, avait l’objectif d'être forte, d'être rapide, de savoir voler... Désastre entretenait l'espoir de devenir socialement adapté, un jour. De saisir toutes normes et tous indices sociales.
De ne plus être aussi maladroit.

C'est sans doute parce qu'il l'est, qu'il n'est pas capable de percevoir la petite boule pourrie dans son ventre à elle. S'il avait été plus empathique, s'il avait fait attention... Il l'aurait vu.
Mais si on ne lui dit pas, Désastre ne sait pas.
Alexandrine pouvait donc la cacher sans crainte qu'il ne la découvre. A la place il écoute ses paroles, lève le museau quand elle énonce Anette.

« Oui. Je ne sais pas comment se bat Anette, tu auras des choses à me montrer. »

Il n'avait jamais prit le temps de l'étudier en entrainement, trop occupé avec Pepper. Mieux encore aurait été un entrainement de Pepper contre Anette, pour étudier deux forces, l'une contre l'autre...
Puis elle voulut faire une activité, maintenant. Autres que celles qu'il avait proposé, et qu'il n'ose redire à nouveau. Elles ne doivent lui convenir, ces activités là, pour ne pas qu'elle les lui redemande.
Et lui, il ne veut pas faire la sieste, car la sieste vient après le repas. Il ne touche pas à sa routine, il l'aime telle qu'elle est. Rassurante.
Il propose quand même. Parce qu'il souhaite se pousser, Désastre, il ne veut pas rester comme ça. Faible. Incapable.

« On peut sortir dehors. Promener...un peu. »

Prendre l'air ferais du bien, il fait bon dehors.
Et avec elle, il l'affronterait, ce dehors. Il fait quelque pas, sa queue traine presque sur le sol et se balance doucement au rythme de ses pas.

Ils resteraient aux abords du grand castel, et il ne regarderait pas les montagnes.

Elle n'hésite pas, accepte, et l'extérieur les accueille presque. Il faut encore passer le couloir, et toutes les questions qui sortent de sa bouche, à Alexandrine. Désastre ne plaça pas l'oreille qui n'entendait pas vers elle.
Il l'avait déjà fait, parfois, avec elle, car il ne demandait le silence : il le trouvait seul.
Mais dans une promesse à lui-même, à elle aussi, il décida de ne plus le faire.
Parce qu'elle apportait de l'aide. Parce qu'il se reposait maintenant sur elle, et qu'il pouvait donc faire cet effort, comme elle en faisait un pour lui.
On revenait toujours à cette même notion.

Mais de toutes ces questions, il y a toutes celles qu'il ne s'est jamais posé. Comme ses préférences. Il ne s'est jamais attardé sur ça...Mais il pense trouver les réponses.
Ses yeux se plissent un peu, et sa voix monocorde se fait entendre.

« Mmh.
Le bleu. Comme le poil de Pepper et le ciel quand il fait beau.
La Moère aux lianes. Pour les entrainements et Serpent.
Celles du basilic, quand on le laisse trop monter. Car c'est la première plante apprise. »

A tout, ce n'était pas que question de préférence. C'était une réflexion. Des souvenirs, des affections, qui ressortaient pour chaque chose évoquée. Il n'avait même pas eu à hésiter, bien que le jaune aurait été bonne réponse aussi, bien que la rougelande l'était aussi.
Il ne doit pas laisser le doute s'immiscer, et ceci est sa réponse.

La louve continue, il y a toujours plus de questions.

« Tout ce qui se mange, à l'exception des reptiles. Parce qu'ils sont mieux en vie... Mais, si une seule... Les pommes. »

Pour celles que lui donnaient souvent Pepper, en les faisant sortir d'une oreille, puis de l'autre.
Il ne sait pas, ensuite, si il doit répondre aux dernières questions.

« Si je le dis, ou que tu les monstres, ça n'en sera plus, des planques.
Il y a la maison de Serpent, caché dans les murs. »

Il se sent toujours obligé de répondre, parce qu'elle est amie. Parce que finalement dire, ce n'est pas comme montrer. Elle ne saura pas où elle est, la maison de Serpent. Caché dans un mur, dans une faille devant laquelle il se couche parfois, bien au fond, au point qu'on entend l'eau des sous-terrains clapoter plus loin.
Il se dit qu'elle aura aussi d'autres questions, et il ne lui vient à l'idée de ne plus répondre pour qu'elle arrête.
Ça ne le dérange pas.

Il en pose une seule en retour.

« Qu'est-ce que tu fais, après nos entrainements ? Tu dors ? »

Il n'a jamais demandé, ce qui succédait à leur créneau.
La façon dont elle occupait ses journées, elle.

Elle rit à ses mots mais ce n'est pas une moquerie. Elle ne fait que lui dire l'erreur, celle de croire que ses journées constituaient à dormir et...et faire quelque chose, sans doute, oui, mais de ne pas savoir quoi. Parce qu'il avait beau les observer, tous, il ne pouvait trouver deux routines similaires.
Tout le monde avait la sienne.
Et même lorsqu'on vivait ensemble, on se quittait parfois pour ne plus exister pour l'autre, l'espace d'un instant.

Elle faisait beaucoup de choses, même la nuit. Quand lui dormait, ou marchait un instant dans les couloirs du castel, dans un tour identique qu'il reproduisait chaque soir. Elle, elle apprenait à voler. Et peut-être qu'à ce tour qu'il faisait, alors, il ajouterait une boucle jusqu'aux portes. Là où, peut-être...en regardant bien le ciel...il pourrait voir Prêtresse Sheina et Alexandrine voler entre les étoiles. Et peut-être qu'en les observant assez longtemps, il appendrait comment faire, lui aussi. Peut-être même qu'elles lui reviendraient, ses ailes.
Il aimerait les revoir.
Elle s'entourait ensuite de beaucoup de monde. De Holly avec qui elle chassait. Des histoires de Piclou. De grands et de petits, aussi. Elle avait cette aisance, pour se rapprocher des autres. Il la voyait toujours dans un groupe, elle en avait le caractère.
Lui préférait les compagnies particulières, d'un seul ami à la fois. De Narcisse, d'Atsuko ou d'Anita. De Pepper ou bien d'Anette. D'un loup, parfois, qui venait faire sa rencontre. Rare.
Il se demandait s'il connaîtrait Holly et Piclou, lui aussi.

Il hoche la tête, quand elle énonce Anette.

« Une activité avec chaque mère. »

C'est le seul commentaire qu'il formule, dans tout ce qu'elle lui aura apprit. Elle gagnerait l'égalité entre ses mères. Elle tirerait de l'une, de l'autre, et de la fille de Sheina et d'Anette elle deviendrait Alexandrine.
Mais il ne formule pas, tout ça. Il se contente de cinq mots, de la constatation au ton cafardeux.
Puis elle lui demande à le voir, Serpent, et Désastre s'arrête alors qu'à peine le soleil les touches.
Il se retourne vers elle, autant que sur le castel doit ils viennent de sortir.
Elle le convint aussi, pour les planques.
Il en faut peu pour Désastre.

« D'accord. »

Et déjà ils quittent l'extérieur pour revenir dans le château à même la pierre. Il ouvre la marche et ne cherche à cacher son chemin, car le cacher attirerait la curiosité qu'on éprouve pour le secret. Il y va sans crainte, il descend dans les boyaux. Il faut parfois sauter une roche, ce n'est pas très haut. Se glisser sous d'autres.
Entendre le bruit de l'eau, plus loin.
L'humidité qui gonfle un peu le poil et fait onduler le bout de ses cheveux.
Il bifurque enfin, dans un discret renfoncement parmi tant d'autre, d'une banalité qui lui sied à merveille. Il rentre avec elle, se place au centre de la pièce.

Claque contre son palais deux fois sa langue.

...

Un serpent sort d'une fissure dans le mur et s'approche en zigzaguant. Il est noir et blanc, c'est un bongarus candidus et il lui ressemble un peu, il trouve. Par leur teintes insaturés et leur silence, il pense.

« Voici Serpent. Il n'a pas de venin et il sait faire la roue. »

C'est lui qui lui a apprit, le soir. En échange, il le nourrit et il le soigne. Il en prend soin, oui...
Il l'avait trouvé dans la boue, malade et abimé, Serpent. Rejeté par les siens pour ce venin qu'il n'avait pas, et qui ne laissait dans le corps que deux petits trous et puis rien d'autre. Il n'était pas dangereux, au mieux ne pouvait faire qu'un peu peur.
Et parce qu'il savait qu'Alexandrine lui demanderait, il traça discrètement un cercle d'une patte levée.
Serpent se mordit la queue et se redressa d'un mouvement vif de son corps, pour former sa roue. D'un même spasme, il insuffla le mouvement et se mit à rouleau, comme l'aurait fait un cerceau à qui l'on aurait donné de l'énergie.
Il fait le tour d'eux, jusqu'à ce que sa vitesse s'arrête.
Défait sa roue... Et lève sa tête vers eux, détaillant l'inconnue.

« ...il sait aussi faire la danse des serpents. »

Et Serpent se redresse, comme le font les serpents charmés. Il bouge de gauche à droite, ondule son corps.
Il sait qu'il est beau, Serpent.
Et qu'il charmera la petite louve, comme il charma son petit maître.

Désastre n'avait songé, aux passages correctes pour lui mais si étroit pour elle. Parce qu'il n'avait sa structure. Elle était dragon, il était serpent. De conception pensée pour ne pas révéler de faille, dans une quête de la performance pensée dès sa naissance. Il se hissait sur des pattes hautes sans trop l'être, solides. Un corps svelte, qui ne pesait sur ses articulations, ne l'exposait aux problèmes des ossatures lourdes et lui permettait force et souplesse.
De cela, il en restait peu impressionnant. C'était ce qu'il lui manquait, lorsqu'elle pouvait poser son autorité seulement en déployant ses deux ailes pour se rendre plus grande encore.

Une autorité qu'il ne lui semblait avoir jamais vu prendre, en dehors de leurs entrainements, lorsqu'il la croisait au détour d'un couloir.

Ses yeux la détaillent davantage. Elle, dont l'attitude et la voix qui cri tranchaient tant avec son corps. Elle portait la joie et le rire, dans sa voix qui éclate et s'enthousiasme.
Ça avait...
Ça avait quelque chose de bon, ce genre de moment.

« C'est lui, qui a trouvé tout seul... Il me l'a montré, avant que je le nourrisse. Depuis en lui présentant sa nourriture d'une certaine façon, il fait d'autres mouvements. A force de les faire il les retient et les refait.. »

C'était maladroit, comme méthode d'apprentissage, et Serpent était de bonne foi. Un peu comme lui, à vouloir satisfaire. Ils se ressemblaient, plus que dans leurs couleurs similaires.
Les questions viennent ensuite, il y réfléchit.

« Il mange des souris, des moineaux...une seule fois par semaine. Mais tu peux lui donner à boire, et revenir lui donner à manger dans 3lever de soleils. »

Il le marque sur les murs, une coche pour un jour jusqu'à arriver à sept, pour ne pas oublier. Puis il recommence, en dessous. La grotte serait à la fin de la vie de Serpent gravé de toutes ses fines traces de griffes qui marquent la roche, de façon plus ou moins ancienne.
Désastre a cependant tiquer sur quelque chose. Un gros poulet qui fut capable d'aveugler Holly, pourtant épée Etelkrus.

« Le gros poulet lui a piqué dans les yeux ? »

Il allait porter un regard nouveau sur les gros volatiles, maintenant, s'ils étaient capable de tels attaques.

Comme un enfant. Mmh. C'est vrai, dans le fond. Il ne s'était jamais fait cette réflexion, alors que ses yeux rouges observent ceux tout noirs de Serpent. Ils se ressemblent, ça il le sait. Mais il ne l'a jamais comparé à un enfant, parce que ça n'en est pas un. C'est un serpent.
Quand à s'il y avait du y passer des heures... Désastre plisse les yeux et réfléchis.

« Je n'ai jamais compté. Je crois que oui. »

Parce qu'il s'en occupait tout les jours, plusieurs fois. De multiples petits créneaux qui s'incrémentaient entre ceux plus longs. Serpent était une bulle de silence et de tranquillité dans un tumulte d'une journée d'entrainements et d'apprentissages. Il n'avait pas besoin de parler à Serpent, mimant de ses pattes des gestes, se mouvant en même temps que lui dans des danses qui n'étaient plus combat.
Il ne dira à personne que de meilleur ami il n'avait pas un loup, dans le désastre de ses relations avec les autres.
Serpent lui apportait une certaine forme de soutien, sans qu'il ne comprenne ni pose des mots sur l'affection qu'il possédait à son égard. Il savait qu'il y tenait, seulement, et que sans doute il aurait été peiné s'il venait à le perdre d'une façon non naturelle. Comme la foi où il avait craint, juste après la chute de Bamboo, l'avoir perdu lui aussi.
Il avait manqué de pleurer, ce jour-ci.

Et puis il lui était revenu, et il avait comprit que ça n'était que sa mue.

« D'accord. »

Ce d'accord vaut pour tout ce qu'elle vient de dire. Pour le fait qu'elle l'accompagne nourrir Serpent, pour le fait que Serpent et cette cache était à lui, pour le fait qu'elle n'en parle à personne.
Une réponse, et tout était accepté, sans nuance.

Maintenant il enroule sa longue queue de félin autour de ses pattes tenues en assis au carré, et il écoute la jeune louve lui compter une victoire. Il croit. Il était solennel, comme face aux combats des Épées.
Holly en était une, et même si elle n'était là, il lui devait ce même respect.
...
Même si l'histoire fait parfois tressaillir ses sourcils, ou fait vibrer la commissure de ses lèvres en un spasme. Il pense à un pélican, quand elle lui parle d'oiseau au gros bec. Un pélican qu'elle et Holly aurait nourri de force, avant qu'il ne s'étouffe et que l'Epée tente de le sauver.
...
Et que le pélican recrache dans son œil un fruit coincé.
...
Désastre est mitigé, mais il pense qu'Alexandrine ne ment pas. Aussi, à sa proposition de partir chasser de gros poulets, il préfère être prudent.
Donc si il veut y aller avec elle...

« Oui. Mais il faudra mettre des lunettes, alors. »

Le sérieux est implacable sur son visage.

Il ne le sait pas encore, Désastre. Que son manège de la discussion courte se verrait sous peu harassé de question et qu'il ne saurait pas vraiment quoi y répondre. Qu'il resterait sous doute muet, la gueule entrouverte et le regard las, dans une expression de surprise neutre.
Parce qu'il n'y avait jamais prêté attention, Désastre.
Parce que les mots lui venaient naturellement, et qu'il ne réfléchissait à la portée réelle de ceux-ci. Il les considérait suffisant, puisque réponse et non silence.
Sinon, il se serait simplement tu. Il ne parle jamais pour rien. Mais avant se pose la question des lunettes, qu'elle voit amusement lorsque lui la perçoit comme une utilité réelle plus qu'un accessoire de mode.

« Peut-être. Tant qu'elle protège suffisamment les yeux. »

Des groseilles que crachent avec violence les gros poulets.
Puis ensuite... Ensuite... Ensuite il vient, ce moment où le vide se lit sur son visage. Où il ne bouge plus.
Il bug un peu, Désastre.
Face à ces fameuses questions.

Etait-il d'accord avec tout ? Il ne pensait pas. Il donnait un avis, et celui-ci était souvent dans le sens de celui avec qui il parlait. Qui pouvait-il ? Tant qu'on ne contredisait Pepper, Anette, Tawana, tant qu'il ne focalisait pas sur un détail ou une incohérence, il n'avait souvent pas d'avis sur la question.
Aurait-il dû en avoir un ?
Est-ce que rien ne lui importait, comme elle lui demandait ?

Alors ? Te foutais-tu de tout ? Ou étais-tu d'accord avec tout ?
Désastre, le sais-tu toi même ?

« ... »

Il a laissé passé un délai raisonnable de réponse, il le sait, il a assez étudié les discussions des autres pour le savoir. Mais il ne sait toujours pas quoi répondre.

« ...Je montre les crocs, quand je suis en colère. Comme ça. »

Le regard reste neutre, il relève les babines sur ses crocs. Ils les dévoilent sans un grognement, dans une froide menace. Comme il l'a fait face au solitaire qui a marché sur la frontière. Comme il l'a fait face à la fille qui parle trop de la morte. Comme il le fait quand il veut son calme, quand il veut qu'on le laisse tranquille.
C'est comme ça qu'il s'énerve, Désastre.
Dans ce sourire d'attaque qui dévoile toutes ses dents.

« Mais je ne le suis pas souvent. En colère. Et pas souvent en désaccord, oui... Je pense que je n'ai pas eu de raison de l'être.
Mmh. »

Il n'est même pas sûr de ce qu'il lui avance. Et après ?
Le temps libre, Désastre. Tu as oublié de parlé du temps libre.

« Je m'occupe de Serpent, je dors et je mange. C'est ce qui occupe le temps libre après l'entrainement avec Pepper, après le tien, puis après celui de Tawana et celui de Narcisse, enfin après celui d'Atsuko. »

Entre observer les stratégies guerrières, s'entrainer avec une louve de son âge, apprendre à devenir panseur puis escalader toujours plus hauts, et enfin chasser avant que la lune ne le surprenne... il dort, il mange, il s'occupe de Serpent, oui. Ce n'est pas un mensonge.
C'est son quotidien.
Et maintenant, elle le connait.

« Pourquoi ? »

Pourquoi tu demandes ça, Alexandrine ?
Il a commit une erreur, dans les dialogues qu'il mène. Mais laquelle ? Il ne comprend pas, pourquoi elle se pose soudain ces questions ; il veut savoir pour ne plus avoir à formuler ses réponses à quelqu'un d'autre tant qu'il ne pourrait répondre sans ce blanc immense.