Growing is hard (when you're cursed) l P.V. Lei

Quelques jours, c'est si vite passé ! Quelques jours, ça permet d'atténuer les craintes les plus fortes, de les lisser dans le temps, de ramener le coeur à un rythme cardiaque cohérent. Mais quelques jours, ça peut être éreintant, aussi. Ca peut faire louper l'heure du lever, arriver en retard à l'entrainement avec Daisy pour le trouver à attendre patiemment, ça peut faire tomber Tita d'une course maladroite et lui faire vraiment mal, ça peut être ne plus réussir qu'un décollage sur dix au lieu d'un sur trois...

Bref, ça peut être passer des journées de merde, en permanence, être fatigué. Fatigué de n'arriver à rien, à la fois mentalement et physiquement. Parce que tomber, ça pique, les genoux, les épaules, les bleus sur tout le corps, plus que d'habitude. Parce que quand on ne réussit plus rien, dans la vie, on a juste envie de rester coucher et de s'arrêter là.

Alors aujourd'hui, elle est sage, Alexandrine. Parce qu'elle est fatiguée. Il n'est que midi, mais elle est déjà fatiguée de vivre, elle n'en peut plus, adossée à une pierre à observer passer les gens. Certains diraient qu'elle avait trop mangé, d'autres qu'elle était malade : en fait, elle était juste.

Très.

Très fatiguée.

Rien n'allait plus, depuis l'excursion à la plage.
Holly avait l'impression d'être redevenue une petite louve qui ne savait rien faire. Pas même se lever à la bonheur le matin, elle d'habitude si ponctuelle. Pas non plus marcher correctement, à en juger par l'une de ses pattes avant écorchée au niveau de l'articulation. Pour ce qui était de la chasse... On ne ferait aucun commentaire : Elle n'était,tout simplement, plus capable d'attraper la moindre proie, à part peut-être les lapins vraiment trop vieux, ou teubés, pour lui échapper.
Elle était si blasée.

La jeune louve rentrait de la chasse, ou plutôt de la tentative de chasse, du coup, lorsqu'elle vit Alexandrine adossée contre un rocher, toute calme. Oh bah. C'était bizarre, ça. Elle l'avait vue bien plus énergique, cette enfant. Était-elle malade ? Holly s'approcha d'elle, manquant de trébucher au passage sur un caillou, super, curieuse et... Oui, il fallait l'avouer : Un peu inquiète quand même.

- Bonjour Alex. Tu en a une petite mine, ça ne va pas ?

Boh alors ! Qu'elle dise tout à Holly, allez.

Elle tourna la tête en entendant les paroles d'Holly, juste pour la voir trébucher sur un cailloux. Bah bravo Holly, tu sais plus marcher. Qu'est-ce que c'est que cette histoire encore ! Mais Alex ne lui offrit qu'un gros soupir, le plus gros soupir du monde.

Hoooooollyyyyyyyyyy pourquoi-la-vie-c'est-de-la-meeeeeeeeeeeeeerde-

Son ton faisait très adolescent mais était surtout très révélateur de l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait.

Holly ouvrit la gueule, un peu surprise par ce qu'elle venait d'entendre.
Boh, pourquoi disait-elle ça, Alex ? Et pourquoi soupirait-elle comme ça ? Était-ce la crise d'adolescence qui pointait doucement le bout de son nez ? Elle était quand même un peu jeune pour ça... Non ? Visiblement pas.
N'ayant rien d'autre à faire, elle s'assit aux coté de la jeune louve.

- Allez, dis moi tout ce qui ne va pas.

Elle serait une oreille attentive, prête à écouter toutes ses petites aventures.

Elle ne se fit pas prier, Alex, pour se redresser un peu et déverser toute sa frustration à Holly.

J'arrive à RIEN. Quand je veux faire un truc ça RATE. Quand je veux voler, je tombe. TOUT LE TEMPS ! Même quand j'essaye de faire attention à tout ce que me dit MaSheina ! L'autre jour j'ai essayé d'attraper une souris elle est PARTIE CINQ FOIS ! J'ai jamais réussi à la rattraper ! Et l'autre jour encore, quand on jouait à cache-cache, j'ai TOUT perdu ! Tout le temps !

Elle tape le sol de ses pattes.

C'EST NUL ! J'en AI MARRE DE PERDRE ! Je suis pas aussi rapide que Tita ou Narcy, mais d'habitude j'arrive quand même à me cacher un peu...

Elle faisait la moue.

Eh ben, décidément plus rien n'allait !
Elle ne pouvait que comprendre l'agacement de sa jeune amie, vivant elle même en collocation avec l'échec depuis quelques jours. Il n'y avait rien de plus embêtant que de se retrouver incapable de faire les choses que l'on maîtrise, d'habitude.
Holly soupira, las.

- Je comprends que ce soit super chiant. J'ai a peu près le même problème en ce moment, si ça peut te consoler. J'arrive plus à attraper grand chose, je n'arrive pas à me réveiller à l'heure le matin, je n'arrête pas de me casser la figure, à croire que toutes les branches de Punk Wolf se soient décidées à se mettre sur mon chemin. J'espère que ça va vite nous passer, par ce que vraiment, y'a de quoi en avoir marre !

Elle, pourtant d'un tempérament calme voir imperturbable... Commençait presque à s'énerver après cette malchance qui s'accumulait. A en serrer les crocs et à en froncer les sourcils.

Alexandrine gémissait de plus belle en entendant son amie déclamer ses malheurs. Elle roula sur le dos, exposant son ventre au doux soleil de printemps - comme réagissant à un appel silencieux, un nuage se glissa entre son ventre et le fruit de son bien-être et Alex miaula.

Même le SOLEIL il est contre nous !

Elle frissonna et se redressa, boudeuse.

C'est comme si on était MAUDITES.

Elle agita ses pattes à la façon d'un vaudou vers Holly, en faisant des petits "ouh ouh" sur-joués.

Moooh, bichette ! Même le soleil refusait de la réchauffer ! Voilà qui n'allait pas améliorer son humeur !
Hollyock, elle, prit le parti de se coucher à même le sol. Puisqu'elles étaient visiblement bien parties pour papoter et échanger sur leurs petits malheurs du quotidien, autant se mettre un peu à l'aise. Elle couina de douleur et baissa les yeux vers ce qui l'avait piqué. Un piercing ! Quelqu'un avait perdu son piercing et elle s'était couchée dessus !
La femelle l'envoya rouler au loin d'un mouvement de la patte agacé.

- Je me demande si tu n'as pas raison, quelque part. Dans mon cas, ces malheurs arrivent depuis notre excursion à la plage.

A cette évocation, Holly sentit son estomac se nouer. Cette sortie à la plage était un si mauvais souvenir... D'abord, il y avait eu cette voix entendue, celle de son frère, qui l'avait profondément chamboulée. Puis, surtout, cette double crise de spasmophilie qui les avait saisies, Alex et elle, alors qu'elles ne faisaient que jouer.
Elle tourna la tête vers son amie, pleine de doutes.

- Mais qu'avons nous fait pour mériter de tels malheurs ? Nous n'avons rien fait de mal... Si ? Qui pourrait souhaiter nous punir ?

Alexandrine attrapa le petit piercing et l'observa à la lumière. Il était très banal, et pouvait appartenir à n'importe qui : c'était vraiment pas de bol... Elle le jeta au loin au maugréant. Aux questions que posa Holly, elle ouvrit la bouche un peu plus grand :

Tu crois vraiment aux malédictions ? C'est aussi un truc de Grand ?

Elle croyait que seuls les Petits avaient le droit de croire aux malédictions. Mais alors, si les malédictions existaient... Ca expliquerait beaucoup de trucs. Mais qui pouvait l'avoir lancé ? Alexandrine glissa une patte devant sa bouche, gloussant :

Il y a beaucoup de gens qui aimeraient me punir je crois. Mais toi ? Qui pourrait t'en vouloir, t'es parfaite !

C'est qu'elle faisait beaucoup de bêtises, Alex.

Holly roula sur le dos et se cogna contre le rocher où Alex s'était adossée, un peu plus tôt. Décidément.
Songeuse, elle posa son regard bleu clair sur les nuages, écoutant en même temps les paroles d'Alexandrine. Était-ce si étonnant qu'elle croit aux malédictions ? Visiblement, pour la jeune louve, oui.

- Nous avons bien des Dieux, des pouvoirs et des oiseaux inconnus qui sortent de nulle part... Alors pourquoi pas des malédictions ?

Peut-être qu'elle rêvait un peu trop, après. Elle n'était pas encore une Grande digne de ce nom, trainant derrière elle de longues années de vie et de nombreux ouvrages dévorés de la première à la dernière page.
L'enfance et les rêves qui y avaient été associés n'étaient pas si loin.
A côté d'elle, Alex gloussa.

- Oh, si tu savais Alex. J'en ai fait aussi des bêtises, en tant qu'enfant et en tant que Grande. Je doute qu'une force surnaturelle prenne la peine de punir ce genre de petites choses. A part, peut-être, en cas de mauvaises actions graves... Ce que tu n'as jamais fait, il me semble.

On imposait pas une crise de spasmophilie à une petite louve un peu trop malicieuse. On ne lui faisait pas non plus manquer tous les petits bonheurs de sa vie de jeune pour cette même raison. Non, cela devait être plus profond... Mais quoi ? Qu'est ce qui pouvait leur vouloir du mal, comme ça ?

Elle fronça le museau.

Non mais. Je veux dire. Tu crois qu'un Grand qu'on aurait embêté puisse nous jeter un sort, sans trop savoir ce que ça fait ? Mais quelqu'un du clan ne serait pas si méchant non ?

Elle fronça le museau et abandonna son regard au sol, alors qu'elle réfléchissait. C'est à ce moment que son visage se fendit en deux et qu'un sourire malicieux le para.

Toi, tu as fait beaucoup de bêtises ? J'y crois pas ! Raconte ! Déjà, ta PIRE bêtise !

Parce que parler malédictions, c'est important, mais raconter les pires bêtises ça c'est quand même vachement plus intéressant et rigolo !

Hollyock secoua la tête.

- Non, je ne pense pas. Je doute d'ailleurs qu'un tel pouvoir soit possible... Du moins, pas sur du si long terme. Les Dieux ont beau nous prêter de leur puissance, nous restons des êtres bridés.

Mais soit, Alex ne semblait plus vraiment vouloir discuter des malédictions pour le moment... Et préférait la questionner sur ses bêtises d'enfance ! Ah ! Elle le savait, qu'elle en avait trop dit ! La voilà obligée d'aller chercher, dans un coin de sa tête, les secrets les plus inavouables.

- Mhh... Un jour, ma mère nous avait ramené du gibier au goût vraiment trop bizarre, à mon frère et moi. C'était vraiment pas bon. Alors, quand elle a eu le dos tourné, je m'en suis discrètement débarrassé. Elle n'a jamais rien vu, mais j'ai eu faim toute la journée haha. Ce fut ma punition.

Elle réfléchit.

- Il y a aussi eu la fois ou nous avions eu la merveilleuse idée de nous teindre, avec mon frère. Va savoir pourquoi d'ailleurs. Nous avons donc emprunté des plantes teinturières aux panseurs... Et avons fini de presque blancs à bleus bizarres. Nous étions affreux. Mère n'était vraiment pas contente. Le pire, c'est que ça a mis du temps à partir, nous étions la risée des autres enfants !

En fait, faire des bêtises lui avait toujours plus nuit qu'autre chose... Raison pour laquelle elle en faisait bien moins, maintenant.

Elle avait les yeux ouverts grands comme des soucoupes pendant qu'elle écoutait les histoires de la louve bleue. C'était bizarre, de se dire qu'elle avait été un louveteau, elle qui était si responsable ! Et pourtant, elle n'était pas beaucoup plus âgée qu'elle, elle s'en rendait de plus en plus compte alors que leur différence de stature s'amenuisait de jours en jours. Les oreilles de la petite Alex se tournent de tous côtés alors qu'elle fronce les sourcils.

Tu as un frère ?

C'est d'un ton ébahi qu'elle accueille la nouvelle.

Holly... Je connais même pas ta famille, alors que tu connais toute la mienne !

C'est une sorte de reproche qu'elle assène délicatement sur les épaules d'Holly, tout en trouvant que les plus grosses bêtises qu'elle a faite sont bien gentilles - quoi que le coup de la teinture il faudra qu'elle le refasse à quelqu'un, mmh...

Forcément, Alex s'étonna de l'évocation de son frère.
Et puis il y eut cette remarque, cette sorte de petit reproche. Le regard d'Holly vint à nouveau accrocher les nuages. Cette fois, elle ne pourrait se défiler. Elle se devait de lui expliquer, même si ça faisait mal, d'annoncer ce genre de choses, même si elle n'avait pas envie de plomber l'ambiance.
Il fallait crever l'abcès une bonne fois pour toute. Elle avala sa salive. Sa gorge était déjà nouée.

- J'avais. Il est... Parti. Quand nous étions petit, un oiseau de proie l'a emmené loin de moi.

Voilà, c'était dit. Elle venait de balancer le pavé dans la marre. Quelque part, ça lui faisait du bien, aussi, d'en parler, de ne pas tout garder pour elle.
Elle avait aussi assez confiance en Alexandrine pour se livrer là dessus.

- Nous n'étions pas des enfants désirés, je crois bien. Notre mère était volage, elle fréquentait beaucoup de mâles différents. Notre présence l'ennuyait et elle nous négligeait.

Elle ne jugea pas de donner tous les détails, de préciser à quel point le comportement maternel avait parfois frôlé la maltraitance. Des journées qu'ils avaient passé seuls, dans la tanière, avec l'interdiction d'aller se plaindre auprès des nourrices par ce que leur mère préférait se pâmer devant les Épées et Boucliers. Des repas sautés par ce qu'elle n'avait pas le temps ou des vieux morceaux de viande à la limite du mangeable qui leur était donné par ce qu'elle n'avait pas été chasser.

- Enfin voilà. Suite à la mort de mon frère, nos relations, qui avaient toujours été cordiales à défaut d'être chaleureuses... Se sont terriblement dégradées. J'ai été en colère, tellement en colère. Je lui en ai voulu de ne pas avoir su nous protéger, de nous faire payer alors que nous n'avions rien fait. J'étais si furieuse que j'ai voulu la voir mourir, pour ne plus la voir.

Elle ferma les yeux.

- Et c'est ce qu'il s'est passé. Elle est tombée malade. Un soir, elle s'est endormie et ne s'est plus jamais réveillée. La colère a disparu et je me suis sentie vide. Ma plus grande chance, ça a été d'être née Etelkru. La meute a formidablement bien pris le relais. Je leur en suis tellement reconnaissante, si tu savais. C'est aussi pour ça que j'ai décidé de devenir Épée, je veux leur rendre la pareille.

Malgré ses paupières fermement closes, elle sentit des larmes gagner les coins de ses yeux.
Contre toute attente, un petit sourire vint soulever les coins de ses babines.

- J'aurais pu rester désespérément vide, pendant des années, je crois. Mais tu es arrivée, comme une tornade. Tu riais, tu sautais, tu criais et pour la première fois depuis des mois, j'ai ri, aussi. Alors, aujourd'hui, je me dis que j'ai beau avoir vécu des moments difficiles, j'ai beau traîner certaines choses derrière moi... Il me reste tout de même de belles choses à vivre et qu'un jour, ça ira mieux.

C'était important, de ne pas lâcher cette petite lueur d'espoir. Elle y croyait, elle, au fait d'aller mieux, de réussir à faire son deuil un jour. Même si ça devait prendre du temps, même si parfois elle devait s'effondrer, le soir, lorsqu'elle était seule.
Tout irait bien.

Oh la la. Elle s'attendait à beaucoup de choses, mais vraiment pas à ça. A peine les mots sortaient-ils de la bouche d'Holly que le poil de la louvette se hérissait sur son corps, et qu'elle lâchait avec empressement un franc :

Ohpardon Holly jeSavaisPas-

Elle s'interrompit d'un coup, gênée. Ca n'était pas du tout ce qu'elle voulait provoquer, et elle était coite de regrets. En écoutant avec attention les explications d'Holly, son poil se hérissait de plus en plus. Et elle finit par faire le rapprochement avec les réactions d'Holly, à la plage. La façon dont elle avait couru partout, en murmurant ce mot. Ce nom. Muguet. Rouge de confusion, Alexandrine en un réflexe naturel se cacha derrière ses grandes ailes de cuir qu'elle ramena à demi devant son museau. Oh la la... Comment était-ce possible d'avoir une enfance difficile, comme ça, en grandissant au Castel ? Personne ne s'était rendue compte du comportement de cette louve ? C'était tellement... Frustrant ?

Mais la savoir... Morte... N'apaisa en rien tout ce que ressentait Alexandrine. Et c'était un bon gros cocktail d'émotions contradictoires et inconnues. Trop d'informations ! Trop de choses différentes ! Elle ne savait plus quoi penser.

Elle rougit de nouveau violemment, mais pour d'autres raisons, lorsqu'Holly cita l'effet bénéfique qu'elle avait eu sur elle. Elle... Ne pensait pas que toute ses bêtises amusaient tant Holly. Elle avait bien sûr accepté le fait qu'elle l'aime bien, vu qu'elle voulait bien l'emmener partout (comme à la plage), mais pas à ce point. Et c'était assez déstabilisant, pour la petite.

Elle ne savait pas quoi répondre. Elle hésita :

C'était lui Muguet, n'est-ce pas ?

Elle s'en voulut de repartir sur le sujet, et balaya tout d'un coup d'elle lorsqu'elle dégagea ses épaules pour lui offrir un grand sourire :

Tu ne vivras plus JAMAIS ça Holly ! Plus jamais ! Je te le promets !

Même si, évidemment elle ne pourrait plus jamais vivre ça, c'était le seul réflexe qu'avait eu Alex pour lui montrer son soutien.

Alexandrine s'excusa et Holly tourna la tête vers elle, sans pour autant de relever.

- Ne t'excuse pas. Ce n'était pas quelque chose que j'aurais pu enterrer indéfiniment... Et puis ça m'a fait du bien d'en parler.

Vu le nombre de fois ou le sujet avait pu être frôlé, que ce soit pour cet instant de panique qui l'avait saisie à la plage ou, plus simplement, lorsqu'elle était prise d'un coup de blues... Il fallait bien que ça sorte. Au moins, maintenant, Alexandrine était au courant de tout cela, de son histoire. Même si elle s'en serait bien passé, probablement, vu son état actuel.
A la question posée par son amie, Holly hocha la tête.

- Oui. A la plage, j'ai cru entendre sa voix... Mais ça ne faisait pas de sens. Un loup d'un an ne peut avoir la voix toute fluette d'un petit enfant.

Les larmes ne coulaient plus, à cette évocation.
Oh, évidemment, elle sentait son coeur se serrer douloureusement dans sa poitrine, mais ce n'était plus aussi violent que ce déchaînement chaotique de sentiments négatifs qu'elle avait pu ressentir auparavant. Peut-être qu'Alex l'avait mise, malgré elle, sur la voie du Deuil.
Elle l'espérait.

Puis il y eut cette promesse et se sourire qui vinrent la faire sourire aussi. La femelle bleue bougea, roulant sur le ventre, venant contre Alex dans une accolade.

- Merci Alex. Je ferai tout pour que ni moi, ni d'autres n'aient à vivre ça.

Bon, pour elle c'était fini. Elle n'aurait pas d'autre mère ni d'autre frère. Mais les autres, ces petits autres encore innocents qui levaient vers le ciel un regard émerveillé, ces jeunes âmes sur qui, parfois, elle glissait un regard inquiet ou protecteur...
Elle se devait de veiller sur eux.

Elle se dressa sur ses quatre pattes et étendit ses ailes avant de trépigner. Elle piailla :

ON SERA COMME DES SUPER HEROS ! Défenseurs de la veuve et de l'orphemain !

Elle répondit à l'embrassade de la louve bleue et la couvrit de ses appendices de cuir, l'entourant délicatement de cette étreinte si particulière. Il faisait chaud, sous les ailes, et leur opalescence laissait filtre une chaude lumière en camaïeu de rouges, de verts et de bleus qui dansaient sur leurs pelages clairs. Elles étaient coupées du monde, juste elles deux dans cette promiscuité si agréable.

C'était comme se cacher sous les draps entre soeurs un soir de plein été, pendant les grandes vacances, pour se raconter des histoires en rigolant et en faisant immanquablement trop de bruit, attirant les vivats des parents à l'étage qui parlaient sérieusement. Mais, eh, qui s'en fichait ! C'était le bon temps, celui des enfants, des éclats de rire et de l'innocence.

Alex colla son front à celui d'Holly.

Parfois, il se passe des trucs et on y peut rien. Et parfois, c'est plus fort que nous. Mais on sait jamais ce qu'on peut réussir à faire, alors il faut essayer et jamais abandonner !

Elle glissa sa tête dans son cou et étendit ses ailes pour étreindre son amie, libérant leurs visages pour les exposer de nouveau au soleil éclatant de fin de matinée.

Malgré les malédictions, malgré les petits cailloux dans les chaussures, la vie était belle non ?

Au piaillement d'Alexandrine, Hollyock ne peut s'empêcher de sourire.
Elle les imagine bien, toutes les deux avec Alex un peu plus vieille, une cape accrochée au cou et un masque sur les yeux. Des super héroïnes de temps modernes qui veilleraient sur le peuple Etelkru pour venir en aide aux plus vulnérables. Cape et masque en moins, ça arriverait peut-être un jour. Car elles semblent avoir cette même volonté de protéger les autres.
Au moins, elles seront sûrement amenées à veiller sur les terres.

- Ça ne fait aucun doute !

Elle ne relève pas l'erreur de prononciation d'Alex. Par ce que ça ne sert à rien, à ses yeux, et qu'elle n'a pas envie de briser cet instant de complicité. Là, sous les ailes de son amie, il fait bon et les couleurs qui parent leur pelage sont belles. Holly n'a encore jamais vu ça. Le spectacle la subjugue et elle sait qu'elle pourrait rester des heures à regardes ces lumières danser.
Elle sourit, encore, quand Alex vint appuyer son front contre le sien.

- Tu as totalement raison Alex. Je pense que dans ces cas là, il faut se dire que l'on peut tout faire et ne jamais se mettre d'obstacles avant d'être sur le terrain. Que ce soit pour les épreuves de la vie ou... Les malédictions !

Holly pose son menton sur le crâne d'Alex.
C'est plutôt une belle journée, malgré tout ce qui peut leur arriver.

Si Alex avait été un chat, elle se serait mise à ronronner. Mais elle était une jeune louve heureuse d'être là, contre son amie, et seul un long soupir d'aise lui échappa alors qu'un frisson parcourait son corps et qu'elle se laissait complètement aller contre Holly.

Que c'était agréable, une étreinte avec un ami ! Tout ce dont on avait besoin dans la vie.

La petite louve eut du mal à s'en défaire, mais les derniers mots de la louve bleutée la faisaient tiquer.

Dis Holly, comment on chasse une malédiction ? Il faut demander aux dieux ? J'aime beaucoup Aka, mais je ne suis pas encore rouge, et il m'a dit de ne plus retourner le voir pour rien...

Et Dairo, elle pourrait les aider, peut-être ?

Mais doit-on toujours se reposer sur les dieux ainsi ? N'était-ce pas le message du dieu de la force, de se débrouiller par elle-même ? Mais comment on se débrouille seul pour contrer une malédiction ?

Y'a pas genre des... Fontaines d'eau magiques qui soignent ?

Un grand sourire pare ses babines :

Ou faut tuer un DRAGON !

Comment lever une malédiction ?
Elle hausse les épaules et ouvre des yeux ronds comme des soucoupes. Comment est-elle censée le savoir ? Alex, déjà, aligne les hypothèses. Elles ne peuvent effectivement pas se permettre de demander aux Dieux qui doivent bien se moquer de leurs petits soucis de mortels.

- Je doute que les Dieux soient vraiment ravis de nous voir pour ce genre de choses... Il va falloir chercher par nous même. Même si ça ne sera pas facile. Quand aux fontaines qui soignent mh... Je n'en ai jamais entendu parler, honnêtement.

Une ligne se dessine sur son front lorsqu'elle fronce les sourcils, en pleine réflexion. Elle ne reste cependant pas longtemps, son expression se mue en un rire lorsque Alexandrine lui propose d'aller tuer un dragon.

- Je doute qu'aller dénicher et tuer un dragon soit une bonne idée... Surtout vu notre malchance actuelle ! Non, on va trouver quelque chose. Ce sera moins héroïque mais plus efficace, je pense.

Une idée lui vient, à Holly.

- J'ai entendu dire que les Nakhus possèdent une grande bibliothèque. Peut-être que nous trouverons des pistes, là bas.

Ça ne l'enchante pas de quitter les terres Etelkrus, surtout avec Alex.
Mais elle ne sait pas si elles ont vraiment le choix.

Un sourire se forme sur son visage, s'allonge, part de sa truffe, glisse sous ses yeux et vient flirter avec ses oreilles. Des étoiles apparaissent, une à une, dans son regard alors qu'elle ouvre très légèrement la gueule et se met à brailler :

ON VA ALLER A LA BIBLIOTHEQUE, C'EST VRAI ?

Un frisson parcourut son dos. Son visage pouvait-il plus s'illuminer et exprimer la joie ? Elle en doutait.

C'EST TROP BIEN ! C'EST TROP UNE BONNE IDEE !

Et elle déchanta très vite.

Euh. Holly. Je sais pas lire moi !

Woaw ! Elle est enthousiaste, Alexandrine, à l'idée d'aller à la bibliothèque. Holly est un peu surprise, elle qui pensait plutôt la voir tirer la tronche à l'idée de se rendre dans un tel lieu. Comme quoi ! Bon, par contre il y a comme un petit soucis : son amie ne sait pas lire. Ça ne la surprend pas plus que cela, ceci dit, les jeunes Etelkrus passent généralement plus de temps à apprendre à son bagarrer plutôt que penché sur des bouquins.

- Je... Sais lire les lettres, un peu. J'espère que ça ira. Sinon on pourra peut-être demander aux Nakhus de nous aider en échange de je ne sais quoi. Ils doivent savoir, eux. De toutes manières on a pas vraiment le choix, je pense. Au pire on verra aux titres, on ramènera ce qu'on peut et les panseurs devraient pouvoir nous aider.

Ouais, bon, elles allaient devoir compter sur les autres. Et sur la chance, beaucoup sur la chance.
Holly soupire.

- C'est là que je regrette de ne pas savoir bien lire. C'est quand même hyper pratique dans ce genre de situation.

Elle se calma un peu le temps d'attendre la réponse d'Holly et sa mâchoire faillit se décoller. Holly ne savait pas bien lire ??? Comment était-ce possible ! Elle était méga responsable ! Et méga intelligente ! Et les gens là normalement ils savent lire. Alex, elle, plaidait complètement coupable : Piclou avait bien essayé de leur apprendre mais... Si Narcy et Tita savaient probablement lire à l'heure qu'il est, elle s'était appliquée à sécher chaque leçon avec application (sans oublier bien sûr d'arriver juste à la fin pour demander des histoires à son papi).

Haaaan je savais pas que tu savais pas lire.

Pas un reproche, mais un constat innocent du gamin étonné.

Elle lâcha un petit gasp.

ON PEUT DEMANDER AUX NAKHUS ? S'il te plaiiiiiit j'en connais ZERO j'ai envie d'en voir !!

De nouveau, ses yeux brillaient.

Alexandrine semble surprise lorsqu'elle apprend qu'elle ne sait pas lire... Holly hoche les épaules avec un petit sourire. On ne peut savoir tout faire, eh ! Plus sérieusement, le manque de considération de sa mère pour elle et son frère n'ont certainement pas aidé à leur culture générale. La louve bleue s'est donc contentée des points qui lui paraissaient les plus essentiels : Savoir chasser, se battre, être polie avec ses congénères pour se faire accepter... Et c'est tout.
La remarque de son amie sur les Nakhus la fait rire.

- Mais Alex ! Ce sont des loups comme nous, les Nakhus ! Ils ont rien d'exceptionnel je pense, à part des glowsticks violets ! Mais oui, on leur demandera si on en croise des sympas, on verra bien quand on y sera.

Elle hésite, quelques secondes puis fini par avouer.

- Bon, j'avoue que je ne connais pas grand chose non plus sur eux. Du coup j'espère vraiment qu'on aura l'occasion de discuter avec eux.

Holly et Alex au Zoo, bientot dans les salles.

Elle fronce les sourcils.

Ils sont p'têtre comme nous, mais c'est pas nous quand même. Du coup ils ont forcément des autres habitudes ! Ils chassent peut-être d'autres animaux ? Il paraît qu'ils se battent jamais ! Comment ils font alors pour défendre leurs terres ? J'ai trop de trucs à leur demander !

Elle tourna sur elle même, dérapant et tombant à la renverse pour ajouter un bleu à sa vaste collection.

Parfait. On part quand ? Demain ?

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