Cloportes l P.V. Lei

Alexandrine avait trouvé des cloportes dans un coin du Grand Castel et elle s'amusait à les attraper entre ses petites pattes pour les laisser glisser jusqu'à son coude. Alors, ça chatouillait trop et elle était obligée de les chasser d'un petit coup de griffe dans un rire incontrôlable. Un peu moins fort, peut-être, que celui dont elle avait l'habitude. Mais c'était un rire de réaction, pas un vrai rire - bien qu'elle pouvait tout à faire rire d'un vrai rire face à un cloporte sans réaction. Vous me suivez ?

Mais le fruit de ses observations s'enfuit une fois de plus au loin et cette fois elle n'eut pas le courage de courir après. Elle lui tira la langue, geste d'une futilité calculée, avant de s'étaler au sol, les ailes grandes ouvertes, occupant la moitié d'un grand boyau à elle toute seule.

Elle avait vu Alexandrine rentrer seule, blessée et choquée.
Le sang d'Holly n'avait alors fait qu'un tour et elle avait du se faire violence pour ne pas accourir près d'elle. Par ce qu'avant elle, il y avait la famille, autrement plus importante qu'elle. Une famille dont son amie avait besoin, à ce moment là. Alors, elle était restée loin, Holly, et l'avait regardée en restant discrète avant de disparaître, pour ne pas leur voler cet instant qui était leur.
Depuis ce jour, elle aussi souffrait.

Oh, bien sûr, sa douleur n'avait rien à voir avec celle qu'avait et que ressentait peut-être toujours la petite louve mais... Son cœur se trouvait pris dans un étau. Ca faisait mal. Elle se sentait partagée entre divers sentiments : D'abord, la colère, injustifiée et elle le savait, entre ce panseur qui avait emmené Alexandrine loin du Castel et qui n'avait pas su la protéger. Contre elle même, aussi, profondément endormie pendant que l'enfant se retrouvait en pleine détresse. Puis cette tristesse lorsque ses yeux bleus se posaient sur ces pansements de fortune, sur le corps de son amie.
Sa gorge se serra, lorsqu'elle la vit allongée là, les ailes étendues, à jouer avec des insectes.

Elle ne savait pas quoi lui dire, doutait d'ailleurs que revenir sur le sujet des lycaons soit une bonne idée... Alors elle s'avança et posa sa tête, tout doucement, sur le crâne de la jeune louve, s'allongeant face à elle pour ne pas toucher ses blessures. Parfois, les gestes étaient plus parlants que les mots. Holly ferma les yeux, les sentant la piquer un peu trop un son goût, signe annonciateur des larmes qui menaçaient dangereusement de couler et qu'elle retenait du mieux qu'elle pouvait.

Cette nuit, cette foutue nuit, elle aurait pu la perdre, Alex.

Alex ne réagit pas en voyant Holly entrer dans son champ de vision, pas plus lorsqu'elle se coucha en face d'elle pour... Lui écraser le visage de sa tête. Alexandrine rit et chassa les mèches bleues qui lui chatouillaient les joues de ses pattes.

Holly ça chatouille !

Elle n'avait pas eu l'occasion de revoir la louve bleutée ces derniers jours, trop occupée à... Beaucoup d'autres choses. Notamment passer du temps avec sa famille, et surtout à la Moere au milieu de la boue et des insectes. Elle avait pas mal réfléchi à tout ce qui s'était passé, mais n'avait pas vraiment réussi à en tirer des conclusions. Elle n'était même pas toute seule quand c'était arrivé. Ils avaient fait face à une malchance incroyable, avec énormément de dés critiques. La meute de lycaons n'aurait pas du se trouver là. Ils étaient simplement à la Rougelande, le temps était clair. Qui aurait pu prévoir ce qui allait arriver ?

La louvette finit par relever la tête, forçant le passage vers la liberté. Elle vit alors la mine abattue de son amie.

Bah... Ca va pas ?

Elle lui donna un petit coup de museau.

Alexandrine finit par relever la tête vers elle et relever son expression.

- Si, ça va !

Elle eut un petit rire, bien plus nerveux qu'autre chose. Des deux, elle semblait la plus atteinte. Pourtant, ce n'était pas Holly qui s'était retrouvée face à une meute de lycaons, en pleine nuit. Ce n'était pas elle qui portait encore sur sa peau les traces de leurs crocs et de leurs griffes.

- Tu sais... J'ai appris ce qu'il s'est passé, l'autre nuit, avec les lycaons. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie donc on en parlera pas plus que ça si tu n'en éprouve pas le besoin. Cependant, Alex, si jamais un jour tu as un coup de mou, que tu as besoin de parler ou je ne sais quoi... Tu sais bien que je suis là.

Là, vu comme ça, elle avait l'air d'aller bien, Alex. Mais qu'en était-il réellement ? Lui arrivait-il de faire des cauchemars, de songer avec la boule au ventre à cet accident ? Peut-être que oui, peut-être que non. Holly n'était pas dans sa tête et ne pouvait, par conséquent, pas être au courant de ce genre de choses.
Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était lui exprimer son soutien.

Elle écouta attentivement son amie et au fil de ses mots son expression s'assombrit très légèrement, et elle agita une oreille.

Oh, ça.

Son regard fuyant vint se ficher dans celui, opalescent, de la louve azurée. Elle sourit, et ça n'était pas trop forcé, mine de rien :

C'est gentil Holly. C'est adorable ! Je te promets que si besoin, je t'en parlerai ! J'en ai déjà beaucoup parlé avec Maman, qui m'a sauvée...

Elle rit doucement.

Tu l'aurais vu, en train de botter le cul aux lycaons !

Elle faisait super peur. Mais c'était MamAnette, et Alex espérait qu'un jour elle aussi elle pourrait faire peur comme ça à ceux qui lui cherchaient des bricoles. Toujours est-il qu'Alex, revenant à la réalité, vient se glisser contre Holly pour l'entourer de son aile comme elle aimait à le faire de ses proches.

Un jour, je pourrai leur botter le cul toute seule.

C'était une affirmation, prononcée à voix basse mais bourrée de conviction.

Peut-être qu'elle n'aurait du rien dire, finalement. Faire comme si rien ne s'était passé, comme si elle n'était pas au courant, puisque Alexandrine avait déjà eu l'occasion de discuter de cette nuit avec sa Maman. Ça aurait évité que son visage s'assombrisse.
Elle hocha la tête aux paroles de la jeune louve.

- Je m'en doute bien, oui, ce devait être impressionnant.

Personne n'avait envie de se retrouver face à l'Alpha Anette en colère. Pas même une meute de lycaon à l'instinct primaire. Ils avaient du vite décamper. Tant mieux, Holly n'osait imaginer ce qu'il se serait passé si... Si elle n'avait pas été là, à ce moment là. Elle ne serait peut-être pas là, sous cette aile de cuir, aujourd'hui.
Ne pense pas à ça, c'est fini.
Un petit sourire vint étirer les babines de la louve bleue.

- Ça ne fait aucun doute.

Ses paroles étaient on ne peut plus sincères. Elle croyait en les capacités d'Alex.

- Si tu veux, nous pourrons nous entraîner ensemble à combarre, quand tu seras totalement guérie.

La louvette rit doucement et ses oreilles se vrillèrent vers Holly lorsque cette dernière évoqua le fait de s'entrainer ensemble. Ses yeux pétillèrent :

Oh oui ! On pourrait faire tellement d'entrainements ! En se battant, mais aussi en posant des pièges ! Comme ça on pourrait travailler des stratégies et tout.

Elle n'oubliait pas la pierre, qui aurait pu oblitérer les lycaons, ou peut-être les faire fuir, si jamais elle avait réussi à la faire bouger. Et peut-être y avait-il eu d'autres occasions manquées, dans la bataille ? C'était ça, qu'elle voulait apprendre aussi. A se servir de sa tête, autant que de ses muscles. La force brute c'était quelque chose de très important, mais à quoi ça servait si c'était pour devenir comme la Grosse Bamboo ? Un tas de muscles capable d'aller attirer des ours pour s'y attaquer, et finir crevée au fond d'un précipice ?

Son coeur se serra. Quelle bêtise... Quelle tristesse !

L'enthousiasme d'Alex fit plaisir à Holly, à en accentuer son sourire.

- Tu as raison de ne pas tout miser sur la force physique. Le mental aussi, c'est important. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer sur un champ de bataille, j'imagine... Je pense que c'est même utile de connaitre certains gestes de soin.

Histoire de ne pas rester à pisser le sang sur le champ de bataille. Mais ça, elle ne le précisa pas.
C'était quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas vraiment et qui l'intéressait. Peut-être qu'un jour, elle irait embêter un panseur pour qu'il lui montre quelques trucs et astuces de pro. L'apprentissage n'était jamais vain, après tout.
Elle dodelina de la tête.

- Pour ce qui est des pièges, je pensais mettre ça en place prochainement. Je souhaitais aussi demander à Anita et Elvazio de m'aider...

Petit moment de suspens.

- Tu veux venir aussi ?

Elle n'allait quand même pas l'évincer alors qu'elle prenait sa sœur, cette pauvre gosse. Bon, d'accord, prendre Alex n'était clairement pas le meilleur choix stratégique et, si il n'y avait pas eu cette notion d'affect qui pesait si lourd dans la balance... Holly aurait probablement jeté son dévolu sur le jeune Désastre, qu'elle n'appréciait guère mais qui savait rester concentré.

Elle piaille, très heureuse à l'idée d'établir des stratégies avec son amie. Oh oui ! Ca va être tellement bien ! Elle gigote, incapable de rester en place. Et quand Holly lui parle de la pose des pièges... Tout éclate. Elle bondit et se redresse :

Han ! C'est trop génial ! Bien sûr ! Et je suis sûre que Tita et Elva seront d'accord ! Je pourrais le dire à Tita ?

Elle oubliait Narcy et Floyd dans la bataille, mais eh, on peut pas toujours tout faire après tout ! Elle était tellement contente qu'elle aurait pu s'en rouler par terre.

Eh bien, voilà qu'elle se retrouvait désormais en compagnie d'un petit kangourou tout bondissant.

- Oui, pas de problèmes, tu pourras en parler à ta sœur ! Tu me donneras sa réponse quand on se recroisera, si je ne la vois pas avant. Comme ça, je n'aurai plus qu'à demander à Elvazio.

Ce serait serait toujours ça de gagné, niveau temps. Après tout, Alexandrine avait bien plus de chances de croiser Anita et de pouvoir lui parler qu'elle... Qui ne la connaissait pas tant que ça.