Une étincelle | Eva

Son oreille guérissait, doucement mais sûrement.
Il y garderait probablement un petit trou, mais au moins, était passé à travers l'infection par il ne savait quel miracle, lui qui ne s'intéressait pas vraiment aux différentes méthodes de soin et avait donc eu un peu de mal à panser ses plaies. Certaines restaient encore un peu boursouflées mais, dans l'ensemble, ça allait. Il devrait se contenter de cela, de toutes manières.
Il souffla tout de même à la vue de son reflet dans une flaque.

- Quel gâchis. Un si beau visage.

Pourquoi fallait-il qu'il ai l'air si... fatigué ? Peut-être par ce qu'en ce moment, il ne savait même plus rester au même endroit, passant de lieu à lieu, tout en restant chez les Nakhus. Il dormait mal, aussi, faute de trouver un abri convenable où passer la nuit. Par peur, aussi, un peu, qu'elle ne le surprenne durant son sommeil, Eva. Oh, évidemment, il n'avait aucun doute de ses capacités au combat, puisqu'il l'avait défaite une fois... Mais que pourrait-il faire si elle décidait de plonger ses crocs dans sa nuque lorsqu'il dormait ? Rien du tout. Ce serait alors la fin de son règne, à lui qui n'avait même pas encore d'héritier.
Il ne pouvait pas mourir. Pas maintenant, pas sans avoir bâti sa lignée.

Mais en attendant, il devait d'abord se trouver de quoi manger. Son estomac savait se faire entendre, lorsqu'il était vide. Truffe au sol, il pista la trace d'un lapin, ou d'un écureuil, il ne savait pas trop et s'en fichait bien tant que l'animal était comestible.
C'est alors qu'il la vit, cette louve noire ailée.
Eva.

Comme toutes les nuits depuis ce jour, Eva rôdait. Elle était ombre parmi les ombres, son pas silencieux bien que chaotique effleurant les feuilles l'humus et la mousse de la forêt. Chaque nuit elle ne suivait aucun schéma précis, ses pérégrinations la portant tantôt à l'Est, tantôt à l'Ouest, l'intérêt étant qu'elle marchait, qu'elle allait et qu'elle ne restait pas à rien faire. Elle était seule avec ses pensées mais ses pensées s'échappaient remplacées par la vision des étoiles piquetant le ciel, l'odeur de la végétation qui l'entourait, la caresse du vent sur son poil, ses ailes.

Elle claudiquait en silence, s'arrêtant parfois pour lever le museau, capter une odeur, froncer les babines pour reprendre sa route.

Il était tard, et presque toute sa peur et sa haine avaient quitté son corps, la laissant dans une gangue apaisée et sereine. Bientôt, elle pourrait revenir au Dédale, emprunter ses méandres et aller coucher son corps fatigué contre celui de ses amis. Celui d'Ajani, peut-être. Celui de Via, avec les enfants. Sobieski n'était plus une option depuis qu'il séjournait à la bibliothèque - mais peut-être pouvait-elle se rendre à la bibliothèque, ce soir ? Ce serait l'occasion de lui rendre visite. Mais il devait déjà dormir depuis longtemps... A moins qu'il ne se soit perdu dans un bouquin, comme souvent ?

Elle se figea.

Son corps venait de capter l'odeur qu'elle espérait et n'espérait pas trouver chaque soir alors qu'elle traquait sans vraiment traquer ce loup qu'elle avait chassé du Sanctuaire. Elle tourna la tête au vent, pour apercevoir sa haute silhouette, figée elle aussi.

Elle montre les crocs, sans un bruit, alors que son poil bouffe et la fait presque doubler de volume, notamment au niveau de son col.

Mais elle ne dit rien.

Qu'allait-elle faire, Eva ?
Allait-elle, comme elle le lui avait promis à l'issu de leur combat, tenter de lui briser les os un à un ? Allait-il, lui, devoir répliquer. Elle semblait si fragile, avec son corps si fin et sa patte en l'air. Il suffirait d'un rien, d'un tout petit rien, pour la casser en mille morceaux. C'était triste, un peu.
Pourtant, elle sauvait les apparences, Eva, à lui grogner dessus comme ça. Comme si, lui, si puissant, allait-être pris d'un frisson en la voyant hostile. Comme si il pouvait avoir peur d'une petite pie blessée.
Il cilla puis s'assit à même le sol.

- Une patte contre une oreille, je pense que nous sommes quittes. Quel énorme gâchis.

Un soupir glissa entre ses crocs. Il était amer, Exxus, si amer de savoir son plan tombé à l'eau.
Elle, par contre, s'en tirait plutôt bien : Elle demeurait Nakhu et ses proches devaient la plaindre, pauvre petite puce blessée par le misérable Exxus, infâme squatteur qui leur avait planté ses crocs dans le dos. Il l'enviait. Il l'enviait tellement pour tous ces bons sentiments qu'on lui étalait dessus à longueur de journée, pour ce regard inquiet lorsqu'elle allait mal, pour ces plaies soigneusement pansées alors que les siennes restaient à vif.
Pourquoi personne n'était-il capable de lui offrir tout cela ? Comment avait-elle fait, pour devenir la Reine des Nakhus, Eva ?
Son sa peau, les muscles de ses pattes se tendirent.

- Je ne veux pas me battre. Le sang et les blessures, ce n'est pas très royal.

Quittes ? Et le voilà qui se plaint encore, du sang, des blessures. Il ne sait que gémir, se plaindre, se faire passer pour un pauvre être en détresse. Qu'elle le déteste. Qu'elle le hait ! Il n'est qu'un poids pour lui-même comme pour les autres, et ajoute à ça un caractère parfaitement exécrable. Qui voudrait le prendre en pitié ? Et qu'est-ce que cette pitié pourrait lui apporter ?

Comment pouvait-il ne pas comprendre, être aussi aveugle à ce qu'il était et à ce qu'il attirerait, immanquablement, toujours à lui ? Une fripouille ne sait s'entourer que de fripouilles et ce serait à celui qui réussirait à tirer le meilleur parti de l'autre. A moins qu'il ne trouve une nouvelle âme à sucer comme la sangsue qu'il était ? Les Nakhus n'étaient plus envisageables, à qui serait-ce le tour maintenant ?

Eva était toujours immobile, d'attitude menaçante.

Que fais tu encore sur ces terres. Va t'en.

Sa voix était basse, à peine audible dans l'air du soir. Chassée, d'une simple vision, la sérénité qui l'envahissait alors.

Les paroles de la louve l'agacèrent plus qu'autre chose. Mais cette fois ci, il n'éclata pas, n'eut qu'un mouvement nerveux de la queue. Il ne devait pas s'emporter, même si on lui donnait des ordres, même si on ne lui parlait pas bien. Elle ne comprenait juste pas, Eva, ce n'était pas de sa faute.
Il soupira, las et, malgré l'attitude menaçante de la louve, se rapprocha d'elle.

- Ne me parle pas comme ça.

Ne t'énerve pas, tu vaux mieux que ça. Ne t'abaisse plus jamais à la violence.
Son poil, qui s'était dressé sur son dos, retomba doucement. Là, c'était bien, il retrouvait son calme et sa contenance. La gestion de la frustration se faisaient plus facilement, depuis leur dernier combat, apparemment. Tant mieux. Ce n'était pourtant pas simple, pour lui, au contraire.
C'était compliqué, d'être un bon Roi. Elle ne se rendait pas compte, elle, qui lui en avait demandé, des efforts.

- Ce n'est pas si simple. Je ne sais pas où aller. Donc je reste ici. Ne le prend pas personnellement, mais je l'ai décidé, donc c'est comme ça. Personne ne me dit quoi faire.

Il plissa les yeux.
Dans sa voix, il n'y avait pas d'animosité.
Son regard se posa sur la patte brisée de la louve.

- C'est toi qui ne devrait pas être ici, loin des tiens. Tu devrais savoir, que tu n'es pas très forte, maintenant. Mais sois sans crainte, Eva, dans ma grande bonté, je consens à assurer ta protection. Par ce que je suis un bon Roi.

Elle écouta les paroles du loup violet en s'astreignant au calme. Inspira. Expira. Elle laissa l'air de la nuit laver ses poumons de toute la rancoeur qui s'y était logée. Ne soit pas bête, Eva. Ne soit pas bête deux fois, il est incapable de comprendre ce qu'on lui raconte il est bête à manger du foin. L'intimider ne servira à rien, il n'a pas peur de toi, ni de tes ailes, ni de tes crocs. Si tu ne souhaites pas l'attaquer, et tu ne le souhaites pas dans son état, ne rentre pas dans son jeu.

Ne rentre pas dans son jeu, Eva.

L'air de la nuit la sauve. Les étoiles au dessus de leurs têtes la sauve. Le bruissement du vent dans les feuilles la sauve. Tout ce qu'elle est venue chercher en sortant, cette nuit comme toutes les autres, la sauve. Ses nerfs se calment. Elle range ses crocs. Elle s'allonge sur le sol, prête à bondir, prête à s'échapper, sans aucune volonté de se rapprocher de ce loup dont, elle sait, elle sautera à la gorge s'il la provoque. Elle n'a jamais tant haï quelqu'un, Eva. Est-ce ça, que de craindre pour ses proches, et de vouloir protéger ? Est-ce cette violence, ce sang, cette agressivité qui vous prend aux tripes et vous donnes envie d'éliminer les menaces ? Elle les comprend alors. Ces Etelkrus qui attaquent les solitaires qui passent leur frontières, ces Etelkrus qui gardent jalousement leurs petits. Oh oui, elle les comprend.

Mais elle ne veut pas devenir comme eux.

Elle ne veut pas devenir assoiffée de sang à traquer et à chasser comme une âme en peine la moindre personne qui perturbe ses envies, ce en quoi elle croit. Elle souhaite voir ses proches en sécurité, mais elle ne souhaite pas plonger dans le gouffre noir du monstre vengeur. Alors, aujourd'hui, elle prend sur elle, et elle essaye de lui parler. De communiquer.

C'est difficile, et elle n'est pas aussi douce qu'elle le voudrait.

Le mérite-t-il, aussi ? Ce loup qui se prend pour un monarque ? Elle siffle, mais n'ose pas l'ironie, qui elle le sent lui glisserait dessus comme un camion sur une bretelle d'autoroute :

Ca n'est pas étonnant, que personne ne veuille de toi. Que personne ne souhaite ton aide, ni ne veuille te protéger. Que personne ne veuille d'un monarque égoïste qui ne pense qu'à son propre bonheur. Que personne n'apprécie quelqu'un qui n'apporte aux autres que l'attention vague de la convoitise et de la supériorité.

Sa voix se met à gronder, au fur et à mesure qu'elle parle. Elle l'exhorte au calme. Encore.

Je ne veux pas de ta protection, Exxus. Je préfèrerais crever d'un prédateur que de te devoir la vie. Voilà le respect que je te porte. Voilà le respect que tout le monde te portera si tu continues sur cette voie. Si tu veux être roi, si tu veux être respecté, ça n'est pas la route que tu dois prendre. Celle que tu suis ne te retrouvera que la gueule ouverte sur un talus, bouffé par les rapaces. Et ceux qui tomberont dans tes rets ne t'apporteront qu'une admiration aveugle propre aux imbéciles, qui lasseront vite tes yeux débiles.

Ses griffes retournent la terre, cherchent la présence de l'esprit de la forêt, des bois, des oiseaux. Il lui faut, chasser cette haine qui l'emplit. La chasser. Ne pas la laisser gagner encore de l'emprise sur elle. Non.

Elle répliqua.
Et les mots furent si violents qu'Exxus en resta bouche bée.
Pourquoi lui disait-elle... Tout cela ? Était-ce vraiment cette vision qu'elle avait de lui ? Celle que les autres avaient de lui ? Ne se leurrait-elle pas, sous le coup de la colère et, peut-être, de la peur ? Il y a les avertissements, aussi, elle le destinait à une mort horrible, peut-être tué par quelqu'un ? Mais pourquoi voudrait-on lui faire du mal ? Pour les raisons citées plus haut, évidemment.
Il cilla, perturbé.

- Eh, je n'ai pas des yeux débiles !

Non, il avait de magnifiques yeux vairons que beaucoup devaient d'ailleurs lui envier et...
Ce n'est pas cela dont elle te parle, Exxus, tu ne peux pas fuir le sujet principal pour entendre seulement les mots qui t'arrangent.
Elle venait de balayer pas mal de ses convictions, comme un chateau de cartes, le laissant démuni. Par ce qu'évidemment, il ne voulait être détesté, Exxus ! Au contraire ! Il souhaitait lire respect et admiration dans le regard de ses pairs. Qu'on compte sur lui, que les mots à son égard soient élogieux...
Pas... ça.

- Je comprend ce que tu veux dire, je crois. Et je ne veux pas mourir, pas maintenant. Ni être détesté.

Il fronça les sourcils et coucha les oreilles sur l'arrière de son crâne.
Il se sentait si vide, si perturbé, tout à coup. Dans sa poitrine, son cœur battait si ford, pas de colère, cette fois ci. Il était calme, Exxus, totalement calme.
Totalement désemparé, aussi.

- Qu'est ce qu'il faut faire, pour être aimé ?

Avec sa mère, il n'avait eu qu'à exister, pour être follement aimé. Tous ses caprices s'étaient vu exaucés et l'on avait cessé de lui répéter à quel point il était merveilleux. Mais ce n'était pas pareil, chez les autres gens. Personne, ou presque, ne venait spontanément lui faire un compliment. Personne ne répondait à ses caprices, au mieux, les gens s'énervaient.
Il était perdu.

Il l'aide beaucoup, Exxus, pour le coup. Il devient... Moins bête. Moins aveugle. Moins tout ce qui la met en colère. Il s'ouvre, un instant. Peut-être, alors, qu'elle ne l'insultera pas dans sa prochaine phrase. Peut-être, va-t-elle se détendre un peu, peut-être la nuit les étoiles et le vent vont-il lui apporter sérénité cette nuit, assez pour continuer cette conversation.

Elle ne doit pas le brusquer, elle ne doit pas l'agresser, elle ne doit pas se moquer elle ne doit pas le réduire. La moindre de ces actions risquerait de faire remonter cette gangue de bêtise qui l'entourait jusque là. De l'engluer de nouveau dans toute cette... Crasse dont il émanait. Eva attendit un instant avant de répondre, choisissant ses mots avec soin :

L'amour, ou l'amitié, ne s'impose pas. Il se gagne, et il se mérite. Il ne se construit pas sur le mensonge ou sur les promesses que l'on ne peut tenir. Il se construit de grandes actions et de petites attentions.

Aurait-elle deviné avoir un jour ce genre de discussions avec Exxus ? Surtout après tout ce qu'il s'était passé ? Elle avait l'impression d'avancer sur des oeufs, sans savoir à quel instant il allait éclater et se remettre à l'injurier, à la rabaisser. Où elle aurait de nouveau envie de lui massacrer la tête.

Personne n'aime quelqu'un qui ne se soucie pas de lui. De sa santé. De son humeur. Personne n'apprécie quelqu'un qui le laisse tomber, qui ne le soutient pas quand il en a besoin.

Elle hésite, et pousse son étude, incertaine quand au résultat.

Le plus simple pour être aimé, est d'aimer. De donner. De voir. De comprendre. Ca ne garantit rien, puisque rien ne pourra jamais obliger quelqu'un à t'aimer, mais ça aide beaucoup. Tu pourras obtenir la crainte, par la force et la contrition, mais jamais l'amour.

La louve hésita un instant avant de lui répondre.
Il ne manifesta cependant aucune impatience, par ce qu'il était curieux d'entendre ce qu'elle allait lui répondre. Ses oreilles étaient pointées vers elle. Eva possédait toute son attention. Ah ! Les grandes actions, il connaissait bien ça, lui, il était tellement génial après tout ! Par contre, les petites attentions... Que voulait-elle dire par là ? Il y avait beaucoup de choses à retenir, beaucoup de choses à faire pour être aimé.
Beaucoup de choses qui ne lui venaient, à lui, pas spontanément. Ne pourrait-il jamais être admiré, alors ? Inspirerait-il un jour autre chose que la crainte ?
Si il n'était pas Exxus, le grand Roi Exxus, il se serait senti bête.

- Je ne pensais pas que c'était aussi... Compliqué.

Il hésita, réfléchit et se hasarda à poser une question à la louve.

- Toi, tu arrives à les faire spontanément, toutes ces choses là ? Ou tu te forces, un peu, pour être aimée ?

Il fronça les sourcils, soucieux.

- Je ne veux pas être méchant avec les autres, ni leur nuire mais... Je sais pas, je me sens tellement supérieur, par rapport aux autres. Je sais bien que ça agace les gens et qu'ils finissent par s'énerver mais c'est comme si c'était écrit en moi, tu vois ? J'ai jamais su pourquoi, mais il y a quelque chose dans ma tête qui ne cesse de me répéter que je suis le meilleur. Du coup, quand on me rabaisse... Ça touche à ça, et ça m'énerve ! Par ce que je me dis que les gens me comprennent pas. Et je comprend pas pourquoi ma tête me dit quelque chose et les gens me tiennent un tout autre discours.

Il se mordit un peu la langue.

- Mais en même temps... Je suis seul, j'ai plus personne. Alors tu dois avoir raison. Comment discerner le vrai du faux ?

Ça faisait beaucoup de questions.

Il est sérieux. Il écoute. Il ne comprend pas tout, mais il est patient. Elle ne s'attendait pas à ça. Pas du tout. Alors elle se rapproche, parce que ça n'est pas pratique de parler d'aussi loin, elle claudique jusqu'à une distance très raisonnable de lui (impossible qu'il ne l'attrape, non non, ni même qu'il ne la touche, c'est interdit). Elle soupire.

Il y a des principes assez simples, avant d'aborder les histoires de notion et d'amitié. Il y a les notions de respect. Comme ne pas faire subir aux autres ce que tu n'aimerais subir. C'est simple, tu vois ? Pose toi juste la question. Est-ce que tu aimerais que l'on te dise telle ou telle chose ? Les autres sont simplement comme toi, Exxus. Il y a des choses qui les énervent. Et les faire se sentir mal, et inférieurs à toi, en fait partie.

Elle patine.

J'arrive à comprendre comment aimer et être aimée, parce que j'ai été élevée comme ça. J'ai eu des parents aimants, des frères et soeurs, des cousins avec qui partager. Je ne le force pas. Je ne me force pas à t'aimer, je ne t'aime pas parce que tu ne m'apportes que du mal. Tu as menacé mes enfants, Exxus. Je ne peux pas t'aimer. Ca ne veut pas dire que je ne respecte pas le fait que tu existes, que tu sois une personne, et que tu aies le droit d'exister. Même si je ne t'accordais pas même ça il y a quelques jours. Mais c'était une erreur. Tout le monde a droit au respect en tant qu'être vivant. Même la personne la plus haïe.

Le partage. Cette notion, qu'il ne peut même pas envisager. Pouvait-elle simplement lui dire qu'il était comme les autres, qu'il n'était pas au dessus ? Mais ce serait simplement aller contre sa tête, si sa tête le lui disait, et elle le perdrait alors. Ce fil ténu qui, en cet instant, la liait à lui. Lui faisait comprendre, peut-être un peu, ce qu'il était, ce qu'il vivait.

Les gens sont compliqués. Et rien ne permet de discerner le vrai du faux, il n'y a pas de formule magiques, de mot magiques : tout le monde est différent. Mais la meilleure façon de savoir si tu vas faire quelque chose qui fait du mal à quelqu'un, c'est d'essayer de t'imaginer à sa place.

Elle plisse le museau.

On peut essayer, si tu veux. Tu me dis des phrases, et je te dis si j'apprécie ou pas, et pourquoi. Peux-être cela t'aidera-t-il à comprendre.

Lorsqu'elle s'approcha, Exxus ne bougea pas. Il n'était pas question de la toucher ni de l'attraper, non non ! Là, il était tranquille et concentré, assis à même le sol avec sa longue queue enroulée autour de ses pattes arrières. C'était intéressant, ce qu'elle lui disait là, et toujours un peu compliqué... Ne pas dire aux autres ce qu'il n'aimerait pas ce qu'on lui dise à lui, d'accord. L'idée fit doucement son chemin dans sa petite tête, quand bien même l'exercice serait... difficile.
Par contre, pour le fait que certaines personnes pouvaient se sentir inférieures à lui... Ben, c'était le cas, en fait. Il demeurait le grand et l'unique Roi Exxus. Mais ça, quelque chose lui disait qu'il ne devait pas le dire, que ça agacerait Eva. Alors il se tut, se montrant bon élève, pour une fois.

- Je ne ferai pas de mal à tes enfants, Eva.

C'était juste une petite précision, comme ça, sur une phrase de la louve qui l'avait fait tiquer. Aurait-elle une meilleure image de lui, maintenant ? C'était ce qu'elle voulait, non ? Qu'on lui dise des choses rassurantes, des choses agréables à entendre. Qui reflétaient sa propre volonté, en plus, la colère était passée et Exxus se refusait désormais à s'en prendre gratuitement à des êtres aussi faibles et fragiles que des enfants.
Ça n'en valait pas la peine, il valait mieux que cela. Pire, cela mettrait la louve ailée en colère et il aurait mal, encore.

Pourquoi l'aidait-elle, d'ailleurs, si elle ne l'aimait pas ?
Il était perdu.

Perdu, mais satisfait. Pour une fois, on ne se moquait pas de lui, il se sentait presque respecté, là. Pas comme il l'aurait voulu, hélas, avec toutes les petites attentions dignes du Roi qu'il était, mais au moins, elle ne riait plus à chacune de ses paroles et ne le rabaissait plus.

- D'accord. Attends, je réfléchis.

Oui, c'est ça, réfléchit Exxus et fait le bien.

- Si je t'accorde une faveur par ce que je suis un bon Roi, tu aimes ou tu aimes pas ? N'importe quel truc, genre... Je sais pas, assurer ta protection comme je l'ai proposé tout à l'heure. Nan, attends, ça je sais que tu aimes pas. Mais pourquoi tu aimes pas ? Enfin, surtout, si il n'y avait pas eu ce passif entre nous, tu n'aimerais pas quand même ?

Il pencha la tête sur le côté, intrigué.

Elle fronça le museau alors qu'il essayait de la rassurer. Elle montra légèrement les crocs mais ne gronda pas. Il ne le méritait pas. Elle fronça les sourcils, aussi, avant de soupirer pour lui expliquer, d'un ton dur sans qu'il ne soit agressif.

Tu n'as plus ma confiance, Exxus. Tu l'avais, au début. Je t'ai laissé surveiller mes enfants, alors que tu venais d'arriver au Dédale. Que personne ne te connaissais. Je t'ai laissé la chair de ma chair. Maintenant que tu l'as perdue, cette confiance, il va falloir la regagner si tu veux que j'apporte le moindre crédit, un jour, à tes paroles.

Et ça ne serait pas une mince affaire, non, sûrement pas après voir essayé de lui arracher une patte. Mais s'il était patient, s'il faisait des efforts peut-être qu'il y aurait quelque chose à sauver - il y avait toujours quelque chose à sauver dans quelqu'un qui savait écouter. Elle ne savait pas si elle avait envie d'y mettre le temps, ceci dit. Cette discussion serait peut-être l'ultime adieu, pour ce qu'elle en savait.

Elle réfléchit à sa première question. Ca n'était pas simple, non, car c'était subtil, tellement subtil ! Comment lui faire comprendre ? Elle pinça des lèvres.

Lorsque tu me proposes ta protection, tu me dévalorises. Tu impliques dans tes paroles que je suis faible. Je ne partirai pas dans le débat de si je le suis ou pas, là n'est pas la question. Même une personne faible n'aime pas le voir pointé du doigt, ou se sentir dévalorisé. Quand à une personne forte, elle va se retrouver vexée, et va probablement vouloir te prouver que tu as tort.

Elle plissa le museau et ajouta :

Sans parler du ton et de la manière, qui sont fortement désagréables pour les mêmes raisons. Te qualifier de roi, déjà, a de quoi hérisser le poil, et du devrais faire plus attention à te présenter comme tel. Même en dehors du contexte qui nous lie et nous oppose, je préfèrerais crever plutôt que d'avoir un roi. J'ai un oracle, que j'ai choisi en acceptant de rester. S'il m'avait été imposé sans me convenir, je serais partie.

Elle s'adoucit et lui sert même un rire rauque.

Mais certains sont moins exigeants que moi.

Oh, elle lui montrait les dents, visiblement mécontente de ses paroles.
Il ne comprenait pas trop, lui, pourtant ce n'était pas désagréable, de lui dire qu'il ne ferait pas de mal à ses enfants... Si ? Était-ce le fait de le lui rappeler, qui la mettait dans cet état là ? Non, c'était encore autre chose, une histoire de confiance qu'il n'avait plus, maintenant. Exxus fronça les sourcils, un peu mécontent, mais ne dit rien. Peut-être qu'il pourrait la regagner un jour, cette confiance.
Il le fallait, il la méritait. Il était si génial, après tout !

Allez, il fallait qu'il se concentre de nouveau, elle lui expliquait de nouvelles notions. Lorsqu'il lui offrait protection, Eva se sentait donc rabaissée. Mais elle était faible ! Mais il n'était pas élégant de le lui rappeler.
Elle ne voulait pas de roi, non plus. Sa dernière remarque, par contre, fit se redresser Exxus.

- Qui ?

Il cilla.

- Ok, je vais essayer de faire attention à pas me présenter systématiquement comme Roi Exxus pour pas froisser les gens, ni à leur offrir ma protection pour pas qu'il se sentent faibles. Il va juste falloir que je retienne tout ça. Mais j'y arriverai.

... Par ce qu'il était le meilleur !
Il n'était, finalement, pas question de seulement essayer : Il allait le faire et prouver à Eva à quel point il pouvait être le loup le plus gentil de toutes les terres de Punk Wolf. Un jour, elle serait bien forcée de le reconnaître et lui redonnerait peut-être sa confiance.
Ça lui paraissait être un bon programme. Il sourit et remua la queue, content.

- Tu n'es pas méchante, en fait. Non, tu es même gentille.

Wow, un compliment d'Exxus, il va neiger !

Elle l'écoutait avec une attention effarée. Qu'il était... Hors de ses limites. Quand parfois elle pensait réussir à mettre la patte sur une partie de lui qu'elle comprenait, sur laquelle elle pouvait calquer une attitude, des émotions, des ressentis, il faisait une embardée et s'échapper loin, bien au delà de sa portée. Elle ne pouvait que le regarder avec des grands yeux un peu perdus. Un peu comme devant un gosse qui se met subitement à bouffer de la lessive, et qu'on est trop estomaqué pour arrêter à temps.

Sa dernière phrase n'étant pas ciblé sur des personnes spécifiques elle exerce un geste vague de la patte.

Je ne saurais les citer. Mais je serais toi je ne compterais pas là dessus.

Elle plissa la commissure de ses lèvres et soupira.

Tu devrais essayer d'observer et de comprendre, avant de te heurter aux autres. Et pas simplement les voir comme tu aimerais qu'ils soient.

Et à sa dernière remarque sa bouche se tord davantage :

Cela ne dépend que de toi, Exxus.

Son oeil acéré le fixait, sans animosité cependant. Avec une pointe... D'amusement, peut-être ? Ou d'acidité. Ou les deux.

Quoi ? Qu'avait-il dit pour qu'elle le regarde comme cela, effaré ? Y avait-il une grosse bestiole dangereuse derrière lui ? Exxus se retourna rapidement pour s'en assurer. Mais non, il n'y avait rien, alors pourquoi ? Il haussa un sourcil, un peu sceptique, et écouta ce qu'elle avait à lui dire de plus.
Oh mince, elle n'avait pas d'exemples de gens qui pourraient être ses sujets, Eva, quel dommage ! Il ne fallait même pas compter dessus, selon elle. Comment allait-il faire, alors, pour montrer à tous sa supériorité ? La gentillesse l'aiderait-elle ? Au moins, Eva, elle, ne le regardait plus avec ce regard plein de haine.
Curieusement, il était enthousiaste. Sa queue ne cessait de battre l'air et son regard pétillait.
Il lui en fallait peu.

- D'accord, je note ça aussi ! Grâce à tes conseils je vais réussir à devenir un bon R... une meilleure personne, tu vas voir !

Oups, il avait failli parler en tant que Roi... Eva n'aurait alors pas été contente et ils se seraient peut-être même engueulés, ou battus, de nouveau. Mais de ça, il n'en avait plus envie, non non ! Il fallait désormais que l'on ne parle de lui qu'en bien, qu'on relève sa gentillesse !
Déjà qu'il était merveilleux, Exxus, alors là, il allait carrément devenir plus que parfait !

- Puis ça peut nous éviter de nous battre, c'est bien aussi !

Il eut quelques secondes d'hésitation, durant lesquelles son expression se fit moins joyeuse, puis lâche quelques mots, à mi-voix, juste assez fort pour qu'Eva puise les entendre.

- Puis je suis désolé, pour ta patte. Et pour Cendres aussi. Et pour t'avoir insultée.

Il fronça les sourcils et se mordilla les babines.

Il était... Visiblement heureux. Un gamin. Un gamin dangereux, voilà ce qu'il était. Le genre de gamin qu'on ne pense qu'adopter un jour, puis qu'on observe jouer avec des cutters le lendemain. L'aviaire bicolore ne pouvait pas s'empêcher de le considérer d'un air mi-figue mi-raisin, attristée autant que rassurée par son attitude. Peut-être... Quelque chose de bon pourrait-il en sortir, un jour.

Elle n'eut pas le coeur de répondre à ses encouragements, elle avait déjà beaucoup donné ce soir là et sa bonne humeur n'était pas communicative, ou plutôt Eva n'y était pas du tout réceptive. Elle n'était pas prête à lui offrir autre chose que quelques paroles.

Mais lorsque que sa sincérité transparut dans son excuse, elle ne put simplement pas rester de marbre.

Refuser de lui tendre la patte en cet instant précis n'était que le pousser dans le gouffre infernal qui finirait par le consumer tout entier. Elle laisse passer un silence, parce qu'elle n'allait pas lui offrir sa réponse si facilement, mais enfin ses crocs se délient pour échapper quelques mots :

Merci. Les excuses ne suffisent pas à effacer les actes, mais elles sont le premier pas vers la reconstruction. Sans elles, rien n'est possible.

Etait-ce un espoir, qu'elle laissait présager ? Peut-être, mais son ton dur et froid n'était pas très encourageant.

La conversation lui semblait finie, elle se redressa, s'apprêtant à partir. Rentrer au Dédale. Retrouver les enfants. Ajani. Ou aller à la bibliothèque ? ... Mais elle avait envie de voir ses enfants, maintenant. La journée ne lui suffisait pas.

Mhh, ce n'était pas ce à quoi il s'était attendu, Exxus. Il devait bien l'avouer, il était déçu de la réaction de la louve... Mais c'était peut-être encore une face cachée complexe des relations entre loups ? Il ne savait pas trop. En tout cas, ça le faisait bien chier, qu'elle soit aussi dure et froide. Ça l'atteignait, dans son égo, sans qu'il ne sache vraiment pourquoi. Mais soit, il ne s'énerverait pas, il ne s'énerverait plus contre elle.
Il fronça les sourcils et soupira.

- D'accord.

On ne pouvait pas tout effacer en une journée, ce devait être ça, le problème.
Il releva les yeux vers Eva lorsque celle ci se redressa, visiblement prête à partir. Ça aussi, ça lui laissa un gout amer. A ses yeux, il se sentait comme la dernière des vermines, un nuisible que l'on repoussait du bout du pied, un... Moins que rien.
Il allait vriller, il le sentait. La colère grandissait et prenait de plus en plus de place, elle commençait à écraser tous ses autres bons sentiments.

- Bon, je vais te laisser y aller puisque tu sembles pressée.

Je ne veux pas m'énerver contre toi.

- Adieu, Eva. Prend soin de toi.

Je ne veux pas te faire mal.
Sans lui laisser le temps de répondre, il se détourna d'elle pour s'enfoncer dans la vallée. Il lui fallait quitter les terres Nakhus, désormais.
Il n'avait plus rien à faire ici.