Une madeleine et du thé ✩ Noé

Quel bonheur de retrouver la bibliothèque. Noé ne s'y était jamais senti aussi bien, surtout après leur excursion au manoir.
Au moins, ici, il faisait chaud et il était à peu prêt sûr de ne pas voir d'immonde araignée géante les surprendre. Pas non plus de poupées possédées, de miroir du rised ou autre conneries étranges... Seulement ses livres tant aimés. Des petits cœurs tournèrent un instant autour de sa tête avant qu'il ne les chasse d'un coup de patte.

Il suivit Bibi à travers la bibliothèque. Où comptait-il l'emmener, désormais ? Noé ne le savait pas, mais, ce qui était sûr, c'est que sa visite faisait plaisir à son camarade. Mhh, ça ne le surprenait pas, d'être le premier Etelkru à venir. C'est que les loups de sa meute n'étaient pas particulièrement réputé pour aimer se pencher tranquillement sur des livres... Nope, il n'y avait qu'à poser les yeux sur tout ce petit monde aux muscles saillants pour voir que leur truc, à eux, c'était plutôt la baston. Ou alors il se trompait et s'appuyait sur de bons vieux préjugés. Ce qui était fort possible, en fait. De toutes manières, il s'en moquait bien.

Ils arrivèrent dans un coin aménagé, meuble de coussins. Près du feu, se trouvait un œuf, celui de Bibi apparemment... Hein, quoi ? Lui aussi pondait ? Il avait entendu parler de ce genre de choses, courant dans la lignée de ses parents adoptifs mais n'aurait jamais pensé que pareille pratique puisse avoir lieu ailleurs. Comme quoi. Pourtant, Bibi n'avait rien d'un crocodile.
Il écouta l'autre loup avec attention. Tiens, ça l'intéressait bien, ce qu'il pouvait lui dire. Et il n'était donc pas le seul à confectionner des boulettes de plantes médicinales pour les situations périlleuses.

- Tiens, c'est intéressant ça. Je connais bien les plantes médicinales mais je suis vraiment pourri pour les cultiver. Tu t'en sors bien ?

Quant à fait de savoir si il pansait toute la journée...

- Ça dépend des jours. Quand il fait beau, les gosses ont tendance à plus sortir faire les fous et il y a, par conséquent, plus de petits bobos à soigner. Je pense que ça doit être pareil l'hiver avec les maladies. Sinon, quand j'ai du temps libre je prépare des remèdes d'avance pour mes patients... Ou je flâne à la bibliothèque.

Il souffla un peu.

- D'ailleurs, vous avez bien de la chance, vous, les Nakhus, d'avoir une bibliothèque. J'avoue que je suis un peu jaloux.

Ses pupilles deviennent étoiles d'admiration lorsque son congénère lui parle de leur jardin. Il semblait être un projet d'envergure, fruit du labeur de plusieurs loups. Woah, pourquoi ne possédaient-ils rien de ce genre chez les Etelkrus ? Pourquoi fallait-il qu'il se fatigue à aller trouver ce dont il avait besoin d'une terre à l'autre alors que tout pouvait-être réuni sur la même parcelle ?
A la remarque de Bibi sur son métier de panseur, qu'il avait cru penseur, Noé ne put empêcher un rire léger de glisser entre ses crocs.

- Oh oui, j'adorerais ! Merci beaucoup !

Il reviendrait dès qu'il en aurait l'occasion... C'est à dire le plus tôt possible. Ses pattes avaient, de toutes manières, à le ramener sans cesse sur les terres Nakhus.
Comme si cette vaste bibliothèque était, finalement, sa véritable maison.
A la remarque de Bibi, un petit point d'exclamation se dessine furtivement au dessus de sa tête.

- Oh non t'inquiètes pas ! Je rend toujours les livres empruntés quand je viens en prendre de nouveaux ! Je me permettrai pas de vider la bibliothèque ! Mais oui, si tu veux tu peux me faire une carte d'adhérent si ça te rassure !

Quand bien même il ne voyait pas en quoi cela protégerait la bibliothèque. A vrai dire, il voyait mal Bibi mécontent se ramener, un beau matin, chez les Etelkrus pour réclamer les livres non rendus. Il se ferait d'ailleurs défoncer avant par les gardes.
Cette pensée ne le fit même pas sourire. Ce n'était pas amusant, de l'imaginer mort ou en prison, non.
Sans transition, il changea de sujet.

- Tu as toujours été Nakhu ?

- Merci.

Les yeux de Noé se baissèrent sur la petite carte décorée d'une capucine.
C'était... Très joli, il se devait bien de l'avouer. Tout ce qui entourait Bibi semblait être fait de candeur et de délicatesse, à croire qu'il avait toujours vécu dans ce monde tout rose, tout doux, tout bienveillant. Que tout était simple.
Mais il n'en était rien.

Noé l'écouta parler avec grand intérêt.
Le début de leur histoire était assez similaire, finalement. Ils avaient tous les deux été abandonnés, tout petits. A sa différence, Bibi avait cependant une sœur et sa meute d'adoption était Lazuli. Il avait cependant, lui, fait le choix de partir lorsqu'il ne s'était plus senti en accord avec les valeurs de son clan. Aujourd'hui, il ne regrettait rien, pas même le fait d'avoir du laisser derrière lui son glowstick bleu.
Le panseur écarquilla les yeux, bluffé par la force de caractère dont avait fait preuve ce loup, d'apparence pourtant si douce, si innocente.
Lorsque la question lui fut retournée, Noé secoua la tête de gauche à droite.

- Non, enfin c'est compliqué. Je suis aussi un enfant trouvé... Mais par des Etelkrus, et j'étais tout seul. Puis plus tard, mes parents adoptifs ont eu des enfants : Sokaris et Horus, mon frère et ma soeur donc. Nous avons donc été élevés ensemble, ça se passait bien. Mes parents ont toujours été des crèmes, ma fratrie aussi.

Il grimaça.

- Tu vas rire pour la suite : Un jour, je me suis perdu et je n'ai pas su retrouver mon chemin. J'ai erré longtemps, des années, avant de retomber sur Punk Wolf. Ça doit faire quoi... Quelques mois ? Enfin bref, quand je suis revenu, je n'avais pas de glowstick. Alors je suis retourné chez les Etelkrus par ce que ça me paraissait normal et que j'avais très envie de recréer des liens avec Horus et Sokaris.

Il soupira.

- Le problème, c'est que je ne les voit pas tant que ça, finalement, Horus et Sokaris. Sokaris va avoir des bébés, bientôt, et on sait pas qui est le père. Je lui ai promis d'être là pour elle et pour ses enfants, et je le ferai ! Par ce que c'est normal et que j'aime vraiment beaucoup ma sœur. Mais d'un autre côté...

Il hésita un instant.

- Je ne me sens pas heureux, chez les Etelkrus. Je rêverais d'en partir mais je ne sais pas comment m'y prendre. Je verrai plus tard, je pense, quand les enfants de Sokaris seront grands et qu'elle n'aura plus besoin de moi. De toutes manières, elle est aussi souvent en vadrouille donc je sais que je la croiserai pas souvent. Quand à mon frère, il est souvent chez vous, aussi. Tu es très courageux d'avoir trouvé la force de partir.

Il n'avait pas tord, Bibi. Il avait même totalement raison.
Ses paroles faisaient doucement leur chemin en lui. Il le savait, qu'il ne pourrait pas passer sa vie en tant qu'Etelkrus. Par ce que ça reviendrait à rester avec ce sentiment amer, jusqu'à son dernier souffle. Il lui fallait trouver le courage, le même que Bibi avait su puiser pour quitter les Lazulis.
Noé eut un mince sourire, mais un sourire quand même.

- C'est vrai. C'est toi qui a raison. Il faut que je trouve le courage de partir sinon je sais que je le regretterai toute ma vie. Alors quand les enfants de ma sœur auront atteint leur première année, je partirai. Sauf si j'ai trouvé le bonheur chez les Etelkrus, d'ici là... Mais je doute.

La philosophie même de la meute ne lui convenait pas, alors à quoi bon ? Même en quittant son clan, il pourrait toujours croiser Sokaris, ses enfants et Horus... Non ? Il doutait aussi qu'on lui en veuille, à ce sujet. Ses proches, en tout cas. Les hautes instances grimaceraient peut-être un peu plus.
C'était surtout ça, qui l'effrayait, les remarques qu'il pourrait recevoir lorsqu'il annoncerait son départ.
Il eut un petit rire nerveux.

- De toutes manières, je passe tellement de temps ici que je doute que ce soit bien vu, sur le long terme. En fait, pour être honnête... J'espérais qu'on me vire des Etelkrus. Mais je pense que ça n'arrivera pas.

Son regard vint se poser dans celui de son interlocuteur.

- Merci, en tout cas, Bibi, de m'avoir écouté.