- Défi:
Cher Tarko, la vie est ennuyante par moment n'est-ce pas ? Sûrement pour cela que lorsque tu trouves d'étranges marquages sur une roche de la Vallée des murmures qui semble indiquer un trésor caché, tu fonces droit devant, histoire de t'occuper l'esprit. Mais prends garde, des fois les trésors ne sont pas ceux qu'on espère, parfois, les trésors ont déjà était pris et il ne reste que le doux souffle du vent en guise de récompense.
Tarko
— J’m’ennuie, j’m’ennuie, j’m’ennuie … Allongé dans l’herbe, à l’ombre d’un grand hêtre il roule sur lui même, un coup à droite, un coup à gauche. Ressassant en boucle cet état d’esprit qui ne le quitte pas. Il grommelle et souffle bruyamment par le nez. Lui qui est toujours hyperactif, à voyager, chasser, se battre et faire de nouvelle rencontre, ne trouve aujourd’hui, rien qui maintienne son attention plus de deux minutes. Un nouveau grognement de frustration et d’agacement s’échappe de sa gueule. Affalé par terre, tournée face à l’arbre, il appuie ses quatre pattes sur le tronc et commence à pousser. Sans grand étonnement, l’arbre ne bouge pas d’un centimètre. Mais le loup, lui, glisse dans l’herbe jusqu’à ce qu’il ne touche l’écorce que du bout des griffes. Le regard blasé, il replie ses pattes contre son corps et roule sur le dos. Soupirant pour la énième fois. Au dessus de sa tête, les feuilles vibrent sous le vent, produisant un son harmonieux et calme. L’air chaud ébouriffe sa fourrure.
Tarko est seul au milieu de cette plaine où l’herbe est bien plus verte et grasse que celle de la Plaie du monde. Bien plus confortable aussi, se dit-il. Logique que les Nakhus se soient installés ici. Il est coupé dans ses pensées quand un oiseau vient se poser sur la branche juste au dessus de lui. Apparemment trop occupé à nourrir ses poussins, le volatile n’a pas vu l’intrus qui se situe sous son nid. Le solitaire observe un moment la mésange qui multiplie les allez-retour, le bec plein de chenilles et de papillons. À chaque fois que l’adulte revient, de petites têtes apparaissent au bord du nid, leur bec grand ouvert. Ce manège incessant ne captive pas Tarko bien longtemps. Il se redresse, s’ébroue pour faire tomber l’herbe de son dos et quitte la fraîcheur de l’ombre en quête de quelque chose à faire.
Manger ? Umh, non, son dernier repas date de ce matin, il n’a pas faim.
Dormir ? Après tout ce temps à larver sur le sol, il n’a pas sommeil non plus.
Se rafraîchir dans le ruisseau qui serpente au cœur de la Vallée ?
Après une seconde de réflexion, il opte pour cette option et se met aussitôt en marche. Un bain de temps à autre ça ne fait de mal à personne. Se fiant à son odorat pour trouver l’eau, le mâle avance d’un bon pas dans la Vallée. Moins d’une heure de marche plus tard, le cours d’eau apparaît sous ses yeux. Le clapotis de l’eau qui coule sur les pierres, chante jusqu’à ses oreilles. De nombreux insectes viennent eux aussi profiter de la fraîcheur du ruisseau. Au passage du mâle, les salamandres qui dormaient sur une pierre filent se cacher. Sous la surface, les écailles luisantes des truites reflètent la lumière et scintillent.
Tarko ne s’enfonce pas immédiatement dans l’eau. Observant en silence la vie qui s’agite autour de lui. C’est un bel endroit. Peut-être le plus beau qu’il a visité après les Monts Célestes et leurs vertigineux paysages de montagne. Il plonge une patte dans l’eau, puis une seconde. Alors qu’il s’enfonce lentement dans le ruisseau pour laissé le temps à son corps de s’habituer au froid, il dérape sur une pierre couverte de mousse. Tant pis pour l’adaptation ! Le solitaire saute sur la rive, le pelage trempe et le corps glacé. Il jette un regard mauvais à cette pierre qui a précipité son entrée dans l’eau. Ses sourcils froncés s’arquent soudain sous la surprise. Cette pierre ... Il s’approche du minéral dont la surface jusqu’alors cachée par la mousse révèle d’étranges motifs.
Intrigué, il déloge la pierre qui glisse au fond du ruisseau soulevant du sable et de la terre qui trouble l’eau. Quand le liquide redevient cristallin, Tarko retourne dans le lit du cours d’eau pour récupérer le gros galet. Incapable de le saisir avec sa gueule il le fait rouler sur l’herbe.
L’eau a nettoyé la pierre qui dévoile d’autres dessins. Le solitaire analyse sous toutes les coutures sa découverte. Il n’en est pas certain, mais cela ne ressemble pas à des stries naturelles comme on peut en trouver sur le gneiss. Il tourne et retourne le minéral poli du bout de la truffe pour comprendre le sens de ses motifs. Finalement, à force de concentration, Tarko comprend que ce qu’il a entre les pattes est une carte. Mais pas n’importe quelle carte ! La queue du loup bleu bat l’air d’excitation. Une chasse au trésor ! Avec un vrai trésor à la clé !
Le loup détaille la roche. Il comprend que se large sillon représente la Vallée, celui-là le ruisseau qui y circule. Il identifie d’autres éléments comme de très vieux arbres reconnaissables par leur taille ou encore des amoncellements de pierres originaux. Enfin, le point le plus important, la croix qui indique le point d’arrivée. Maintenant que Tarko sait se repérer sur son étrange plan et a une destination il ne veut pas perdre une minute de plus. Mais un problème le coupe dans son élan d’exploration. Comme transporter son caillou ? Il est trop gros pour que le mâle puisse le prendre entre ses crocs et le faire rouler sur des kilomètres ne va pas être pratique pour deux sous. Évidement il est hors de question de l’abandonner ici. Alors comment faire ?
Le mâle a une idée.
Il pose son bandana bien à plat sur le sol et y roule le galet au centre. Puis, maladroitement, il forme un nœud avec les pointes du tissus. Enfin, il saisit dans sa gueule son balluchon improvisé. Quelques mouvements de tête pour s’assurer que ça ne se détache pas et le voilà partit.
S’il a su lire correctement la carte il doit marcher en direction du Nord vers la source du ruisseau. Afin d’éviter de dévier de sa destination, Tarko remonte le cours d’eau depuis la rive. Il ne sait pas encore combien de temps ça va lui prendre mais la récompense au bout du voyage en vaut la peine. La tête haute et les yeux brillants il marche gaiement dans la Vallée. La météo est toujours au beau fixe. Aucun nuage ne vient tacher le ciel d’un bleu immaculé. La chaleur est propice aux insectes qui grouillent par grand nombre. Notamment les criquets et autres sauterelles qui bondissent quand le loup pousse l’herbe d’un coup de patte. Les infortunés ainsi délogés sont happés au vol par des hirondelles qui se font de plus en plus nombreuses. Tarko peut même admirer la prouesse de ces petits oiseaux qui viennent boire sans se poser au sol. Il est impressionné.
Les heures passent. Tarko a suivit le ruisseau très loin dans la Vallée. Ses pas l’ont amené à escalader la montagne qui sépare la Plaie du monde du territoire Nakhu. La course du soleil continue inlassablement dans le ciel jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon. Laissant place à la lune. Ronde, brillante et familière. Enfin, il arrive au point culminant de cette crête. Son ascension a été lente mais s’est déroulée sans encombre. Il remercie en silence Tabralt grâce à qui il est désormais capable de se déplacer en milieu montagnard sans danger.
Le solitaire s’arrête, exténué. Il dépose devant ses pattes son balluchon du quel il sort sa précieuse carte. À la lumière du satellite, il déchiffre une dernière fois les gravures.
Il est pile à l’endroit où la croix est gravée.
C’est ici.
Tarko tourne sur lui même à la recherche d’un signe qui lui indique l’emplacement de son trésor. Il fouille et fouine de longues minutes durant, sans résultat. Il doit bien avoir quelque chose ! Le mâle reprend son galet. A-t-il raté une information essentielle inscrite dessus ? Non, il n’y a pourtant rien de plus. Déçu de n’avoir rien trouvé et d’avoir fait tout ça, à première vu pour rien, il pousse avec frustration son caillou de la patte, la mine boudeuse.
Ce n’est que lorsqu’il relève les yeux qu’il trouve finalement le trésor.
La nuit est sans nuage, dévoilant l’immensité de la voûte céleste. Des milliards d’étoiles brillent comme autant de perles brodée sur un voile. La lune qui reflète la lumière du soleil, éclaire le territoire Nakhu, qui s’étend devant lui, d’une douce lueur. La Vallée des murmures est transformée en un tableau monochrome où les ombres donnent une toute nouvelle dimension féerique au lieu qu’il a explorer aujourd’hui.
Soudain, Tarko comprend. Sa récompense n’est pas un trésor à proprement parlé. Non, c’est plus symbolique. Cette quête qui a occupé son esprit et qui lui a fait oublier son ennui. Cette exploration qui l’a émerveillé tout du long. Là voilà sa récompense.
L’important, ce n’est pas la destination, mais le voyage.
La gueule entre-ouverte de fascination pour ce panorama que lui seul peut voir il en oublie le temps qui passe. Quand il quitte des yeux la Vallée, Tarko tire vers lui la pierre à l'origine de son aventure qu’il a si cruellement délaissé par bêtise. Puis, il s’allonge dans l’herbe, la truffe pointée vers le ciel, sa carte entre ses pattes, un sourire comblé aux babines.