Asociales [PV Harmakhis]

Un soleil timide pointait, se reflétant dans les gouttelettes de rosée du matin. Un spectacle que Momon se gardait de raconter à sa fratrie, Cendres aurait pu limite comprendre les lubies étranges de son frère, mais Ruine… Et bien c’était Ruine. Ils avaient tous poussé et, tels les bourgeons du printemps, leur allure devenait moins pataude. Le corps plus élancé du louveteau, les pattes plus longues, tout ceci le portait bien plus loin que le dédale ou le sanctuaire désormais. Et ses insomnies ne s’arrangeait pour ainsi dire pas du tout. Alors l’aube devenait sa meilleure amie. Personne ne le voyait sortir, ou du moins personne ne se risquait à le suivre. Il appréciait cette liberté. Malgré les dangers, il savait qu’en terres Nakhus, il ne risquait pas grand-chose. La côte était trop loin, les etelkrus trop chez eux et les anciens lazulis, et bien à part Judas il n’en connaissait pas vraiment.

Le louveteau à demi sombre se faufilait au travers des champs, silencieux, précautionneux, scrutant l’environnement. Son œil doré pouvait désormais voir assez loin et il dépassait bien la hauteur des blés. Même si la plupart du temps, il gardait la tête basse, ne laissant paraître qu’un vague mouvement dans les herbes. Eva lui avait un peu raconté l’histoire du petit Eden, et sa curiosité toute enfantine le poussa à partir découvrir le vaste monde.

Une fois sur place, il fut surprit de voir que tout était bien en ordre. Et les senteur qui lui chatouillait la truffe, c’était appréciable. D’abord il observa un parterre, muet. La nature œuvrait déjà de bon matin, les insectes fourmillaient autour des plans, voletait graciles au dessus des fleurs. Un véritable ruché qui ne manquait pas de l’émerveiller. Le jeune loup au blanc manteau s’émerveilla un temps qui lui parut durer milles ans quand une odeur étrangère le fit se figer. Ce n’était pas de chez lui, il ne la connaissait pas, c’était vivant, c’était un étranger. Un frisson lui parcourut et son instinct lui dicta instantanément de se planquer. Chose qu’il fit à merveille, Momon disparut littéralement malgré sa carrure imposante pour un louveteau. Quand l’individu lui parut, il déglutit et se mit à retenir sa respiration. C’était un loup, pour sûr mais impossible de dire si il était ami ou ennemi. Et malgré toutes les précautions du monde, Momo fit un bruit suffisamment intense pour que l’étranger le remarque. Il ne chercha pas à savoir si oui ou non il était repéré et, depuis sa cachette, il lança :

« V-Vous ne devriez pas être là ! V-Vous êtes pas de chez nous ! »

La panique commençait à le gagner doucement, quelle idée de se balader seul aussi ?

Momon resta tapit dans ses buissons, il avait l’habitude, les oreilles basses, la queue entre les jambes. Pourquoi ses mamans n’étaient pas là quand il en avait le plus besoin ? Mais l’inconnu, Harmakhis, semblait plus déprimé qu’autre chose. Il devait avoir des problèmes, le louveteau secoua la tête pour ne pas se laisser apitoyer. C’était pas le seul à avoir des soucis après tout, mais la politesse exigeait un minimum d’intérêt. Ravalant sa salive, Momo s’exclama :

« Je suis Momon ! »

Fit-il d'une voix mal assurée. En silence, le jeune sombre s’approchait de celui qu’il avait fait sursauté. Rampant parmi les plantes, gardant son œil sur lui. Détaillant ce qui lui apparaissait comme étrange. Cette queue bizarroïde, ces écailles sombres de partout. Ses dents et son œil unique lui paraissait étrangement gentil à comparé.

« Tu es triste ? Pourquoi ? Ton frère te fais du mal ? »

Il ne comprenait pas encore, tout restait assez flou pour son regard enfantin. Il ne connaissait que les chamaillerie d’enfants après tout. Et la vie d’adulte lui semblait bien loin. Puis il observa un peu le jardin et argumenta :

« Oui c’est un beau jardin que des loups de ma meut ont fait… J’y viens de temps en temps pour… échapper à ma sœur et aux autre aussi, ils sont trop bruyants ! »

Bien que le louveteau n’osait se montrer, il prenait le loisir de bien détailler Harma’.

On pouvait donc bien blesser avec la parole, Momon tapa une patte au sol heureux de savoir qu’il avait raison. Ce n’était pas que dans sa tête de gamin complexé qu’il se passait des choses et que les mots ont finalement une portée.

« C’est triste… mais si on peut faire mal avec des mots, on peut aussi soigner avec non ? »

Cette question lui échappa, le loupiot d’ébène ne pensait pas qu’elle allait sortir aussi naturellement.  Il se mit un coup de patte sur le visage et la laissa glisser le long de son visage, lui étirant la face. Pourtant il argumenta comme il put :

« Euh désolé, moi non plus je suis pas doué pour parler… Mais je pense que c’est possible de réparer ce qui se casse… Enfin… Euh… Des fois on pense pas ce qu’on dit, comme ma sœur qui dit que tous les autres sont des cacas boudins, bah elle le pense pas totalement… »

Dépité, il soupira de ne pas savoir comment dire les choses tant il s’emmêlait les pinceaux. Quand Harmakhis proposa la tranquillité, Momon sut que ce n’était pas une chose balancée au hasard. Son œil détailla le peu de réactions du crocodilien. Ce n’était pas une proposition faite à la légère, alors le louveteau sortit de sa cachette, galérant à s’échapper de quelques branches tenaces. L’Etelkru était grand, même lui ne rivalisait pas encore en taille mais il imposait une certaine carrure. Restant à l’écart, il répondit :

« Je suis pas contre passer du temps avec quelqu’un comme toi… Au moins je sais que tu ne hurleras pas... »

Sans trop oser s’approcher, Momon se posa le cul au sol, les cheveux en bataille pleins de feuilles et de brindilles. Son œil faisait le manège habituel sol-interlocuteur.

Quelqu’un qui explique ce que son les émotions ? Le petit était intrigué mais il ne voulait pas déranger le loup croco outre mesure alors, dans un silence, il hocha brièvement la tête. Un petit mot tout de même lui échappa :

« Ce doit être une louve sage alors… Tu as de la chance de la connaître je pense... »

Il aurait aimé savoir de qui il s’agissait tiens, il devrait en parler avec sa maman Eva. Elle avait toujours le mot juste pour lui remonter le moral. Ses oreilles frémirent, oui il avait les mêmes avis que cet étranger si calme. Momon acquiesça :

« Oui elle nous aime, mais elle préfère hurler et jouer que de parler… Maman disait que c’était quelque chose dans sa tête qui faisait qu’elle était pas comme moi. Je sais pas trop de quoi elle parlait... »

Il regarda ses pattes, timide, il était triste de ne pas comprendre le monde qui l’entourait. Mais sa queue battit lentement de joie lorsqu’il fut, plus ou moins, invité par Harma à rester dans le coin.

« Oui c’est fatiguant… Mais on s’y fait je pense… Moi aussi j’aime bien rester tranquille, c’est pour ça que je me cache. Il n’y a que Pierre qui connaît mes cachettes, et sa sœur aussi… »

Les lieux sombres ne manquaient pas dans ces terres, et le nombre d’éléments de la meute n’était pas suffisant pour être étouffé si on cherchait à s’échapper.

« Je crois que je devrais pas trop tarder, sinon m’man va s’inquiéter… Mais je veux bien rester un peu avec toi pour pas que tu te sentes trop seul… enfin si tu veux bien ? »

D’un rapide coup d’oeil, il posait un regard interrogatif sur le loup écailleux. Ne voulant rien forcer, Momo resta là, assis à attendre sagement la réponse.

Des personnes gentilles, il rêvait d’en trouver plus. Mais Momon n’était qu’à l’aube de sa vie, il aurait le temps de faire des rencontres par la suite. Cette louve par contre l’intriguait, le louveteau aurait aimé en savoir davantage sur elle. Mais le temps lui manquait hélas. Il se contenta de rire timidement et de répondre :

« Les sœurs sont étranges alors, mais je vais pas m’en plaindre, elle est gentille quand elle veut bien Rui’ ! »

Indécrottable optimiste quand il s’agissait de sa famille. Il les aimait trop.

Ses oreilles frémirent quand le mâle proposa de le raccompagner. Était-ce raisonnable d’amener un inconnu par là bas ? Momon secoua le museau et n’hésita pas plus :

« Oui je veux bien, ce sera toujours plus sympa que de galoper seul je crois... »

Le petit sombre tourna les talons et entama la marche vers le dédale. Il espérait que le détour ne coûterait pas trop au loup crocodile.