Qui sont-ils ? [PV Mildred]

Elle l’avait épié avec une certaine malice, ce frère qu’elle avait si peu souvent côtoyé depuis qu’ils n’étaient plus des louveteaux.
Elle l’avait vu pénétrer sur l’Île avec un sourire aux lèvres, elle qu’il n’avait pas vue, dissimulée derrière la végétation nouvellement fournie de cette Île qui avait perdu ce monticule qu’elle avait toujours connu et en contrepartie regagné sa beauté d’antan. Elle se sentait à nouveau un peu plus chez elle, désormais.
Méridor semblait chercher quelqu’un, et bien qu’elle se doute qu’il ne s’agisse certainement pas de leur mère, elle ne savait pas qui – aussi l’avait-elle suivi en catimini alors qu’il progressait prudemment jusqu’à aller s’engouffrer dans le temple de Moiro.
Elle aurait ri de le voir ainsi se faufiler en guettant les recoins de l’Île pour qu’Anianka ne le surprenne pas, si cela n’avait pas risqué de révéler sa position.
Le conflit qui avait opposé si tôt son frère et sa mère et avait contribué à la fracture d’une partie de leur famille l’attristait, parfois, par ces chemins différents qu’ils avaient dû prendre et la distance qui s’était instaurée en conséquence. Mais elle avait su le retrouver à sa manière, en tant qu’adolescents puis jeunes adultes, et elle était heureuse de pouvoir partager quelques moments avec lui et ce qu’il représentait de Gloriel, heureuse aussi qu’il vienne la chercher chez les Etelkrus, mettant ses griefs sur le côté. Pour elle.

D’une voix douce son frère l’appela – c’était donc elle, qu’il cherchait.
A pas de velours elle émergea des ombres dans lesquelles elle s’était fondue, un sourire sur les babines, puis elle avala la distance qui les séparait d’une démarche souple jusqu’à venir frotter son museau contre le sien.

— Merry.

Elle le dépassa pour venir s’asseoir devant la fontaine rose, ombre taquine au fond des yeux et au creux des lèvres.

— Tu es venu quérir les faveurs de la Tigresse, mais tu ne sais pas comment t’y prendre ?

Bien évidemment, il ne faisait aucun doute que son frère n’était pas venu pour cela – il avait toujours été plus proche d’Ao malgré sa froideur.

A regarder ainsi son frère répondre à sa plaisanterie, personne n'aurait doué de leur affiliation. Il avait en lui toutes les qualités qu'aurait requise Moiro si il avait cherché à rejoindre ses rangs, mais elle savait bien qu'il n'en était guère question en réalité.
Méridor avait toujours été plutôt pur et honnête, un sentimental qui refusait de jouer au jeu des apparences et des masques - ce qui l'avait mené à tant se méfier de leur Mère et du reste de la famille. Il avait bien plus retrouvé en Gloriel ses valeurs, celles d'un guerrier chevaleresque prêt à défendre les autres par son bon cœur et non par calcul ou manipulation.
C'était en cela qu'elle l'appréciait, aussi. Il était parfois un courant d'air frais au milieu de tous les poids qu'elle faisait peser sur ses propres épaules, à travers toutes les exigences qu'elle s'imposait pour être satisfaisante. Lui n'en avait cure, et elle savait qu'elle pouvait simplement penser à autre chose en sa présence, ne pas s'attarder sur chaque geste et chaque parole.

— Comment vas-tu ?

Il était vrai qu'ils n'avaient pas réellement eu le temps de se parler depuis son retour.
Observant son reflet dans le rose pur qui constituait le liquide de la fontaine, elle s'attarda sur les mèches blanches qui striaient désormais sa chevelure, sur ses yeux qui étaient devenus principalement argentés en perdant progressivement leur ancienne teinte. Tous ces changements parvenus aux alentours de son anniversaire de la première année. Tous ces changements au sein des Etelkrus.
Pensive, un petit sourire vint tardivement orner ses lèvres en réponse à la question de son frère.

— Bien, merci. Je suis heureuse d'être de retour, soulagée de vous avoir retrouvés.

Elle ne précisa pas le fond de sa pensée - ces peurs qui l'avaient assaillie de plus en plus souvent à mesure du temps qui passait, ces images s'imprimant sur ses rétines quand parfois elle pensait à ce qu'il aurait pu advenir de sa famille durant tout ce temps. Le dôme n'avait pas causé la mort que des proies et des plantes.

— Et toi ? Il paraît que tu es devenu un chef d'expédition, que tu veux redonner de la vie à nos terres.

Elle le poussa doucement de l'épaule, chassant l'ombre de ses anciennes pensées noires pour la remplacer d'une lueur plus malicieuse. Méridor n'avait jamais aimé se mettre en avant, était mal à l'aise à l'idée du sang des chefs et des grands ancêtres coulant dans leurs veines - et le voilà meneur d'une petite troupe !
Comme quoi, ils avaient tous changé.

Un gloussement résonna quelques instants dans le temple quand Mildred observa son frère se décomposer sous la gêne. Il était peut-être devenu plus entreprenant mais il n’avait pas changé sur son inconfort à être le centre de l’attention, ce qui avait toujours amusé Mildred. Quand ils n’étaient encore que des louveteaux et qu’ils jouaient tous ensemble sur l’Île aux Roses et plus loin encore, elle n’avait pas hésité, à de nombreuses reprises, à aller le déloger de ses cachettes pour tenter de le sortir de cette timidité qui l’enfermait.
Méridor préféra changer rapidement de sujet, et Mildred pensait que c’en serait fini de son embarras - mais il semblait qu’elle avait eu tort.
Son regard qui parcourait pensivement les ornementations de la pierre revint se poser sur son frère, plus attentif.

Mais son frère, lui, ne la regardait plus ; fuyant la confrontation de leurs paires d’yeux.
Mildred fronça légèrement les sourcils et ses oreilles pointèrent davantage. Piquée d’une pointe de curiosité face à la nouvelle attitude de son frère, elle le laissa s’exprimer sur les nombreuses questions qui avaient semblé assaillir son esprit et qu’il déballait face à elle.
Elle resta interdite quelques instants après le dernier mot, puis plissa les yeux plus encore.

Un goût d’amertume remonta le long de sa gorge et vint envahir sa langue sans qu’elle n’en sache réellement l’origine. Le sourire détendu se crispa et petit à petit son regard d’argent se cristallisa - la chaleur qui s’y était trouvée s’amenuisa sans pour autant totalement disparaître.
Si leurs chemins s’étaient rapidement séparés, Méridor conservait cependant de nombreuses attitudes du louveteau qu’il avait été - et un certain nombre de mimiques, aussi.
Quelque chose le déstabilisait. Il n’arrivait plus à soutenir son regard, avait perdu toute son assurance et sa taquinerie, et tout cela pour quoi ? Pour parler des Etelkrus ?
Etelkrus pour lesquels il se piquait soudainement d’un vif intérêt, plutôt que de s’intéresser à elle, qui n’avait eu droit qu’à une rapide question de courtoisie.
Mildred déglutit lentement, quelque peu désarçonnée elle aussi bien qu’elle resta de marbre face à son frère.

— C’était... Particulier.

Sa voix était redevenue plus sobre et sèche, perdant de son entrain malicieux tandis que son esprit s’échauffait de mille questions. Elle dansa un instant sur ses pattes, hésitante, peu sûre de la marche à suivre et de l’état réel de la situation.
Quelque part elle voulait continuer de croire en l’innocence naïve de son frère, à son absence de fourberie. Ses paroles étaient peut-être dénuées d’arrières pensées, motivées d’une simple curiosité.
Elle ne se l’avouait pas tout à fait, elle qui toujours avait cru être capable d’être détachée et indépendante des éléments de sa famille qui avaient d’eux-mêmes décidés de s’en éloigner ; mais elle voyait en Méridor une force inspirante sur un autre domaine. Celui de la pureté, de l’honnêteté. Il avait pris tout cela de leur père.
Il était d’ailleurs inconcevable qu’il en quitte la voie, n’est-ce pas ? Il avait aidé à remettre le temple en état, désirait certainement la couleur de sa dragonne et continuer de marcher dans les pas de Gloriel.

Cela ne lui ressemblerait pas, d’essayer de lui soutirer des informations pour mieux l’abandonner ensuite.

Anianka pourtant lui dirait de toujours demeurer méfiante, de ne jamais aveuglément accorder sa confiance. De toujours garder avantage à sa patte.

Du moins jusqu’à ce qu’elle en sache davantage sur ses intentions.
Mildred détendit légèrement ses traits pour lui offrir de nouveau visage plus avenant malgré le ton aux airs d’avertissement qu’elle employa pour reprendre la parole.

— Leurs dirigeants ont changé, depuis les histoires de nos parents. Ils sont... elles sont fortes et justes. Respectées. Mais Maman avait aussi raison sur de nombreux points.

Sa voix se fit plus dure et elle rapprocha légèrement son visage du sien pour le forcer à relever les yeux sur elle - elle savait bien que toute mention ayant un rapport avec leur mère lui déplaisait, mais il devait avoir la vérité.

— Nombreux nous pensent inférieurs et faibles. Même si l’on fait partie de leur propre famille. Mais bien-sûr, je ne me suis pas laissée faire.

Mildred releva fièrement le nez, chassant une mèche carmin lui tombant devant les yeux - et guettant attentivement la réaction de son frère étoilé d’or.