Despair, Hangover & Ecstasy - Safran.

It's like a pain in the chest
Despair, hangover and ecstasy
So many people around
We disappoint and let down
And though we're trying our best
Despair, hangover and ecstasy
Our only mission, our destiny

Il y avait une tâche à l’horizon que ces derniers jours elle n’arrivait pas à ignorer.

Une tâche qui avait toujours été là, une tâche immuable bien que diffuse dans son enfance, quand la surface du dôme nimbait le lointain d’un voile verdâtre et un peu plus opaque que l’air ambiant.
Une tâche dont elle avait été plus près quand elle avait séjourné chez les Etelkrus, une tâche qui s’était faite de nouveau un peu plus présente dans ses pensées quand la meute avait traversé le bras d’océan pour les aborder, quand elle avait appris qu’ils en étaient revenus victorieux.
Une tâche qui ne voulait plus s’effacer.

Plusieurs heures par jour elle ne voyait qu’elle quand elle s’allongeait au bord de l’Île qui avait retrouvé sa beauté, surplombant les vagues qui s’abattaient contre les rochers. Elle pensait, alors. Longuement.
Elle pensait à ces sentiments qui montaient en elle, à ces idées parfois noires qui avaient été chassées un temps mais menaçaient de ressurgir et de déborder, à cette impatience qu’elle avait su mettre de côté mais qui rampait dans son esprit.
Elle pensait à qui elle était devenue, à ce qu’elle avait accompli, et elle n’était pas satisfaite. La libération des Lazulis s’était faite sans elle, elle qui était loin, confortablement installée chez sa famille éloignée, pendant que sous le dôme les difficultés à surmonter se hérissaient et une bataille avait finalement fait rage. Ils s’étaient même battus contre un Raptor de Mido.
Un Raptor.
Sans elle.
Ce n’était donc pas avec son aide que sa famille avait pu espérer s’en sortir. Ce n’était pas avec son aide que l’on espérait gagner une lutte ou un combat. Ce n’était pas avec son aide que Rhaegar avait décidé de se volatiliser, n’étant même pas présent à son retour. Ce n’était pas avec son aide que les Etelkrus avaient marché en territoire ennemie. Ce n’était pas avec son aide non plus qu’un simple solitaire avait extirpé de chez les pirates le cœur de leur Île, obtenant les bonnes grâces de Moiro, lui retirant ce privilège qu’elle aurait aimé offrir aux yeux ambrés de sa mère.

Par la suite elle avait été trop honteuse pour se présenter à la Déesse et espérer quérir sa couleur.
Trop honteuse car comparée aux autres de sa famille elle n’était rien.
Isolée chez les Etelkrus, elle s’était crue courageuse d’avoir vécu dans leurs rangs, de s’y être fondue, d’avoir gagné la confiance de certains, d’avoir tenu tête à d’autres ; fière de savoir qu’elle avait désormais une patte chez l’autre camp, qu’elle serait utile à sa Mère et grandie dans le regard des autres pour avoir avec brio relevé cette épreuve.
Chez certains - et chez Anianka - elle avait bel et bien lu cette forme de respect, quand à demi-mots elle n’avouait pas qu’en réalité la plupart des Etelkrus lui avaient été accueillants, que rester parmi eux n’avait rien eu d’une lutte comparé à ce qu’ils avaient vécu dans la prison divine.
Elle ne pouvait pas éternellement se mentir à elle-même.
Ce n’était pas suffisant.

Elle n’était pas suffisante.

Si elle voulait grandir et briller - il fallait autre chose. Il fallait plus.

Quand elle s’était mise en route par la plage, elle avait bien repensé aux mots de Rhaegar.  Elle trottait à bon rythme sur le sable, fouettée par les embruns, et sa promesse lui était revenue en tête, celle de ne pas se mettre inutilement en danger, de ne pas se confronter volontairement à un pirate. Mais ce frère désormais absent avait été soufflé par un énième coup de vent.
Le visage dur et solennel d’Anette s’était ensuite rappelé à elle, lui aussi. L’Alpha lui avait sobrement conseillé des mots du même ton - de ne pas les sous-estimer, de s’unir dans des plans pour les défaire au lieu de s’élancer en solitaire.
Mais Anette était leur Alpha, pas la sienne. Elle avait déjà bien trop attendu. Elle se sentait capable de vaincre cette épreuve. Elle en avait marre d’être à la traine, d’être derrière quand chacun avait déjà eu à mener sa propre bataille.
Elle ne serait plus faible. Elle honorerait le sang de ses ancêtres, guerriers et Chevaliers.

Si elle voulait y arriver seule, il y avait cependant bien un petit coup de pouce qu’elle s’offrit, un qu’elle considérait avoir mérité par ses propres moyens.
Des deux potions qu’elle avait trouvé dans les bois elle avait laissé la fiole violette au fond du sac et avait lapé le contenu du liquide rose, celle à la couleur de sa future déesse au sujet de laquelle les mots des livres avaient été prometteurs. Moiro lui avait déjà apporté son aide par le passé - peut-être le faisait-elle en ce moment encore en mettant cette magie sur son chemin pour lui permettre de vaincre.
La boisson avait été incolore et inodore, et elle n’avait rien ressenti après l’avoir ingérée - mais chaque chose arriverait en son temps, elle le savait.

Elle s’assit au bord de l’eau devant la ligne droite qui au jugé lui paraissait la plus courte pour rejoindre la tâche qui était désormais plus imposante dans le décor. Elle n’en avait jamais été aussi près.
Elle leva le nez vers le ciel - le soleil était à son zénith. Elle aurait le temps avant de se faire envelopper par les ténèbres.
D’une patte qu’elle amena à ses cheveux elle effleura les tiges métalliques fichées dans sa chevelure, se rassurant de la présence des dagues offertes par son père.
Lui aussi, elle le rendrait fier. Avant qu’il ne quitte ce monde, rattrapé par les âges.
Sa patte passa également sur la pierre de téléportation toujours grossièrement ficelée à sa patte. Désormais inutile d’après le livre - pourtant elle préférait garder le Portoloin à ses côtés.

Droite et les yeux rivés vers Morne-Oeil, elle inspira profondément et resta ainsi une longue minute sans frémir.
Puis elle cassa la surface de l’eau, s’enfonça dans l’écume.

• • •

Un frisson la prit quand son corps détrempé émergea de la mer, gorgé de sel qui lui piquait la truffe et les yeux, lourd d’une odeur qui lui déplaisait - une odeur bien plus nauséabonde que celle de l’eau qui venait lécher l’Île aux Roses.
Ici, tout était plus sale, plus mauvais.
Du sable grisâtre aux algues qui jonchaient la plage en passant par l’odeur de décomposition des poissons croupissant dans l’eau stagnante ou séchant au soleil, leurs corps déchiquetés par une horde de mouettes.

Elle fronça le nez et s’ébroua vigoureusement, cherchant à se débarrasser de l’aura poisseuse qui se collait déjà elle.
Ses yeux d’argent parcoururent la vaste étendue qui s’offrait à son regard conquérant. Aucune silhouette à l’horizon. Aucun terrifiant pirate pour veiller sur les abords de leur misérable ile.
Un petit sourire releva le coin de ses lèvres. Cela serait un jeu d’enfant.

Mais pour le moment elle profita de son arrivée pour observer les lieux sans s’avancer davantage, les pattes avant enfoncées dans le sable humide, les postérieurs toujours fichés dans l’eau qui clapotait autour. En un dernier lien qui l’attachait au continent derrière elle et à ce morceau de mer qui l’avait conduite ici.

We're breaking promises we thought we could keep
We trigger avalanches unknowingly, oh
We're not so different from convicts on the run
Freedom could kill us but we'd rather go on
This is a journey and we wanna go far
They say we're selfish but this plane is on fire

We're breaking promises we wanted to keep
We trigger hurricanes unwillingly
It's our fault when it all
Gets into everyone's lives
Still we would do it again

Les Raeders étaient trop peu nombreux pour se permettre le luxe de perdre plusieurs loups à de la surveillance de plage toute la journée, la plupart des membres étaient bien trop indisciplinés aussi, vivre sur une île devenait alors un avantage, évitant les visites par la maladresse. On ne se rendait sur l'île de Morne-oeil qu'avec l'intention d'y aller. Au moins la réputation d'île maudite dissuadait les plus trouillards. Pas de surveillance brute et dure comme on pouvait en trouver dans une certaine meute voisine plus à l'est mais ça aurait été une erreur de croire qu'on pouvait y passer sans que ça finisse par se savoir... il n'y avait de de surveillance à proprement parler certes mais l'île n'était pas dénuée de gardiens.
Safran venait de planter ses dents dans le corps mou d'une pieuvre lorsqu'elle vit passer au dessus d'elle, nageant à la surface, une silhouette brune qui attira d'autant plus son attention qu'elle était canine. Avalant sa proie en quelques mouvements de mâchoire, la maudite avait suivi de ses profondeurs, cette silhouette étrangère qu'elle décidait malvenue.

L'étrangère avait dans son attitude un air dé détermination et portait l'odeur forte des Etelkrus. A cause du sel et du soleil qui brûlait la peau de la truffe, des odeurs fortes de la fermentation des algues sur la plage, des trop nombreux oiseaux marins de l'île et de l'halène alcoolisée de certains membres, les Raeders avaient un plutôt mauvais odorat mais ils restaient loups et l'évidence d'une appartenance ne leur échappait pas.
Safran émergea derrière la jeune louve alors que celle-ci avec encore les pattes dans l'eau, l'encre de l'octopode dévorée un instant plus tôt coulant encore le long de ses babines comme du sang noir alors qu'un rictus se dessina sur le visage du monstre marin.

« Le plus drôle c'est que malgré l'odeur que tu portes, étrangère, les autres Raeders ne t'auront probablement rien fait mais il faut bien que quelqu'un entretienne la réputation d'île hostile n'est-ce pas ? »

Et elle n'allait pas attendre qu'un autre pirate arrive pour lui voler sa proie. Son sourire se mua en un froncement de museau qui dévoila toute sa dentition difforme de monstre tandis que son corps se tendit dans une attitude prédatrice avant que la louve ne s'élance sur l'intrus.

[Tu pourras considérer que le -2 c'est Mild qui l'inflige? Histoire que ça soit visuellement moins lamentable   ]

Il lui fut impossible de retenir le sursaut qui agita son corps quand une voix s'éleva derrière elle et lui hérissa le poil - un glapissement menaça de s'échapper de sa gorge mais celui-ci fut contenu.
Elle fit volteface dans l'instant pour se retrouver face à une créature qui bien que canine avait cédé de nombreux attributs à la mer, ce qui avait pour avantage de la rendre suffisamment répugnante pour que l'on ne puisse point douter de son appartenance. Une Raeder, qui la surveillait désormais en souriant de ces longs crocs difformes - un sourire qui n'augurait rien de bon, elle le savait bien.

La pirate ne se fit pas prier plus longtemps - d'une ondulation semblable à celle d'un poisson elle fondit sur elle, tous crocs dehors.
Le cœur de Mildred cessa un instant, paralysé tout comme son corps. Le temps sembla alors passer beaucoup plus lentement - se ralentissant suffisamment pour qu'elle se rappelle que malgré ses ambitions elle était à pleine plus qu'une adolescente ; que venir ici sans prévenir personne avait peut-être été une erreur et réaliser qu'elle ne savait pas encore se battre contre un véritable ennemi qui la voulait morte pour de vrai et diable- elle eût même le temps de détailler du regard chacun des crocs qui s'approchait d'elle.

Le déclic qui la sauva fut finalement automatique. Incapable d'accepter de se faire mordre sans davantage de cérémonie, son corps relâcha la pression en un seul bond qui la propulsa vers la plage et plus loin de l'ennemie.
Elle campa solidement ses quatre pattes, cœur battant et gueule entrouverte pour aspirer avidement l'air que réclamaient ses poumons, les pupilles plus étrécies encore qu'à l'accoutumée. Elle avait été sotte, de se rendre chez ceux réputés pour être maîtres de l'océan sans penser à surveiller la surface de l'eau, celle-là même qui était la plus susceptible de la trahir. Si la vilaine louve n'avait pas annoncé sa présence en lui adressant la parole pour la menacer l'un de ses postérieurs aurait été emprisonné par la large mâchoire - et à l'heure actuelle, si elle n'avait pu se dégager ; son pelage ruissellerait d'un rouge plus sombre que celui de sa chevelure.

Mais elle s'en était tirée. Tout allait bien. Elle s'était écartée de l'ennemie, il n'y avait personne d'autre autour d'eux, elle la tenait en visuel et ne la laisserait plus s'approcher, sauf quand elle même mènerait la danse. Tout irait bien.

Un sourire d'abord timide revint se loger sur ses babines, puis grandit à mesure que sa confidence revenait bercer ses pensées.

— Ce n'est pas très réussi, alors. Tu sembles trop vieille pour défendre le caillou qui vous sert d'île. Je vous imaginais plus... effrayants ?

Elle releva le museau et le fronça d'un air de dédain, toisant la pirate.

... Et maintenant, je fais quoi ?
Lancer l'attaque suivante paraissait la réponse la plus légitime. Sinon, après tout, ce serait l'autre qui tenterait à nouveau. Et n'était-ce pas la raison de sa venue en ces lieux, après tout ? N'était-elle pas venue pour en découdre avec l'une de ces créatures et prouver qu'elle aussi était capable d’être victorieuse ?
Tout lui paraissait pourtant plus compliqué, maintenant qu'elle se trouvait devant le fait accompli.

Sa queue se balançant nerveusement derrière elle, c'est donc immobile qu'elle demeura, incertaine. Ses iris ne lâchaient pas l'adversaire, guettant nerveusement le moindre de ses gestes.

Ses crocs se refermèrent sur le vide alors que la brûlure d'une riposte se fit sentir sur son épaule. A force d'arpenter et de chasser sous l'eau, Safran oubliait toujours que sa lourde queue fort pratique pour la nage était un véritable handicap sur la terre ferme, elle se fait toujours avoir bêtement à cause de ça. A chaque fois ça la rendait un peu plus furieuse. Fichu morveuse, elle semblait agile en plus mais il était vrai qu'elle portait l'odeur familière des Etelkrus, les membres de cette meute savaient se défendre. D'ailleurs, est-ce que dévorer un de leurs jeunes ne risquaient pas de créer quelques soucis d'ailleurs ? D'un autre côté, c'était cette gamine qui était venue d'elle même ici et eux n'avaient pas de pitié non plus pour les Raeders qui passeraient la frontière, quand bien même ça aurait été une erreur. Sur Morne-oeil, dans tout les cas, on y venait pas par hasard ou erreur, cette morveuse connaissait les risques, Safran lui montrerait plus concrètement ce qu'ils signifiaient.
Elle siffla, déployant furieusement les appendices de ses joues et son cou dans un air menaçant, s'agaçant de la pique lancée.

« Tu ne connais rien de cette île, tu n'y aurais jamais mis les pattes si ce n'était pas le cas. Seuls les fous et les idiots osent y venir, les autres savent que si ce n'est pas nous c'est Morne-oeil elle même et sa malédiction qui vous dévoreront. »

A nouveau elle s'élance, bête furieuse sur le sable gris de l'île qu'elle comptait bien faire rougir du sang de l'intruse. Qu'importe qu'elle soit Etelkru, elle était sur Morne-oeil, qu'importe si sa meute se voulait plus sage maintenant, elle était en face de ce monstre que l'Océan avait créé et réanimé pour le servir, elle, membre des Raeders fous, de ceux qui voulaient asservir les dieux et danser avec les démons.

Un bref frémissement de dégoût agita ses babines quand la louve monstrueuse déploya les membranes le long de sa tête, sifflant dans sa direction.
Un mouvement de recul manqua de peu de se saisir de son corps mais elle se retint, malgré le désir on ne peut plus instinctif de vouloir se soustraire à l’emprise de pareil monstre.
Cette pirate était répugnante.
Et en se conformant à l’idée néfaste qu’elle se faisait déjà des membres de leur espèce, elle faisait doucement monter en elle le feu initial qui l’avait menée sur cette île. Attisait le brasier de cette haine enfouie bien qu’un peu irrationnelle. Si elle avait été pris d’un doute, s’effaçait en tout cas celui d’une potentielle culpabilité, l’éventuel risque de ne pas faire le bon choix.

Cette louve que l’océan et l’impureté Raeder avaient transformée en monstre méritait de mourir.

Ses mots mauvais et emplis de poison se heurtèrent à ses tympans, ses oreilles pivotèrent vers l’arrière. Elle ne pouvait cependant pas lui donner tort. Si leur île infligeait ce sort à leurs habitants, elle était effectivement pourrie jusqu’au coeur.
Mais elle était plus forte que cela, elle venait ici en conquérante et savait que l’aura nauséabonde des Raeders ne l’entacherait pas.

Puis la créature chargea, bondissant de l’avant.

Son coeur manqua un battement, la propulsa de nouveau dans l’urgence de la situation - et d’un nouveau réflexe elle évita le gros des mâchoires, mais un croc difforme parvint malgré tout à déchirer sa peau sur une longue estafilade le long de son poignet.
D’un air un peu incrédule ses yeux firent des allers-retours entre la monstrueuse louve et la plaie venue marquer son poil jusque-là immaculé.
Obnubilée par le sang dont les quelques gouttes s’accumulaient au bord de la coupure avant de déborder.

Cela ne faisait même pas mal, mais c’était une blessure. Une vraie. C’était réellement son sang qui coulait là, arraché à son corps par l’agression d’un autre loup. Quelqu’un qui lui voulait véritablement du mal, elle qui n’avait jamais été réellement blessée, elle qui ne s’était toujours battue que pour jouer.
C’était réel.

Passé ce bref moment de réalisation elle laissa son regard se stabiliser sur l’ennemie, le coeur battant à grands coups à l’intérieur de ses côtes.
Cette fois-ci elle ne devait pas attendre.
Elle devait se battre.

Pour sa vie. Pour pouvoir repartir d’ici.

Ses babines se déformèrent jusqu’à se retrousser sur ses crocs blancs, un grondement sauvage résonna dans sa poitrine.

Et à son tour elle s’élança, l’ancienne Lazulis, la jeune louve qui n’était plus une enfant et voulait jouer dans la cour des grands.

Safran: 7pv
Mildred: 9 pv

Une enfant, cette louve avait beau avoir un corps d'adulte, n'était plus véritablement un louveteau, ça ne restait qu'un enfant sans expérience qui se pensait suffisamment fort pour venir jusque dans le nid des bêtes qu'elle détestait afin de prouver sa valeur. Ce n'était qu'un enfant qui fasse à son propre sang affichait un air surpris.Un enfant qui ne connaissait pas grand chose à la vie et à qui Safran se chargerait en ce jour à lui apprendre quand bien même ça serait la dernière, parce que la Raeders ne lui laisserait pas l'occasion d'en recevoir d'autres.
Le museau de la jeune se tordit, un grondement s'échappa de sa gorge, elle prenait conscience de ce qui se jouait ici, sans doute de ce que signifiait véritablement venir provoquer les Raeders jusque sur leur île. Même les autres, si plus mous et moins hostile n'auraient pas laisser un individu aussi arrogant impuni. Lorsque la jeune louve se jeta sur la plus vieille, cette dernière ne fit rien pour esquiver, bien au contraire. D'un bond, Safran alla à la rencontre de l'intruse, afin que leurs corps s'entrechoquent. Là sur sa peau où se trouvaient les cicatrices des combats passés, les crocs encore si peu usés de la jeune louve vinrent en faire de nouvelles alors dans un sifflement furieux, la Raeders ouvrit grand la gueule dans le but unique de lui offrir les mêmes.

Le choc de leurs poitrails s’écrasant l’un contre l’autre au beau milieu d’un bond respectif manqua de laisser ses mâchoires claquer dans le vide en chassant le souffle de sa poitrine, mais la louve parvint à les refermer quelque part dans l’encolure de l’ennemie venue à sa rencontre. Elle fit de son mieux pour ne pas se laisser déstabiliser - par le frisson de dégoût qui la parcourut au contact de leurs deux corps et à l’odeur pestilentielle qui emplit alors sa truffe, vague submergeante des relents marins et de la pourriture pareille aux cadavres des poissons s’abimant sous le soleil.
Son adversaire était une véritable combattante - si elle l’avait déjà soupçonné dès sa première offensive, elle n’en était que plus certaine maintenant que d’elle-même elle était venue au contact.
Son rythme cardiaque s’accéléra, encore ; sous la pression d’un esprit dont les pensées défilaient trop vite afin de lui rappeler ce qui se jouait en cet instant, ce qu’elle avait risqué en venant ici mais ce qu’elle devait accomplir, qu’elle pouvait mourir, qu’elle allait souffrir.

En cet instant même elle avait mal, quand à son tour la louve qui n’en était plus vraiment une perça sa peau de ses longues dents pareilles à celles d’une horrible murène, arrachant contre son gré un glapissement à la jeune rousse.
Mildred n’était pas endurcie aux combats, pas préparée à souffrir ainsi même si elle l’avait cru de prime abord. Détestables étaient les sons que son corps osait produire pour exprimer sa gêne, elle qui aurait tant aimé les retenir pour garder tête haute de cette fierté qu’avaient les guerriers, de ce contrôle qu’ils gagnaient sur eux-même pour que jamais faiblesse ne se laisse entendre.
L’image de Gloriel s’imprima dans son esprit.

Et c’est avec la mémoire des mots qu’il avait un jour prononcés, des valeurs qu’il portait, du sang qui coulait dans ses veines qu’elle trouva la force de contre-attaquer, oubliant momentanément le flot incessant d’alertes que son cerveau déversait dans sa tête pour d’un nouveau grondement se retourner et tenter d’attraper entre ses crocs la Raeder.

Le goût de fer qui emplissait sa gueule avait beau être celui du sang, sang qu’elle avait déjà tant connu dans sa vie de prédateur à chaque proie dont elle consommait les intérieurs – celui-ci n’avait pourtant rien de commun.
Outre l’arrière-goût salin réminiscent de la mer, l’odeur entêtante lui rappelant la chair moisie de ce poisson un jour mort sur son île – coincé dans un trou d’eau qui s’était finalement asséché à marée basse – et cette vague nausée qui la prenait en sentant la substance couler le long de son œsophage ; il y avait aussi quelque chose de profondément différent et rebutant au simple fait de savoir que ce sang provenait d’un semblable. Aussi difforme et aliénée soit-elle.

Traversant avec difficulté cette myriade de sensations négatives, la légère pointe de satisfaction d’avoir à nouveau fait siffler de douleur la créature fit surface et tenta de rester à flots tandis que sa mâchoire restait ancrée tant bien que mal dans la peau humide de son adversaire, la jeune louve repoussant au mieux l’impérieuse envie de la lâcher pour s’éloigner à grands bonds de cette louve qui ne lui inspirait que haine, crainte et pur dégoût.
Malheureusement pour elle et même si en toute logique elle s’y attendait – ses espoirs ne trouveraient en cet instant résolution car de nouveau des dents crochues apparurent dans son champ de vision, fusant dans sa direction, prêtes à la pincer de nouveau, à lui faire mal, plus encore.
L’adrénaline explosa dans ses veines, la jeune louve lâcha prise et obéissant à un réflexe plus puissant que sa propre volonté se laissa tomber sur le sable – espérant rouler plus loin, loin des sabres acérés qui voulaient enflammer sa chair.

Mais elle ne put éviter les crocs du monstre de revenir s’abattre sur elle.
Elle avait cru y parvenir, rejoindre le sable pour réussir à s’extirper de son emprise. La mâchoire difforme avait quitté son champ de vision et elle avait senti son corps filer suffisamment vite pour les empêcher de l’attraper, pourtant… Pourtant elle était lente, dans ce sable gris et humide qui peu à peu se tâchait de gouttes de sang. Ses pattes s’étaient enfoncées plus profondément que sur l’herbe de son Île, engluées dans la mixture qui tout comme la louve des mers semblait vouloir la retenir ici et l’empêcher de s’enfuir.
Les dents acérées s’enfoncèrent dans sa nuque, la gueule de Mildred s’ouvrit comme pour glapir – mais heureusement aucun son n’en sortit. Au lieu de cela, seule une inspiration râpeuse qui lui brûla la gorge s’engouffra dans sa trachée.
Son cœur battait de plus en plus fort. La douleur s’était atténuée, se réduisant à une vague sensation désagréable lui parcourant l’échine du haut de la tête à la croupe ; l’adrénaline qui pulsait dans ses veines faisant de son mieux pour la garder opérationnelle. Pour ne pas la laisser céder à la panique. Car cela serait s’abandonner à la mort.
Pourtant elle se sentait faiblir, et elle avait peur. Elle n’était plus très sûre de pouvoir gagner ce combat, elle qui était venue ici en conquérante… Elle qui était venue seule, quand toujours en équipe elle avait vécu et opéré.

L’adversaire la plaqua un peu plus contre le sol, raffermissant sa prise, l’étouffant davantage de cette pression qu’elle lui faisait subir. Le souffle de la louve rousse sortait désormais en hoquets hachés et irréguliers.
Elle allait la tuer, là, maintenant. Elle n’avait pas saisi sa chance. Le monstre jamais ne rouvrirait la gueule et elle allait la dévorer.

Et puis…
Un souffle d’air qui passa contre ses cheveux, rafraîchissant.
Ses muscles surent quoi faire bien avant que son esprit n’ait le temps d’analyser quoi que ce soit. La survie devenait instinctive – les sensations et les réflexes prenaient le dessus sur la raison et la réflexion.
Sentant que son ennemie l’avait lâchée, ne serait-ce qu’une seconde, la louve s’accrocha à la vie dans un brusque geste. D’un bond, poussant sur ses postérieurs ramassés dans le sable humide, Mildred tenta d’échapper à la mâchoire qui la harcelait.

C’était peut-être sa véritable dernière chance.

Ses mâchoires claquèrent dans le vide. Avec ça, la frustration de sentir le pelage manqué lui chatouiller la peau dans la fuite et le sable projetés par petits tas dans le visage. Elle gronda de mécontentement. Parce qu'elle attaquait, Safran savait qu'elle dominait dans ce combat, parce que l'odeur du sang et de la peur dépassait celle du sel de la mer, parce que le sable devenait rouge sous leurs pas, elle savait qu'elle approchait de la fin. Cependant elle connaissait aussi ses propres limites, jusque là elle attaquait mais elle aussi, avait la peau qui avait été déchiré par les crocs.

Sifflante, grondante, elle se jeta à nouveau sur la jeune intrus, bien décidé à en finir avec elle, cherchant à la mordre encore une fois pour que la tendance ne s'inverse pas, faire regretter au Continent d'avoir oser croire qu'il pouvait se moquer de l'Océan en toute impunité.

Résonna le son sinistre des larges mâchoires se refermant ailleurs que sur elle, envoyant tout de même un frisson le long de son échine – comme si sa colonne s’était préparée à la douleur qui allait la percer avant de finalement souffler de soulagement.
Mildred venait de s’acheter un bref sursis, et elle en profita pour continuer de s’éloigner de la monstrueuse louve malgré ses pattes qui s’enfonçaient dans le sable collant et gênait ses doigts, perturbait ses sensations. Ses muscles épuisés la tiraillaient sous l’effort à plein régime et la fatigue mais elle ne pouvait se permettre de leur accorder grâce.
Sa survie en dépendait et occultait rapidement tous les autres sentiments.

Car la Raeder était déjà dans son dos, la harcelant à nouveau, refusant de lui foutre la paix. N’avait-elle pas eu ce qu’elle voulait, en répandant son sang de continentale sur leur sable gris triste à en mourir, en lui arrachant des touffes de son poil soyeux pour en redécorer leur île minable ?
Le désespoir et la frustration de sa situation la firent hoqueter tandis qu’elle luttait tant bien que mal pour échapper de nouveau à l’ennemie, et les larmes menaçaient de poindre. Mais elle ne lui donnerait pas satisfaction de les voir couler.
Du coin de l'oeil elle la vit de nouveau balancer sa gueule hideuse vers elle et déployant ses dernières forces la jeune louve se propulsa vers le côté opposé.
Elle se sentit échapper au gros de la morsure, la pirate ne parvint pas à l'attraper et à la saisir de nouveau - mais la fatigue ralentissait ses gestes à chaque seconde passant, alourdissant ses membres et ses réflexes, et elle sentit tout de même passer l'estafilade d'un croc qui arracha tout de même un peu de sa peau.

Elle ne tiendrait plus très longtemps.
Et la panique montait.

Safran: 4pv
Mildred: 2 pv

Le combat durait et en réalité, Safran commençait à s’essouffler mais peut-être pas aussi vite que la morveuse qui était venu souillé l'île de sa présence et les oreilles de ses insultes. Si la gueule de la maudite ne se referma pas véritablement comme voulu sur un large morceau de chair, l'intruse ayant parvenue à glisser encore une fois entre, elle lui attrapa un morceau de peau suffisant pour qu'une nouvelle déchirure rouge vint tâché le pelage brun.
Se mélangeant à l'odeur du sel, et du sang, celle plus en plus forte de la peur. Safran claqua sa queue au sol, se lécha les babines sans quitter la louve du regard, tourna un peu autour d'elle, de quelques pas seulement avant d'à nouveau fondre dans sa direction avant qu'elle ne puisse tenter quoique ce soit, cherchant à garder l'avantage qu'elle avait gagné jusque là.