Despair, Hangover & Ecstasy - Safran.

L’horrible monstruosité était plus tenace encore que les brumes qui s’accrochaient sur leur île pourrie quand elle l’observait le matin.
Mildred s’était arrêtée pour lui jeter un regard, s’efforçant aussi de reprendre son souffle malgré la respiration sifflante qui lui brûlait la gorge, et elle voyait bien que la pirate n’était toujours pas décidée à la lâcher. Ses babines se froncèrent dans une maigre tentative de lui montrer les crocs – mais elle n’en avait même plus la force, se contentant de haleter.
La mi-louve mi-poisson avait elle aussi arrêté de courir, marchant lentement vers elle en décrivant un cercle – et Mildred s’appliqua à toujours lui faire face. Même au bord de l’épuisement, ça restait un principe de base. Il y avait un minuscule espoir, pas plus épais qu’un fil, que peut-être elle en avait fini de jouer avec elle et voulait juste la voir partir maintenant, le message ayant été délivré.
Elle voulait tellement y croire, cesser enfin cette folie.
Mais non.

Les petits yeux prédateurs la fixaient avec un appétit qui fit frissonner la rousse, et peu de temps après le monstre se jetait de nouveau sur elle.
Toujours soulevée par la force du désespoir et portée par l'instinct de survie, Mildred bondit en arrière dans une gerbe de sable.

Encore, les crocs difformes claquèrent dans le vide.
Encore, elle venait de s'acheter quelques maigres secondes de plus, espérait tirer lentement sur la corde de l'épuisement.

C'était son seul espoir.

Ses mâchoires claquèrent encore dans le vide alors que la jeune louve lui échappait encore une fois. Le combat tournait un peu en rond mais là où d'autres en auraient eu marre, où sans doute ils se seraient dit que l'intruse en avait eu pour son compte, Safran ne voulait pas la laisser. Elle n'aurait pas supporté l'idée de laisser partir cette gamine qui s'était montrée si arrogante, pas en sentant la fatigue de son corps et les nombreuses plaies. Elle était si proche de la fin et elle paierait pour tout ces continentaux qui lui avaient filé entre les griffes depuis tout ce temps. Pour une fois, elle remporterait la tête de l'un d'entre eux.
A nouveau elle lui fonça dessus, cherchant un angle où elle ne s'enfuirait pas, claquant la queue derrière elle pour lui barrer une partie du passage.

La louve n'avait plus le luxe de prendre un instant de répit. Plus le luxe non plus d'essayer d'établir une quelconque stratégie pour s'en sortir.
Son esprit était vidé pour concentrer son attention sur l'enchaînement des purs réflexes qui lui sauvaient encore la peau. Elle refusait de lâcher l'affaire, elle aussi ; elle refusait de trébucher ou de s'effondrer tant qu'elle tenait encore sur ses pattes.
Elle refusait de servir de repas à un poisson muté et de savoir les restes de sa carcasse laissés à pourrir au soleil sur leur plage grise, au milieu des entrailles de poissons et des algues desséchées.
Elle refusait de lui laisser le dernier mot, et cette conviction farouche ne ployait pas malgré son corps abîmé qui n'en pouvait plus de la tirer d'affaire de justesse.

Encore l'ennemie bondit vers elle, plus enragé encore de n'avoir pas réussi à dessiner de nouvelles plaies sur elle depuis plusieurs secondes. La jeune louve fit volteface pour échapper à l'assaut - mais vit trop tard la longue queue qui s'était dressée devant ses pattes, la faisant finalement trébucher et s'écraser dans le sable avec un jappement.
Non !
Elle devait à tout prix... Se relever... Vite.
La louve commença à ramper pour s'éloigner coûte que coûte de la créature, qui ne tarderait pas à réaliser que son repas était finalement à terre. Elle devait se redresser, courir.
Mais ses pattes ne répondaient plus. Le corps encore debout acceptait de lutter - mais une fois couché il ne trouvait plus la force de la relever sur ses muscles tremblants. Un sanglot monta brusquement dans sa gorge et la serra.
Machinalement, une de ses pattes avant alla au seul endroit où elle parvenait désormais à aller. Les coussinets se pressèrent contre le cristal bleu noué à l'autre antérieur, crispant doigts et griffes sur sa surface avec la force du désespoir tandis qu'elle ferma ses paupières pour ne plus voir le monde autour d'elle - pour ne plus voir le monstre qui viendrait bientôt l'achever.
La pierre l'avait déjà téléportée ailleurs, une fois. La pierre n'avait sortie de chez elle.
Elle pouvait bien le refaire, non ? La téléporter. Loin d'ici.

Allez.
Allez !

Pendant une seconde interminable il ne se passa rien, et elle crut bien que son cœur allait s'arrêter.
Résignée, elle attendait que les crocs qu'elle avait su éviter jusque-là viennent se planter dans son échine.

Et puis...
Et puis d'un seul coup, un éclair bleu qui l'envahit.

Il y eut un flash éblouissant qui poussa certainement tous les êtres alentour à se masquer les yeux un instant.
Et quand ce fut fini, la jeune louve avait disparu ; ne laissant sur le sable que l'empreinte de son corps tombé, quelques traces de sang et des touffes de poils fauve.

Et deux ou trois particules d'un bleu brillant, flottant encore dans le vent.

Ses crocs à nouveau se refermèrent sur du vide mais elle put sentir contre sa queue le poids d'un corps qui chute. Safran se retourna et un sourire mauvais se dessina sur ses babines lorsqu'elle vit que la jeune louve ne parvenait même plus à se relever. C'était fini, elle avait gagné, l'intruse avait perdu, l'Océan ressortait victorieux sur ce combat contre le Continent. Safran lui arracherait la tête à cette morveuse, la planterait bien droite sur la plage face à celle de la terre de l'autre côté du bras de mer, qu'ils apprennent tout ces intrus malvenus qu'elle, elle veillait sur son île.
Elle pouvait pleurer la gamine, supplier, ça n'attendrirait pas le monstre marin qu'était devenu la Raeders, dans ce monde, on bouffait les autres ou on se faisait bouffer, c'était comme ça, et Safran s'arrangeait pour garder le rôle qui lui était le plus avantageux. L'ombre de sa silhouette trôna celle de la jeune louve, elle ouvrit la gueule, prête à la refermer définitivement sur la nuque brune de l'autre, prête à lui rompre le cou.

Mais ce fut du sable que Safran attrapa, la louve sous ses pattes venait de se... volatiliser ? Elle n'était plus là, à la place, juste l'éclat scintillant d'une magie. L'intruse avait tout simplement disparu, ôtant à la Raeders le plaisir de l'achever. Celle-ci poussa alors un sifflement de rage avant de  frapper le sable d'une patte, claquant un autre endroit de sa queue et à défaut de corps à réduire en charpie, se vengea sur les traces de sang laissée dans le sable et sur les touffes de poils qui avaient été arraché. Et dans sa fureur, elle aurait déchiqueté tout être s'approchant un peu trop prêt de ses pattes, sa gueule, ou sa queue.