Père Piclou, raconte moi une histoire... • libre, enterrement de Clou

• 4 ans et demi •
F A E I

Voilà que venait le moment difficile d'officier, aujourd'hui. Ce n'était pourtant pas nouveau pour Horus, qui connaissait bien le métier, qui avait appris auprès du Croquemort, qui l'avait aidé depuis de longues années, et qui l'avait finalement remplacé pour lui offrir une retraite bien méritée. Mais voilà qu'en ce jour, c'était bel et bien la tombe de son mentor qu'il avait dû creuser, c'était comme un parent qu'il enterrait aujourd'hui. Et si le vieux loup avait tout fait pour préparer au mieux son élève, il n'aurait su prévoir que le nouveau gardien du cimetière perdait un second père. Le disciple de Kiro avait le coeur lourd et une boule douloureuse l'empêchait de déglutir correctement. Il savait que c'était la peine. Horus savait aussi que le fils du Grizzli n'aurait pas voulu voir autant de chagrin entourer son départ. Le mâle avait pris la nuit précédente pour pleurer son tuteur et ami, pour accepter son départ et être prêt à faire face aux autres. Il avait bien compris qu'il était également important de prendre un peu de temps pour lui, pour ses propres émotions, afin de mieux pouvoir être disponibles pour les autres ensuite. Et nombreux seront ces autres aujourd'hui, car Clou était un monument chez les Etelkrus et sur les terres de Punk-Wolf.

Horus pensait nombreux ceux qui viendraient lui dire un dernier au revoir et lui souhaiter un dernier bon voyage. Comme pour Sly quelques lunes plus tôt, tout était organisés pour recevoir du monde entre les allées du cimetière. Le trou était creusé aux côtés de la stèle de Karrigan, la louve qu'il avait aimé. C'était là que l'ancien Fossoyeur avait choisi sa dernière demeure. C'est donc là qu'il reposerait pour l'éternité. Derrière le monticule de terre qui recouvrirait bientôt le corps paisible du puissant loup beige, le Croquemort avait mis en réserve un petit sac de graine gentiment offert par les Nakhus : ainsi, il pourrait planter ces belles petites fleurs jaunes que Clou appréciait tant. Un instant Horus se demanda comment il procéderait pour que toute l'assemblée supposée tienne dans ce petit coin tranquille. Un bel arbre feuillu, plein de bourgeons, promesses d'un doux été à venir, protégeait les deux tombes des intempéries. IL verrait bien au moment venu, peut-être que si tout le monde restait calme, ils parviendraient à se serrer les uns aux autres et permettre à tous de profiter de cet au revoir commun. Et puis il y en aurait sûrement qui attendrait un peu plus d'intimité...

Un fin sourire se dessina sur les babines du loup au iris vert d'eau alors qu'il observait la pierre gravée pour son mentor. Clou n'avait rien voulu de voyant, de complexe ou de trop décoré, et comme il l'avait mentionné, la surface de la roche était lisse et sobre. Le disciple de l'Anaconda avait simplement choisi une couleur semblable à la stèle de la bien aimée du père de l'Alpha, afin que les deux aillent ensemble. D'ailleurs pour l'occasion, il avait prit grand soin de nettoyer la tombe de Karrigan et de polir un peu sa pierre. Il lut pour lui même, content de son -très court, mais c'était ce que Clou voulait après tout- travail :

CASTO

« Me marchez pas sur le ventre,
je suis chatouilleux, he. »

Il avait longuement hésité, les idées lui venant nombreuses, pour cette pierre-ci. Un Avant de la quitter, il faut user la vie. Le moment d'être sage est voisin du tombeau lui avait sembler trop sérieux pour le personnage de Clou. Il avait aussi sourit en pensant à Maintenant, je sais quelque chose que vous ne savez pas, en entendant presque la voix de son mentor dans ces paroles. Impasse, ne pas entrer était peut-être trop humoristique et n'aurait pas plus à la communauté... Il y avait aussi un Ça arrive, court et percutant. Il avait fini par rire tout seul en fin de nuit avec ses pensées délirantes : J'exige des excuses du médecin qui m'a soigné ou Bon dieux où est la lumière ? Finalement, c'était la remarque d'un grand-père aimant et plein de dérision qui s'était imposé au loup beige.

« J'espère les voir sourire pour toi, Clou'. »

Avec la sérénité retrouvée, prêt à faire son deuil de son mentor et d'aider les autres à en faire de même, Horus rejoignit l'autre bout du cimetière afin de guider les proches de l'ancien Croquemort jusqu'à son lieu de repos, les accueillant d'une voix chaleureuse et d'un sourire bienveillant.  

Le chagrin avait fini par se tasser, petit à petit.
C’était toujours là, ça lui enserrait le coeur quand elle s’apprêtait à s’endormir le soir, ça dansait sous ses paupières en prenant la forme de son visage et le son de sa voix, ça ne partait jamais vraiment loin. Mais c’était tout de même mieux, moins douloureux, plus supportable - et elle arrivait à repenser à lui et aux moments passés tous ensemble sans que ses yeux ne se voilent systématiquement de larmes quand le souvenir se doublait du rappel qu’elle ne vivrait plus jamais de tels instants et que son rire tonitruant s’était bel et bien éteint à jamais. Il ne vivait plus que dans leurs coeurs et leurs esprits et elle en était heureuse comme elle en était inquiète - que faire si un jour l’oubli serpentait en elle et s’emparait de ses plus précieuses mémoires ? Les souvenirs des mortels étaient riches mais friables. Et l’idée qu’un jour il n’y aurait plus personne pour penser à PiClou lui avait longuement tordu le ventre.

Avant d’accepter finalement que c’était également ce qui faisaient leur beauté et leur rareté, et que le meilleur moyen de les honorer était de les consommer à outrance. Se plaire de sa mémoire malgré l’absence de la même manière qu’elle s’était plue de sa présence en son vivant.
C’était seulement ainsi qu’elle avait pu commencer à accepter son deuil et à le vivre comme son grand-père l’aurait souhaité. En partageant son rire et ses histoires dans les conversations qui se rappelaient à lui, en confondant les visages en sourires plutôt qu’en larmes.

L’idée de l’enterrement se rapprochant l’avait légèrement décontenancée. Une inquiétude l’avait survolée - serait-elle capable au milieu de tous les autres, devant la tombe, de garder ce même optimisme durement acquis ? Elle s’était persuadée que oui. Elle serait le soleil qu’elle avait toujours été et continuerait de briller de ses rayons sur l’assemblée.
Aux côtés de sa famille elle prit la route du cimetière ce jour-là, flanc contre flanc avec sa fratrie réunie ; dans son ombre voletant une étrange créature - cette petite chose ni morte ni vivante qu’elle avait trouvé dans les marais et qui ne s’était pas rapprochée d’elle de la même manière que les animaux de Narcy le suivait partout. Mais la liche semblait s’être néanmoins liée à la jeune louve et la suivait régulièrement, parfois de loin ; et elle aussi considérait s’être attachée à sa présence discrète.
Ils retrouvèrent Horus près de l’entrée du cimetière, parcoururent avec lui les allées jusqu’à arriver près de celle de leur PiClou.
A la vue de la pierre tombale sa gorge se serra brièvement, mais il ne suffit que d’un regard au visage détendu du Croquemort et à celui de sa mère pour chasser le sentiment. Tous vivraient cette épreuve comme l’aurait voulu PiClou, maintenant. Plus de larmes. Seulement de la joie et l’amour d’être unis.

Sa patte passa doucement sur les lettres gravées dans la pierre et la phrase qu’elle put y lire lui arracha un petit gloussement, et discrètement elle renifla, essuya sa truffe humide d’un souple revers de la patte. Anita frotta son museau et sa joue contre la surface rugueuse, murmura encore un adieu et lui souhaita un bon voyage aux côtés de Mamie Karrigan.
Puis elle rejoint les côtés d’Alexandrine et se pressa contre elle, leurs longues queues s’entremêlant ensemble.

Attiré par une faible lueur et un mouvement à ses pattes, son regard tomba vers le sol - droit sur la liche, qui pour la première fois depuis leurs quelques semaines de cohabitation était venue d’elle-même se positionner contre sa peau. L’adolescente lui adressa un sourire un peu maigre. Peut-être que l’étrange chose sentait d’une certaine façon sa peine contenue, qu’à contre-coeur elle lui montrait son soutien.
Et les prunelles d’améthyste d’Anita ne parvenaient de se détacher de ce coeur vert et fluorescent qui battait silencieusement, pulsant pour l’éternité de cette faible lumière. La créature avait une allure pas très gracieuse, semblait vivre avec la mort. Surtout, elle ne semblait pas capable de s’éteindre , elle qui était déjà morte en naissant et s’était reconstituée de la poussière pour s’élever à ses côtés.

Elle avait l’intime conviction que le Draginsecte ne disparaîtrait pas et resterait toujours dans son sillon, veillant discrètement sur elle.
Apaisée, son sourire s’élargit un peu plus.

La créature serait Clou. Et elle aussi porterait sa mémoire - la mémoire de Casto, à partir de ce jour et pour tous les jours à venir jusqu’à ce que l’Univers lui-même s’effondre et s’efface.