Un arrangement à l'amiable • libre !

• 7 ans •
F A E I

Le soleil du petit matin était encore timide, derrière ses lambeaux de coton. Jaxx terminait ses étirements quotidiens. Il lui fallait bien ça pour récupérer souplesse et réactivité. Voilà plusieurs lunes maintenant qu'il suivait un régime drastique composé de poisson plus ou moins gras, de quelques racines, de fruits de mer et de fruits tout court. Après deux années à croupir dans une cellule trop petite, trop sombre, trop humide, inconfortable au possible, son corps avait prit un sale coup de vieux. Il avait passé les premières semaines avec la tête haute, avec humour et auto-dérision, avec détermination, aussi, à ne pas se laisser dépérir. Exercices en tout genre pour garder ses muscles actifs, histoires racontés pour ne pas perdre la boule à cause de l'enfermement... Il avait fallu plusieurs mois tout de même pour qu'il lâche prise. La manque du soleil, du vent dans son poil, de nourriture saine, équilibrée et en quantité suffisante, ainsi que les infiltrations d'eau avait eu raison de sa volonté. Par les repas trop peu copieux, il avait fondu à en devenir maigre, osseux. A dormir sur la pierre froide et ne jamais ressentir la morsure bienveillante de la lumière du jour, les articulations du solitaire avait souffert. Son poil d'à peine une teinte au dessus du blanc avait perdu en superbe, grisonnant alors.

Seule la flamme de ses yeux ne s'était éteinte. Tout comme la rage dans son coeur à l'égard de cette meute d'idiots, l'incendie n'avait fait que s’attiser. En regardant l'horizon il revoyait sa captivité comme un songe où il avait perdu toute notion de temps et d'espace. Il n'avait même pas eu le loisir de se voir mourir à petit feu, nul reflet n'était là pour lui apporter l'image de l'ombre qu'il devenait. Les tentatives d'évasion, aussi nombreuses qu'infructueuses ne le laissait que plus amer. Le temps avait passé et le prédateur n'était plus qu'une masse triste au fond d'une grotte fermée à double tour. Les louveteaux avait même cesser de venir rire de lui. Peu à peu les visites avaient cessées également. Même Joy avait espacé ses allers et venues. Et le monde avait cessé de tourner pour n'être qu'une journée sans fin, une journée qui, chaque matin, recommençait à l'identique. Cela avait duré longtemps, trop longtemps. Il en sentait le poids sur ses épaules encore aujourd'hui. Ils avaient réussis à le briser, les Etelkrus, au bout de deux très longues années d'enfermement sans soleil, sans presque de relation sociale. Et c'est lorsque le désespoir l'avait complètement submergé et qu'il avait cessé de manger depuis plusieurs jours, qu'on vint finalement le voir. Était venue la libération. La liberté offerte.

On lui rendait le droit de vivre. Et parce qu'il n'était plus qu'un esprit muselé dans un corps trop faible pour se battre et se venger, il avait encore remercier ses geôliers avant d'être raccompagné à la frontière du territoire des meutards. La honte le submergeait d'avoir été si fragile. Certains loups tenaient des années bien plus nombreuses en cellule sans se laisser écraser ! Des années ! Il n'en avait supporté qu'une ! Lorsqu'il s'était approché de la rivière pour boire et marquer une pause après tant de temps à ne pouvoir bouger et courir librement, Jaxx n'avait pas reconnu son reflet. Il n'avait vu qu'un fantôme rachitique au regard brûlant. Voilà dans quel piteux état on le laissait retourner à sa vie... L'amertume se fit haine farouche. Vengeance il désirait. Dès lors qu'il aurait dormi tout son saoul dans la douceur et le confort d'un lit de feuille ou de paille, et que ses os ne le ferait plus souffrir à chaque bond, il penserait à un plan pour se venger. Il réfléchirait vengeance. Il mangerait vengeance. Il respirerait vengeance. Jusqu'à détruire ces Etelkrus comme eux étaient parvenus à casser sa volonté. C'était donc pour ça qu'aujourd'hui, après un rigoureux entraînement et une alimentation saine, le solitaire était parvenu à retrouver un semblant de puissance.

Un corps habitué à l'effort retrouvait vite ses marques et des repas trop riches l'aurait trop engraissé d'où l'importance du soin et de la régularité apporté à son rythme de vie après tant de privation. Il se retrouvait enfin à peu près, en un peu... Vieillis tout de même. L'énergie n'était plus aussi explosive, même après une excellente nuit de sommeil ou un repas bien protéiné. Il serait sans doute marqué à jamais physiquement et mentalement de cet vie de prisonnier. Cela ne faisait que renforcer son désir d'abattre cette meute, de la détruire. Il avait pensé au feu, pour répandre le brasier qui tonnait dans son poitrail à leur égard. La saison était idéale pour un grand incendie... Mais ce n'était pas subtile. Il voulait les annihiler tout en les forçant à voir qui les rasait ainsi de la carte... Que la dernière chose qu'ils voient, ce soit ses prunelles de miel et ses crocs, riants de leur malheur. Il avait donc imaginé d'autres plans plus saugrenues, plus compliqués, plus improbables aussi. Ou carrément impossible. En effet, il était difficile pour un solitaire seul d'assassiner froidement un par un une alpha, une autre alpha, un conseiller, des gardes, des soldats, des nourrices, des panseurs, des enfants, des Prêtres, des- DES ENFANTS. Voilà l'idée du siècle !

Un très large sourire venait de fendre la poire du solitaire en train de lustrer son poil sous les premiers rayons de lumière de l'aube. Il avait son plan d'attaque. Ce serait du long terme, du très long terme... Mais au moins, personne ne verrait rien venir. Oh qu'il était content de son idée. Après tout, cela avait marché pour sa génitrice, et il lui avait semblé sentir le mépris de la gamine qu'il avait rapporter à sa famille... Un manipulateur sent ces choses là, même aussi diminué qu'il l'avait été. Le coeur d'Ama, ou quelque soit le nom qu’elle portait aujourd'hui, appartenait probablement déjà avec une fervente loyauté à l'autre louve... L'assassine. Et son propre père n'avait pas su la récupérer. Ah. Voilà le meilleur moyen de créer discorde, dissension, dissolution. Diviser pour mieux régner. C'était la technique de base, simple comme bonjour, pour écraser l'ennemi. Du coup il ne lui fallait qu'une bonne poule pondeuse, à l'esprit assez malléable pour qu'elle le laisse éduquer les lardons et les envoyer jouer, une fois bien embrigadé, au sein de cette meute qu'il haïssait tant. Il ne fallait pas que ce soit une louve Etelkru bien sûr, car ils savaient tous -ou presque- qui il était et il était hors de question de commettre l'acte odieux sans consentement. Il fallait une femelle d'ailleurs. Les Nakhus étaient-ils toujours aussi naïfs et stupides ?

Oh, il ne s'embêterait pas, il trouverait bien une esseulée, désespérée et en mal de louveteaux dont il pourrait profiter ! Ainsi naîtraient de beaux enfants qu'il élèverait avec grand soin. De parfaits espions et futurs traîtres...
N'était-ce pas, en quelque sorte, ce qu'avait fait Nola avec lui afin de se débarrasser du mâle l'ayant aidé à procréer ? Désirait-il réellement suivre les traces de cette perverse narcissique ? Il n'eut pas à se questionner longtemps, car le destin lui apporta soudain réponse étincelante dans le soleil levant en une sirène au sortir de l'Océan. Les cascades d'eau coulant des cheveux et du poil sombre de la belle blonde renvoyèrent les éclats d'aurore tout autour d'elle en une gerbe de pailettes. Crois tu vraiment, Jaxx, que les sirènes accèdent au désir des mortels si facilement ? Que le hasard fait si bien les choses ?

• 1 an et 8 mois •
F A E I

De sirène il n'y avait point ce matin dans les flots endormis. La fine silhouette qui jaillit sur la rive se serait plutôt comparée à une méduse urticante où un étoile de mer venimeuse. Un truc aussi dangereux qu'une sirène, mais qu'on ne soupçonnerait pas tout de suite. S'ébrouant vigoureusement, la jeune sorcière suivit ensuite l'écume jusqu'à la plage pour s'y ébrouer encore. Il y avait trop longtemps qu'Ann n'avait profité d'un bon bain de sel ! Voilà plusieurs jours qu'elle avait quitté Morne-Oeil pour aller se faire tatouer les pattes, et que de nombreuses péripéties l'avaient retenue sur le continent. Il y avait d'abord eu son détour au Manoir avec Mary, la rencontre avec l'Aviaire perroquet, son arrêt à la Bibliothèque pour ses recherches personnelles sur les entités marines et les rites associés, puis en terres ravagés autrefois Lazulis, elle avait découvert ce petit terrier, porte sur un monde merveilleux, et croisé un des lâches fils de la déesse rose. Les occasions pour remplir sa part du pari avec sa jumelle avait été rares, et surtout aucune ne lui avait convenu finalement. Le loup ailé était trop sage pour se laisser embobiner, et le violet trop couard pour qu'elle accepte de se lier à son sang. Pourtant il portait le poisson... Ann y avait vu un signe de l'Océan.

Aujourd'hui, elle réalisa son erreur. Le message était peut-être autre, moins... Catégorique. Il ne s'agissait pas de se jeter sur le premier poisson, mais d'être attentive à eux ? De suivre les poissons et de trouver le bon ? La chance semblait lui sourire en ce matin encore plongé dans la pénombre du levé du jour. Face à elle, un mâle à l'air entretenu, porteur d'un charmant sourire et surtout, ce qui l’intéressa plus que le reste : l'arrête de poisson arborée par son épaule. Deux choses poppèrent dans son esprit : la première, qu'il était physiquement aussi musclé que soigné et donc acceptable. La seconde, qu’elle n'avait plus beaucoup de temps pour faire la difficile, elle sentait par moment que ses douces effluves féminines s'évaporaient, moins entêtantes. L'odeur de rhum et de sel de sa peau avait disparu au profit de l'odeur boisé des terres Nakhus, à force de se baigner dans les rivières douces des terres et de se rouler dans l'argile au lieu du sable. L'avantage cosmétique était certain : son poil charbonneux n'avait jamais été aussi soyeux et ses longs cheveux blonds orangés jamais aussi brillants ! Même la corne de ses coussinets s'était affinée. Elle était donc plus jolie que d'habitude, plus délicate que ce que permettait Morne-Oeil.

Le sourire enchanté du mâle lui fit supposer qu'il désirait entamer la conversation. Elle en profita donc pour s'approcher et le détailler plus précisément. Encore un précieux qui portait trop d’intérêt à son apparence : elle remarqua bien vite les poils lissés par les coups de langue à l'instant. Il était mince, mais l'on pouvait observer le roulement des muscles sou sa peau. De pelage il était son contraire. Il portait une robe blanche là où elle n'était qu'obscurité, il possédait des touches d'indigo là où elle brillait de couleur solaire, et enfin elle aurait pu opposé ses verts aux rouges et oranges de ses tatouages et cheveux. C'était amusant comme observation. Et puis il y avait ce poisson sur son côté, ce petit squelette gravé dans le poil qui rappelait à la fois la mer et la mort. Étrange mélange. Le sourire malicieux du solitaire qui se laissait ainsi jauger en disait long sur sa personnalité. Il aimait être vu, il aimait être en valeur. Une pointe de déception chatouiller l'esprit de la petite sorcière. L'Océan n'allait-il la conduire que vers des lâches égocentriques ? Ne pouvait-elle espérer des louveteaux à la fois harmonieux et vifs d'esprit ? A la fois plus beaux que ceux de sa soeur et aux caractères fier et impétueux des pirates ?

La parole fût engagée. Il se faisait séducteur, jovial. Elle dût admettre qu'il avait un bon trait d'humour et d'auto-dérision. Peut-être était-moins maniéré que le loup violet au petit poisson ? D'ailleurs le poisson de celui-ci était bien plus gros... Cette image complètement absurde et non digne d'une femelle l'a fit sourire, eh, on ne pouvait pas tout avoir. Ann avait l'humour au raz-du-sol, on ne pouvait lui en vouloir... Les enfants de Morne-Oeil était majoritairement élevés par... les trois frères. Trois mâles goguenards et parfois vicelards. L'humour était parfois loin au fond de la mer, comme il pouvait noir ou sordide. On pouvait rire de tout, il fallait simplement ne pas être avec tout le monde. Les Etelkrus, par exemple, n'étaient pas très enclin à l'amusement et la plaisanterie... Enfin, il n'en portait ni l'odeur ni les signe cabalistiques. Joueuse, la jeune louve répondit avec malice aux questions du loup blanc. Ses techniques de dragues étaient soient complètement dépassées... Soit les forbans étaient insensibles aux loups du continent. Il ne cessa de la comparer à une créature merveilleuse comme pouvaient l'être les sirènes... mais que savait-il du monde marin ? Il mélangeait maladroitement des histoires entendues à droite et à gauche...

« Une sirène à besoin de chanter pour séduire. »

Ann fini même par s'amuser de cet idiot aux paroles cajoleuses et sonnant faux. Ses pitreries l'amusait et ses phéromones indiquait à la louve qu'il avait dans l'idée un projet sensiblement similaire au sien. Il devait sans doute le sentir aussi. Toutefois et même si ce n'était qu'un pari au regard de la noiraude, -pari qu’elle n'était plus si certaine d'avoir envie de remporter d'ailleurs au vu du florilège de spécimens masculins rencontrés-, il était hors de question de se laisser couvrir comme un animal.

« Ce n'est pas dans mes cordes. »

Le mâle pencha la tête, l'échange continua plusieurs minutes, mélangeant piques ironiques et intérêt, jeu du chat et de la souris. Ce serait à celui qui n'aurait plus de réplique de s'incliner. Elle était louve et jeune, Ann voyait bien qu'il ne lui laisserait la victoire si aisément. Mais il était continental et affamé, et elle ne le laisserait pas gagner. Joute de regard, la profondeur du sang face à la douceur feinte du miel. Jaxx fût le premier à lâcher prise, s'avouant vaincu dans un rire. Il la complimenta encore, l'a trouvant futé et déterminée. Elle ne l'était bien sur pas plus qu'une autre, mais elle su reconnaître la tentative pour l'amadouer. Il était amusant, plaisant et il correspondait assez à ses critères de pseudos sélections. Finalement, peut-être bien qu'elle pourrait profiter de lui. Quelques rires de plus, quelques regards brûlants et elle l'inviterait à une étreinte fugace. Tout ce que Creek lui avait toujours dit de ne pas faire en présence d'un représentant de la gente masculine. Il semblait en effet qu'il ai eu raison, car c'était là des techniques réellement utiles lorsqu'on voulait éveillé l'intrigue chez un mâle. Voilà donc pourquoi son père lui interdisait un tel comportement.

« J'ai cependant quelques autres tours dans mon sac. »

Le Second Raeder avait ainsi espéré à ses filles la vigilance, sans se douter un seul instant qu'au moins l'une d'elle renverserait l'enseignement prodigué à son exacte inverse... Pour un pari des plus stupides ! Ann sourit, moqueuse, tandis qu’elle s'approchait du mâle et partageait avec lui l'un de ses trésors : d'une poche de cuir elle sorti une flasque en verre, pleine d'un liquide ambré qui promettait de réchauffer l'âme et le corps. Elle lui proposa une rasade pour le petit déjeuner alors que les rayons du soleil venait frapper la petite bouteille. Il refusa poliment, non parce qu'il n'était pas appréciateur de bonne choses, mais parce qu'on ne pouvait avoir foi avec les pirates, mmh ? Ce fût le premier rire sincère qui s'échappa d'entre les crocs de la sorcière des mers. Voilà qu'il laissait finalement tomber le masque du charmeur pour se révéler, espiègle et railleurs mais aussi roublard et opportuniste. Diablement semblable à un Raeder tout ça.

« Il est évident que les saltimbanques sont bien plus digne de confiance. »

• 7 ans •
F A E I

Saltimbanque ? Voilà que la jeune louve pirate lui répondait avec humour, sur un ton semblablement taquin. Amusante cette femelle. Elle lui en rappelait une autre, au pelage gris et aux cheveux couleur du crépuscule, à la langue toute autant acérée. Cela remontait à bien longtemps maintenant... Le jeu était pourtant le même. Abbygail. Mordante Abbygail. Le solitaire blanc revint au présent, observant cette petite noiraude aux allures d'indigène. Elle avait du mérite. Elle ne le craignait pas alors qu'il était clairement plus haut sur patte, plus fort, plus entraîné et plus expérimenté -quand bien même toutes ces qualités ne voyaient dévaluées par son temps de captivité-, et elle riait avec lui de bon coeur dans une période où il valait mieux aux louves fragiles de rester en sécurité. Il sentait bien la fragrance caractéristique qui titillait sa faim sous la brise iodée. Il remarquait ses mouvements d'oreilles et de queue, l'ondulation de son dos. Il imaginait sans mal qu'elle forçait un peu les gestes, roulant des épaules de temps en temps ou soufflant sur une mèche folle chatouillant son museau. Elle était jeune, il le voyait bien. Elle n'était habituée à ce genre de jeu sensuel et sa candeur la rendait plus attrayante encore, et dans le même temps, ses traits d'esprits la montrait plus futée que pensait au début.

Une micro fraction de seconde il se dit que profiter ainsi de l'innocence de la jeunesse n'était pas moralement acceptable. Puis de nombreuses pensées s'opposèrent à cela. Tout d'abord elle répondait à ses avances sans s'offusquer et sur la même lancée que lui, elle savait donc très bien ce qu'elle faisait. Il croyait même comprendre qu'elle le cherchait. L'odeur de ses hormones de chaleur lui emplissait délicieusement les narines, comme répondant au désir qu'il laissait lui-même transparaître. Ensuite, si elle était encore un peu naïve, il lui serait plus aisé de profiter de corps pour porter des enfants et récupérer les louveteaux sans heurts une fois sevré. C'était là que commençait la véritable manipulation, donc. Car le comble de la séduction était de donner l'illusion qu'il n'était plus en train de tenter de la séduire. Il percerait ainsi la méfiance et obtiendrait d'elle tout ce qu'il voulait. Il suffisait de lui faire croire qu'il ne souhaitait plus augmenter l'attraction naissante entre eux, tout en laissant une tension subtil prendre possession de la femelle, pour qu'elle vienne à lui, réclamer une étreinte libératrice. Alors qu'il s'était jusque là plutôt fait face en s'approchant toujours un peu plus, Jaxx tourna le buste vers l'Océan, ne la regardant plus.

« Le bouffon ne saurait trouvé grâce aux yeux de la princesse. »

Soupira t-il exagérément. Théâtral était un adjectif qui l'avait toujours bien décrit. Il esquissa un sourire peiné, plissa le museau. Son attitude se modifia ostensiblement dans un relâchement de dépit. Il montrait l'image du loup tristement refoulé. En matière de charme, le mâle était stratège, là où la femelle était meilleure tacticienne. Sous la douceur du soleil les réchauffant enfin de la brise marine, le solitaire était pourtant confiant. Il se savait dominant l'échange. Il se savait maître face à la petite pirate.

• 1 an et 8 mois •
F A E I

Princesse ? Croyait-il l'avoir d'un tel sobriquet ? Sans doute les continentales se laissaient-elle séduire par de belles paroles. Sur Morne-Oeil on apprenait à user des mots à son avantage, car la force et le nombre n'était pas vraiment leur atout principal. Il était difficile de devenir aussi puissants que les meutards trop bien nourris et gras de leur vie confortable quand l'île où ils vivaient était presque exempte d'une végétation florissante. Il fallait être plutôt agile et rapide, autant en action qu'en réflexion. Par ailleurs, si la joute était amusante, il y avait bien trop longtemps qu'elle s'attardait sur le continent et Morne-Oeil commençait à lui manquer avec ses plages pleines de Sargasses et ses collines balayés par tous les vents. Il lui fallait accélérer le jeu, il lui fallait déclencher chez le mâle l'envie irrépressible du contact. Sans plus se soucier le moins du monde des convenances, et sans réaliser qu'elle suivait les prévisions du solitaire -bien qu'il n'en sois pas la cause, il en aurait été si déçu de le savoir-, elle s'approcha encore de lui, jusqu'à venir coller sa truffe dans son cou. Elle souffla des narines dans son poil fourni, et lâcha d'une voix moqueuse :

« Je ne vois qu'un pitre et une sauvage. »

Le mâle blanc baissa la tête et vint caresser ce museau museau noir au regard carmin. Il accentua le contact, bousculant la louve pour se retrouver au dessus d'elle. Ainsi il la fixa un instant, fouillant dans ce regard abyssal et sanguin l'étincelle qui confirmerait ce qu'il comprenait des avances de la Raeder. Ann n'opposa aucune résistance, mordillant même le poitrail bien lustré, dérangeant les poils. Oh, j'ai froissé ton beau pelage. Son sourire se fut mutin, ses grands yeux vide de pupilles s'embrasèrent alors qu'elle le mettait au défi d'aller plus loin. Il répondit avec une certaine forme de tendresse, parce qu'elle était jeune et fine. Il la fit languir d'abord, un peu, alors qu'il lui montrait bien qui menait la danse. Elle ris encore, avant de le mordre et de l'attirer définitivement contre elle. Pour la suite, elle le laissa être le Maitre qu'il voulait être, car il semblait bien plus expérimenté qu'elle et qu'il ne chercha pas à la blesser. L'étreinte fût douce et fugace, et il la câlina encore un peu après. Il n'était pas un goujat quand même. Seulement, dès qu'il se laissa aller à la somnolence sous ce beau soleil presque estivale, la silhouette fine de la petite sorcière se faufila dans un silence parfait jusqu'à la mer où elle s'enfuit comme une voleuse. Forbante qu'elle était. Elle disparue comme une chimère.

Comme une sirène, en laissant interdit, éberlué et pensif le marin séduit qui compris finalement qu'il n'avait pas été celui qui mène la barque...