Se battre comme des filles ✠ Anita

[10 PVs]
Le combat continuait et n’était peut-être pas près de se finir, car les deux louves dansaient à en perdre l’haleine au sein de cette valse, l’une novice et cherchant encore ses marques mais y mettant toute son énergie et sa volonté et l’autre à la hargne réputée qui refusait de perdre le fil.
Elles se pourchassaient ainsi d’un bout à l’autre de la salle, Anita esquivant cette énième attaque et replaçant ses appuis avec un sourire conquérant. Ses oreilles droites analysèrent les sons qui en des rebonds infinis emplissaient la grotte, isola ceux qui l’intéressait. Le son de la foulée de sa tante et sa cadence régulière et déterminée, d’abord lente puis plus soutenue. Comme Anita n’avait fait au tout début de l’entraînement, Pepper lui tournait autour et l’adolescente orientait constamment sa tête et son corps de sorte à toujours pouvoir la suivre et réagir, vérifier qu’elle ne s’approchait pas trop, qu’elle ne fonderait pas sur elle à la manière d’un rapace dans un angle qui ne lui serait pas favorable.
Mais c’était différent d’elle qui avait gardé ses distances pour simplement jauger la situation avant de bondir d’un seul coup.
Sa mentor semblait refermer le cercle, ses pas se rapprochaient mais pas en ligne droite – ils suivaient toujours cette même spirale qui tournait, tournait encore mais n’avait pas vraiment la jeune louve pour centre.
Ou plutôt avait-elle fait en sorte de faire d’elle un centre mobile, un pion qu’elle déplaça à sa guise – elle le comprit quand le bout de sa longue queue effleura le mur en un faible frottement, et elle réalisa que Pepper l’avait lentement repoussée contre l’une des parois sans qu’elle ne se rende compte de tout le recul qu’elle avait pris. Ses ultrasons, en ce moment précis, auraient pu l’aider à garder un cap constant sur la structure de la salle – mais Anita avait justement voulu les retenir pour concentrer son ouïe et uniquement celle-ci sur les déplacements de l’adversaire.

Elle serra les crocs mais ne perdit pas son sourire.
Il allait falloir se montrer encore plus maline que sa tante, maintenant.
Alors elle se laissa acculer.
Elle était désormais si proche du mur que ce fut l’un de ses talons qui s’y cogna, et elle prit soin de laisser entendre le son de cet os se heurtant à la roche.
Ce serait le moment qu’elle choisirait pour finalement refermer son piège et bondir à son attaque.

Mais de cette anticipation qu’elle s’était forgée pour réagir au bon moment naquit une nouvelle esquive. Elle entendit les pattes de l’Alpha quitter le sol, son corps fuser dans les airs – et à ce moment-là déjà s’était-elle cabrée, elle avait étendu son corps et ses pattes de toute la hauteur qu’elle pouvait déployer pour finalement s’envoler par-dessus sa tante à la taille si contrastée. Elle passa par-dessus son corps qui allait dans l’autre sens, là où ses crocs ne trouveraient une nouvelle fois que l’espace vide qu’elle y avait laissé.
La louve toucha à peine le sol qu’elle fit volteface pour asséner un coup de patte à ce qu’elle jugea être l’arrière-train de Pepper, cherchant à la déséquilibrer – ce ne serait pas suffisant, mais elle préféra d’un bond s’éloigner de nouveau pour reprendre ses distances.

[5 PVs]
L’adolescente était pantelante, l’effort était intense.
Sa tante ne lâcherait rien, elle le savait, et elle non plus. Elle était là pour aller chercher le meilleur au fond d’elle-même et Pepper l’y aiderait.
Elle sut qu’elle ne plaisantait plus quand dans l’arène où il n’y avait déjà plus de place ni de temps pour les paroles depuis plusieurs minutes ce fut un aboiement puis un grondement qui retentit, annonciateur du franchissement d’une nouvelle étape.
Elle trouvait en la redoutable Anita adversaire à sa taille et elle ne lui donnerait plus aucun avantage.

De ses oreilles dressées attentivement elle suivit encore la promenade de la bleue qu’elle ne saurait voir, l’entendit encore s’éloigner d’elle. Contrairement à d’autres elle ne profitait pas des pauses pour tenter d’attaquer mais pour continuer de se nourrir des informations qu’on voulait bien lui laisser et que communiquait son environnement. Elle n’aurait eu aucune chance en faisant charge de front sans profiter d’un quelconque enchaînement – sa mentor était bien trop préparée à la survenue et à l’encaissement d’un tel coup et l’aurait repoussée.
Ses oreilles s’agitèrent quand elle entendit le harnais tinter un peu trop fort, puis elle continua d’écouter la foulée de son aînée.

Qui à nouveau se dirigeait droit vers elle, lançant brusquement un nouvel assaut.
Que cette fois-ci elle prit presque intégralement de plein fouet, dans une erreur d’interprétation qu’elle ne comprit que lors de l’impact.

Un jappement de surprise lui échappa quand sa mentor s’abattit sur elle et lorsque ses pattes se refermèrent autour de son buste pour la repousser elle n’y trouva pas la forme familière de ce harnais de cuir aux longues pointes de métal. Dont le cliquetis qu’elle avait usé tant de fois pour repérer distinctivement les déplacements de sa mentor était désormais éteint.
Une brève lutte s’ensuivit, Alpha et apprentie roulant sur le sol en se démenant pour maintenir l’autre au sol – mais Anita ne gagnerait pas ainsi, aussi mit-elle la priorité à s’échapper de la prise de sa mentor non sans lui envoyer une patte dans le museau pour gagner une seconde, puis elle se déroba et bondit plus loin, léchant sa truffe qui avait pris un léger goût de sang.

Elle aurait voulu parler et taquiner, féliciter le coup porté par sa mentor – mais elle ne pouvait plus se permettre de gâcher un souffle et un instant de concentration en le sacrifiant à la malice, pas à cet instant, pas alors que le tempo s’accélérait.
La tension montait, les corps s’entrechoquaient.
Elle souffla longuement et entrouvrit la gueule pour mieux capter l’air qui s’échauffait, plaçant son corps fébrile en position pour anticiper le prochain mouvement.

[5 PVs]
Et de nouveau chargea la mentor d’un élan qu’elle aurait pu dire revigoré.
De cette attaque qu’elle mena avec succès pour réussir à finalement la frapper de plein fouet Pepper sembla tirer énergie nouvelle, prenant à peine le temps de reprendre un souffle court avant de se précipiter vers l’apprentie de nouveau.
Elle redevenait beaucoup plus frontale, Pepper, avec cette assurance de l’avoir suffisamment déstabilisée pour pouvoir la saisir à nouveau.

Mais Anita n’avait pas dit son dernier mot, la conclusion était encore loin d’être jouée bien que le dénouement eut commencé à se profiler dans l’ombre dansante de leurs silhouettes s’entre-chassant. Elle attendait sa mentor, elle était prête à la recevoir ; s’être fait après n’avait pas diminué sa confiance et l’avait seulement incitée à être d’autant plus prudente, plus attentive encore aux sons auxquels elle devrait se raccrocher pour ne plus dépendre du harnais.
L’adolescente abaissa l’encolure, rentrant le cou sous ses épaules rondes aux muscles gonflés et sa queue fouailla l’air en un claquement sec.
De cette attaque directe sa tante lui facilita cette fois la tâche sans forcément s’en rendre compte : cette ligne droite qui venait vers elle dans une foulée plus clairement analysable que les jeux de pas qu’elle avait déployée jusqu’alors lui rendit esquive plus aisée lorsqu’elle bondit vers l’avant comme pour venir à la rencontre de l’adversaire – mais au lieu de ça sa queue en gouvernail lui donna l’inflexion nécessaire pour filer juste à côté de ses crocs et de sa gueule grande ouverte au dernier moment, lui échappant comme un souffle d’air que l’on aurait voulu emprisonner.

D’un rapide coup de crocs elle décocha au passage une attaque au talon de la louve bleue, pinçant ce qu’elle pouvait, ne s’éloignant plus autant d’elle – peu à peu, à son tour, elle allait devoir profiter de la fatigue des deux combattantes pour espérer gagner cette lutte.
De plus en plus elle s’attaquerait aux solides appuis de sa tante qui en toutes circonstances la maintenaient debout.

[1 PV]

Les deux adversaires encore s’éloignaient, reprenaient leur distance pour établir les coups finaux qui seraient portés – nul doute dans le fait que très bientôt elles entreraient de nouveau en collision, et que ces luttes seront les dernières, tant leurs deux corps commençaient à ressentir la fatigue de ce combat qui s’étalait en longueur et mobilisait leur entière énergie.
Il était de plus en plus difficile pour la jeune hybride de calmer les sons de son propre corps qui venaient parasiter sa lecture des informations de cette respiration haletante et rapide qui soulevait ses flancs, pourtant toujours elle s’appliquait à suivre les foulées de Pepper.
Qui recommençait ses jeux de pas, changeait parfois d’allure et bondissait sur un côté, pour toujours plus la perdre dans le suivi qu’elle tentait d’en faire.

Elle enchaîna les feintes ; haut, bas, droite, gauche, rapide, lent.
Anita avait du mal à suivre maintenant que l’énergie la fuyait de plus en plus mais elle ne lâcherait rien, luttait pour suivre la cadence infernale qu’imposait sa mentor.
Un tintement familier fit tiquer son oreille quand le son du harnais résonna et sa tête fusa dans sa direction, le reste de son corps suivant le mouvement. Pepper ne cesserait pas de bouger mais lui avait tout de même offert un marqueur étape de son déplacement.
Puis ce furent des griffes sur la pierre qu’elle entendit, le frottement d’un corps raclant la roche, et elle comprit que sa tante grimpait quelque part, se hissait en hauteur.
Mais où précisément ?
Un trône lui paraissait le plus logique, promontoires évidents et facilement accessibles. D’ici elle pourrait la dominer et l’attendre, elle qui avait désormais pris un peu de retard dans son anticipation de la prochaine attaque.

Une ultrason puis deux s’échappèrent de sa gueule tandis qu’elle circulait à pas prudents, sondant l’espace pour trouver où se situerait l’anomalie, la masse perchée qui n’aurait rien à faire là. Méfiante, elle avançait sans baisser sa garde, tournait en cercle autour des deux trônes.

Elle la localisa une seconde trop tard.

La masse de Pepper s’abattit sur son dos et coupa aussi bien son souffle qu’elle claqua sèchement sa mâchoire, amenant le goût du sang sur sa langue qu’elle mordit sous le choc inattendu.
A cet instant elle n’eut d’autre choix que de s’effondrer, chutant au sol dans une nouvelle lutte au corps à corps.
Mais elle n’avait pas encore dit son dernier mot, ne capitulerait pas malgré la douleur dans ses muscles contrits : Pepper avait pris le dessus mais il lui resta l’énergie d’enfoncer une patte dans son ventre pour la repousser, la soulever juste assez pour lui permettre de s’échapper de sous son corps musclé et solide dans une ultime esquive – elle avait presque réussi, mais l’Alpha ne l’avait pas encore immobilisée pour de bon, elle avait retrouvé sa liberté. Pour quelques instants de plus.

Elle se campa droite sur ses pattes ; debout bien que chancelante, vaillante bien que tremblante.
L’adrénaline faisait battre son sang à ses tympans, elle sentait la douleur de son corps fatigué menacer de la saisir mais se faire repousser par sa détermination à aller jusqu’au bout.
Elle ne pouvait plus se permettre de courir tout autour de la pièce pour espérer semer sa tante et la prendre par revers.

Alors elle attendit, un sourire fatigué mais immense sur sa gueule ouverte aux crocs dévoilés.

[1 PV]

Elle sentit le grondement de l’Alpha irradier dans tout son corps, entrer en résonnance avec ses os et faire frémir sa peau.
Maintenant baignée de cette lutte acharnée qu’elles menaient entre elles elle en avait presque oublié qu’il ne s’agissait que d’un entraînement : vibrait en elle le désir de terrasser cette adversaire qui tel les rocs constituant leur demeure ne tombait jamais, malgré les petits assauts qui tombaient en pluie sur son corps robuste.
Sa queue effectuait un mouvement de balancer régulier et de plus en plus nerveux, attendant une fois encore la charge nouvelle.

L’Alpha bougea, vive et brutale.
Un tintement s’éleva du sol en une averse de cliquetis métal et de bruissements de cuir, Anita devina le harnais abandonné que sa mentor souleva du sol pour le prendre dans sa gueule. Elle sentit le souffle d’air avant qu’il ne l’atteigne, bondit en arrière en un réflexe naturel que malgré l’épuisement son corps n’aurait su abandonner.
Une lanière de cuir frôla à peine sa patte, les piques de métal n’eurent pas même la chance d’espérer l’effleurer : la future disciple de l’Anaconda n’avait pas encore été mise en cage, pas encore été jetée au sol par la Renarde qui tentait de l’immobiliser de ses crocs et de ses ruses.

Frappant vivement et saisissant l’occasion avant qu’elle ne disparaisse et que Pepper eut de nouveau la chance de lancer son projectile, Anita lança un coup de patte dans l’objet pour en retourner le poids contre l’envoyeur, espérant la frapper des liens de cuir et de métal qui n’étaient parvenu à l’atteindre.

Elle fit mouche et le comprit au son que fit l’Alpha, à ce jappement de surprise et de brève douleur.

S’ensuivit encore un instant de confrontation silencieuse, un silence dans la partition qui arrivait presque à son terme. Un instant durant lequel seules leurs deux respirations sifflantes et laborieuses se tinrent tête, rythmant l’obscurité d’une soufflerie grondante et répétitive.
Nouveau grondement venu faire vibrer l’air électrique, nouveau coup de tambour dans l’orchestre. L’acte final.
Anita le sentait à ses pattes qu’elle ne sentait pas, au goût du sang venu envahir le fond de sa gorge comme lorsque l’on a couru trop vite et trop fort à en perdre l’haleine.

Pepper reprit la marche, elle entendit le son de ses griffes marquer la pierre. Ses muscles se tendirent douloureusement alors qu’elle s’apprêtait pour le dernier duel.
La petite louve lui tournait autour, encore ; l’adolescente tentait tant bien que mal de suivre son déplacement avec précision, décrivant un cercle sur elle-même pour toujours lui faire face, perchée sur ses hautes pattes rendues faibles d’épuisement.
L’alpha imposa un arrêt, fit régner un nouveau silence.

Puis bondit droit sur elle.

Anita se cabra pour la recevoir, pattes tendues de l’avant pour repousser l’attaque – elle savait que Pepper était venue l’encercler de trop près et qu’elle serait désormais trop lente pour l’esquiver efficacement. Il lui fallait tenter le tout pour le tout, accepter le corps à corps.
Leurs corps à nouveau se rencontrèrent, la masse de sa mentor l’écrasa en plein fouet et elle se sentit basculer en arrière au moment où ses pattes se refermaient autour de ses épaules.
Elle sut que c’était fini, qu’elle n’aurait cette fois pas l’énergie de s’extirper de son emprise, qu’à l’instant où son échine rencontrerait le sol froid Pepper aurait eu raison de sa vivacité.

Mais dans un dernier élan de hargne, car elle refusait de capituler sans brûler son dernier souffle d’énergie à essayer d’emporter l’ennemi avec elle ; elle jeta son encolure de l’avant, vipère cherchant à mordre, et enfouit sa gueule ouverte dans la fourrure épaisse bordant les joues de sa tante.
Ici elle referma sa mâchoire, sur l’une des épaisses touffes de poil bleu ; et quand enfin elle heurta la roche c’est dans une dernière contraction musculaire qu’elle déploya ses dernières force, tentant de tirer l’Alpha au sol en même temps qu’elle.

Elles s'effondrèrent, ensemble.

Le silence fatigué qui suivit leur ultime action résonna avec le son de leurs souffles profonds et exaltés, les yeux d'Anita étaient toujours perdus dans le noir mais elle avait pourtant la sensation de regarder les étoiles.
Les secondes passèrent mais elle finit par briser cet instant hors du temps d'un rire faible qui peinait à trouver de l'air pour s'alimenter.

— Eh bien, je crois que la Reine demeure championne.

Un sourire vint étirer sa gueule entrouverte et d'une griffe elle releva le bandeau qui déjà avait commencé à se dénouer après tant de chahut, papillonnant des yeux pour s'habituer à nouveau à l'afflux de lumière - pourtant faible dans cette grotte au cœur des roches, mais éblouissante tout de même après un combat passé dans le noir.