Leave the horror here - Alexandrine

Elle essayait, Holly, elle essayait si fort.
Elle essayait de s'accrocher à toutes les paroles pleines de bon sens qu'avaient pu lui dire Tawana, Anette, puis Désastre. Par ce qu'elle savait, évidemment, qu'ils avaient raison.
Et pourtant, a peine ses pattes s'étaient-elles posées sur une prise un peu plus solide qu'elle se sentait glisser à nouveau. Elle pataugeait et ça la rendait folle.
Pourquoi, putain, pourquoi n'était-elle pas capable d'aller bien malgré toutes les pattes tendues ? Pourquoi sa tête refusait-elle de se plier à sa volonté ?

Il avait fallu que l'on mette un mort-né sur sa route pour qu'elle recule de dix pas. Stupide.
Ce n'était pourtant pas son bébé à elle, qui était né sans vie, ce jour là. Mais celui de Tawana. Et actuellement, elle n'était même plus capable de rester en soutient auprès de la louve tachetée. Ridicule.

La conseillère souffla. Pas de soupir de tristesse, cette fois, elle ressentait surtout de l'agacement, de la frustration et toujours cette culpabilité grandissante. Elle qui voulait tant aider, la voilà qui devenait un fardeau pour les siens, pitoyable.
Pourquoi ne parvenait-elle pas à se relever, lorsque Anette se montrait si forte, si censée ?

Elle était en colère.
Contre le destin, mais aussi contre elle même. Surtout contre elle même.
Holly hoqueta, sentant les larmes monter. Mais elle gronda, par ce que ce n'était pas une solution, de toujours se mettre à pleurer quand ça n'allait pas, qu'elle avait le sentiment de ne rien faire d'autre, en ce moment et que, putain, elle était Conseillère et se devait donc de montrer l'exemple.
Qui donc, voulait d'une haut gradée qui se laissait aller ? C'était déjà un miracle, que Pepper et Anette ne l'aient pas déchue de son rang.
Si elle l'avait mérité, quelques mois plus tôt, ce n'était plus le cas.

Le regard vide, la louve prit la décision de quitter le Castel. Par ce qu'elle ne voulait pas que l'un de ses congénères la remarque dans cet état. Par ce qu'elle ne voulait pas éveiller l'inquiétude et entendre, encore, des paroles de réconfort et des conseils qu'elle n'était pas capable d'appliquer.
De l'air, il lui fallait de l'air?

Ce fut en courant qu'elle traversa les terres Etelkrus, sans se soucier des paysages qui l'entouraient. Elle s'en fichait bien, là, de la beauté de la Rougelande et de celle des falaises littorales. Ce n'était pas ici, qu'elle irait, non. Il lui fallait gagner la frontière puis la dépasser. Trouver un endroit ou elle ne rencontrerait pas l'un des siens, où l'on ne viendrait pas vers elle.
Un endroit où elle pourrait déverser sa rage et, cette tristesse persistante qui était finalement bien vite revenue occuper sa place dans son cœur.
Comme un plaisir coupable qui n'avait de plaisir que le nom.

Peut-être qu'après ça, elle pourrait revenir chez les Etelkrus calmée, au moins. Son absence à elle ne serait pas très longue, par ce qu'elle avait du travail et ne pouvait se permettre un périple de plusieurs jours.

Ses pattes plongèrent dans le lac coloré de la vasque de la lune, mais elle ne s'arrêta pas là. L'eau glacée pourrait peut-être lui remettre les idées en place, ne serait-ce qu'un peu. Alors elle avança, immergeant ses épaules puis sa tête. Elle perdit sa couronne de fleurs, mais ça n'avait pas d'importance.

Dans son cou, ces branchies dont elle avait hérité pour une raison bien mystérieuse, l'aidèrent à respirer. Ce milieu, normalement hostile à leur espèce, devint un refuge de sérénité, si froid et si calme, engourdissant un peu son corps et son esprit.
Elle bougea encore, nageant au centre du lac pour en gagner les profondeurs. Là, dans l'eau, elle s'autorisa à pleurer, à hurler. Par ce que personne ne l'entendrait, par ce que ses larmes n'étaient que quelques gouttes salées dans cette vaste étendue.

Et maintenant ?
Elle leva la tête vers la surface. Celle ci lui paraissait si hostile. Souhaitait-elle réellement remonter ? N'était-elle pas mieux, ici, parmi ces poissons qui se fichaient bien de sa présence ? Au moins, dans le lac, elle n'assisterait plus à aucun drame et les gens pourraient partir sans qu'elle ne s'en rende compte.

Mais elle ne pouvait pas inquiéter Anette, ni Pepper.
C'était interdit.

Et puis, elle avait froid, un peu.

A peine soulagée par cette immersion -Combien de temps était-elle restée dans le fond du lac, à pleurer ? Une heure ? Deux heures ? -, elle se décida à remonter à la surface, la mort dans l'âme. Dans sa poitrine, son cœur s'était remis à palpiter et cela faisait... Mal. Tout faisait mal, en ce moment. Elle regretta, de ne pas avoir pris quelques plantes pour se calmer, avant de partir.

Elle inspira une goulée d'air, lorsque sa tête franchit la surface. Son regard bleu chercha le ciel du même ton. Anette le regardait, le soir de leur entrevue, elle aussi. Serait-il capable de lui apporter des réponses, ou au moins un peu de sérénité ?

Non, il lui apporterait mieux que tout cela.

Surprise.

Tu ne t'attendais pas à la voir, hein ?
Toi qui, parfois, dans l'obsession, cherchait son odeur sur les terres Etelkrus et limitrophes sans jamais la trouver. Toi qui la voit toute les nuits, en songe, et qui t'éveille brutalement en imaginant le pire, bouffée par l'angoisse.
Il fallait que tu touches le fond du lac, pour que tes prunelles bleues rencontre celles, vermeille, de celle qui t'était si précieuse.

Une fois de plus, ton coeur s'emballer.
Par ce que tu l'aimes, Alex. Par ce que tu l'aimes si fort, sans pouvoir t'en empêcher.
Par ce qu'elle t'a manquée et que, putain, tu ne peux empêcher ces couleurs d'éclabousser la toile vierge de ton être lorsque tu la vois, plantée là, juste devant toi. C'est violent, désordonné, ça manque tellement de cohérence, c'est pas beau, pas poétique, c'est brouillon, pathétique, ridicule.
Mais ça te rend heureuse et ça dissipe ton angoisse. C'est plus efficace que tous les mots censés du monde et que les plantes de Désastre.

Pourtant, ce n'était qu'un bonheur éphémère, fugace, égoïste.
Elles tombaient, toutes les deux, si bas, happées par le vide. Était-ce elle, Holly, qui l'entraînait dans cette chute vertigineuse ?
S'étaient-elles déjà tenues aussi loin de l'autre ?

Tu n'es plus heureuse.
Lorsque ses mots, si durs -S'en rendait-elle seulement compte ? - parviennent à tes oreilles, tu te demandes si tu ne vas pas t'écrouler sur le sol. Tes pattes tremblent, tes paupières aussi. Ton coeur bat plus fort, mais pas seulement grâce à l'amour. Tu as si mal au ventre, si mal.
Si mal.
Partout.

C'était trop.
Ils étaient tous, là, à lui rappeler sa responsabilité, qu'elle devait être forte car conseillère. Même lorsqu'elle fuyait les siens, à son tour, on lui pointait sa propre défaillance.
Elle n'était pas au clan lorsque l'on avait besoin d'elle, alors qu'on lui faisait confiance, alors que Pepper lui avait avoué avoir, en elle, de grands projets.

Comme elle s’écœurait, immonde petite bestiole fragile incapable de porter le fardeau de ses problème. Alors qu'à côté, Anette l'Alpha, tenait bon. Alors que Tawana, qui avait perdu son bébé, tenait bon.

Comment se battre lorsque l'on se retrouvait désarmée ?
Comment devenir forte, être de celles qui tenaient bon même en pleine tempête, comme Anette, comme Pepper ?

- Non.

Elle souffla.

- Je ne sais plus aider.

Je ne sais plus t'aider toi. Je ne sais plus aider mes Alphas, pour qui je deviens un fardeau. Je ne sais pas aider une mère éplorée. Je ne suis même pas capable de m'aider, moi.

Et voilà qu'Alexandrine devait encore la relever, elle, si fragile. Elle qui ne trouvait jamais la force dans ses propres pattes pour s'élever. Si dépendante, elle était si dépendante. Les paroles de Désastre lui revinrent en mémoire. Ce n'était pas à Alex, de l'aider, mais à elle. Elle ne pouvait toujours s'en remettre aux autres, il lui fallait essayer, encore et encore, de trouver les armes pour combattre ses démons.
C'était possible. Après les mots d'Anette, après l'aide de Désastre, elle avait pu trouver un semblant de chemin à prendre.
C'était long, mais possible. Tant que l'on ne mettait pas devant ses pattes des événements tragiques tel que la venue au monde d'un enfant mort né.

Mais qui lui avait dit, que ce serait facile ?

Allez, un effort, un pas après l'autre. C'est pas grave, de tomber, tant qu'on se relève. C'est pas grave non plus, de prendre le temps, c'est mieux que rien.
La voix d'Holly, elle, se fit douce. Elle comprenait.

- Je sais. Prend le temps.

C'était un sacrifice nécessaire. Par ce qu'elle ne pouvait pas emprisonner Alexandrine et qu'elle ne le souhaitait, de toutes manières, pas. Le bonheur de son amie était plus important encore que le sien.

Pourtant, tu as l'envie coupable de gratter quelques minutes en sa présence, même lorsqu'elle te crie dessus, même lorsqu'elle reste loin. Elle comble ce vide en toi par sa simple présence. Elle est merveilleuse et tu l'aimes tellement, Alex. Ton regard, tes pensées, tout n'est qu'amour.
Est-ce-que c'est mal ? Et elle, qu'est ce qu'elle en pense ?

Tu le sauras plus tard, quand tout ira mieux. Peut-être. Ce n'est pas simple non plus, de porter toutes ces incertitudes alors que, toi, tu aimes à ce point. Mais tu n'as pas le choix.
Tu n'as pas le choix et tu feras avec. Pour la préserver, elle.

Elle se redressa sur ses pattes, droite. Elle souhaitait lui donner l'impression d'être forte, de dompter le chaos.
De combattre.

Pour rassurer, pour aider, pour ne pas l'emmener avec toi dans les tréfonds.

- Il me faudra du temps, mais je me relèverai.

Elle essayerait. Non, elle le ferait, par ce qu'elle n'avait pas le choix. Et ces paroles là, prononcées de la personne qui la connaissait le mieux, elle ne pouvait pas les oublier. Il lui fallait s'y accrocher lorsque les choses n'iraient pas, penser au positif.
Penser à elle, si belle, si forte. Elle qu'elle n'égalait pas encore.

Son regard mort reprit vie, scintillant.

- Merci, Alex.

Et pour la première fois, depuis le début de leur échange, la douleur laissa place à l'espoir... Et à la sensation de froid sur son poil mouillé. Elle grelottait, littéralement.
Il lui fallait rentrer, se sécher. Reprendre le travail aussi... Ou bien aller se reposer. Ce ne serait pas une mauvaise idée. Mais parviendrait-elle à s'endormir ? Elle se sentait pile, dotée d'une énergie désormais infinie, revigorée par la présence de l'être aimé.
Une vraie ado.