Ceux qui cherchent le silence ✡ Izykia

De plus en plus souvent c'est ici qu'on te retrouve, Désastre.
Là où on ne te voyait pas poser patte, d'ordinaire, là où on ne pensait à te chercher. Et c'est bien pour ça, que tu venais ici.

Après avoir veillé sur ses patientes, leur élaborant les remèdes qu'elles devraient prendre avant que le sommeil ne soit là pour elles ; après avoir pansé les blessures d'une Épée puis d'un enfant, de celle qui se bat et de celui qui fait semblant de se battre ; après avoir refait l'attèle d'une patte cassée, pour mieux voir la louve remarcher un jour... Désastre avait rangé la tanière des panseurs puis avait mis fin à ce devoir qu'était son rang, laissant sa relève prendre sa place avec pour seule attention un vague regard et quelques brides de paroles en guise de résumé des soins à fournir à ceux qui restaient au plus près des panseurs, au moins pour cette nuit.
Et comme à chaque fois, il avait quitté le Castel pour marcher le long des frontières. Un pas souple et rapide, qui le menait à longer celles-ci.
Il a des airs félins, l'adolescent à la mécanique bien huilé, quand il se promène là sans un mot ni une attention pour ceux qu'il croisait.
Il a des airs prédateurs, lui qui ne chasse ni ne traque pourtant en cet instant présent...

Sur son visage d'aspect encore juvénile greffé au corps d'un adulte trop entrainé, pas un sourire ni un éclat.
Froide morosité, tristesse éteinte... Comme d'habitude, c'est ça qu'on y lisait.
Au moins avait-il l'air de savoir où il se rendait, dans sa démarche précise, même sans ambition ni motivation pour briller au fond de son regard.

Dans un objectif bien personnel, qu'est celui de trouver le silence après une journée trop bruyante.

L'oreille capable d'entendre est saturée, il part en quête du calme et de la tranquillité pour atténuer les tensions qui en découlent. C'est pour ça qu'il va loin, c'est pour ça qu'il dévie soudain sa trajectoire et part vers les dents de roc.
Parce qu'on ne penserait à venir le chercher là-bas, pas encore, lui qui plus souvent visite la rougelande et la moere, quand il n'est pas au castel.
Parce qu'il peut profiter d'un créneau de repos sans que l'on vienne ne le déranger d'un service ou d'une envie de compagnie.
Parce qu'il pouvait être seul, là-bas.
Posséder le précieux vide, autour de lui, en résonance avec celui de son esprit asthénique.

Il ne veut pas parler, il veut retrouver le silence et s'y baigner.
Il a escaladé un rocher et maintenant relève le museau, il défie la cime des arbres et ferme les yeux.
Respire, Désastre.
Il n'y a que la brise pour lui murmurer le chant léger des aiguilles des pins qui se frottent les unes aux autres, pour lui parler doucement d'un lièvre qui marche sur une branche et la fait craquer derrière lui.
Il arrête de penser à tout ce qui fait mal, à ce trouble qui l'habite et qu'il fait taire à coup de matraque pour mieux le dissimuler dans un placard.
Il cherche un peu de bien, à défaut de l'être.

Combien de temps reste-t-il ainsi perché, Désastre ?

Lui-même ne le sait pas, il sort de cette immobilité latente en même temps que ce lièvre, ce même qui avait fait craquer la branche, passe devant lui. Il se déclenche, réaction instantanée du carnivore qui soudain bondit et fond sur la proie, laisse tomber dans un bruit sourd le corps puissant et claque sa mâchoire sur le cou de celui qui meurt entre ses crocs.

Là.
Juste devant toi, sur qui il relève le regard rouge où dans une étoile, il brille ce même jaune que tu portes.

Disciple de Kiro, es-tu aussi là pour qu'on ne te trouve pas, entre les troncs et les rocs du domaine d'Aka ?

Il n'a pas reculé, celui qu'il sait Epée, il n'a même pas l'air surpris de le voir ainsi fondre sur une proie que peut-être il suivait lui aussi, dans une traque sur laquelle ils s'étaient marchés dessus, eux animaux carnassiers se laissant emporter par l'instinct de prédation pour subvenir à leurs besoins primaires.
Ils se toisent un instant, dans le silence persistant de ceux qui savent l'entretenir. Pas un cri, pas un murmure.
Il ne peut y avoir un mot de trop entre eux, voilà la certitude qui se profile devant lui.

Le lièvre en gueule, Désastre redresse son encolure et s'affiche désormais droit, mâle plus grand que l'autre quand l'autre se veut plus long de corps. Il jauge son comparse, ne sait s'il doit faire volte-face et s'évanouir dans la nature, ou bien lui tendre ce lièvre qu'il chassait sans doute. Lui devait le faire par devoir, quand ça n'était pour Désastre qu'un moyen d'extérioriser quelques pulsions venues le saisir, défoulant ses pattes et laissant l'énergie en trop s'évanouir dans une activité utile à la meute, lui incapable de sortir des rangs pour se laisser aller à l'oisiveté ou à des activités plus personnelles.
Exception faite de lorsqu'il était avec Anita, et des dessins dans la moere.
Il y pense mais ne comprend que c'est une chose qui finalement lui manque.

L’Épée est le premier à parler.

Le force un peu à réfléchir, maintenant. La deuxième fois aujourd'hui... Ses yeux se plissent, mouvement succins qui à peine se capte. Désastre ne fait pas assez attention, ses yeux s'accrochent aux visages mais ne s'en souviennent forcément. Plus encore c'est son nom qui lui manque.
Dans son incapacité sociale, il ne parvient à associer un visage à un nom tant que ce n'est pas ce visage qui le prononce devant lui. Il lui arrivait d'oublier, aussi.
Mais il se force, ressasse. Il n'a pas vu tant de monde, aujourd'hui.
Ça lui tilt et voilà qu'il redresse les oreilles jusqu'alors gardées en berne. En sortie de la tanière des guérisseurs, c'est là qu'il l'avait croisé. Il hoche la tête, n'émet qu'un bref bruit entre sa gueule conservée close.

« Mmh. »

Son nom ne lui revient pas, mais il peut associer son visage à une rencontre déjà effectué. Déjà ça, dirons-nous. Il ne fait pas preuve des mêmes politesses, dans l’impassibilité sienne, ce calme profond et implacable qui semble lui économiser mots et mouvements.
Cela peut dérouter, comme on finit souvent par s'y habituer en venant à le connaître. Ça n'empêche pas l'autre de souhaiter passer du temps en sa compagnie, souhaitant s'installer avec lui bien que Désastre n'était encore installé nul part.
Un peu déconnecté des mots, est l'adolescent, il ne comprend pas toujours bien ce qu'on lui dit. La réponse adaptée lui semble être :

« Oui. »

Le mâle le dépasse, il pivote sur lui-même pour le regarder s'éloigner et là-bas s'installer. Après une latence de deux secondes, Désastre se met en mouvement, suit le loup pour se mettre assis à sa proximité, sans le coller non plus. Les contacts ne sont pas des choses qu'il recherchait, on venait davantage le trouver.
Au pied du rocher est posé le matin, laisse l'odeur délicieuse flatter ses narines. Il lui vient aussi la sève des pins et l'odeur forte de ceux-ci, le bruit de la forêt et le silence de l'autre loup.

Il en profite, un peu.
Il ne cherche pas une conversation, il n'a pas besoin de ça pour se sentir à l'aise.
Le silence est précieux, il est chose que l'on peut apprendre à savourer à plusieurs.

Enfin du moins à deux, parce qu'il n'aime pas être davantage. Il peut ainsi apprendre à connaitre l'autre, analyse le visage, les gestes et le corps, la façon dont il bouge. Il s'en dresse un dossier, non pas pour nuire mais pour guérir.
Son devoir de panseur souvent se rappelait à lui, ainsi était-il capable de lever les problèmes.
C'est pour ça que tu ne les manques pas, ces yeux si fatigués.
Les cernes qui se creusent sous les ambres sauvages, l'aspect terne du regard qu'il aurait pu relever s'il l'avait vu avant l'épuisement. Il a déjà aidé à soigné ça. Holly aussi, fut épuisée.

Alors qu'il avait vers lui tourné la tête, il réaligne celle-ci avec le reste de son corps pour regarder droit devant lui, cette nature sauvage d'épines et de roc qui se dresse non loin d'eux.

« Tu es épuisé. »

Constat qui tombe, après ces minutes sans un bruit. Murmure qui se mêle à la brise qui se lève.
Vérité incontestable.
A lui, on ne ment pas.

Un sourire qu'il ne sait comprendre se fige sur les babines de celui fatigué. Désastre, sur lui, garde ses yeux rouges et l'observe sans rien ajouter de plus. Il ne sait pas encore à qui il a à faire. La façon dont il peut essayer de lui mentir, de cacher ses maux d'un insupportable ce n'est rien. Une phrase qui fait frémir ses babines et qu'il ne tolère pas, lui qui se tient dans la lumière de la toute vérité et qui d'un mauvais oeil observe ceux qui s’essaie dans l'ombre du mensonge.
Pas devant lui.
Mais il n'en est rien, avec Izykia, plutôt avec cette Epée dont le nom peine à lui revenir, à lui qui a toujours du mal à bien se souvenir.
Il faudra pourtant qu'il en prenne connaissance. Pour mieux le suivre.
Un nouveau patient, peut-être.

C'est comme ça qu'il le voit, c'est comme ça qu'il le regarde.

Ce loup fatigué parce que ses journées sont longues et brumeuses. Désastre redresse la tête, toujours en silence. Il ne voit que le soleil, pourtant, parfois la pluie. Où est-elle, sa brume ?
Parce que cela fait partie de ses lectures actuels, lui panseur qui toujours continue à se former, voilà qu'il pense à un mal de l'esprit. Que la brume est dans sa tête, qu'elle occulte ses pensées. Comme Holly ? Comme Holly, peut-être, oui...
Toujours il réfléchit.
Toujours il analyse, Désastre.

Mais il est trop terre à terre et attaché au concret, il ne se laisse aller à l'empathie ou à un geste réconfortant. Ses mots tombent dans cette même morosité.

« ...
J'apprends seulement maintenant les maux de l'esprit, ce n'est pas ma spécialité. »

Mais il se forme, mais il progresse, parce que de plus en plus il opère sur ce front nouveau. Et jamais il ne laisse dans ses performances persister une faiblesse.
D'un regard mou, il observe la cime des arbres. Des souvenirs douloureux, il en a eu, il a apprit à s'en défaire. Pour une fois, c'est par son expérience que l'adolescent applique le devoir de panser.

« Mmh. Je ne sais pas encore traiter les souvenirs des autres mais j'ai appris à traiter les miens. A les remplacer par des autres, tirés de bonnes expériences. A calmer les angoisses avec quelques plantes, celles qui peuvent aussi forcer au sommeil. A se venger pour calmer les pulsions.
...
Je n'ai pas été satisfait de tout.
Je ne sais pas encore ce qui marche le mieux.
...Je crois que c'est de parler. »

Le regard pour de bon est perdu, fixe un point entre deux épines d'un pin.

Du haut de ton année, tu en as vu, vécu, des choses.
S'il savait, a quel point cette phrase venait parfois en pensée. Désastre hausse les épaules, sans que le yeux rouges dont la pupille s'entoure d'une étoile jaune, dont l'une brille du glowstick accordé, ne quittent la cime des pins. Il ne peut pas nier, tout ce qui lui était arrivé. Beaucoup de chose. Beaucoup trop de choses.
Il était né d'une Alpha et d'une ennemie, par la volonté d'un monstre qu'on ne nomme pas ; ce monstre qui parfois il avait l'impression posait sur lui une attention qu'il n'aurait désiré avoir. Il aspirait à servir sa meute, de façon simple et efficace, mais sa route était parsemé de montagnes en guise d'obstacles.
De dragons noirs, qu'on déchire sous la forme d'un serpent à Plumes, alors que le corps se bigarre de plaies.
D'un mâle porteur du Mal, qui s'en prend à la mentor et déclenche chez lui une pulsion assassine.
D'une vie forgée autour du devoir plutôt que du bonheur, le fait d'être heureux n'est pas une volonté qu'il possède quand lui songe davantage à comment servir.
Il n'y a dans ses élans de jeunesse qu'un mécanisme dissonant.
C'est comme ça qu'il vit, oui.
Mécaniquement.

Avec de temps en temps, une étincelle dans l'engrenage.

L'oreille se tourne plus attentive, aux autres mots d'Izikya. Parce que ce sont des choses qu'il n'a jamais entendu. Et s'il ne trouve orgueil à nourrir ni égo à entretenir, il éveille chez lui un intérêt de pourquoi.
Pourquoi penser ça de lui.
Ou...Comment, penser ça de lui.
Il se doute que les phrases sont belles, il en a déjà tant analysé, tant écouté par cette seule oreille capable de surprendre ce qui sortait de la gueule de ses congénères, à condition que la voix ne hurle pas.
Puis, ces derniers mots.

C'est la première fois qu'on te complimente, tu crois.
Et tu ne sais pas quoi en penser.

Lui dire qu'il a tort, ce loup, de penser ça de lui. Parce qu'il n'a rien d'admirable, Désastre. Il n'est qu'un outil, forgé dans les coups et la distance d'une mère qui n'aura jamais souhaité en devenir une. D'admirable, c'est elle qui l'est, pour être parvenu à le rendre comme tel aux yeux d'un autre. Il lui doit tout, à Pepper, il le sait et il l'accepte. Un peu trop.
Et finalement, il se repenche sur l'aura, chassant cette phrase pour revenir là-dessus. Les voit-il, pour lui dire telle chose ? Désastre réfléchit de façon trop brute, trop directe.
Son pouvoir, peut-être.
Tu es parfois un peu bête, Désastre, une chance que si souvent tu te taises. Au moins es-tu terriblement honnête.

« On ne m'avait encore jamais dis ça. Tout ça. »

Pas que la fin. Tout, oui. Il se doit de réfléchir, pour savoir quoi répondre ; c'est une situation trop nouvelle.
Il enchaine sur des propos auxquels il peut répondre.

« Oui. J'exprime mes peurs et mes problèmes à ceux en capacité de m'aider. Un mentor. Une amie. Pepper. Ceux qui seront les plus à même de m'aider, et qui ne développeront pas un mal de l'esprit en conséquence des miens. Ce sont des choses qui arrivent, je crois. »

D'impacter les autres. Il fait attention, à ça, c'est pour cela qu'il prend tant de peine à choisir.
Son museau se redresse et enfin les yeux carmins tombent sur le mâle aux teintes du sol.

« C'est le corps, qui agit avec Kiro, et non l'esprit. C'est pour ça.
Il n'y a pas à réfléchir...juste à courir. »

Et il aime ça, il est capable de le dire. Cette sensation de liberté que procure la rapidité des mouvements, le vent qui fouette son poil et s'engouffre dans son encolure, la fatigue qui s'empare progressivement des pattes qui s'arrachent du sol en un tempo rapide qui se soutient dans la durée.
Ses sourcils sont pris d'un vague froncement, alors que le gris se lève. A nouveau, le regard vers les arbres, non plus vers leur sommet mais entre leur tronc.

« ...Veux-tu courir ? »

Il le prend en patient, lui propose cette thérapie.
La promesse d'une bonne expérience, évoquée précédemment.