L’envol des demoiselles - Holly.

Tu parviens à l'attraper à ton tour, Anita. Il serre les dents, gronde ; mais ta morsure n'est qu'une égratignure pour lui. Si grand. Si imposant. Il cesse sa montée, ignorant ton appel Holly, faisant du surplace pour jauger d'un oeil mauvais ton action, petite chauve souris sans aile.

Et toi, tu peux l'admirer.

Quetzalcoaltus - ??? Pvs
FOR    
AGI      

Oh oui, énorme est un bien petit mot pour un tel monstre. Le battement de ses ailes est comme l'orage tonnant au loin ; son souffle est un jet de chaleur. Et ses crocs, des lances dont il te menace.

Et il t'attrape. Il te tire. Ses dents pointues te raclent la peau, et tu lâche sous la souffrance. Te voila au bout de son bec, dans sa gueule. Écrasée. Mutilée. Tu ne pourras pas agir ce tour-ci. Espérons que tes camarades soient ingénieux.

Et elle mordit ; aussi fort qu'elle put, aussi loin qu'elle put - même si sous ses crocs la peau ne semblait pas réellement être de chair, aussi sèche et solide que l'étaient ses serres, et de plume elle ne sentait pas non plus. C'était comme essayer de mordre de l'écorce, et elle lâcha rapidement l'affaire - relâchant son encolure vers l'arrière pour tenter d'apercevoir la créature qui s'était saisie d'elle. Et n'ayant à observer qu'une minuscule portion de chair lisse et rougeâtre d'un ventre énorme.
Cette chose n'avait rien d'un oiseau.
Et était encore plus immense que ce que les serres lui avaient donné à imaginer.

Un frisson parcourut son échine qu'elle n'était pas sûre de pouvoir attribuer au plaisir de l'adrénaline.

Montant du sol bien plus bas lui provenaient des échos de voix, d'aboiements et de hurlements qu'elle savait familiers mais qu'elle n'était pas en mesure d'analyser. Holly était là, très certainement ; quelqu'un d'autre aussi, et au moins était-il rassurant de se dire qu'elle avait des alliés pour l'aider à se tirer de cette fâcheuse situation.
Rassérénée par l'idée et refusant de céder à une quelconque panique qui ne saurait être productive, Anita resserra la prise de sa queue autour des jambes du monstre et s'apprêta à réfléchir à une autre stratégie en dirigeant son regard vers le sol, cherchant un éventuel point d’atterrissage.
Avant qu'un bec coupant comme de l'acier vienne exercer une pression infernale sur son torse, lui arrachant un jappement de douleur.
Et il tira.

Non.
Son cœur sombra mais elle n'avait pas le temps de se demander pourquoi.

Elle contracta tous ses muscles, contrebalança la force du monstre en tentant tant bien que mal de rester accrochée là où elle avait fait en sorte de sécuriser une prise.
Sa queue resta solidement enroulée autour des serres qu'il avait relâchées pour la saisir dans sa gueule, résista à une première coercition. A une seconde, plus puissante, qui la fit grimacer en sentant tout son corps s'étirer, des muscles se déchirer.
A la troisième elle fut contrainte de tout lâcher, de peur d'y perdre sa queue.

Et à toute vitesse elle traversa une portion de ciel, n'eut pas le loisir d'observer la Moere sous un nouvel angle du nouvel endroit où il l'avait logée. Elle se savait dans son gigantesque et acéré bec, dont le poids l'écrasait à chaque seconde un peu plus.
Il pouvait d'un seul mouvement de bascule la faire disparaître dans sa gorge.

Allait-elle vraiment mourir ? Pour de vrai ?
Pour le moment elle flottait, ne sentait que son cœur battre à en rompre ses côtes comme pour signifier qu'il était inconcevable qu'il s'arrête et la douleur lancinante qui parcourait son corps éprouvé, n'entendait que le souffle du vent et du monstre, et le battement de ses ailes immenses qui cadençait les vagues échos d'une lutte menée plus bas, au sol, à laquelle elle ne pouvait nullement contribuer.

L'arrivée de Désastre, les explications, l'action... Tout s'enchaîna très vite. Mais rien ne donna le résultat espéré.
Holly ne put réprimer un cri horrifié lorsqu'elle vit l'immense créature déloger Anita pour la prendre dans sa gueule et l'y garder coincée. Plus que jamais, son amie se retrouvait en danger... Et la simple idée de la voir mourir alors que, quelques minutes avant, elles riaient encore, lui était insupportable.
A côté d'elle, Désastre s’apprêtait à devenir serpent géant. A l'ordre donné, la louve hocha la tête et s'exécuta, se hissant sur sa large tête, entre les plumes, s'y accrochant comme elle le pouvait.

Son premier vol, lorsqu'elle était consciente, du moins, ne lui serait donc pas offert par Alexandrine. La situation ne le permettait pas et, à vrai dire, Holly n'eut même pas le temps de le regretter, tant elle était focalisée sur l'après.
Ça secouait, un peu.

Elle laissa Désastre faire ce qu'il souhaitait, c'est à dire étrangler le prédateur. L'Épée, elle, quitta le corps de son allié pour poser ses pattes sur celui du monstre. Rapidement, elle courut vers la tête, s'accrochant comme elle le pouvait à ce corps en mouvement, luttant contre l'air projeté de ses ailes pour ne pas tomber au sol. Il était là, son objectif : Cet énorme œil noir.
Cet énorme œil noir que ses crocs et ses griffes vinrent trouver : Le déchirant, le labourant. Là, elle se fichait bien de se salir de ce fluide noir qui pourrait en couler.

Déjà, il lui fallait changer de cible. Alors elle bondit sur le crâne du prédateur pour rejoindre l'autre oeil et lui réserver le même sort.

Il avait osé s'en prendre à l'une des leurs, ce piaf de merde. Il allait bien vite le regretter.

Et tu as raison, Désastre. L'animal gigantesque ouvre la gueule, de surprise ou de suffocation, laissant tomber Anita. La voila qui se fait victime de la gravité, approchant le sol, encore et encore.... Quant à toi, serpent, il est hors de question d'ainsi te laisser faire. Ses serres te cherche, te griffe aux écailles. Il parvient à agripper et tire, racle, éventre ce qu'il peut. Toi, louve qui lui a crevé les yeux, il secoue la tête pour se débattre de toi, incapable de hurler tant le souffle lui manque.
Il bat des ailes, anarchiquement. Il se cabre. Se défend.

Et toi, enfin. Toi, Anita. Tu plonges.
Vers le sol si rude pour tes os.

-lancés de dès-

Et il respire enfin, t'arrachant de son corps. Serpent trop long, te voila entre ses serres, tout du moins en partie. Juste ce qu'il faut pour que, d'un dernière mouvement de tête, il éjecte Holy. Loin.

Désastre, voila un cruel dilemne. D'Holy ou d'Anita, qui vas-tu sauver ?

Cela faisait-il quelques secondes, des minutes ou des heures qu'elle était coincée dans le bec de ce prédateur ?
Le passage du temps était dur à évaluer dans pareille situation.

Le souffle du monstre qui passait sur sa peau pour sortir de son corps massif lui donnait l'impression d'être tombée au cœur d'un volcan - tout comme la chaleur qu'il dégageait et l'obscurité rougeâtre dans laquelle elle était plongée, attendant immobile que quelque chose se passe. Qu'il l'avale ou la relâche.
Sans rien pouvoir y faire.
Elle s'était rarement sentie aussi impuissante.

Et puis soudain un éclair jaune.

La lumière lui brûla les rétines, l'obligeant à fermer les paupières.
Puis son corps douloureux qui s'était jusque-là retrouvé immobilisé et écrasé sentit les lames du vent le parcourir, les courants d'air se presser à sa peau et attiser ses blessures.
Il lui fallut une seconde ou deux pour comprendre qu'elle était en chute libre.

Ses yeux se rouvrirent en grand sur un monde aux couleurs inversées et mélangées - le vert et jaune de la Moere se retrouvant en diagonale  avec le bleu rosé du ciel dans un camaïeu incessamment changeant qui lui faisait tourner la tête alors que son cœur se décrochait et qu'elle se sentait tomber, tomber, tomber-
De trop nombreuses choses s'imprimèrent ensuite en même temps.
Trop vite pour qu'elle analyse chacune des informations lui tombant dessus.

Elle pouvait voir en entier la créature l'ayant choisie pour dîner, désormais. Elle était... immense. Elle n'en avait jamais vue de pareil.
Et outre ce monstrueux bec ouvert dont elle venait de tomber elle pouvait voir un flot de sang s'écouler des yeux et ses ailes triangulaires s'agiter, l'animal se cabrer, saisir quelque chose entre ses serres pour le déloger de son cou - mais il y avait aussi une tâche claire qui traversait le ciel, couverte d'un peu de ce sang rouge et épais.
Holly.
Son cœur déjà bien malmené bondit un peu plus, elle voulut crier dans sa direction mais ne put rien y faire - aucun son sortant de sa gorge n'était capable de surpasser le hurlement du vent à ses tympans, aucun geste qu'elle puisse faire n'allait aider son amie.
Mais ça, c'était avant qu'elle n’aperçoive un bref éclat orange - et que la louve, changée en perle, dégringole vers le tapis épais de forêt marécageuse.
Hors de danger.

Restait elle, qui n'allait pas tarder à s'écraser.
Elle tenta de se contorsionner pour se retourner, réorienter son corps de sorte à ce que ses ailes puissent se positionner correctement afin d'anticiper un semblant d'atter-
Des ailes.
Des ailes ?

Sa tête fusa d'un côté de son corps puis de l'autre, comme pour s'assurer que les deux appendices noirs qu'elle voyait dépasser de ses épaules étaient bien présents. Bien réels. Bien fixés à elle.
Elle ne s'expliquait pas leur présence, mais elles étaient bien là. Des ailes.

Elles se déployèrent en un claquement sec de cuir et la chute cessa brutalement de la mener vers sa mort.

Filant désormais dans une horizontale approximative au-dessus de la ligne des arbres à une vitesse bien trop fulgurante pour qu'elle puisse la maîtriser, Anita faisait de son mieux pour balancer son poids à coup de queue et de pattes d'un côté et de l'autre ; se redressant quand elle manquait de tomber en piqué ou de vriller à l'opposé, maintenant une trajectoire instable.
Planant sans contrôle, elle sut qu'elle allait bientôt faire une violente rencontre avec la cime des arbres.
Un battement d'ailes pour tenter de reprendre le contrôle de la situation ruina ses efforts de stabilisation et elle plongea droit vers une trouée avec un glapissement, perdant plusieurs mètres en un éclair.
Elle ferma les yeux et serra les crocs pour se préparer à l'impact devenu inévitable et incontrôlable.

Une fraction de seconde avant que tout s'enchaîne dans un ouragan de verdure, d'éclats de branche et de griffures - quelque chose l'attrapa, la tira vers le haut, brisa le plus gros de l'élan de sa chute en la déportant un peu plus loin vers des feuillages plus touffus.

Puis vint le claquement et la griffure des ramures aiguisées sur son visage et les mèches de cheveux brutalement arrachées, la chute de son corps à travers les différents étages de branches et de lianes, les chocs de ses membres et de sa tête contre troncs et roches - et enfin le sol qui acheva de lui couper le souffle dans un dernier jappement avant qu'elle ne reste étendue immobile sur la mousse spongieuse.
Osant à peine respirer dans ce silence retrouvé tandis que feuilles et particules dérangées par sa chute tourbillonnaient autour d'elle dans la lumière pour revenir se poser avec douceur.

Elle ne tenta pas de faire le moindre geste, de peur de briser la magie de cette quiétude après le vacarme d'évènements venant de s'enchaîner avant de s'interrompre si brutalement. Le court des choses prenait une grande inspiration, enfin.
Le calme caressa ses oreilles et la musique de la Moere commença à s'orchestrer de nouveau, d'abord timidement, puis avec plus d'assurance ; la laissant oublier quelques instants son corps souffrant - et tout le reste.

Un sourire apaisé étira ses lèvres au son des grillons, des libellules et des grenouilles et ses yeux violets papillonnèrent dans la lumière dorée.

Tentée de les autoriser à se clore pour se laisser finalement gagner par la fatigue de son corps assoupi.

Le monstre ouvrit le bec, relâchant sa proie.
Ce fut là la seule bonne nouvelle : Il n'appréciait pas vraiment, et c'était compréhensible, de se faire étrangler et de se faire crever les yeux. Alors il se débattit comme un beau diable et malgré toute la force qu'elle pouvait mettre sur sa prise -une paupière-, Holly se sentit céder.
Lorsque ses crocs la trahirent et que son corps décolla dans le ciel, elle ne put qu'aboyer un ordre en direction de Désastre.

- Sauve Anita !

Elle n'avait pas eu le temps d'y réfléchir davantage, honnêtement, c'était sorti comme ça.
Holly peinait à penser, traversant le ciel rapidement. Dans sa poitrine, son coeur tambourinait douloureusement. La panique la gagna seulement lorsque son regard clair s'accrocha sur la Moere, si loin sous elle, et qu'elle comprit à quel point la chute serait douloureuse.
Voir mortelle.

Elle ferma les yeux, le plus fort possible, laissant les pensées se bousculer dans son esprit, saisissant celles qui lui apparaissaient comme une solution pour sauver sa peau, repoussant celles qui rendait plus forte cette panique qui lui bouffait les tripes. Elle inspira profondément, difficilement.
Son pouvoir.

Peut-être qu'en changeant une partie de son corps, celle qui heurterait le sol, en perles, elle pourrait éviter la mort. Une patte cassée, cela se remettait bien. Alors malgré la situation critique, la louve bleue se concentra du mieux qu'elle put, ignorant le reste pour diriger toutes ses pensées vers ce don de Dairo. Ses épaules et son torse se couvrirent de multiples petites perles nacrées. Ce n'est pas suffisant, concentre toi. Elle les étendit à son dos, à ses joues, au haut de ses antérieurs.
Les pattes, le ventre et la tête, eux, étaient encore vulnérables. Ce n'était pas bon.

Holly gronda pour elle même, frustrée même dans cette chute.
Elle se refusait de mourir ici.

Les perles la couvrirent davantage, empiétant sur ses yeux, sur ses oreilles, sur son museau. Pourtant, elle ne manquait pas de souffle.
Elle ne pouvait pas le constater, mais son corps ne formait plus qu'une seule grosse perle.
La suite, elle ne la ressentit pas non plus. Elle ne se vit pas frapper le sol, rouler sur le sol spongieux de la Moere, frapper les rochers.

Elle resta sous cette forme quelques minutes, ne redevenant louve qu'une fois certaine d'avoir touché la terre ferme. Holly se retrouva couchée contre un tronc d'arbre, lui même à moitié immergé dans ce qui était une immonde flaque de boue. Elle n'eut cependant pas le loisir d'en être dégoûtée -Et elle n'étais plus à ça prêt, vu son état actuel- et se redressa vivement.
Son corps ne souffrait d'aucune douleur ni gêne.
C'était un miracle.

Désormais, il lui fallait retrouver Anita et Désastre. Dans quel état son amie se trouvait-elle ? Elle frissonna, inquiète, poussant l'angoisse naissante dans un coin de sa tête. Son regard balaya les environs et elle souffla. Dans sa chute, elle n'avait, évidemment, pas fait attention à sa trajectoire et peinait désormais à voir où pouvaient être ses deux comparses. Il ne lui restait donc plus qu'à espérer retomber sur leur piste, au détour d'un chemin.

Galopant à travers la Moere, elle se mit en chasse.

Il a tout perdu. Sa proie. Sa fierté. Ses yeux. Ou plutôt, l'un d'entre eux, le second n'étant que simplement noyé dans le sang et la colère.
Il bat des ailes, frénétiquement. Il claque de son bec, bruyamment. Il agite ses serres, vides. Cherche. Renifle.

Et puis il plonge.

Pour toucher terre avec la violence de tout son poids.
Il se tient sur ses quatre pattes, ses ailes repliées à la manière d'une chauve-souris.

Et il renifle.
Encore et encore. Cette trainée fraîche que tu as faites dans le sous bois, Anita.
Ce sang que tu as perdu en t'échappant, Désastre.

Il cherche.
Et il s'avance avec prudence vers vous...

Elle ne fit pas attention aux pas si légers qui s’imprimaient dans la mousse et venaient derrière elle.
Derrière ses paupières mi-closes ses pupilles restaient figées sur un point fixe, là-haut, sur les points de lumière qui trouaient la couverture des feuille et baignaient l’endroit d’une douce lueur.
Ces dernières minutes avaient battu au rythme d’une musique dissonante et infernale qu’elle ne maitrisait pas, mais désormais tout allait mieux.

Elle se demanda si Holly allait bien, si elle n’était pas trop inquiète. Elle avait peut-être roulé bien plus loin dans la Moere, il lui faudrait du temps pour la retrouver - et elle, Anita, ne savait pas encore avec quelle facilité elle pourrait se mouvoir. Pour le moment elle n’essayait pas de bouger ou de tenter de se relever.
Pour l’instant elle inspirait et expirait, se gorgeait de la sérénité de l’endroit. Pensait encore et encore.
Les images revenaient en boucle, elle se demanda quelle était l’étrange silhouette longiligne que le monstre avait tenu dans ses serres pendant qu’elle chutait à travers les cieux.
Pouvait-ce être...

Un léger sursaut secoua sa peau au contact d’un museau sur son cou, au souffle chaud qui la parcourt. Elle n’eut pas le temps de tordre la nuque pour voir de qui il s’agissait que déjà d’une voix l’identité se dévoilait.

— Tu vis.

Sa gueule se fendit d’un sourire enjoué tandis qu’elle achevait de tourner la tête pour le voir, lui au-dessus d’elle, le poil aussi sale qu’elle devait l’être également.

— Dez !

L’adolescente ne s’était pas attendue à le voir mais elle en était heureuse et soulagée. Leurs truffes si proches se frôlèrent dans un contact qui la raccrocha au temps présent qu’elle avait l’impression d’avoir quitté, ses yeux violet admirèrent le familier rubis en même temps que la révélation se fit - la réponse à sa précédente question.
Si elle avait un instant cru que Kiro lui-même s’était jeté aux prises avec la créature sous une forme d’étrange serpent, elle comprenait désormais qu’il n’en était rien. Le pouvoir de Dez ne s’était encore jamais offert à son regard mais elle en avait entendu des rumeurs.
Le grand serpent à plumes qui s’élevait et se battait férocement.
Un souffle d’air frais avait chassé la fatigue qui menaçait d’étreindre son corps vidé d’énergie, la présence du loup gris ramenait à elle le feu de la taquinerie et lui permettait d’oublier la douleur dans ses muscles.

Ses yeux se plissèrent sur un air faussement courroucé mais brillait en eux une lueur chaleureuse.

— Bien-sûr que je vis. Tu pensais pas qu’il suffirait d’un oiseau monstrueux pour se débarrasser de moi ?

Le panseur s’était mis à panser, sans surprise ; et elle laissa se faire le manège des premiers soins sans protester. Elle ignorait l’étendue réelle des dégâts mais savait que tout irait bien. Elle ne se sentait pas si mal, voyait d’un regard rapide de nombreuses griffures et estafilades mais aucune plaie réellement profonde, et la douleur lancinante qui tendait ses muscles se convertirait en terribles courbatures pour les prochains jours - mais rien de cassé, apparemment. Et elle était entre de bonnes pattes.

C’est à cet instant seulement qu’elle se remémora la présence des ailes qui s’étaient à moitié repliées dans son dos, mystérieusement apparues mais toujours présentes, elles aussi griffées par sa rude traversée des branches et ponctuées de petits trous sur le bord de la membrane. Elle venait à peine de les avoir et elles étaient déjà abimées !
Si Kiro n’avait pas été au contact de la bête, en revanche... A qui d’autre pouvait-elle attribuer l’apparition de ces ailes salvatrices ?
L’éclair jaune qu’elle avait interprété comme un trop plein de lumière à l’ouverture de son gigantesque bec n’était peut-être finalement nul autre qu’un éclat aux couleurs de son Dieu.

Anita les étira et les agita mollement sous le nez de Dez.

— Regarde. Je pense que Kiro ne voulait pas que je me fasse trop mal.

Elle s’attendait à les voir disparaître d’un instant à l’autre, mais en attendant... Elles avaient l’air jolies.

Boum.
Une secousse qui agite la terre.

Ses oreilles se redressèrent vivement sur son crâne, alerte. Le sol venait de trembler sous leurs pattes, d’un bref mais puissant frisson.

— T’as senti ça ?

Un brin d’inquiétude perça dans sa voix.
Quelque chose de massif avait heurté le sol, et si quelque part elle avait l’espoir que le prédateur aveuglé ait pu s’écraser et rencontrer sa fin plus loin dans la jungle... Les secousses suivantes, plus faibles et ponctuelles, lui confirmèrent le contraire.
La bête était toujours en vie, et à pas lents et hésitant elle avançait vers eux.

— Il nous cherche. Il va falloir partir d’ici.

Mais une grimace déforma brièvement ses traits quand elle tenta de faire basculer le poids de son corps et de s’appuyer sur ses antérieurs. Elle eut l’impression qu’une lame de poignard avait percé sa patte avant gauche, pénétrant de son coude et remontant vivement jusqu’à son épaule.
Un léger grondement de frustration fit vibrer sa gorge et sa queue fouailla l’herbe de grands gestes agacés. Ce n’était vraiment pas le moment d’être clouée au sol.

— Je crois que je me suis luxée l’épaule...

Ou une entorse. Ou peu importe. Dez serait mieux placé pour savoir.
Museau froncé, ses yeux scrutèrent l’obscurité sous les arbres au rythme régulier des chocs remuant le sol, s’attendant à voir l’ombre d’un géant s’y détacher à tout instant.

Il ne lui fallut qu'un bref regard vers le ciel pour l'apercevoir, ce gros piaf des enfers. Et surtout, voir que quelque chose n'allait pas : Il descendait, probablement à leur recherche.
La conseillère serra les crocs et accéléra sa course, déjà soutenue, bondissant de racine en racine, de rocher en rocher, de bout de terre en bout de terre pour ne pas s'embourber dans la tourbe et perdre de précieuses secondes. Poussée par l'adrénaline, elle ne ressentait même pas la fatigue de ces combats, d'abord contre Anita, par jeu, puis contre les yeux du prédateur pour les lui crever.
Les battements de son coeur s'accélérèrent lorsqu'elle sentit les odeurs de ses deux comparses : Elle était sur la bonne voie.

Holly déboula près d'eux, essoufflée. Immédiatement, son regard bleu glissa sur leurs corps à la recherche de plaies graves. Un gros soupir de soulagement franchit ses babines et elle sourit.

- Vous allez bien. Me voilà rassurée.

Elle n'était donc pas la seule, à avoir obtenu l'aide de sa déesse dans une situation critique... Voilà qu'Anita arborait désormais une jolie paire d'ailes, bien qu'un peu abîmée par les branches qui avaient du les toucher. Elle n'eut cependant pas plus le temps d'y songer, ni d'y réagir : Il fallait faire vite, avant d'être retrouvés par le prédateur.
Tout en restant calme et lucide.
Holly tourna la tête vers Désastre.

- Pas le choix, il va falloir la porter.

A deux, cela ne devrait pas trop poser de problèmes. Seulement les ralentir un peu mais, comme elle l'avait dit : Ils n'avaient pas le choix.
Elle ne cessait de réfléchir, cherchant le moyen le plus sûr possible de les mettre en sécurité.

- Est-ce qu'on tente de quitter la Moere en espérant qu'il ne nous rattrape pas ? Ou alors, on cherche une cachette et on y reste jusqu'à ce qu'il se lasse et s'en aille ?

Il n'était pas question que l'un d'eux s'amuse à faire diversion, sauf en cas de situation vraiment critique. C'était trop dangereux.
Mais, pour la fuite, et si le monstre les rattrapait, justement ? Mais, pour la cachette, si ils ne trouvaient pas de quoi les accueillir tous les trois ? Si le prédateur parvenait à la détruire, de son gros bec ? Il fallait réfléchir à toute éventualité.

Il s'agite, cherche, fouille, en vain. Vous avez fui, en partie tout du moins. Et de sa hauteur, la canopée le gêne, le démange. Il secoue les arbres pour s'en défaire, grogne quand les branches lui reviennent dessus ; puis, sachant que ses proies s'étaient échappées, il étend ses immenses ailes, pour s'envoler au loin.

Vous êtes saufs.

Sains, c'est moins sûr.

Ses yeux scrutaient les rangées d’arbres sous la tension du grondement du loup gris, cœur battant – et un bruissement bien trop proche fit tourner sa tête sur un brusque aller-retour, prête à dévoiler les crocs sur la menace.
Mais ce n’était que Holly, saine et sauve et toute aussi heureuse de les trouver. Anita l’accueillit d’un jappement joyeux et soulagé, mais l’urgence de la situation rattrapa le trio reformé. Déguerpir au plus vite.

La louve continua de tester ses limites, faisant rouler muscles et articulations pour en chercher la fonctionnalité, grimaçant quand ceux-ci lui faisaient défaut. Mais bientôt c’est une épaule solide qui vint s’appuyer contre la sienne et avec un sourire reconnaissant elle bascula son poids sur le nouvel appui qui lui était offert, préférant rester silencieuse quand ses deux amis cherchaient une solution d’un endroit à rejoindre – elle faisait confiance à Dez pour sa connaissance des lieux tandis que ses yeux à elle restaient fixés sur leurs environs, prête à alerter si besoin.
Elle hocha cependant le museau d’un geste sec et affirmé pour appuyer la proposition de destination – au plus près de Kiro, oui. Ce n’était pas tout proche, mais ils n’étaient pas si loin non plus.

Et même si la bête était énorme et puissante et que ses pas faisaient trembler la terre, elle voyait la forêt s’agiter et se battre contre sa présence. Comme si la nature elle-même cherchait à renvoyer la créature hors de sa surface, à lui signifier qu’elle n’était pas la bienvenue dans cette époque qui n’était sienne. Comme si le marais, finalement, les protégeait en faisant barrière avec ses troncs et ses lianes et ses branches épaisses.
Alors ils se mirent en route ; la jeune hybride trouvant support des deux côtés, se laissant à moitié porter dans les zones difficiles quand il devenait ardu de progresser avec la mobilité d’une patte en moins.

Et ils y parvinrent sans que le monstre ne parvienne à les rattraper.

Ils patientèrent dans un silence anxieux de longues minutes durant avant de voir d’immenses ailes soudain percer la canopée et tenter d’entourer la forêt comme pour l’englober et la recouvrir complètement.
Mais au lieu de cela c’est du sol qu’elles arrachèrent leur propriétaire, l’extirpant de la Moere dans une dernière série de craquements sinistres et un tourbillon de feuilles et de poussière.
Immense et malgré tout majestueux, le monstre s’envola à l’opposé de ses proies, abandonnant sa recherche.

Anita l’observa s’éloigner quelques secondes, le souffle court, avant de finalement se retourner vers ses amis quand sa silhouette se fut réduite à une simple tâche dans le ciel.

— Rentrons.

A peine plus audible qu’un murmure sa voix resta basse comme si quelque part elle craignait encore qu’il ne les entendre et les débusque.

Il ne revint pourtant pas sur leurs traces, le super prédateur, quand le trio reprit tant bien que mal la route du Castel pour aller y panser leurs plaies, y calmer leur esprit enflammé et y communiquer la nouvelle de telle présence sur leurs terres.