Changement | Tawana

Tarko

Avec toutes ces histoires autour de la Grève, on en oublierai presque que, à la base, la glace existe pour être pilée dans un mojito. Et puis franchement, c’est une sacrée idée saugrenue que de risquer sa peau en partant sous la banquise alors que l’été démarre à peine et que l’on peut se dorer la pilule au soleil, les pattes dans le sable chaud. Alors, afin de remettre les choses en place, Tarko a décidé de fuir le Nord quelques jours pour profiter du début de la saison estivale. Il avait besoin de vacances et depuis les Monts Célestes il avait repéré un petit coin qui semblait correspondre à ses attentes. Bon, c’est un peu relou de devoir traverser la mer pour accéder à ce paradis mais on a rien sans rien !

Le mâle a quitté le continent sous le regard curieux des mouettes et des goélands. L’eau est froide mais c’est très agréable de pouvoir y plonger après une journée de marche sous un soleil de plomb. Par chance, les courants sont avec lui et il lui suffit de donner quelques coups de pattes pour avancer vite. Enfin, il arrive sur l’Atoll. C’est paradisiaque. Une jungle magnifique et dense, la plage de sable fin et une eau limpide. Là il va être bien. Ravi, le solitaire commence a faire le tour du domaine. Il commence par l’intérieur de la jungle, profitant de sa fraîcheur. Certains arbres sont immenses, d’autres ont des troncs aux formes étranges et d’autres encore soutiennent des lianes très longues. La canopée regorge de vie. Le mâle passe son temps la truffe en l’air à écouter les oiseaux invisibles qui chantent et d’autres animaux qui vont furtivement de branches en branches.

Fasciné par cet écosystème nouveau il s’égare dans la jungle plus longtemps que prévu. Quand il retrouve la plage, la journée a bien avancé. En faisant le tour de l’île par la plage il trouve une crique absolument magnifique. Tarko en prend plein les yeux. Dans l’eau, il découvre des poissons qui n’ont rien à voir avec ceux qu’il a déjà tenté de pêcher dans les rivières. Ceux-là sont très colorés. Il remarque également ces petits arbres sous-marins qui ne poussent que sous l’eau et ne portent pas de feuille. Le loup plonge la tête sous l’eau. Le sel pique ses yeux mais il veut voir ce monde aquatique ! Sa curiosité et sa fascination le poussent à totalement s’immerger pour aller au plus près des poissons et des petits arbres.

Il abandonne l’eau quand le soleil commence à se coucher et que la fatigue de cette journée d’exploration commence à se faire sentir. Afin de préparer au mieux cette soirée il retourne dans la jungle pour trouver du bois qu’il traîne ensuite sur la plage et forme un tas. Puis, de la même façon qu’il avait allumé un feu lors de sa rencontre avec le loup cyborg et la louve pie, il embrase son tas de bois sec. Les flammes crépitent et la chaleur qui se dégage du cœur sèche son poil qui blanchis à cause du sel et lui donne un air plus âgé. À moins que ça ne soit cette courte barbiche naissante qui le rend plus mature qui sait ?

Contemplant le feu qui illumine la nuit, Tarko fait le point sur les récents événements. Beaucoup de choses commencent à changer. À commencer par la saison. Lui aussi change, physiquement comme mentalement. Est-ce qu’il devient meilleur qu’il ne l’était hier ? Le mâle ne le sait pas vraiment. Probablement n’a-t-il pas encore assez de recul sur la situation pour se rendre compte de ce qu’il devient. Son visage affiche un air pensif. Tout cela le dépasse tellement.

Couché sur le sable, Tarko lève la truffe vers la voûte céleste et soupire. C’est la première fois qu’il se remet en question. La première fois qu’il se retrouve face à lui même. Cette nuit d’été se place sous le signe de l’introspection. Probablement qu’il tient là la véritable raison de son besoin soudain d’isolement. Il n’a pas besoin de vacances, il doit juste se libérer du trouble qui le ronge. L’attention du mâle jusqu’alors portée sur le ciel est soudain attirée par une voix qui l’interpelle. Il cherche autour de lui d’où le son peut provenir. Tournant là tête à droite puis à gauche, les oreilles droites, alertes. S’il ne remarque d’abord rien, en se concentrant plus sur l’orée de la jungle, il distingue une silhouette massive entre les arbres. Depuis son arrivée sur l’Atoll, il n’a pas croisé d’animal aussi grand. Un prédateur nocturne ? Cette fois ses oreilles se plaquent contre son crâne. les sourcils froncés il se redresse sans quitter des yeux le plus sombre qui se tient là-bas. Il hésite a s’approcher. Seule l’odeur du feu arrive jusqu’à ses narines. Impossible de savoir de quoi il s’agit. Un grognement de méfiance mêlé de suspicion monte de sa gorge. Il quitte des yeux un instant le fantôme qui l’a appelé pour saisir une branche dont le bout brûle et illumine la nuit. Transportant ce petit soleil au bout du bâton il décide finalement de s’approcher. Maintenant une distance de sécurité minimale il jette la torche dans le sable entre eux. Une invitation à approcher. Ou à fuir.

— Sors de l’ombre et montres-toi si tu l’oses.

Le loup retient son souffle quand les yeux qui le fixent dans le noir se posent sur la flamme. Puis, son cœur rate un battement alors qu’une gerbe de sable vient engloutir la lumière. Retourne d'où tu viens Satan ! Il a un mouvement de recul et l’expression sur son visage se transforme.  Un peu comme sur ces memes hilarants où des chiens effrayés font des grands yeux. Là, c’est pareil. La peur qui fait se hérisser les poils sur son échine ne désemplie pas quand la silhouette se met soudainement en marche. Tarko, figé sur place, regarde l’ombre qui abandonne la lisière de la jungle et s’approche. Son cœur tambourine si fort dans sa poitrine qu’il est certain que l’autre doit l’entendre. Mais loin de l’attaquer pour aspirer son âme et s’en repaître (bah quoi c’est bien ce que font tous les démons non ?) la créature le contourne pour entrer dans le cercle de lumière formé par son feu de camp.

C’est uniquement à ce moment qu’il se sent terriblement con. Depuis le début, il s’agissait juste d’une louve tenant dans sa gueule un lapin. Sa fourrure retombe et il soupire, soulagé avant de retourner dans la lumière. Sans surprise, l’inconnue a remarqué son moment de panique et elle s’en excuse. Il grommelle, peu fier d’avoir été emporté par sa peur et son imagination avant d’ajouter un « Joli col ». Orné de plumes, il ressemble a un accessoire guerrier tribal, destiné a intimider l’adversaire. D’ailleurs, les marquages peints sur son museau renforcent cette impression. Les cornes qui dépassent de sa chevelure sont le seul point qui fait douter le mâle. Il fixe un peu trop longtemps les-dites cornes ne sachant pas s’il s’agit d’un accessoire supplémentaire à la panoplie guerrière ou si la louve est une hybride comme on en croise parfois.

Il décroche enfin ses yeux de l’objet de sa curiosité et ajuste du bout d’une patte quelques morceaux de bois pour maintenir le feu en vie.

— Tu peux faire cuire si tu veux.

C’est pas un petit lapin qu’elle a là. Cette inconnue l’intrigue beaucoup. Est-il possible que ça soit une insulaire comme le sont les Raeders ? Si c’est le cas est-elle la seule ? Lui qui n’a croisé personne tout aujourd’hui se demande où peut se cacher un tel groupe. Trop curieux il se jette à l’eau.

— Tu habites ici ?

Avez-vous déjà remarqué que la vie est une sacrée garce et qu’elle s’amuse volontiers à vous mettre dans des situations délicate ? Tarko, lui, vient de le découvrir.

À son interrogation silencieuse, la louve au pelage tacheté répond avec une pointe d’humour dans la voix. Mon ami tu viens de te faire grillé en flagrant délit de blocage. Et ça fait deux fois déjà que tu passes pour un con va falloir te ressaisir. Le solitaire n’en dit pas plus à ce sujet, préférant passer rapidement sous silence ce moment quelque peu gênant pour lui. Il se concentre sur le feu qui crépite. Sous ses pattes il sent la chaleur qui se répand grâce au sable. Souhaitant tester le confort de ce matelas de sable chaud il s’allonge, les pattes avants croisées devant lui. Ses yeux bleus suivent parfois la course d’une braise qui s’envole avant de disparaître dans le ciel. Il entend derrière lui, les animaux nocturnes de la jungle s’agiter. Tarko tourne son oreille intacte orientée dans cette direction par précaution. Une bête peut surgir à n’importe quel moment, attirée par l’odeur de la fumée et du sang.

Le punk accepte d’un hochement de tête un morceau de viande. Comment refuser un repas facile si gentiment proposé ? Malgré la fumée, quelques moustiques téméraires s’agitent autour d’eux. Tarko ni coupe pas. Même s’il tente de les repousser, les nuisibles parviennent à le piquer. Rapidement ça le démange et même si l’on dit qu’il ne faut pas gratter la tentation est trop forte. Il se contorsionne pour atteindre cette petite parcelle de sa peau derrière son oreille. Ses coups de patte font tomber le sel cristallisé sur ses poils. Le loup se fige alors en pleine action quand il entend la femelle mentionner sa meute. À cet instant, il sait que la vie est une garce. Il repose sa patte et la regarde à son tour droit dans les yeux. Mi-figue mi-raisin, incapable de savoir si c’est une blague ou non. Il a envie de rire, de croire qu’elle le fait marcher. Mais son air sérieux lui prouve le contraire.

Et maintenant je fais quoi ?

Sur son front on peut lire que Tarko.exe a cessé de fonctionner. De longues, très longues secondes passent durant les quelles il ne bouge pas d’un iota et ne dit rien. Partir ? La chasser ? Ne rien dire ? Lui cracher au museau ce qu’il pense d’eux. Après être passé pour un con et après lui avoir proposé d’utiliser son feu ? Non. Il vaut mieux la jouer fine. Affichant son plus beau sourire forcé dévoilant sa dentition trouée il s’arme de son air le plus jovial et de son meilleur phrasé.

— J’ai toujours vécu ici. Ravi de pouvoir rencontrer une continentale.

Bordel il va neiger. Il a accepté de partager un repas avec une Etelkru.