Le soleil se levait doucement sur les terres Etelkrus, et ses rayons faisaient flamboyer les longs cheveux de la silhouette qui longeait le littoral. Forme longiligne, aux hautes pattes encore un peu maladroites, comme coincée dans l'adolescence qui pourtant s'était doucement effacée. Sur les traits du jeune loup s'étaient doucement dessinés quelques formes plus carrés, bien qu'il gardât un visage plus délicat que son paternel, et que sa mère lorsqu'elle était mâle. C'était à croire que son caractère doux s'était imprimé sur ses traits, bravant la génétique, repoussant les carrés museaux de ses ancêtres masculins. Peu de loups vivants pouvaient en témoigner, mais il portait quelques traits de sa douce grand-mère Winnifred. Et ce n'état pas son père qui allait lui en faire la remarque.

Cela faisait de longues lunes que, cher lecteur, vous n'aviez pas entendu parler de ce jeune loup. Perdu, tout en sourire timides et en soutien discret, il s'était effacé au coeur de la meute, personnage secondaire de la bien vaste histoire où tous sont héros. Mais il n'avait pas simplement laissé filer sa vie, oh non. Il avait longuement réfléchi, il avait rencontré quelques loups, mais surtout avait observé, avait réfléchi. Et finalement, il s'était décidé à se rendre à la Crypte pour rencontrer Dairo. En marchant le long des fresques qui décoraient les murs de la sente abrupte pour s'y rendre, il eut un sourire en pensant à Ely. Il ignorait s'il trouverait le loup gris en ces lieux, même si son odeur y était toujours présente, elle paraissait un peu ancienne ce jour-là. Après tout, il fallait tout de même qu'il sorte de la caverne pour aller chasser de temps en temps, comme tous les autres, et puisqu'il n'avait pas d'apprenti pour le faire à sa place.

Il s'engagea dans l’entrée du temple avec un calme qu’on lui connaissait peu. Il avait essayé de prendre de l’assurance, s’était efforcé de considérer chaque situation avec plus de calme qu’il ne l’avait toujours fait, de chasser cette pensée qui était devenue une obsession, celle qu’il n’était bon à rien. Il n’était peut-être juste pas bon en les choses les plus usitées de la meute, mais il devait bien y avoir quelque-chose dans laquelle il trouverait une étincelle, il aurait une révélation. Alors il avait recommencé de zéro. Il s’était entraîné au combat avec les plus jeunes, sans y prendre goût. Il avait accompagné des patrouilles de chasse, sans montrer de capacité exceptionnelle. Il avait observé les guérisseurs, avait trouvé belle leur dévotion aux autres, et extrêmement complexe la science qu’ils devaient assimiler. Il avait regardé le Heaume gouverner, prendre des décisions, donner des ordres, même s’il savait que ce n’était pas là son rôle. Et puis, petit à petit, il avait réalisé quelque-chose : s’il n’était pas un croc, une griffe, une voix que l’on écoutait… Il était une oreille. Il écoutait bien volontiers les dires de chacun, et avait l’impression de souvent trouver les mots assez justes pour y répondre. Il était celui à qui l’on racontait, et il se faisait ainsi une sorte de confident. Il gardait les secrets, distribuait des conseils timides. Puis de moins en moins timides. Il donnait des mots encourageant, des sourire, des félicitations.

Parallèlement à ça, il n’avait pas perdu de vue le conseil d’Ely. Trouver quelque-chose qui montre ses qualités à Dairo. Alors il avait entreprit quelque-chose qui aurait pu paraître un peu étrange aux yeux des autres, mais dans lequel il s’impliqua de tout son coeur. Durant des semaines, il fit des essais, de nombreux ratés de ses pattes maladroites, écho de ses tentatives d’installation de pièges avec Holly. Et finalement, la veille, il y était parvenu. Il n’était donc pas venu seul ce matin-là, mais portait avec délicatesse entre ses crocs une petite figure de branches, de fibres, de feuilles et de bois, qui représentait un petit loup. Il avait usé de patience et d’imagination pour la créer, et il avait l’impression que c’était là la première réussite de sa vie. Elle signifiait beaucoup. Il avait même pris le soin de lui ajouter un petit collier d’une herbe plus foncée, rappelant l’ornement de cette jolie louve aux yeux violets qui chassait de temps en temps dans son coeur lorsqu’il n’était pas concentré sur ses progrès. Peut-être désormais pourrait-il oser lui faire face et lui avouer ce qu’il ressentait pour elle. Il aviserait après ce qui allait se passer ensuite. A cet instant, celle qui occupait son esprit était la Renarde.

Il ignorait si elle allait apprécier son présenter, ou même se manifester. Il s’approcha donc de la statue et déposa son offrande devant cette dernière. Après une inspiration silencieuse, il s’inclina et murmura :

"Déesse Renarde... Je me présente devant vous aujourd’hui sans artifices. Je ne suis pas un un bon guerrier, ni un bon chasseur ou un bon penseur. Mais j’aimerais trouver ma voie dans la transmissions d’autres qualités, que je crois miennes, ou qui pourraient le devenir. Je vous demande humblement votre bénédiction."

Il ferma les yeux et acheva :

"Je souhaite être éprouvé pour devenir l’un de vos enfants."

Dans la pénombre douce de la grotte se dessina soudain, en lieu et place de la haute statue, une silhouette lumineuse. Le jeune loup écarquilla les yeux, alors que son coeur battait la chamade, contemplant sans pouvoir dire un mot de plus la créature qui se trouvait devant lui. La Déesse Renarde elle-même. Elle était apparue pour lui, et ce simple geste l'emplissait d'un bonheur qui n'avait pas de nom, sur lequel on ne pouvait poser de mots tant il était pur et lumineux. Ses yeux s'embuèrent légèrement, alors qu'elle lui adressait un simple de signe de la tête. Il ignorait complètement si cela signifiait qu'il était autorisé à passer l'épreuve ou non, mais en cet instant ça n'avait plus vraiment d'importance. Dairo était venue pour lui. Elle lui avait porté une attention qu'il n'avait pas osé espéré, lui faisant déjà le plus beau cadeau qu'il aurait pu attendre en venant à la Crypte.

Un bruissement attira son attention, fit frémir l'une de ses oreilles et se tourner son museau carré. Il eut tout d'abord l'impression de se trouver devant un étendue d'eau... verticale. Le jeune loup n'avait jamais vu de miroir autre que la surface des flaques et des lacs lorsque le temps était paisible. Il redressa les oreilles, en même temps que son reflet, et s'aperçut en faisant quelques pas en avant qu'aucune surface de quelque sorte que ce soit ne se dressait entre lui et ce reflet. Etait-ce un clone ? Il se rappela que son père possédait un pouvoir semblable, mais sa présence ici, presque comme une farce, n'aurait eu aucun sens. Personne ne savait qu'il était venu, même pas Ortie. Ce serait bien un hasard étrange qu'Athelstan fut ici.

Elvzaio s'avança en direction de... lui-même, et s'arrêta à quelques pas. C'était une drôle de situation, et si c'était une illusion elle était troublante. Il lui semblait même sentir l'odeur de son propre corps, à quelques longueurs de lui. La première idée qui lui vint fut de voir si ce drôle d'être était capable de parler.

"Bonjour, je suis Elvazio." Lança-t-il en inclinant légèrement la tête d'un air curieux, sa queue battant l'air quelques fois derrière lui. "Et toi, qui es-tu ?"

L'impression était troublante, et aucun son ne s'échappa des babines de cet autre lui. Les oreilles des deux Elvazios se rabattirent sur leurs crâne, alors qu'une perplexité habitait leurs prunelles. Le jeune loup resta un instant immobile, à simplement observer. Il avait l'étrange sensation qu'il n'était plus exactement maître de lui-même, comme si l'autre clignait des yeux avant lui, fiasait frémir avant lui sa truffe, déplaçait subtilement son poids d'une patte sur l'autre avant que lui-même en aie eu l'idée. C'était vertigineux.

Puis soudain, les prunelles du jeune loup s'accrochèrent à la forme colorée demeurée près de lui. La poupée qu'il avait offerte à Dairo, celle qui représentait tant pour lui, tant par les lunes qu'il avait passées à la confectionner que par le symbole qu'elle avait pris. Celui de vouloir devenir quelqu'un par lui-même, de cesser d'exister uniquement par les autres. D'être reconnu par une dvinité autrement que comme le fils de son père, le frère de sa soeur, l'ami de ses amis. Il fit un pas de côté, rompant leur immobilité pour une symétrique dansa, et se pencha pour attraper la poupée entre ses crocs. L'autre n'en avait pas, de poupée, et il observa sans mot dire ce qui allait arriver.

Sa truffe était envahie par l'odeur des herbes douces avec lesquelles il avait fabriqué l'offrande, l'odeur de ce travail de construction de lui-même qui continuait à cet instant. Son port se redressa un peu, comme s'il mettait au défi ce double étrange de faire la même chose que lui, lui qui n'avait pas de poupée, rien à quoi accrocher ses crocs et sa volonté.
Un peu comme celui qu'il avait été avant.

Cela fonctionna.
Le reflet soudain n'en fut plus un, cessa de l'imiter, et sur son visage se peignit une expression que personne n'avait jamais vue sur le visage d'Elvazio : la haine. Cette chose qui lui ressemblait, ce n'était pas lui. Ce n'était plus lui. C'était comme un morceau de lui qui n'aurait jamais dû exister, une erreur dans l'harmonie du monde. Un erreur qui soudain rompit la distance entre eux pour lui sauter à a gorge. Il sentit la force de ses propres pattes contre lui, de ses griffes lorsqu'elles entamèrent son pelage chocolat et la chair en-dessous. Ses crocs se resserrèrent autour de la poupée, assurant sa prise pour ne pas la lâcher aux prochains chocs, sans l'abîmer pour autant. L'odeur du sang ne parvint pas à passer à travers son parfum, et cela valait sans doute mieux.

Elvazio se décala sur le coté d'un bond, la tête basse, les oreilles rabattues et les prunelles fixées sur son assaillant. Devait-il lui rendre ses coups ? Lui fallait-il se battre de cette manière avec ce reflet de ce qu'il avait été en le détestant ? L'autre le cherchait pourtant, il le sentait à la blessure cuisante de son épaule. Il finit par s'approcher de lui, sans redresser l'échine, le port de tête haut. Sans aire montre d'aucune agressivité. Il garda ses distances, au cas où l'apparition désirerait l'attaquer à nouveau, et déposa la poupée au sol entre eux. D'un petit coup de museau, il la poussa vers son alter-ego.

"Tiens... Prends-là."
Moi je n'en ai plus besoin.