Don de soi

Du bout du museau, elle poussa doucement la grille donnant sur le Cimetière. Un grincement se fit entendre. Un peu d'huile ne ferait pas mal à la porte forgée. Cà casserait ce côté un peu effrayant pour les loups les plus impressionnables. Surtout que les êtres partis n'avaient pas besoin de ce préjugé. Ils avaient plus besoin d'amour que de peur pour rester dans les mémoires. C'était ce premier sentiment qui poussait Kerguelen à venir ici. Elle rendait visite à sa famille. Elle déambula calmement dans les allées. Elle constata que tout était bien entretenu. Horus avait sû correctement prendre la relève de Boite à Clou, malgré la tristesse de sa disparition. Elle se promit de se rendre sur sa tombe après. Il méritait son affection pour avoir consacré son existence à prendre soin de leurs Défunts.

Enfin, elle arriva en vue des deux tombes de ses parents. L'une à côté de l'autre. Pour les rendre aussi inséparables que dans le passé. Un amour infini. Comme d'habitude, elle sentit un mélange de nostalgie et de chagrin s'emparait de son cœur. Malgré les années, le manque était encore là. Ce vide restera toujours, elle en était consciente. Rien ne pouvait combler ce qu'elle avait perdu. Mais elle pouvait apprendre à vivre avec. Comme le lui avait murmuré la Corneille.

Alors, elle inspira profondément et chassa ses démons. Force intérieure et volonté. Sa voix prit une intonation gaie et elle s'avança.

"Bonjour Maman chérie ! Bonjour Papa adoré !"

Elle s'arrêta lorsque ses pattes touchèrent la pierre. Elle s'allongea et elle posa un coussinet sur chacune des tombes, comme si elle voulait les enlacer. Une tentative de se connecter à l'Au-dela. Une fois ce calin imaginaire terminé, elle se redressa.

"J'ai un petit cadeau pour vous !"

Elle sortit de sa besace deux petits paquets. Elle enleva l'emballage et deux Colombes identiques apparurent. Elle en déposa une sur la tombe d'Hanna et la seconde sur la tombe de Volstein.

"Je les ai fabriquées moi-même ! Avec mes petites pattes et l'aide d'un livre ! Elles sont parfumées à la violette. C'est pour çà qu'elles ont cette couleur. J'espère qu'elles vous plaisent. J'y ai mis tous mon coeur !"

Elle craqua une allumette et enflamma l'extrémité des deux mèches. Les volutes de fumées monteront sûrement jusqu'à ses parents afin qu'ils puissent profiter du parfum des fleurs. Un doux sourire était affiché sur son visage. Mais elle n'avait pas que çà à leur raconter.

"Je voulais aussi vous dire que je vais partir en Exploration à la Grève Gelée. Seule. Je ne veux pas risquer la vie d'innocents. Je sais que ce n'est pas très prudent. Mais j'ai besoin d'agir. Je suis incapable de rester à la grotte sans rien faire, alors qu'une éventuelle menace approche. Je dois tenter de communiquer avec les animaux inconnus. Essayer de les comprendre pour que les Nakhus puissent trouver un terrain d'entente avec eux. Pour préserver la paix."

Ses yeux brillèrent d'une lueur de détermination. Rien ne la fera changer d'avis. Son voyage dans la banquise, elle le ferait quoi que cela lui coutera. Son dévouement n'avait pas trouvé de limite.

Il ne venait pas souvent au cimetière. Il ne savait pas exactement pourquoi ses pas l'avaient mené ici aujourd'hui. Il avait traversé le bras de mer avec peine, comme toujours avec son poil qui prenait l'eau et l'attirait par le fond, avant de s'ébrouer et marcher sur la plage d'un pas lent. C'était compliqué, en ce moment. Il passait beaucoup de temps avec Lewis, mais il avait besoin d'un peu de temps seul, aussi. Notamment à cause de Rhaegar. Il n'était pas sans comprendre que les émotions violentes qu'il ressentait à son égards étaient mauvaises. Et dangereuses. Il n'avait pourtant aucune animosité contre lui. Juste cette envie... Qu'il ne s'approche pas trop de Lewis. Qu'il ne la lui ravisse pas. Mais même si...

Son coeur se serra.

Même si Lewis l'aimait lui, ce grand ours brun, qu'y pourrait-il ? Qu'y pourrait-il, une fois qu'il aurait fait tous les efforts du monde, tous les efforts possibles pour attirer son attention ? Peut-être qu'elle ne l'aimerait jamais comme lui l'aimait.

Son regard s'assombrit encore.

Il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit d'essayer de la capturer, de toute façon il ne le pouvait pas, elle ne le laisserait pas. Mais comment combattre ces pulsions qui le violentaient à venir effleurer sa joue, mordiller ses oreilles ? La prendre, rien qu'une fois, entre ses pattes ? Mais il pouvait tout briser, tout. Et si elle s'enfuyait ? Si elle ne voulait plus le voir ? Chaque instant qu'il passait avec elle le nourrissait, lui était indispensable, mais en même temps lui faisait de plus en plus mal.

C'était si difficile à gérer.

Le loup capé de blanc hésita quelques pas dans les premières rangées, avant d'apercevoir une petite silhouette grise un peu plus loin. Il la reconnut sans avoir besoin de s'approcher. Il s'agissait de Kerguelen, la louve grise que même Yurai lui avait cité. Il ne s'y était pas intéressé, au début, trop concentré sur l'autre nom qu'elle avait cité, son père. Mais maintenant qu'elle se trouvait sous ses yeux...

Il chassa ses sombres réflexions et s'approcha d'elle d'un pas curieux. Il attrapa quelques bribes d'informations, et observa les tombes sans comprendre.

Puis il connecta les différents points, et baissa les oreilles. Il s'agissait de ses parents. Il connaissait bien sûr l'histoire de l'oracle Volstein - lui aussi cité de Yurai - et de sa compagne Hanna qui s'était sacrifiée pour sa fille.

Ses pattes crissèrent sur le sol de gravier, et il glissa sa queue entre ses pattes, honteux de se faire surprendre ainsi à l'observer.

Un léger bruit suivit ses derniers mots. Le son produit par des cailloux se déplaçant sous la force de coussinets. Elle n'était plus seule. Mais elle ne s'en inquiétait pas. Elle était dans un Cimetière, lieu respecté parmi tous. Nul méfait ne pouvait y être commis. Et puis, le Gardien y faisait souvent des rondes. Présence familière et rassurante, qu'elle croisait quasiment à chacune de ses visites. Elle songea naturellement que c'était lui et commença à lui parler.

"Horus ? J'ai apporté une bougie pour Piclou. Tu penses que cela lui ferait plaisir, là-haut ? J'ai aussi des Myrtilles, en cas où. Je me rappelle qu'il avait bien aimé çà, lors de notre dernière marche ensemble."

Elle se retourna doucement, un peu hésitante sur les goûts de l'ancien Croquemort. Elle espérait que ses questions ne soient ni mal prises, ni déclencheuses de souffrance. Ses craintes se révélèrent totalement infondées lorsqu'elle découvrit qui se trouvait réellement derrière elle. Cendres. Un jeune Nakhu à la naissance bien mystérieuse. Mais comblé par l'amour de trois parents. Chanceux dès son arrivée au monde. Son hésitation laissa la place à la surprise gênée.

"Oh, pardon ! Je me suis méprise sur la personne. Mauvaise habitude de croiser Horus par ici."

Elle cligna plusieurs fois des yeux et se composa un visage qui se voulut amical. Sourire doux et regard franc. C'était la première fois qu'elle se trouvait face à ce camarade. Elle l'avait bien croisé à plusieurs reprises au Dédale. Avec Eva. Avec Lewis. Mais les circonstances ne lui avaient jamais laissé le temps de vraiment faire sa connaissance. Mais le Cimetière était-il le lieu le plus approprié pour çà ?

"Viens-tu honorer un de nos Disparus ? Découvrir l'architecture tombale ? Ou simplement rechercher la paix ?"

A la mention d'Horus, Cendres jeta un rapide regard autour de lui pour vérifier l'absence du croque-mort. Oh, c'était de lui qu'elle parlait. Mais Cendres n'eut pas le temps de la corriger qu'elle se tournait vers lui et s'excusait. il ne sut quoi lui répondre, et déjà elle posait des questions. Des questions dont là aussi il n'avait pas la réponse. Que venait-il faire ici ? Il ne savait pas trop. L'une des propositions lui convient plus que les autres :

Chercher la paix, peut-être.

Il contemple les pierres tombales derrière la louve grise. Est-ce pour cela qu'elle a tant intrigué Yurai, qu'elle compte tant pour elle ? Pour la façon dont un sourire illumine son regard, malgré son bonheur passé allongé dans deux caisses en bois ?

Il ne sait pas quoi lui dire, à cette louve grise. Une politesse, peut-être ? Il n'est pas un loup à dire des politesses, Cendres. Et le lieu ne se prête pas à des discussions inutiles. Il finit par se rendre compte qu'il a troublé les prières de la louve striée de noir :

Je ne voulais pas te déranger.

Et il recula de quelques pas, prêt à prendre une autre allée pour la laisser à sa tâche.

A son soulagement, il ne s'offusqua pas de sa méprise. La confusion ne semblait pas si grave que çà aux yeux de Kerguelen. Mais qui sait, peut être que certains loups ne toléreraient pas d'être pris pour le Gardien du Cimetière ? La Mort n'avait pas la même signification ni la même appétence pour tous. Elle considéra que ses excuses avaient été acceptées et son esprit passa à autre chose.

Peut être ? Voilà les deux mots qu'elle retint de la réponse de son camarade. Trop vague. Pas certain. Le prémice d'un échec ? Le signe d'un manque de motivation ? Ou tout simplement le besoin d'un soutien ?

"Et tu n'as pas réussi à la trouver..."

Hum. Peut être pourrait-elle faire quelque chose ? Un chatouillis au niveau de son cou lui fit baisser les yeux. Tiens, Waffle venait faire coucou. Il grimpa d'accessoire en accessoire. De l'écharpe à sa cape grise cendrée. En passant par la broche d'argent en forme de plume. Symbole de son rang. De son utilité reconnue au sein de sa meute. Ne disait-on pas que les Sortceliers étaient les guérisseurs du corps mais aussi de l'esprit ? La Sans-Oreille offrit un clin d’œil complice à l’Écureuil Roux. Par sa présence, il venait de la diriger sur le chemin à suivre.

"Je peux t'aider, Cendres. Si tu veux bien de moi."

Mais voilà qu'il se positionna en intrus. En un être qui la dérangerait par sa présence. Elle secoua la tête de gauche à droite, un peu amusée. Il y avait quand même quelque chose de rigolo à s'échanger mutuellement des pardons. A craindre d'avoir blessé l'autre par ses mots ou sa simple présence. Voilà déjà un point commun !

"Reste. Ce lieu est libre. Tu as ta place ici, comme tout le monde. Donne-moi juste une minute."

Elle fit un demi-tour afin de se replacer devant les deux tombes. Elle vérifia que tout était bien à sa place et propre. Oui, tout l'était. Elle les couva avec attendrissement du regard avant de faire ses au revoirs.

"Maman, Papa, je vais vous laisser. Dame Yurai a guidé jusqu'à moi une âme perdue. Je dois faire mon devoir. Je vous aime de tout mon cœur."

Elle déposa brièvement son nez contre chacun des deux noms. Une dernière caresse. Et elle se retourna vers son interlocuteur du jour. Ou plutôt un nouveau patient ?

"Je suis tout à toi."

Et elle se sentit bête à le regarder comme çà. A essayer de lire dans son regard comment elle pourrait lui apporter de l'apaiser. Alors, d'un mouvement de patte, elle l'invita à se déplacer.

Il s'arrêta mais ne sut pas trop quoi faire alors qu'elle s'affairait et tentait de toutes les manières possibles de le mettre à l'aise. Elle se donnait beaucoup de mal - trop peut-être. Cendres comprit tout de suite pourquoi sa mère l'appréciait tant - et Yurai aussi. Elle était tout ce qu'il n'était pas, elle était la douceur et la compassion, la gentillesse et le don de soi. Mais autant que Yurai n'était pas celle dont il serait disciple, Kerguelen n'était pas celle dont il avait besoin et ses attentions le mettaient mal à l'aise.

Surtout lorsqu'elle alla jusqu'aux tombes et y prit congé.

Laissons poussière à la poussière.

Il craignait le moment qui devait arriver, mais ne put l'empêcher pour autant, et Kerguelen se trouva face à lui dans l'attente. L'attente qu'il parle, qu'il ouvre son coeur, qu'il lui explique, qu'il raconte. Déjà, il n'avait pas grand chose à dire. Et ensuite, ça n'était pas à elle qu'il les dirait.

... Je ne suis pas une âme perdue.

Il espérait que ça suffirait. Son ton n'était pas désagréable, juste très neutre alors qu'il l'observait sans vraiment y prêter attention.

Parfois les mots pouvaient donner la même sensation qu'un coup physique. Kerguelen ramena sa patte au sol et écarquilla les yeux avant de baisser le regard. Confusion. Devait-elle prendre çà comme un refus total d'elle, de sa présence ? Qu'elle était en trop ? Inutile ? Gênante ? Pourtant, il était encore là. Il n'avait pas tourné les talons. Elle s'agrippa à ce détail pour dépasser cet obstacle et continuer. Elle n'abandonnait pas aussi facilement, elle avait surmonté bien pire dans le passé. Elle redressa la tête, un sourire amical aux babines.

"D'accord."

Passons à autre chose et oublions ce moment gênant. Elle fut la première à briser leur immobilité. Elle passa devant lui et commença à marcher tout doucement. Elle avait déjà d'autres tâches en tête. Parce qu'il y avait toujours quelques chose à faire, si on cherchait un minimum. Mais elle ne laissait pas pour autant son camarade de côté. Sans cesser de regarder devant elle, pour ne pas lui mettre la pression, elle interpella à nouveau le mâle.

"Cendres ? Peux-tu m'aider ? J'aimerai arroser les fleurs des tombes dont plus personne ne vient s'occuper. A deux, çà irait plus vite."

Elle ne s'arrêta pas, continuant son allure lente. Écoutant le bruit de sa propre respiration, des graviers sous ses pattes et d'une éventuelle réponse.

Cendres était un être sensible - et pourtant il n'avait pas besoin de ça pour comprendre l'effet que ses mots avaient eu sur la petite louve grise. Deux sentiments contraires l'étreignirent, et l'agacement finit par l'emporter même s'il n'en montra rien. Il ne s'était pourtant pas montré particulièrement violent ? Pourquoi elle baissait le regard comme ça, alors, alors qu'il était son puiné ? Evidemment il comprenait pourquoi, mais en même temps ce comportement lui semblait si absurde...

Instant qu'elle brisa en prenant la route entre les tombes, marchant d'un pas lent et mesuré. Et s'il n'était pas particulièrement doux et ouvert, il n'en était pas moins serviable surtout si on l'interpelait directement. A la question de la louve bénie de Yurai, il hocha doucement la tête en lui emboitant le pas.

Bien sûr.

De nouveau, un ton sans animosité mais aussi sans aucune chaleur. Il tourne son museau vers l'entrée du Cimetière, là où tout bon établissement mortuaire de ce type loge une fontaine et quelques bacs en plastique. Ils y accèdent facilement, et cendres se dresse sur ses pattes arrière pour ouvrir la vanne, laissant à Kerguelen le soin de placer un bac en dessous.

Souhaites tu arroser tout ou partie du Cimetière ?

Aussi absurde et éreintante que pouvait sembler la tâche de parcourir l'ensemble des tombes, il l'acceptait comme allant de soi.

Et il répondit par l'affirmatif. Tout n'était donc pas perdu ! Il ne lui en voulait pas pour ses mots maladroits. Il ne lui en fallut pas plus pour retrouver son côté guilleret. Elle était comme un cactus, elle n'avait pas besoin de grand chose pour être satisfaite. Un mot sans animosité, un souffle d'espoir et elle s'épanouissait comme une fleur au Soleil.

Deux paires de pattes supplémentaires rejoignirent la mélodie des pas dans le gravier. Crich crich crich. Elle était contente d'être accompagnée dans sa tâche. Cendres prit même les devants en se chargeant de manœuvrer la vanne. Elle retrouvait du Eva dans ce caractère-là. Indépendance. Elle sourit pour elle-même avant de récupérer un récipient. Il était léger, mais il s'alourdirait vite en se remplissant d'eau. Elle le plaça correctement et donna le signal que tout était prêt.

"Seulement les tombes abandonnées. Les plus anciennes, tout au fond du Cimetière. Ne soyons pas intrusifs avec celles qui n'ont pas besoin de nos soins."

Elle contempla l'eau qui s'écoulait. Elle devait rester concentrée et bien estimer quel poids elle pourrait porter. Trop de liquide et elle sera obligée de trainer le bac dans le chemin. Détruisant les allées si bien entretenues dans son sillage. Ou alors, elle devra renverser le bac pour enlever le trop plein. Ce serait du gaspillage. Mieux valait trouver le juste milieu.

Lorsqu'elle jugea le taux de remplissage adapté à sa force, elle s'empressa de le tirer à elle. Elle poussa un deuxième bac sous le filet d'eau, s'éclaboussant au passage.

"Celui-ci est pour toi. Je vais ouvrir le chemin."

Elle baissa la nuque et attrapa le bac entre ses crocs. Elle referma fermement la gueule dessus et releva la tête. Ca allait, l'eau ne ballotait pas trop. Le poids était supportable lui aussi. Elle s'éloigna, sachant pertinemment où ses pas la dirigerait. Direction les allées oubliées. Les toutes premières tombes dont les descendants des défunts n'étaient plus. Le temps s'était chargé de faire disparaitre leurs lignées. Parfois même, le nom des Disparus était illisible. Mais qu'importe. Ils méritaient que l'on prenne soin de leur dernière demeure.

Armée de son bac, Kerguelen commença à arroser les fleurs de la première sépulture décrépite. Finalement, avoir la gueule prise était une bonne chose. Çà l'empêchait de dire des bêtises à Cendres. Elle pouvait réfléchir à un sujet de conversation qui changerait des banalités que l'on disait à un inconnu. Ou tout simplement l'observer. On apprenait beaucoup des gens en les regardant.

Déjà, la joie et la bonne humeur lui revenaient. Bah, au moins il n'aurait pas à s'inquiéter à ce qu'elle fasse la tête, c'était mieux ainsi. Cendres attendit que l'eau remplisse le ba avant de tourner de nouveau la vanne et la refermer. Il saisit le plastique entre ses crocs et trotta dans les allées, observant ces dernières pour repérer les tombes dont parlait Kerguelen. Des tombes qui n'avaient plus personne pour rappeler les souvenirs qu'ils contenaient. Un jour, lui aussi aurait une tombe comme ça. Une tombe qui n'intéresserait plus personne, avec peut-être une bouquet de fleurs abandonné par une âme sensible, nourrie par une autre. A moins que son repos ne vienne pas ici, qu'il revienne à la terre d'une façon différente.

Sous forme de Cendres, peut-être.

Si Kerguelen était silencieuse, ça n'était pas Cendres qui allait prendre la parole. Il n'avait rien de particulier à lui dire et préférait s'investir sans la tâche qui lui avait été confiée. Il pencha délicatement le bac transparent sur le côté, un filet d'eau s'écoulant peu à peu dans la terre jusqu'à humidifier l'ensemble du pot et de la plante. Lorsque ce fut fait et avant qu'elle ne déborde, Cendres passa à une seconde plante. Et une troisième. Ces dernières avaient beau être rustiques, elles souffraient du manque d'entretien. Horus, le nouveau croque-mort, devait bien être occupé en ce moment.

Cendres contempla son bac vide et le posa au sol, avant de se tourner vers Kerguelen, sourcils froncés.

Ca n'est pas très efficace. Laisse moi remplir les bacs pendant que tu arroses les plantes, ça ira plus vite comme ça.

Il pourrait caler un bac dans sa sacoche, et en porter deux autres entre ses crocs s'il les remplissait un peu moins ; ils diviseraient ainsi leur temps de travail par deux au moins. Ils pouvaient faire le premier aller-retour ensemble, mais après la louve grise en utilisant les deux bacs lui laisserait le temps d'aller en chercher tout autant.

Il se saisit de son bac vide et l'attendit patiemment, intéressé de ce qu'elle en pensait.

Sujet: Re: Don de soi Mer 02 Sep 2020, 11:26

Elle continua d'arroser tendrement toutes les plantes croisant son regard. Du coup de l’œil, elle observa que son camarade se montrait soigneux dans son travail. Elle approuva par un sourire. Les défunts avaient besoin de cette délicatesse. Elle avait presque terminé de vider son bac, lorsque la voix de Cendre brisa la quiétude du lieu. Elle s'immobilisa pour montrer qu'elle l'écoutait. Il proposait de gagner du temps. C'était une bonne idée, même si elle n'était pas pressée. Ce qui n'était pas forcément le cas du mâle.

"C'est d'accord."

Elle termina de répandre l'eau qui lui restait dans un pot de fleurs rouges. Le bac enfin vide, elle rejoignit le fils de la Pie. Ensemble, ils purent reprendre la direction de la fontaine.

"C'est vrai que je t'ai accaparé sans même te demander si tu avais vraiment le temps pour çà. Je te présente mes excuses. Tu dois avoir tellement de choses à faire. Des commissions pour Eva, retrouver cousine Lewis ou même préparer ton avenir."

A son âge, tant de chemins se dessinaient devant lui. Le futur s'offrait à lui. Il était libre de suivre des apprentissages et d'expérimenter. Pour devenir quelqu'un.

"As-tu déjà une idée de la voie que tu vas suivre ? Sortcelier, Mage, voire Couturier si l'ambition guide ton cœur ? A moins que tu n'aies hérité de cette amour du voyage ?"

Elle était sûre que l'absence d'ailes ne freinerait pas un loup avide de découvrir de nouveaux lieux. Il suffisait de voir le nombre impressionnant de voyageurs qui s'arrêtaient brièvement sur leurs terres. Ils apportaient leurs connaissances du monde et leurs récits plus intéressants les uns que les autres.

Sujet: Re: Don de soi Dim 06 Sep 2020, 23:43

Sans chercher à se débarrasser rapidement du travail à accomplir, ne pas optimiser une façon de procéder lui paraissait particulièrement absurde. C'était quelque chose qui lui courrait sur l'échine et le démangeait, comme une puce un peu rebelle et désagréable.

Ils marchèrent de nouveau côte à côte, et les considérations de la louve grise lui firent froncer les sourcils. Elle s'excusait beaucoup, surtout pour quelqu'un qui n'avait pas vraiment l'impression de commettre d'erreurs. Etait-ce là une vraie considération, ou une simple formule de politesse ? Malgré la gentillesse de sa comparse, il n'était pas sûr de la réponse, ni si elle-même en était consciente. Il balaya ses considérations d'un mouvement de patte.

Si je n'avais le temps ni l'envie de t'aider, je ne l'aurais pas fait.

Cesse de te rendre responsable de tous les maux du monde.

Son autre question par contre soulève plus de réflexion en lui. Il se l'est déjà posé plusieurs fois, l'a effleuré en pensées lorsqu'il est allé voir Yurai, et Mido. En préparant les autres visites. Les mots coulent de sa gueule de façon fluide.

Si les Nakhus m'ont vu naître, je ne m'y projette pas. Le violet ne sera pas ma couleur, et aussi accueillante qu'elle soit, cette famille n'est que celle de mon sang.

Celle de mon coeur est toute autre.

Il hésite un instant. S'il ne se projetait pas dans le clan, alors où ? Il choisit d'opter pour la franchise :

Mes pas suivront ceux de Lewis.

Au moins, ça avait le mérite d'être clair.

Sujet: Re: Don de soi Lun 07 Sep 2020, 17:27

Discuter avec Cendres n'était pas de tout repos. Ses mots, formulations de phrase et intonations n'étaient pas celles auxquelles elle était habituée. Pas de douceur ni d'amicalité. Mais le changement pouvait avoir du bon. Cette rencontre lui permettrait d'ouvrir son esprit à un autre type de personnalité. D'apprendre encore à connaitre ses congénères.

"Certaines personnes ne savent pas dire non. Je prends note que tu n'en fais pas parti !"

Elle gardait encore sa voix amicale, ne prenant pas ombrage. Elle avait beaucoup de patience en stock. Elle ne s'était d'ailleurs jamais énervée. Réussissant toujours à trouver un rayon d'optimisme dans ce qui lui arrivait. Elle fut néanmoins un peu attristée par la révélation de son jeune camarade. Un des siens ne restera donc pas Nakhu. Il ne fera pas partie de la nouvelle génération de Sortceliers ou de Mages. Elle haussa lentement des épaules.

"Le principal c'est que tu trouves le bonheur. C'est inutile de rester à un endroit où l'on ne sent pas bien, pas chez soi. C'est souffrir pour rien."

Heureusement, la suite apporta plus de positif à leur conversation. Ainsi, elle ne s'était pas trompée. Il y avait bien un fort lien développé entre lui et cousine Lewis. Son projet l'enthousiasma, imaginant les aventures que pourraient vivre ce duo.

"C'est un beau choix de vie ! Tu ne seras jamais seul. A deux, vous serez plus forts face à l'adversité. Vous pourrez vous épauler tout au long de votre quête."

Ils étaient de retour à la fontaine. Elle déposa son bac sous le robinet et s'écarta pour laisser la place à Cendres. Chacun sa petite tâche.

Sujet: Re: Don de soi Sam 07 Nov 2020, 15:54

Le loup tricolore ouvrit le robinet et l'eau de nouveau se mit à couler. Glougloutant, agréable à l'oreille comme à la vue, le filet remplissant peu à peu les bacs. Cendres choisit tout d'abord de ne rien répondre, un peu fatigué de la mièvrerie incessante dont faisait preuve Kerguelen. C'était d'un fatiguant... Toujours à valider, toujours à encourage, toujours à positiver comme ça sans rester factuel et réfléchi. Il se demandait si elle mentait aux autres et à elle-même, ou c'était vraiment ainsi qu'elle était, ainsi que le cas échéant comment elle combattait le moindre accès de négatif qui pouvait la saisir.

Il ouvrit à demi la gueule.

Merci.

Il trouvait la réponse appropriée, même si ça ne le touchait pas beaucoup, il ne pouvait nier sa gentillesse. Cendres ferma le robinet.

Tu peux prendre celui là. Je t'apporterai le prochain.

Et il lui présenta le bac plein, avant de commencer à remplir le second. L'efficacité se ferait au prix de la discussion, mais Cendres ne s'en faisait pas trop : si la louve grise avait vraiment quelque chose à lui dire elle pourrait le faire après, ou lorsqu'ils se croiseraient. Sinon, il ne manquerait rien.

Petit sauvage.

Sujet: Re: Don de soi Dim 08 Nov 2020, 14:04

Elle fut surprise de l'entendre la remercier. Elle ne s'attendait pas vraiment à une réponse. Elle avait rapidement compris qu'il était du genre taciturne. C'était étrange comment certains enfants pouvaient être l'opposé de leurs parents. Elle abandonna l'idée de rechercher une trace d'Eva en lui. Il était Cendres. Unique. Et c'était tout.

Il ne relança pas la discussion et elle ne chercha pas à le faire non plus. Elle acceptait leurs trop grandes différences de personnalité. Elle respecta ce silence et décida de le savourer. Lorsque le bac fut plein, elle le fixa de son regard doré avant de lui offrir son plus grand sourire. Plus besoin de mots pour ce travail fait aux Âmes Oubliées. Elle attrapa délicatement son récipient et retourna arroser les fleurs. De temps à autre, elle jeta un bref coup d’œil pour suivre l'évolution de son camarade.

Quand toutes les vieilles tombes furent honorées, la Colombe reposa son bac là où elle l'avait trouvé. Elle attendit que son cadet la rejoignit avant de briser le silence particulier de ce lieu.

"Le travail est terminé. Les âmes pourront reposer en paix. On leur a montré qu'on ne les oubliait pas. Merci de ton aide."

Et elle ne s'attarda pas plus longtemps à ses côtés. Elle avait une bougie et des myrtilles à déposer à Piclou.

[Fin !]