Aurore - Alexandrine

C'était le matin. Phénomène récurent qui survenait... Tous les matins.
La louve bleue ouvrit lentement les yeux et bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Dehors, le soleil commençait à se lever... Ce qui signifiait, qu'elle aussi, se devait de le faire. Elle n'avait jamais été du genre à profiter de grasses matinées, aimant s'éveiller dès l'aube pour ne pas perdre de précieux temps qu'elle aurait pu utiliser à des fins plus productives que le sommeil.
Et ce, même lorsqu'elle s'éveillait aux côtés d'Alexandrine. Qui de toutes manières avait un rythme presque similaire au sien.

Elle sourit et, curieusement, son premier regard fut pour elle, pour Alex.
Holly bougea un peu, se rapprocha d'elle, son museau vint doucement toucher son front.

- Coucou.

Qu'allaient-elles pouvoir faire, aujourd'hui ? Peut-être s'atteler, enfin, à la confection du harnais tant attendu.
... Mais d'abord, Holly, elle voulait des câlins.

Si Alexandrine avait l'habitude de se réveiller de bonne heure, c'était rarement de gaité de coeur. C'était les rayons du soleil qui glissaient sur son dos, sur son corps, sur ses paupières qui la poussaient à ouvrir les yeux paresseusement pour contempler les environs. Bailler à s'en décrocher la mâchoire, s'étirer comme un gros chat. Ce qui, dans son cas, était plutôt impressionnant : ses ailes s'étiraient et couvraient tout son horizontal, là où ses pattes et sa queue couvraient le vertical. Ah, qu'elle prenait de la place ! Et à s'étirer ainsi elle écrasait à moitié Holly qui, elle s'en rendit bien vite compte, l'observait.

Un petit coup de museau sur son front, Alexandrine louche sur ce dernier avant de s'ébrouer et bailler de nouveau. Oh la la... Il allait falloir se lever.

Bientôt.

Elle soupira et grommela avant d'étendre ses pattes... Et sans crier gare saisir la louve bleue à pleines pattes pour la serrer contre elle comme une peluche géante.

Reste là-

Un vague grondement émis d'une voix encore endormie, alors qu'elle baille de nouveau et serre un peu plus fort. Comme si Holly allait s'enfuir, tiens.

A priori, ses pensées productives n'étaient pas vraiment partagées.
Elle sourit, amusée, lorsqu'après avoir baillé et s'être étirée d'une façon particulièrement envahissante, Alex vint l'attirer contre elle. N'était-ce pas ce qu'elle voulait, des câlins ? Et ceux du matins avaient une saveur toute particulière... Tout comme ceux du soir, et ceux de l'après-midi.
Qu'elle était heureuse, Holly.

- Comme si j'allais m'enfuir.

Elle était déjà bien réveillée, elle, un éclat amusé et tendre dans ses yeux bleus.
Sourire aux babines, elle se lova contre Alex, silencieusement, la laissant tranquillement émerger dans la presser. Peut-être pourrait-elle aller chercher à manger, pour lui éviter de se lever. Ce serait mignon, ça tiens. Quel dommage que deux énormes pattes la retiennent prisonnière... Et qu'elle n'ai pas forcément l'envie de s'en libérer. Tant pis, elle ferait cela plus tard. Un autre matin.

Pour le moment, elle glissa son museau dans son cou et ferma les yeux, quelques minutes encore, lâchant ses projets pour la journée d'une voix étouffée.

- On pourrait faire le harnais, aujourd'hui. Si tu veux.

Elle sentit contre elle avec délectation le corps de la louve bleue qui gigotait jusqu'à ce qu'elle réussisse à glisser sa truffe dans son cou. Alex remua légèrement, réajustant sa position pour qu'elles soient plus à l'aise. Peu à peu elle s'éveillait à ce qui l'entourait, les nuages du sommeil chassés au profit d'un soleil délicat dans sa potite tête émergeant.

On sait jamais. Là tu peux pas.

Et, alors qu'elle assimilait de plus en plus la présence de la louve bleue auprès d'elle, Alexandrine desserra son étreinte juste de quoi pouvoir l'observer droit dans les yeux. Elle était si belle. C'était tellement incroyable. Elle ne comprenait toujours pas, Alex, comment elles en étaient arrivées là. Comment Holly... Comment une personne aussi formidable. Aussi forte, aussi compétente, aussi... Aussi tout. Elle n'arrivait même pas à mettre les mots dessus. Et si...

Elle remit sa tête sur celle d'Holly. Et si un jour la louve bleue se rendait compte qu'elle s'était trompée ? Et si c'était juste, passager ? Si elle... Trouvait un autre Méridor, ou même juste Méridor maintenant qu'il rejoignait les Etelkrus... Son coeur avait battu pour lui une fois, ne pouvait-il pas y revenir ?

Alexandrine ne dit rien, plutôt contente de sa taille qui lui permettait de placer sa tête par dessus celle d'Holly, empêchant cette dernière d'apercevoir son visage.

Eh. C'était les risques, après tout... Et puis elle était heureuse, présentement. Elle pouvait tout à fait se concentrer là dessus. A la mention du harnais, Alexandrine sourit. Elle l'avait oublié, celui là, depuis le temps. Mais pourquoi pas... Ca pourrait toujours être pratique, surtout si les temps s'annonçaient sombres, avec les monstres du Nord.

Elle la regarda de nouveau.

C'est une bonne idée. Cette fois, même si tu m'embrasses, ça devrait mieux se passer.

Elle souriait, railleuse.

Holly rit franchement.
En était-elle certaine, sa Dragonne, qu'elle ne pourrait pas s'enfuir de son emprise ? Certes, elle n'avait pas la puissance de son aimée... Mais avait su montrer, plus d'une fois, qu'elle pouvait sortir victorieuse d'un combat contre plus grand et plus lourd qu'elle. Enfin, là, encore une fois, elle n'avait même pas envie de lutter, même pas envie de faire semblant.

Un sourire, à sa remarque. Même si elle l'embêtait un peu, la vilaine.
... Allez si, en fait, elle allait lutter. Mais pas pour se défaire de son emprise et filer loin. Plutôt pour prendre place au dessus d'elles, comme ce jour où tout avait réellement commencé. Et dans son regard, pourtant d'une couleur si froide, brûlait pourtant le même brasier.

Alex alimentait, en elle, une passion qu'elle ne s'était jamais vraiment soupçonnée.

- J'espère bien. Par ce que ça risque d'arriver.

Son museau vint caresser sa joue, glisser dans son cou.

- Ce sera juste... Dommage pour le harnais qui ne sera jamais fini.

Ni même commencé, si elles ne se décidaient pas à se lever, plutôt que de se papouiller.
Mais, eh, n'étaient-elles pas bien, ici ?

Et Holly de se dandiner et se dandiner pour de nouveau la faire rouler sur le dos. Ah ! Alexandrine s'exclama, ses paroles jaillissant bien plus vite que son cerveau ne pouvait penser :

T'aimes bien prendre le dessus hein !

... Mais le dessus quand. Réalisant ce qu'elle venait de dire, et à qui, Alexandrine ferma sa grande gueule et rougit violemment. Elle n'était pas là à railler un ami bon enfant de saletés improbables pour faire naître le rire sur ses babines, ni à tenter de plonger un ennemi dans le désarroi. Elle était face à Holly, qui, qui... Elle aurait voulu rentrer sous terre, pas même sûre de tout ce qu'impliquait ses paroles. Elle n'était pas... Elle ne devrait pas utiliser de tels termes. Parce qu'ils pouvaient devenir dangereux, parce que leur réalité leur donnait un pouvoir tout autre lorsqu'elles étaient toutes les deux.

Pardon...

C'était peut-être la première fois qu'elle s'excuser d'une grossièreté. Qu'elle se sentait déplacée, si bête. Toujours, si bête. Devait-elle l'être toujours ?

Peut-être bien que oui, après tout.
Elle ne voyait pas de mal dans ce sous-entendu, Holly. Peut-être n'était-elle... Pas vraiment innocente. C'était drôle, ça, elle était pourtant, des deux, celle à moins oser les sous-entendus un peu graveleux. Ce n'était pourtant pas elle qui rougissait, là, et s'excusait tout bas. Mais à quoi jouait-elle, vraiment ?
Ne risquait-elle pas de se brûler les doigts ?

Que voulait-elle, que ne voulait-elle pas ?
Et Alex, que voulait-elle ?

Encore une fois, son museau contre sa joue, remontant jusqu'à son oreille.
Encore une fois, un murmure.

- Ne t'excuse pas.

Elle lui mordilla l'oreille.

Tout était si calme. C'était un réveil comme les autres, doux et chaleureux, un réveil tranquille. Et là, voilà que son coeur s'emballait, voilà que ses joues s'enflammaient et qu'Holly de nouveau prenait la main sur elle. Toute imposante qu'elle était, Alex n'avait absolument rien à lui opposer. Elle n'était qu'une poupée de son entre ses pattes. Une poupée de son qui de ses pattes cachait maintenant son visage, laissant toute latitude à Holly.

Elle entendit son souffle et son murmure, et sentit ses joues la brûler. Son visage entier la brûler. Pouvait-elle faire une combustion spontanée, là maintenant, juste comme ça ? Parce que si c'était possible, sûr elle était bonne pour ça. Lorsqu'Holly lui mordilla l'oreille, un frisson se propagea de cette dernière à l'ensemble de son corps et agita ses ailes d'un vrombissement. Elle déglutit et écarta légèrement les pattes pour observer sa douce.

Ce qu'elle ressentait était indescriptible. Les meilleurs auteurs s'y étaient frotté et ne faisaient qu'effleurer la douce réalité du désir et de l'amour qui se mélangeaient et agitaient les tripes. Celles d'Alexandrine, en l'occurrence. Ces sensations, nouvelles et impératives, la noyaient entièrement.

Le souffle court, tremblante et effrayée, galvanisée au contact de la louve bleue, elle observait maintenant les yeux de glace de cette dernière. Elle ne savait pas quoi dire, elle ne savait pas quoi faire, mais elle attendait. Elle était incapable de prendre quelqu'initiative que ce soit. Elle reposait au sol comme une proie blessée.

Blessée en plein coeur.

Elle continuerait donc de jouer avec le feu.
Doucement, cependant, pour ne pas réduire la flamme, pour ne pas éteindre le brasier de par son emportement ou par un geste indélicat. Elles avaient le temps, tout le temps.
Le harnais, lui, devrait attendre.

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