sleeping beauties — Cendres

Lewis

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Lewis, elle en avait plein les pattes. C’était rare de la voir dans un tel état fatigue. Son petit corps avait été mis à rude épreuve. Le combat contre Celui-Qui-N’-Avait-Pas-Aimé-Jouer, s’occuper de sa grosse tête. Pfiouuuu ! Le pire avait sûrement été le passage dans le bain glacé, alors ça. La louvette renifla. Son poil épais avait mis trop longtemps à sécher, voilà qu’elle couvait un début de rhume… Beurk !

Au moins, y’avait-il un aspect réjouissant. Du feu. De la chaleur.

Et y’avait Cendres aussi !

Lewis vint se coucher sur lui, la mine fatiguée.

« — Ahhhhhhh… »

Poe lui manquait. Braise aussi. Ce n’était pas pour eux cet environnement. Enfin surtout pas pour Poe. Lewis l’avait caché dans la petite cabane à grenouille, avec les autres. Braise lui, avait trouvé le moyen de se cacher dans son capuchon à fourrure.

Les babines s’étirent doucement en un sourire.

« — T’as vu la pâté qu’on lui a mise au monstre ? Pas de risques qu’il te croque un bout comme ça… »

Ni aux autres.
C’était fini les jeux avec lui.
Lewis bailla.
Dommage, ce fut un jeu drôle…

Tâche de repos dans la réalité.

Une bataille éclatante de violence et de cris, de hurlements et d'attente. Une bataille pour laquelle il n'avait pu faire grand chose d'autre qu'attendre, aider, soigner d'un coup de patte ceux qu'il parvenait à soigner. Une compétence que d'autres maniaient mieux que lui, un champ de bataille que tous parcouraient l'esprit fort et déterminé.

Là où lui ne portait qu'un seul poids sur ses épaules : sa crainte pour Lewis.

Après avoir bien joué dans les carcasses et les restes du monstre que tous s'accaparaient comme des fourmis empressées, tout était devenu plus calme. Ils s'étaient éloignés un peu, quelques pas, de quoi apercevoir toujours la fourmilière active mais sans en subir les mille hurlements. Cendres s'était allongé sur le sol glacé, sa petite cape sur les épaules. C'est là que Lewis l'avait rejoint, sans complexes.

Fidèle à elle-même.

Toujours, elle exerçait ce charme dans lequel il se noyait sans salut possible. Il frissonna. De nouveau, elle emplissait tous ses sens. Il la voyait, si belle dans sa robe lavande. Si chaude contre son flanc, flamme vive et indomptable. Son odeur l'enivrait, il y goutait lorsqu'il ouvrait à demi la gueule, fort de sa proximité.

Il se décala et ouvrit l'une de ses pattes pour la passer par dessus le corps de son amie. L'attira à lui, glissa son museau dans le creux de son cou et s'emplit tout entier de sa présence. Il avait été silencieux, depuis le monstre. Distant, presque. Observateur. Là, les yeux fermés, il lui revenait tout entier. L'avoir tout contre lui lui amenait le courage, la folie aussi.

Je sais que tu as promis de revenir. Mais j'ai eu si peur pour toi.

Si soulagé, lorsque les crocs s'étaient refermés sur d'autres corps, laissant le tien en vie.

Il resta là immobile, goutant de cet instant comme du dernier.

Peut-être était-il le dernier, après tout. Combien de temps encore avant qu'un autre dinosaure n'apparaisse, et que le jeu l'emporte ? Il ne pouvait bien évidemment la retenir. Mais il pouvait profiter encore quelques instants de sa présence.

Lewis

Brrrrrrr ! Trop froid dans ce coin. Faisait bien plus chaud dans le dino, ou même sous la pluie des Nakhus. Lewis se souvenait même pas que l’océan eut été aussi gelé.

Puis…

Il fait plus chaud d’un coup.

Les yeux de Lewis s’écarquillent, le temps qu’elle réalise que Cendres a refermé sa patte sur elle. Que faisait-il ? Celui-qui-murmure-à-l’-oreille-des-animaux ? C’était… tellement étrange. Cette proximité, la pirate ne l’avait partagé qu’une seule fois, lorsque Celle-Qui-Se-Tient-Tranquille-De-La-Mort s’était occupée de la saigner, de lui ôter le sel de son sang pour ne pas qu’elle brûle. Mais, il n’y avait eu plus rien depuis le contact avec sa cousine… Jusqu’à aujourd’hui. La louvette ne bouge pas, réfléchissant.

Ce n’était pas…
… Désagréable.
Cette chaleur.

Son museau se pose sur l’une des pattes de son ami, ses paupières à moitié closes. Elle écoutait Lewis, les paroles de Cendres, ses babines s’étirant en un sourire.

« — Ah ? Pourquoi t’inquiéter tout le temps ? Les p’tits poissons ne sont pas biens dangereux ! »

La preuve ! Toujours en vie et même pas une égratignure. Le poisson n’avait été qu’un poisson. Pas un adversaire incroyable. Juste un petit divertissement. Pourrait-elle espérer un jour trouver un adversaire assez fort pour jouer avec elle un peu plus longtemps ?

Il ne fait plus froid.
Et c’est agréable.

Elle se crispe légèrement sous ses pattes avant de se détendre, Cendres n'y prête pas attention. Ne veut pas y prêter attention. Il accueille sa réponse avec une once de tristesse. Ils ne sont pas dangereux, eh ! Et pourtant. Ils étaient les plus dangereux qu'elle avait croisé jusque là, les plus gros, les plus forts, les plus monstrueux, comment pouvait-il en être autrement ? Il se met à parler doucement, très doucement.

C'était une aubaine, que nous soyons autant sur la Grève.

Il la serre un peu plus fort contre lui. Toujours, les yeux clos et enfouis dans sa fourrure, la sienne ébouriffée sur son corps. Son coeur tonne dans sa poitrine, à un rythme effrénée. Il hésite, mais il ne peut pas reculer. Il ne peut pas la laisser partir sans au moins lui dire ça.

Il faut... Que tu apprennes à fuir, lorsqu'il le faut. Pour pouvoir jouer encore. Plus longtemps. Si tu vas là bas.

Il ne parlait pas du mosasaure, il ne parlait pas de la tortue, il ne parlait pas des ours. Il parlait de ce qui pouvait arriver, un rapport de force qu'elle ne pourrait pas gagner, quel que soit son courage et sa ténacité. Il aimerait lui demander de rester, il aimerait lui demander de ne pas y aller, de rester avec lui. Mais il n'en avait pas le droit, et surtout il craignait un refus.

Il avait si peur qu'elle l'abandonne, de quelque façon que ce soit.

Je te jure Lewis, si tu ne reviens pas-

Les mots lui échappent, sous une impulsion incontrôlée.

Si tu ne reviens pas.

Que ferait-il, alors ? Que serait-il ? Là, accroché à elle, tout entier noyé dans sa présence, il ne s'imagine pas autrement.

Lewis

Même ses mots le grandissent au loup. Il n’y a plus d’insouciance dans sa voix, plus l’innocence de jadis. Seulement la maturité qui s’imposait doucement. Lewis soupira doucement, sans pourtant bouger.

« — Hum… »

Une aubaine.

Lewis ne dirait pas ça. L’arrivée des autres avait définitivement fait fuir le troupeau de rennes. Avait attisé la colère du poisson. Leur arrivée n’avait rien d’une chance. Absolument rien. finalement, elle redresse sa tête, la pirate, souriant doucement, laissant l’amusement de côté pour cette fois. Car visiblement c’est une discussion sérieuse qu’ils auraient aujourd’hui.

« — Fuir ? Ahah, c’est mal me connaître ça, p’tit loup. Je n’ai aucune envie de fuir. »

Parce que Lewis en avait assez de voir les autres fuir.
Assez de les voir croire que c’était le seul chemin possible.
Que c’était ce qu’il y avait de mieux pour eux.

Non, elle ne fuirait pas. Car elle n’était pas comme Hypoxie ou Angelica, pas comme Alys, ni Trixie, ni Godric. Lewis n’était aucun d’eux. Elle traçait son propre chemin sans retour en arrière possible.

Elle ne pouvait qu’avancer.
Jusqu’à ce que le chemin sous ses pattes s’écroule.

La louvette conserva le silence. Que ferait-il si elle ne revenait pas ? Il n’aurait d’autre choix que d’aller de l’avant, car c’était le cours des choses. Aussi monstrueuses soient-elles. Que pouvait-il bien faire d’autre ? Qu’espérait-il d’elle bon sang ? La tête se tourne, le regard se perd dans les flammes, alors qu’après un long silence, elle prend finalement la parole.

« — Rhaegar avait raison… Enfin je crois. Tous les dieux ne sont pas égoïstes. Le grizzly est venu pour les siens, il a envoyé son soldat… »

Finalement… Tous n’étaient pas comme Céto.
Tous n’étaient pas mauvais.

Il sait bien, qu'elle ne veut pas fuir. Et ses mots lui renversent le coeur une fois encore, le pressant comme un citron bien trop mûr, l'éclatant de leurs doigts si puissants. Mais elle ne semble pas comprendre ce mal qui le ronge et l'anime, qui le pousse à poser ces questions là, qui l'inquiète et le morfond. Une bille d'argent lui laboure le ventre et la trachée, rend la sortie des mots difficile. Il rouvre les yeux et la contemple. Frissonne. Elle est si proche. Si petit et délicate, entre ses pattes. Ce corps qui cache une force impressionnante. Mais un corps qui ne pourrait rien contre les crocs d'un autre mosasaure, contre les pattes d'un autre monstre.

Son coeur s'envole.

Il fixe ses prunelles lavandes clair et de son museau effleure sa joue.

Est-ce donc si important, de ne pas faire un pas en arrière ? Si important, qu'il faut redevenir plus tôt poussière pour ne l'avoir pas fait ?

Il pousse la discussion, au risque qu'elle s'énerve, qu'elle se redresse, qu'elle s'échappe. Mais c'est aux dieux que viennent les pensées de la louve violette, et Cendres y apporte l'attention qu'elles méritent. D'un doux sourire, il hoche la tête.

On a tous le droit de changer d'avis, c'est mieux que de s'entêter dans une voie que l'on ne sait juste. Cela t'encourage-t-il à briguer une de leurs couleurs ? Le violet des Nakhus ?

Il en doutait, mais l'idée de voir Lewis dans le temple de la Corneille lui tirait un sourire et, goguenard, il attendait sa réponse.

Lewis

Un pas en arrière. Pour mieux fuir. Étais-ce réellement si important ? Oui. Non. Peut-être. Pour ne plus être la pirate, pour ne plus être l’enfant du traître, la sang-mêlée.

« — Je refuse d’être comme eux. »

Tous ceux qui l’avaient abandonné.
Tous ceux qui s’étaient montrés lâches.
Tous ceux qui avaient fuit leur destinée.

« — Est-ce si important pour toi, de reculer ? »

De rejoindre ceux restés en arrière ?

Comme la Corneille. La déesse que les Nakhus vénéraient. Où était-elle hein, ? Qu’avait-elle fait lorsque le poisson avait brisé la glace ? Lorsque les présents avaient été mutilés. Rien. Absolument rien. Pourtant, ils continuaient d’y croire, les Nakhus. À cette déesse, ses miracles, ses belles paroles en l’air. Tss ! Quelle naïveté.

« — La Corneille, elle n’était pas là. À aucun moment elle n’est venue. Je ne me bats pas pour les ombres, je ne crois pas aux chuchotements. » La louvette marqua une pause. « Je me bats aux côtés de ceux prêts à mourir, ceux qui mettent toute leur âme dans la bataille. »

Pas pour ceux qui se contentent de regarder.
Ni pour ceux qui attendent la fin des combats.
Car, ils étaient incapables de comprendre la beauté du jeu.

La Corneille des Nakhus.

Je l'ai vue, la Corneille. Dans son temple. Je pense qu'elle est... Différente. Elle n'est pas pour toi. Elle n'est pas pour moi non plus.

Il soupire, détourne le regard. Revient sur l'autre sujet.

Je veux juste que tu reviennes, Lewis.

Avant de le reporter sur la louve violette et son capuchon rouge, sur elle, ce qu'elle est, ce qu'elle représente pour lui. Il ne peut plus se retenir, maintenant. Demain est trop tard, il n'y aura peut-être jamais de demain, plus jamais. Chaque parole le lui confirme un peu plus. Chaque affirmation l'attire plus loin de lui.

Et ça fait si mal.

Il n'y a rien que je ne souhaite plus que de te voir revenir. Je n'ai que faire des pas en arrière, s'ils me permettent d'être à tes côtés. S'ils te permettent de revenir de cet enfer blanc.

Son coeur s'emballe, il est sur cette pente glissante que jamais il n'a osé emprunter, que toujours il a fui. De ces pas en arrière. De ces entrechats entrelacs et refus, de ces tours et détours qu'il a joué devant l'obstacle. Qu'il joue devant l'obstacle. Il a l'impression qu'il va mourir, quelle que soit le retour, quelles que soient ses paroles. Mourir un peu, en dedans.

Je sais... Que tu seras toujours celle que tu es. Mais laisse moi te montrer... Un peu de qui je suis. De pourquoi je te dis ça, alors que je sais que c'est important pour toi.

Il glisse l'une de ses pattes dans le cou de la louve violette, la dirige face à lui, plonge ses yeux dans les siens. Soutient ce regard, qui le cloue sur place. Qui l'écrase. Qui l'emballe. Qui ne le ménage à aucun instant. Il réduit l'espace qui les sépare et le clôt pour effleurer son museau, ses babines.

Leurs souffles, qui se mêlent.

Je ne me bats que pour toi. Il faut que tu reviennes, Lewis. Parce que je t'aime. Je t'aime si fort, depuis toujours je crois. Et j'ai peur. Je n'ai pas peur de mourir. Je n'ai pas peur des monstres. Mais j'ai si peur que tu ne reviennes pas.

Il inspire son odeur, glisse sa tête dans le col de la louve, se cache dedans. Lui fait face de nouveau, avec un maigre sourire.

J'ai si peur de ne plus pouvoir faire ça.

Il tremble, imperceptiblement. Rit, un rire nerveux, de peur sous-jacente.

Est-ce, pour de nombreuses raisons, la dernière fois ?

Lewis

Alors, pour qui était-elle la Corneille ? Pour ceux qui refusent d’accepter les choses ? Pour ceux qui veulent se battre contre leur destinée ?

C’est curieux n’est-ce pas ? La facilité avec laquelle le cerveau parvient à connecter le présent au passé. Revenir. C’est un mot auquel tu as cru jadis. Lorsque tu étais bien plus petite. Alors que ta mère ne s’occupait guère de toi. Tu la voyais toujours partir, tu cherchais encore ses traces, tu attendais son retour. Qu’elle revienne. Mais l’oiseau aux ailes de cire avait volé trop proche du soleil, avait pris goût à la liberté et jamais plus n’était revenue. Pourtant. Elle l’avait attendu Lewis. Dans la grotte. Que cette mère revienne, pas pour s’occuper d’elle, mais uniquement faire acte de présence. Mais elle n’était jamais revenue.

Comme Alys.
Comme Siam.
Comme Godric.
Comme Méluciole.

Comme tous les autres.

Aucun n’avait tenu parole.

« — Arrêtes… »

C’est un murmure. La voix est brisée. Mais il poursuit. Leurs souffles se joignent. Et il poursuit. Encore. Prononce les mots. Ils sont terribles ces petits mots. Elle ne bouge pas Lewis, alors que son corps tremble doucement. N’essaye pas de se retirer, lorsqu’il la touche de nouveau.

Alors c’était pour ça…

« — Pourquoi tu fais ça Cendres ? »

Hein ?

Pourquoi tu me dis tout ça hein ? N’as-tu pas compris que je n’ai rien à donner ? Que le fruit est pourri ?

Elle se redresse, brise le contact, en même temps que les larmes creusent des sillons dans ses joues mauves.

« — Tu n’avais pas le droit… »

Toi plus que les autres.

Pas le droit de t’attacher de la sorte.
Pas le droit d’avoir de tels sentiments.

Parce qu’elle ne sait plus faire confiance Lewis. Elle ne veut plus être aimée. Car tous ceux qui avaient prétendu l’aimé, avaient disparu. Ils avaient pris la fuite. Alors, face à l’abandon, pour noyer la tristesse et la colère, elle avait appris à sourire la pirate, même si c’était faux. Elle s’était inventée un ami qui ne la quitterait jamais. Un ami qui lui serait toujours possible de remplacer car n’avait pas réellement de conscience. Mais Poe n’était pas là aujourd’hui et elle se sentait sombrer la louve. Parce qu'ils se prétendaient tous amis autour d'elle, mais eux aussi l'abandonnerait. Bientôt.

« — Je ne veux pas… qu’on m’abandonne de nouveau… »

Plus personne.
Ils n’avaient pas le droit.
IL n’avait pas le droit.

Arrête.

Il se fige, elle se déloge. Elle tremble feuille dans le vent, elle est comme il ne l'a jamais vue. Des larmes coulent sur ses joues, creusent des sillons qui dans le coeur de Cendres trouvent leur écho. Il ne peut détacher ses yeux de la louve violette, de cette louve pour laquelle il se consume jour après jour, pour laquelle il brûle avec toujours plus de force. Qui a chaque instant prend un peu plus de place en lui. Il veut tout, pour elle. Tout, pour que ces larmes s'arrêtent.

Il avait à ses mots la vague impression de l'avoir trahie, et se recroquevilla sur lui-même, blessé. Aurait-il... Mieux fait de se taire ? Vivre avec tout ceci sur le coeur, tout ceci dans le corps, comme il le faisait jusque là ? Il pouvait... Il pouvait vivre ainsi, oui.

Mais si elle ne revenait pas ?

Il ne savait pas. Il ne savait pas s'il avait pris la bonne décision, et elle était là, debout devant lui, prête à s'effondrer. Et il était là, tremblant lui aussi, incertain et apeuré.

Cendres. Ne la perds pas. Tu ne peux pas la perdre. Tu ne dois pas la perdre.

Les mots, l'abandon, le frappèrent en plein coeur. Il se leva, fit un pas en avant. Un seul. Il n'osait pas faire le second, il ne pouvait pas faire le second. Il ne pouvait plus faire le second, ça n'était pas le sien. Il ne pouvait pas une fois encore l'entendre dire d'arrêter.

Lewis

Sa voix était douce, mais cassée. Il déglutit, le poil ébouriffé.

Je ne peux pas.

Sa gorge est sèche, les mots passent difficilement.

Je ne peux pas t'abandonner, Lewis. Tu es... Tu es tout.

Quels mots, pour exprimer ce qu'il ressent ? Quels mots pour lui expliquer, quels mots pour qu'elle comprenne ? Mais peut-être...

Lewis. Tu n'es pas...

Il détourne le regard, douloureux. Il les a préparé aussi, ces mots. Les a tourné maintes fois dans sa tête. Maintes et maintes fois dans sa gueule. C'est cet automatisme qui leur permet de franchir ses babines.

Tu n'es pas... Obligée de m'aimer. Mais tu ne peux m'enlever mes sentiments, et- et je voulais que tu le saches. Ils font partie de moi. Tu fais partie de moi.

Etait-ce un besoin égoïste ? Avait-il brisé le fragile équilibre ?

Elle souffrait, et sa souffrance lui ravageait le coeur. Il avait si peur. Qu'elle parte en courant, qu'elle s'échappe.

Qu'elle ne revienne pas.

Lewis

Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ?

Les muscles se contractent, les crocs se dévoilent lorsqu’il fait un pas en sa direction. Pas de deuxième. Il n’y en aurait pas. Lewis ne voulait pas qu’on la touche. Pas qu’on l’approche. Elle voulait juste se réveiller de ce mauvais rêve, se dire que non, tout cela n’avait pas eu lieu. Elle aurait même oublié. Mais la réalité et tout autre et la confronte à son passé.

Tu es tout.

Arrêtes ça, Cendres.

« — Alors tu n’as rien. »

Le ton est plus dur. Le regard froid.

T’as envie d’hurler. De lui dire de se taire. D’arrêter ses belles paroles. Parce que tu ne comprenais pas pourquoi il voulait tout gâcher. Pourquoi il promettait alors qu’il ne le pouvait.

Mais t’as envie d’y croire aussi…
… Un peu…
Ne plus être abandonnée…

La pirate avait besoin de silence pour réfléchir, mais Cendres en avait des mots à sortir. Et c’était horrible. Elle grogne à son attention, pour la première fois, pas pour jouer, mais pour l’avertir.

Les sentiments peuvent être une faiblesse oui, c'est vrai.. Parce qu'ils nous rendent vulnérables. Mais cela fait aussi de nous des êtres vivants, Lewis. Refuser d'aimer par peur de souffrir, c'est refuser de vivre.

Ferme-la Rhaegar.

« — Ce n’est pas une question de sentiments. Les tiens, les miens. Il n’y a tout simplement, rien de bon à aimer. »

La patte vient cacher une partie du visage. C’est douloureux. Pourquoi ça fait si mal ? Pourquoi est-il toujours plus difficile de s’unir que de se séparer ? Il n’y a plus de sourire, ni de malice chez Lewis. Simplement des traits marqués par la dure réalité des choses. Elle ne le regarde pas directement, le regard perdu dans le blanc de la grève.

« — Je ne voulais pas que tu partes… mais il le faut. »

Elle aussi le doit.
Partir retrouver Alice.

Pour peut-être ne pas revenir.

« — C’est mieux ainsi… »

Pour lui.
Pour l’avenir.

C’est un au revoir, qui se transformera peut-être en adieu.

Il avait réfléchi mille fois mille ans, à la recherche du pire scénario. Cherchant à se décider, à savoir si le jeu en valait la chandelle, si c'était si dangereux que ça. Evidemment il avait pensé au fait qu'elle ne veuille plus le voir. Mais il y avait pensé comme quelque chose qu'il craignait. La pire des choses qui pouvait arriver. Mais au final une chose pas si plausible, quelque chose qui ne pouvait pas vraiment arriver. Sûrement qu'elle lui dirait que ça ne marchait pas comme ça, qu'il n'était qu'un enfant, qu'il n'était pas vraiment amoureux ou qu'elle ne le voyait pas ainsi.

Et ils retourneraient chasser les grenouilles.

Alors la voir ainsi détruite devant lui, se savoir raison de cette destruction. Se voir rejeté, pleinement, avec violence.

Je ne voulais pas que tu partes. Mais il le faut.

Son coeur se fissure. La Grève Gelée s'insinue dans son corps et lui mange les pattes, lui mange les côtes, lui ravage la poitrine. Le bouffe. Le dévore. Le consume, flamme glaciale qu'il ne pouvait contrer. Une terreur pure l'envahit alors qu'il songe à ce qu'il risque. Non. A ce qui arrive

La perte.

Il tremble, le regard un peu fou, redresse le museau. Se redresse. Elle montre les crocs, elle le menace. Elle l'agresse. Mais il n'est pas un enfant, il n'est plus un enfant, et il se refuse d'avoir peur de ses crocs. Là est sa confiance, là est son coeur.

Ce ne sont que des mots, Lewis.

Il répète son prénom, encore et encore.

Pourquoi te font-ils si peur ? Je ne fais que mettre des mots sur ce que je te montre, sur ce que je ressens depuis des mois.

Sa voix enfle, vague impétueuse, lame de fond qui menace de tout emporter.

Ces heures passées ensembles te sont-elles si haïssables ? Il n'y a donc rien de bon dans tout ce temps partagé ? Entre les grenouilles et les grottes et les océans, entre ciel et terre ?

Elle tremble, sa voix. Une fois atteint son paroxysme elle s'est stabilisée avant de décroitre pour ne devenir que murmure. Sa fourrure retombe sur son échine, il se recroqueville.

Je ne veux que ton sourire.

Lewis

Des mots, encore et encore. Elle ne peut s’empêcher de les écouter, Lewis, toutes ces paroles.

Il n’a plus peur des crocs, des menaces. Il n’avait pas peur d’elle. Plus maintenant. Il avait bien appris, le p’tit loup, avait évolué. La chenille s’était transformée en papillon. Pourtant, la pirate n’avait pas vu tout ce chemin, ce n’était que là, ici-même qu’elle constatait l’ampleur des choses. En cet instant présent.

« — Ce ne sont pas que des mots. Nous le savons tous deux qu’ils ont des conséquences. »

Non.
Rien n’avait été haïssable.
Car il n’y avait rien à haïr dans ces moments.

« — Alors pourquoi tout gâcher, avec des promesses ? »

Il ne pourrait les tenir Cendres, car pas assez prêt pour tout cela. Lui qui apprenait tout juste à jouer. Lui qui pensait la connaître, Lewis, alors que comme les autres, il ne connaissait personne. Partir c’était l’abandonner. Le contraindre à partir, c’était l’obliger à abandonner. Les paupières se ferme un bref instant.

Alors ne me laisse pas.
D’accord p’tit loup.

La parole qui avait été donnée ne pourrait être levée. Gravée dans la chair. Gravée dans l’âme.

De nouveau il se recroqueville dans cette attitude soumise. Et Lewis le revoit. Face à la tortue, à deux griffes de la noyade. Tremblant sur la plate-forme alors qu’auprès des siens il était ramené. De peu la mort, il avait échappé ce jour-là, pourtant, jamais il n’avait craint de repartir à ses côtés. Jamais.

Le seul qui n’avait pas douté.

Les mots sont prononcés sans colère cette fois, alors qu’elle lui répond une dernière fois.

« — Aujourd’hui, tu ne le trouveras plus. »

Peut-être un jour nouveau.
Lorsque les mystères seront levés.
Lorsque peut-être la lumière viendrait la guider.

Pour le moment il était encore trop tôt.

Sujet: Re: sleeping beauties — Cendres Jeu 03 Sep 2020, 22:42

Les promesses. Cendres détourne un peu plus le regard. Il aimerait tant pouvoir lui exposer ce qu'il sentait, ce qu'il pensait, ce qu'il ressentait à nu sans passer par des mots. Les concepts mêmes, les idées. Mais la barrière de la langue était là, difficile à appréhender, difficile à franchir. Chaque pas dans le monde de la parole l'enfonçait et l'embourbait un peu plus dans le marais de l'incompréhension. Il ouvrit à demi la gueule et répondit de la seule façon qui soit, reprenant ses mots, qui reflétaient si mal ce qu'il ressentait :

C'est juste une façon différente de les exprimer, ces promesses. Tu les avais déjà.

Les mots, pour vecteur.

Les actions, les jeux, pour vecteur.

Deux faces d'une même piécette, lancée en l'air et jamais encore retombée, roulant sur la tranche du destin, incapable de se stabiliser.

La dernière phrase de la louve violette lui fit redresser la tête. Loin d'amener en lui la sombre amertume qui lui semblait échue, elle faisait éclore une notion nouvelle. Chaude, douce, délicate petite flamme qui brûlait avec peine, imperceptible dans cette étendue glacée.

L'espoir.

Il fit un deuxième pas, moitié aussi grand, moitié encore de la distance à parcourir.

Demain, alors.

Il se détourne finalement, s'en retourne en direction du Dédale.

Mais si avant demain tu souhaites me voir, Ô Reine-De-Toutes-Les-Grenouilles, alors je serai là.

Le ton est malicieux, mais il se force. Il pousse, il puise dans son coeur déjà meurtri. Il doit faire confiance. Il a si peur, pourtant. Mais si ce n'est aujourd'hui...

C'est qu'il existe un demain.

Et ces mots le portent vers l'avant.

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