Azzinoth ▬ Windwalker [Libre]

— Est-ce-que tu penses que les dieux aussi se grattent les couilles ?
— Si je vois la moindre paire de couilles divine, je te jure que je les broie entre mes crocs à la première occasion.
— Non mais– oui, je sais. Et je valide. Mais je demandais genre, hypothétiquement. Je veux dire, dans ma sublime forme tangible d’antan, je n’avais pas de point faible aussi absurdement évident, cela aurait été parfaitement stupide. Mais vu que ce sont les ‘’dieux’’ de votre pitoyable espèce, et que la légende raconte qu’ils vous ont faits à leur image…
— Je t’avoue que je n’en ai vraiment rien à foutre.
— Oh Mésange enfin, un peu d’imagination ! De l’humour, bonté satanique !
— Je te laisserais jouer avec leurs couilles quand je les leur aurais arrachées, si tu veux t’amuser.
— Charmant, ça me touche.
— Toujours là pour toi.
— Ha ha.

Le dialogue était à peine perturbé par les puissants courants aériens, puisque ni l’un ni l’autre n’avait besoin d’oreilles pour s’entendre. Les températures estivales commençant à baisser, Mésange était revenue aux alentours de la Passe Ventue, plus par dépit que réelle volonté. Sa cartographie mentale s’était nettement améliorée avec les deux ans de vadrouille aux quatre coins de Punk Wolf qu’elle tenait désormais derrière elle, mais sûrement une vieille nostalgie la ramenait régulièrement aux anciennes terres Lazuli. Maintenant qu’elles n’étaient plus régies par des supérieurs à la botte des exécrables divinités locales, Mésange et Azzinoth n’étaient plus aussi farouchement hostiles à y passer de temps en temps.

La louve et le démon étaient passés par tous les stades d’entente, passant par la guerre ouverte à l’ignorance mutuelle totale, mais le temps aidant, Mésange avait fini par se rendre compte qu’elle s’était attachée à ce monstre. Inattendue constatation, compte tenu les horreurs dans lesquelles il l’avait plongée toute son enfance, et sa présence ayant détruit à jamais toute possibilité de vie normale à la louve. Mais elle avait fini par comprendre que lui non plus, n’avait jamais voulu être là. Qu’il n’avait absolument pas signé pour ça, et qu’il lui arrivait à lui aussi d’avoir peur, d’être mal à l’aise, qu’il ressentait occasionnellement des choses.

C’était évidemment des réflexions qu’elle gardait soigneusement pour elle, même si elle savait que lors de co-présences au contrôle de leur corps, il avait parfois eu accès à des bribes de ses propres ressentis. Il ne fallait juste pas en parler ouvertement, sans quoi il se drapait dans son déni démoniaque et devenait imbuvable pendant une semaine pour compenser.

En échange de sa tenue, Azzinoth s’était considérablement calmé sur les pulsions suicidaires et autres idées visant à écourter la vie de la louve, cherchant de plus en plus le contact, la discussion à la place. Le partage, la cohésion. Chacun cherchait en tout honneur à agir dans leur bien commun à tous les deux, sans jamais en faire trop, mais prouvant occasionnellement des maigres marques d’affection sans mots.

La semaine passée, Mésange s’était réveillée avec une proie fraîchement capturée devant elle. Azzinoth s’était chargé de prendre le contrôle de leur corps pendant le sommeil de la louve, et lui avait laissé à elle le plaisir primitif de la dévorer ; au final le corps ne s’était presque pas reposé, mais Mésange s’est contentée d’engloutir sans un mot l’offrande. On ne pouvait pas tout avoir, mais l’intention était plaisante.

Etant donné qu’il avait aussi arrêté de la pousser à se mesurer à chaque créature ou autre congénère canin ayant l’air excessivement dangereux dans l’espoir vain de la voir perdre fatalement la vie au combat, ils avaient peu à peu perdu la réputation de démon nocturne dans le voisinage, ce qui leur permettait de vivre un peu plus paisiblement depuis quelques temps. Les traces de ses combats contre moult ours et autres individus à la force redoutable couturaient le corps sec et amaigri qui arrivait encore à porter leurs deux esprits, mais rien de trop frais ne la lançait depuis un moment.
Cependant, sa croissance démoniaque ne terminant jamais, Mésange s’était désagréablement rendu compte que la quantité énergétique dont elle avait besoin au quotidien pour alimenter la monstrueuse apparence dans laquelle elle se mouvait dans le monde physique. Si sa taille ne changeait heureusement plus, son corps ne cessait de se modifier de plus en plus, perdre ce qu’il lui restait de loup pour tendre encore et encore vers le démon. Ses pattes arrière et sa queue n’avaient presque plus rien de canin, et elle sentait peu à peu sa fourrure tomber par endroits, afin de se parer d’écailles rugueuses à la place. Si encore ce n’était qu’esthétique, il y avait bien longtemps qu’elle avait abandonné l’idée de ressembler à quelque chose de cohérent, mais il lui semblait avoir éternellement faim. Elle pouvait engloutir des quantités phénoménales de nourriture, et n’être qu’apaisée seulement une demi-heure, une heure tout au plus. C’était proprement effarant.
Si elle faisait encore partie d’une meute elle aurait créé un trou immense dans les réserves de nourriture, et sa condition de Solitaire l’empêchait d’avoir facilement accès à tout ce dont son corps avait besoin.

Alors, ses jours se résument maintenant à passer de repas en repas, toujours affamée, toujours en quête de plus, plus à se mettre sous la dent. A peine une proie terminée elle retourne en traquer une autre, faisant fi des cycles de vie de la nature, cherchant juste désespérément à apaiser son appétit éternel.

Ici elle était perchée aux sommets de la Passe, laissant sa fourrure ébouriffée s’emballer aux incessants coups de vent, son corps assis restant toutefois immuable par son poids conséquent. Voilà ce qu’elle était aujourd’hui : un monstre colossal, une montagne de muscles et d’appendices contondants, mais terriblement amaigri par sa condition de famine perpétuelle. Il lui semblait même que lorsqu’elle ne trouvait rien de conséquent à manger pendant plusieurs semaines, la pousse de ses écailles ralentissait.

La monstrueuse bête lâche alors un lourd soupir, cherchant calmement du regard n’importe quoi parmi les falaises qui puisse se manger.

Cela faisait bien longtemps que personne ne l’avait accostée de façon si, décontractée. Mésange savait qu’elle n’inspirait pas nécessairement la peur à vue d’œil, mais souvent au moins une dose raisonnable de méfiance. Que ce soit à cause de ses grandes lames luminescentes, de sa gueule de porte-bonheur ou le simple fait qu’elle soit solitaire.

Le vent avait masqué l’approche de l’inconnue, et perdue dans ses pensées à se chamailler avec Azzinoth, elle aurait presque pu sursauter en entendant la voix de l’autre louve. A une époque, ça aurait sûrement été le cas. Aujourd’hui, il y avait sûrement un peu trop de distance entre son esprit et le corps pour qu’elle ne fasse plus que tourner légèrement son museau en haussant un sourcil.

"Tu cherches quoi ?"

Son intervention avait fait totalement se taire le démon, qui semblait doser son hostilité. Avant qu’il ne se décide à la convaincre de l’attaquer, Mésange répondit la première chose qui lui vint en tête.

« A manger. »

Elle sentait la présence du démon s’agiter dans le fond de leur esprit, mais se refusa d’essayer de le comprendre.

"J'peux te proposer un pacte ? Ya des buffles au sud, mais j'ai pas la force pour les tuer. Je peux descendre en bas de la passe et les faire venir par ici, si tu peux les tuer."

Elle venait sans jugement, sans hostilité, et lui proposait un casse-croûte de qualité. Mésange l’aimait déjà.

T’es pas sérieuse. On peut pas lui faire confiance.
Pourquoi pas ?
C’est sûrement un piège.
Tout ressemble à un piège pour toi.
Normal, tu n’as pas d’alliés. Personne n’est avec toi.

La louve fronce un instant les sourcils, soudainement vexée. Elle se relève sur ses puissantes pattes, et profite de son mouvement pour éloigner mentalement le démon de son propre esprit. Elle prend un air sévère, ses cornes pointant dangereusement en direction de l’inconnue, tandis que Mésange la fixe dans les yeux.

« Marché conclu. Mais si cherches à m’avoir, je te mange à la place. »

Pactiser avec le démon avait toujours ses bons et mauvais points.

Mésange haussa des sourcils étonnés. Elle voulait piéger le troupeau entier ? Mais que cherchait-elle à nourrir, tout un clan ? La louve chercha dans sa mémoire si l’odeur que portait l’inconnue lui disait quelque chose, mais rien de concret ne lui revenait, et le vent n’arrangeait rien. Elle n’avait jamais été la meilleure en pistage, et avait dédié très peu d’énergie à la différentiation olfactive des étrangers qu’elle rencontrait. Une erreur, très probablement.

La demoiselle lui proposait donc d’écraser les bêtes sous des rochers, et d’achever ce qui traînait. Sérieusement, ça ferait combien de kilos de steak haché ? Son estomac la poussait à dire oui sans réfléchir, mais elle se força à s’approcher du bord constater les parois alentour, histoire de voir si un éboulement était seulement possible. Dans le coin, apparemment non, trop gros ou trop petit. Mais vu le terrain, plus loin, y’avait des chances.

« Ok. »

Il était complètement absurde d’envisager prendre un troupeau de buffles à deux, surtout vu la crevette qu’était son employeur. Ceci dit, Mésange vivait dans l’absurde au quotidien, et elle avait tellement faim qu’elle pourrait probablement se faire enrôler dans n’importe quelle quête menant à un repas copieux. Littéralement, on lui proposerait d’aller chasser le griffon parce que c’est énorme à bouffer, elle dirait sûrement oui. Bientôt Toriko version Punk Wolf.

« Je vais chercher un endroit bien. Au pire, j’en taperais au moins un moi-même, si finalement je trouve pas d’endroit à ébouler. »

Elle avait bien battu des ours, sangliers et autres, en poussant un peu elle pourrait bien se faire un buffle.

Le vent faisait voleter sa tresse, unique ruine de féminité auquel tenait Mésange, et elle fixa l’inconnue quelques secondes. Ses vestiges de vie sociale lui intimaient de faire un truc, n’importe quoi, quelque chose. Azzinoth grondait depuis le fond de leur esprit. Malgré les émotions contradictoires, elle finit par dire :

« Je m’appelle Azzinoth. Toi ? »

Depuis un moment elle préférait se présenter sous le nom du démon, de peur que ses méfaits puissent porter préjudice à sa famille, où qu’ils soient. Et elle savait que ça faisait plaisir à Azzinoth, qui d’ailleurs cessa de gronder, pour grommeler à la place.

"Moi c'est Vénuve !"

Vénuve. La grande louve observa la plus petite sauter de bout de falaise où elles se trouvaient, se rapprochant du bord pour la suivre du regard jusqu’à ce qu’elle soit trop loin. Son allure légère était un plaisir à regarder.

Fantastique. Allez, assez joué, maintenant partons.

Mais son insatiable faim motiva efficacement Mésange à ignorer le murmure du démon, puis se diriger de son pas lourd vers un rocher repéré au loin semblant avoir un certain potentiel. Le vent hurlait dans ses oreilles, essayait de la pousser dans tous les sens, mais son incroyable masse la conserva fichée au sol à base de pas sûrs, de vifs regards pour analyser le chemin qui la mènerait à son but.
Elle dût rebrousser chemin à plusieurs reprises, les falaises n’étant malheureusement pas tracées ergonomiquement tout du long, mais éventuellement finit par atteindre son but.

Il y avait un rocher de taille décente, ni vraiment grand ou petit, qui semblait s’être décroché du sommet il y a peu de temps. Cependant son véritable intérêt était un autre bien plus grand disposé en contrebas, à l’appui un peu fin. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance de le déloger de sa simple force, car malheureusement aussi grande et verte était-elle, on ne l’appelait pas encore Hulk. Mais, avec un peu de chance, celui devant lequel elle se trouvait arriverait à prendre suffisamment de puissance en dévalant la paroi pour déloger le plus grand.
Ce n’était pas le plus assuré, et les chances que le tout échoue étaient assez grandes, mais honnêtement elle ne voyait pas d’autre possibilités dans l’instant présent. Peut-être en arpentant les parois plusieurs jours elle aurait pu trouver une configuration plus performante, mais Vénuve était déjà partie, et Mésange ne savait même pas vraiment combien de temps elle avait.

Ainsi elle attendit, s’occupant en shootant des petites caillasses dans le vide, tournant en rond autour de ses rochers, grattant autour de ces derniers pour favoriser leur chute.

Son oreille tiqua quand, enfin, un son s’approchant d’un léger tremblement de terre résonna dans le canyon. Mésange arrêta de phaser devant la plante rachitique qu’elle fixait depuis probablement cinq minutes, et se redressa avant de retourner se positionner près du rocher à pousser en quelques bonds puissants.
Lorsqu’elle eut en visuel les animaux en cavalcade, elle tâta de son épaule le poids du bloc qu’elle avait choisi, essayant de le renverser au moins à moitié. Les buffles allaient finalement assez vite, aussi elle força autant qu’elle put pour basculer la roche jusqu’à ce qu’elle dévale d’elle-même la paroi, et s’écrase contre l’énorme bloc repéré plus tôt…qui frémit un peu, avant de se stabiliser, et ne plus bouger.

« Merde. »

Evidemment, tout aurait été trop simple sinon. Elle se jeta en contrebas pour essayer de pousser elle-même ce qu’il manquait à l’énorme bloc pour tomber, mais c’était inutile, il était vraiment trop énorme pour elle malgré sa force surcanine. Peut-être Azzinoth aurait su repousser un peu mieux les limites de son corps, mais dans sa condition d’intense bouderie il était inutile de seulement même y penser.

Lâchant un grondement agacé, elle laissa tomber toutes ces histoires d’éboulement pour se jeter jusqu’en bas, mi-sautant mi-dérapant jusqu’à arriver sur le chemin des buffles, gonflant sa fourrure afin d’avoir l’air encore plus énorme qu’elle ne l’était, et grondant d’un air fou les yeux écarquillés, dévoilant la malédiction de Mido brillant toujours dans son iris droit. Un troupeau fonçait à toute allure sur elle ? Détails.

Un craquement sinistre attire ceci dit son attention vers là d’où elle vient, et un frisson d’incertitude la prend tandis qu’elle constate que son premier plan se met finalement à marcher, un peu en retard, mais bien plus efficacement : sûrement les vibrations de la course du troupeau ont terminé le travail, et l’énorme bloc en emporte d’autres dans sa chute.

Mais, elle se rend aussi compte qu’elle est sur le chemin. Jamais elle ne réagit aussi vite qu’en s’écartant de là, bondissant hasardeusement au sein du nuage de poussière et graviers créé par l’éboulement pour s’en échapper.