Il ne reste plus que toi ★ Holly

EPINE
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F A E I

La nouvelle venait de tomber, rapportés par un Etelkru parti prier le Dieu Ours. Le Prêtre Rouge était mort. Comme une bombe qui soufflait si violemment tout sur son passage et dont le bruit était si terrible que vos tympans semblaient ne plus fonctionner, que l'onde de choc se répercutait dans tous vos os, comme si une chape de plomb s'était coulée sur le dos de la jeune femelle, son coeur sembla cesser de battre. Un sifflement désagréable mais constant remplaça chaque bruit, chaque parole tandis qu'elle peinait à bouger. Tout le monde s'agitait autour, des instructions étaient donnés, des loups partaient en courant et elle... Elle, elle restait bloquée. Coincée dans son propre corps qui ne comprenait pas, qui n'acceptait pas l'annonce faite. Il lui sembla qu'une éternité passa ainsi alors qu’elle restait figée en plein milieu de la fourmilière qu'était le Castel. Elle vit des loups revenir, essoufflés -apparemment ils avaient fait au plus vite- pour donner un compte rendu aux curieux. Ou au conseil ? Aux Alphas sans doute ? A qui voudrait l'entendre peut-être ? Elle ne savait pas. Son cerveau était éteint, elle restait sciée, incapable de réagir. Incapable d'avaler l'information et évidemment encore moins de la digérer. Peu à peu les bourdonnements à ses oreilles s'estompèrent. Les voix reprirent dans une explosion de sons éparses et toujours incompréhensibles.

Elle n'entendit pas spécialement les explications, ne le voulait pas d'ailleurs. Elle n'intégrait pas le moins du monde qui donc était envolé rejoindre les Dieux pour une chasse éternel. Elle ne réalisait pas qui était victime de son pouvoir, qui avait eu les poumons si encombrés que le souffle lui avait manqué jusqu'à s'arrêter complètement, qui avait la gorge noire de suie, preuve même de sa maladie. Ne croyez pas pourtant qu'elle ignorait l'état de son paternel. Il n'était pas rare de le voir tousser à en cracher ses poumons, pas inhabituel de l'entendre prit d'une quinte de toux dans le silence de la nuit, pas exceptionnel qu'il râcle sa gorge et crache quelques glaires sales. Kalaschnikov était malade. C'était certain, contre-coup de son don donné par le puissant Aka. Ce n'était pas une fatalité, seulement un fait. La balance de son pouvoir. Simplement. Il était actuellement impossible à la nouvellement orpheline d'additionner toutes les données et donc d'assimiler la fin soudaine, à demie attendue mais pas si tôt, si définitive, du Prêtre Rouge. Comment son esprit encore jeune aurait-il pu, de toute façon ? Elle n'avait déjà plus plus de mère... Pouvait-elle, adolescente, vivre aussi sans père ? Il le faudrait bien. Et alors que le temps s'écoulait d'une effroyable lenteur... Le cheminement vers la lucidité s'enclencha enfin...

Il était malade. Il est mort. Le Prêtre Rouge. L'élu d'Aka lui-même, Kalachnikov. Qui n'était autre que son géniteur tant aimé, son parent survivant et qui avait tout donné pour eux, pour combler le manque de Joy. Qui avait toujours été là. Et qui n'était plus. C'était son papa, qui n'était plus là. Son papa qui ne viendrait pas ce soir lui raconter encore un des exploits du Dieu Ours qu'elle aimait tant avant d'aller se reposer. Son papa qui se décarcassait pour leur enseigner et leur transmettre tout ce qu'il pouvait de sagesse et de force malgré leurs caractères d'adolescents révoltés à Etna, Taehyung, Artyom et elle. Son papa qui avait tant travailler pour maintenir la cohésion familial malgré la disparition de la mère de ses derniers-nés -et de celle de ses premiers-nés aussi d'ailleurs-... Son papa qu'elle ne reverrait plus. Petit à petit, à chaque nouvelle pensée douloureuse, son corps avaient repris vie, bougeant, avançant vers le groupe de loups qui s'amassait à l'entrée du Castel. Au milieu du brouahaha, au milieu de tous les autres, un seul museau l'interpella. Tête qu'elle rejoignit comme elle pu, au pas cadencé d'une machine, dont les émotions refluaient petit à petit pour la faire redevenir louve.

« Ho... Hollyock ? »

Une boule nouait sa gorge, rendant sa voix instable, l'empêchant de continuer à parler. Sa vision se brouilla complètement en une fraction de seconde alors que sa truffe venait rencontrer le poil de sa mentor, contre qui Epine s'appuya.

Lorsque la mort de Kalashnikov avait été annoncée, les pensées d'Holly avaient tout de suite été à son apprentie.
C'était étrange. Leurs situations étaient différentes, puisqu'il restait à Epine une fratrie, mais si semblable à la fois, par ce statut d'orphelines qui leur avaient été imposées avant leur première année de vie. Pour cela, elle ne pouvait donc que comprendre la jeune louve.
Malheureusement. Puisque c'était un situation qu'elle n'aurait souhaité à son pire ennemi.

L'information encaissée, ce qui fut plutôt rapide, les évènements tragiques se faisaient si fréquents chez les Etelkrus que l'on ne pouvait que finir par ériger une solide coquille entre eux et soi, sous peine de finir brisé ce qui ne serait acceptable de la part d'une conseillère, Holly s'était mise à la recherche de l'adolescente.
Elle ne tarda pas à trouver sa trace, parmi toutes celles qu'il était possible de flairer au Castel, et par apercevoir sa petite silhouette.
Un souffle glissa entre ses babines et elle l'accueillit contre elle, l'une de ses pattes vint se poser sur son dos.

- Je suis là.

Elle le savait, désormais, que pour cette enfant elle se devrait d'être plus qu'une mentor. C'était pour cela, d'ailleurs, qu'elle était venue vers elle, ce jour là, la prendre, elle plus qu'une autre, pour apprentie. Elle était la seule qu'elle avait choisie, Epine, et rien ne saurait lui faire regretter cela.
Surtout pas maintenant. Surtout pas lorsqu'elle savait que ce serait bien plus que la force, qu'elle devrait enseigner à cette enfant... Elle devrait aussi l'aider, à surmonter ces deuils, à se relever, à devenir une louve forte.

Plus forte, encore, que ce qu'elle était actuellement.

Son menton se posa sur le crâne d'Epine et elle ferma les yeux.

- Je serai là.

EPINE
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Le contact fait était rassurant. Le poids d'une patte sur son dos, d'un menton sur sa tête. Une étreinte plus douce et plus tendre que tout ce qu'elle avait pu aspirer de sa mentor. Non pas qu'Epine ai pensé que la Conseillère en manquait, simplement, jusqu'à ce moment il avait subsisté une frontière que l'enfant n'avait voulu franchir, dans un pur respect de la hiérarchie. Hollyock était son maître d'apprentissage, son modèle. Et une certaine distance tout à fait honorable était de mise entre un élève et son tuteur. Une limite désormais franchie, alors que c'était vers sa dernière figure d'autorité qu'elle allait chercher de l'aide. Bien sûr il y avait Meshret, Léo, Sushi et Atsuko ses aînés qu'elle adorait. Mais malgré leurs expériences, ils étaient frères et soeurs et non reconnus comme étant référents. Quand à sa fratrie de portée, bien sûr ils subiraient l'évènement comme elle. Les joues humides, elle releva doucement le museau. Ses yeux orangés cherchèrent ceux de la louve bleue avant de demander, de cette voix brisée :

« Pourquoi ? Pourquoi nous ? Pourquoi le sort s'acharne contre les mêmes loups toujours ? »

Moi, aurait-elle failli dire. Joy était morte en la protégeant elle. Ses frères lui en voulait, elle en était consciente. Elle était la fautive. Sa faiblesse avait causé la perte d'une guerrière émérite aux Etelkrus. Sa faiblesse avait fait blesser sa sœur aînés alors qu’elle voulait lui apprendre à chasser le gnou. Sa faiblesse avait causé du tort à Harmakhis et Tawana parce que leur escapade au Tombeau Antique avait mal fini... Et maintenant son paternel lui était volé par la maladie... Bon sur ce coup là, elle n'aurait rien pu faire si ce n'est être à ses côtés lors des derniers moments de Kalaschnikov. Encore une raison de culpabiliser donc.

« Crois tu que j'ai fâché les Dieux ? Aka ? »

Il était seul Dieu par qui elle jurait, comme ses parents et Meshret. Quoi que depuis quelques temps, une petite pointe d'attention était retenue par la Renarde, pour qui elle était allé prier une fois.

La louve bleue secoua doucement la tête.

- Non, ce n'est pas lié aux Dieux. C'est autre chose.

Son regard se perdit devant elle. Elle hésita, avant de parler, de partager un peu de son expérience presque semblable à celle d'Epine.

- J'ai perdu toute ma famille, lorsque j'étais enfant, mais la Renarde m'a accueillie près d'elle. C'est juste... Le destin, je pense. Et malheureusement, il s'acharne parfois sur les même personnes.

On échappait pas à son destin et on ne pouvait réécrire son histoire.
Mais l'on pouvait espérer, travailler dur, pour embrasser l'avenir dont on rêvait.

EPINE
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F A E I

La voix était douce, se voulait rassurante. Le contact constant apaisa momentanément la colère, qui s'endormit pour un temps. Le goût amer contre le palais de l'adolescente s'évapora doucement alors que sur ses joues coulait deux traits de larmes. Les mots de la Conseillère touchèrent profondément Epine. Elle savait que la bleue n'avait plus de parents en vie, elle prenait conscience toutefois seulement maintenant que cette situation durait depuis très longtemps pour Holly. Si elle n'était pas apte à vraiment réfléchir à l'instant présent, dans un tout petit coin de sa tête se logea l'idée que malgré tout la disciple de la Renarde était une grande guerrière, une valeureuse combattante, une noble Conseillère, et une mentor extra. Tout de suite donc, cela lui était parfaitement inutile, mais dans le futur, nul doute que cette pensée saurait être un moteur pour aider à se sortir du deuil. L'apprentissage que la femelle aux couleurs et à l'odeur de la forêt faisait auprès de sa mentor, était bien plus intense qu'un simple tutorat pour devenir Epée. C'était l'école de la vie, c'était devenir quelqu'un malgré toutes les difficultés, c'était devenir forte et endurante aussi bien mentalement que physiquement.

« Alors je montrerais au Destin qu'il a eu tort de s'en prendre à moi et les miens. »

Gronda l'adolescente alors que la colère refluait finalement en lieu et place du chagrin.