LymphalèmeIl avait passé quelques jours chez les Nakhus pour aider à la remise sur pattes des malades, et à présent, les regards s'étaient tournés vers la faille à monstres, et le gris pâle sentait une certaine excitation de la part des Etelkrus à y aller, et à tenter une destruction du problème à sa source. Les Nakhus, aussi, malgré leur pacifisme réputé, tournaient un regard dur vers cette brèche qui donnait dans un autre monde.
Alors il avait décidé d'y aller également, mais d'abord, il avait quelqu'un à voir.
Il souffrait, depuis plusieurs mois, de la discussion qu'il avait eu avec Pepper. C'était bête, car il savait que si il n'y pensait plus, il finirait par aller mieux … Mais il n'arrivait pas à l'oublier. Il n'arrivait pas à passer à autre chose. C'était une éternelle souffrance qui le taraudait, de savoir que la personne pour lui il était revenu l'avait oublié. Ne voulait plus le voir.
Il était revenu en espérant retrouver sa famille, un bonheur duquel il avait été durement écarté... Revenir et voir que les personnes qu'il aimait étaient passés à autre chose... Voilà ce qui lui fendait le cœur. La souffrance des os, de la chair, il savait les guérir. Il avait longtemps étudié et travaillé pour cela. Mais la souffrance du cœur, la souffrance de l'esprit, il ne trouvait pas d'armes pour s'en défendre. Elle s'abattait sur lui comme une vague contre une falaise, et il se sentait doucement se détacher en petits morceaux emportés par la houle.
Quand il se couchait, il avait l'impression que demain serait un jour nouveau, que ça irait enfin mieux... Mais le lendemain matin, tout était épuisement, fatigue et tristesse, et il ne voyait pas de lumière ou du but vers quel il pouvait tendre les pattes. Ses nuits étaient pleines de cauchemars, de rêves dont il n'arrivait pas à se souvenir, mais qui le remplissaient de peur de tristesse.
Alors, ce matin, il partait d'un pas brusque, dans une fausse énergie qui ne provenait que de son désespoir.
Il y avait toute une partie de lui qui n'avouait pas qu'il l'avait perdue. Qui s'accrochait à l'espoir d'une réconciliation, à l'espoir que si il travaillait dur dans le clan, si il montrait sa valeur, elle allait se tourner vers lui de nouveau, sourire de nouveau, qu'ils retrouveraient enfin un semblant de leur amitié d'antan...
Mais en faisant ces pas à travers les pierres tombales, c'était comme si il revenait à la maison. De nombreuses fois, il avait fait ce chemin, lorsqu'il était encore jeune Etelkru, et qu'il avait appris la mort de sa douche mère, et de son fort père. L'un sous les griffes des raeders, l'autre entre celles d'un Etelkru. La haine qu'il avait vouée aux Raeders avait été forte et sans merci, mais ces sentiments s'était appauvris, et il n'en gardait plus qu'une profonde méfiance. Contre les Etelkrus, son cœur avait vacillé. Cela avait été un accident, lui avait-on annoncé. Ce n'était de la faute à personne.
Il les avait crus, car son cœur appartenait à la meute et à ses valeurs, et à la bleue qui les endossait.*
Mais maintenant, une douce rancune s'installait. Elle l'avait abandonnée, elle l'avait oublié. Lui, n'avait jamais rien fait de tel. Même lorsqu'il était parti, il n'avait jamais cessé de servir les valeurs de sa meute, et d’espérer leur revenir. Les actions d'une égoïste ne pouvaient entacher ses relations avec tous ces autres Etelkrus, pour qui il avait une profonde affection... Mais on ne pouvait nier qu'elle faisait une grosse tache. Une tache qui s'étendait sur toute sa vie.
Il s'assit sur le sol, face à deux pierres, qui avaient été juxtaposés grâce au soin de Boite à Clou. Une pensée touchée partir du gris vers l'esprit envolé du croque-mort. Il avait su, malgré son air bourrin, les choses qui touchent véritablement la famille des envolés.
Il s'assit face à la pierre et soupira.
« Papa, Maman... » souffla-il, en cherchant ses mots.
Il avait tant à leur dire. Tant de choses qui s'était passés. Tant de regrets.
Alors en silence, il leur raconta sa vie, ses tristesses, ses bonheurs, et sans doute, dans l'autre monde, tendaient-ils les oreilles pour la confession de leur fils, qui n'était vouée qu'à eux. Il parlait à voix basse, mais la brise couvrait le son, ne laissant voir à ceux qui pouvaient être autour qu'un loup qui bougeait la gueule, en regardant les tombes de ses parents.
Il finit par s'asseoir, et inspira profondément, en essuyant ce qui devait être une larme de son œil gauche, à l'aide de sa patte.
Il avait aimé sa famille, même si il était parti. Et maintenant qu'il avait vécu sa vie dans un espoir fou, celui de l'amour, il regrettait d'avoir abandonné l'amour qui l'avait vu naître, et dont il avait été l'objet sans nécessité de preuve de valeur. Cet amour là n'avait pas eu de prix, mais il l'avait payé pour les jolis étoiles d'une naine bleue.
Il enroula sa queue autour de ses pattes en regardant les pierres. Pourquoi tout cela était si familier ? Il avait l'impression d'avoir déjà été ici. D'avoir déjà vu tout ça, déjà ressenti tout cela. Il soupira, et s'allongea doucement sur la terre devant les pierres. Il aurait voulu revenir à ce temps où sa maman le coiffait de coups de langue qui l'agaçaient tant. Il aurait aimé que tout soit de nouveau simple, qu'il puisse se cacher derrière sa maman de ses problèmes.
Mais son problème actuel, même en se le cachant, il ne parvenait plus à s'en défaire. Elle était partie. Elle ne reviendrait plus jamais. Parfois des souvenirs lui venaient, d'un coup, comme d'un cauchemar, de ce moment où elle était partie. Et parfois c'était des moments d'avant, ou ils étaient amis, mais toujours avec la même douleur. Toujours avec ce sentiment de perte, d'inatteignable.
Il se sentait au fond d'un gouffre de peine, au fond d'un abysse aux murs impossibles à escalader. Sans la force pour même essayer. Sans la motivation pour regarder le ciel au dessus. Il endormissement au fond de cet abysse. Il se laisserait bien mourir ici, au plus près de ceux qu'il avait tant aimé, à qui il l'avait si peu montré.
Et doucement, dans la tristesse, dans le froid, il y avait une petite lumière. Était-ce dans ses rêves, était-ce la réalité ? Il y avait des rires, il y avait un sentiment de chaleur. Il était avec sa sœur, il se roulait par terre en essayant de lui bouffer une oreille, et derrière lui, ses parents qui les regardaient avec cette douce chaleur dans leurs yeux. C'était cette douce chaleur, qui lui manquait, qui se tourna vers lui. Et comme un cadeau, des morts vers le vivant, la chaleur vint en lui. Comme par un don des esprits, il n'avait plus froid. Il n'y avait plus de larmes sur son museau. Juste la paix calme, intérieure, de celui qui a vécu. De celui qui a vu. De celui qui passe à autre chose.
Il ouvrit doucement ses yeux. Il était debout dans la tanière du chef, chez les Lazulis, et en face de lui, ses parents. Il n'arrivait pas à croire ses yeux, alors il resta là un instant, bouche bée. Sa maman, violette-grise aux cheveux colorés, souriait doucement, mais elle avait des larmes dans ses yeux. Son père se tenait grand et fort, comme avant la perte de sa mère.
Et voilà, pourquoi c'était si familier. Il avait déjà ressenti cette peine, cette haine, cette tristesse, lorsqu'il avait perdu sa mère puis son père. La différence était que la bleue existait encore... Mais elle était plus inatteignable que ses parents.
Il se précipita entre les pattes de ses parents, qui le serrèrent fort contre eux. Et en un instant, il pleurait. Il avait tant perdu, allait-il enfin rejoindre ceux qu'il aimait ? Il recula un peu la tête, après un instant près d'eux qui semblait avoir duré une éternité.
Ils lui souriaient. Il aurait aimé leur dire tant de choses, ils avaient tant à se raconter. Mais il n'était pas là pour rester. Déjà il sentait l'herbe sur laquelle il était allongé.
« Papa... Maman... je vous aime » souffla-il doucement.
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Il sortit du cimetière avec la tête plus haute, son regard avait changé. Il avait énormément souffert, mais il avait aussi beaucoup gagné, et compris. Le loup gris qui partait n'était plus aussi gris que celui qui était venu.
La vie continue.
Obtention d'un don spirituel → Familiar warmth : En la présence de Lymphalème, vous vous sentez à l'aise. C'est presque magique, vous avez une impression positive, inspirée des choses positives que vous connaissez/avez connu dans la vie.