L'enfer c'est les autres — Mildred

Le chamois arrête de se débattre.

Les crocs s’enfoncent dans la chair, alors que la proie s’entoure d’une petite lumière dorée. Le Phénix se repaît de cette source d’énergie, de cette vie qui lui est offerte. Ils utilisent les crocs de Narcisse pour déchiqueter la chair, se délecter du goût du sang sur son palais. Les proies ici n’étaient pas les mêmes que lui offraient d’habitude son porteur. Ce dernier préférait le sous-alimenter de petits lièvres ou de faisans… mais plus gros ? Jamais. Parce qu’il avait peur le petit loup, de perdre encore le contrôle, de ne pas parvenir à contenir son pouvoir… à raison.

Le feulement, le Phénix l’entend.
Il sourit en voyant le félin s’approcher.
Parce qu’il a envie d’en découdre lui.

Mais pas Narcisse.

Le disciple de Kiro choisit ce moment de distraction pour reprendre le contrôle. Il n’aimait pas laisser de l’autonomie au Phénix, précisément car ce stupide oiseau n’avait aucune notion des limites à ne pas franchir. L’assassin observa le lynx qui feule en s’approchant du chamois. Il n’a aucune intention de se lancer dans un combat pour quelque chose que l’oiseau aurait touché. Il poursuit ainsi son chemin, passant sa langue sur ses babines pour en ôter le sang.

Les Nakhus possédaient un vaste territoire. Bien trop vaste pour la poignée qu’ils étaient. Au moins, le territoire était à proximité de la grève, plus riche en proies. De quoi rassembler des forces pour se préparer au pire.

Mais le pire est peut-être déjà là.
Ou du moins il approche.

Voilà qu’il sent cette odeur qu’il aurait de loin préféré oublier. Seule cette fois. Où donc était l’autre ? Qu’importe, moins ils étaient, mieux Narcisse se porterait.

Un insecte.
Hideux.

« — Toi. »

Que de mépris dans sa voix, alors que son pelage se gonfle.
Au moindre geste douteux, il n’hésiterait pas.

« — Que fait donc la princesse ici ? »

Ils avaient fini par partir pour le Nord, eux aussi.
Plus ils s’en étaient approchés, plus les rumeurs de ce qu’il s’y tramait avaient été… Déstabilisantes. Mais Mildred n’avait pas peur. Là-haut, elle irait faire ses preuves devant les yeux de la Prêtresse – elle en avait enfin l’occasion.
Peut-être serait-elle également capable de faire ressusciter l’intérêt que jadis lui portait Moiro, réduit en cendres dispersées par le vent aujourd’hui.
C’était seule qu’elle s’était détachée de sa meute familiale, seule qu’en ces quelques jours où rien de particulier ne bougeait avec la frontière des terres gelées elle avait pris la décision de s’isoler un peu pour aller découvrir les terres Nakhus. Elle n’avait pénétré qu’une seule fois sur leurs terres, lorsqu’elle avait cherché réponse à ses questions à la bibliothèque. Elle avait espéré n’y croiser personne – et avait effectivement pu faire sa route sans croiser l’âme d’un congénère.

Mais aujourd’hui le destin ne semblait pas disposé à lui offrir pareille quiétude.
Elle aussi avait senti son odeur, ponctuée de sang frais. La louve avait hésité à faire demi-tour, mais il était bien trop proche – hors de question de lui donner l’impression de fuir la confrontation. Alors elle effectua les derniers pas, émergea de derrière un rocher, pour tomber sur le regard doré de l’hybride Etelkru.

Elle savait qu’ils étaient venus au Nord, eux aussi. Elle les avait vu, de loin, grouillant dans leur campement. Avait tenté d’y apercevoir la silhouette de son frère sans jamais le trouver.
Il devait pourtant bien être ici, avec ses nouveaux congénères qu’il avait tant tenu à intégrer. N’avait-il pas dit à leur Mère qu’il irait se battre à la Grève ? N’était-ce pas d’ailleurs l’unique raison de leur présence ici, à eux le reste de la famille, pour venir lui prouver qu’il n’avait pas besoin de chercher une autre meute au-delà de la famille qu’il s’évertuait à vouloir quitter depuis si longtemps ?

En tout cas, il avait fallu qu’elle tombe sur lui plutôt qu’un autre. Au moins n’était-il pas accompagné du jaune braillard.
Si l’animosité gonfla immédiatement le pelage du mâle à son égard, Mildred se contenta elle de rassembler ses pattes dans un carré parfait, laissant sa queue aux poils ondulés se redresser. Elle avait tout autant le droit que lui d’être ici et ne le craignait pas.
Cette fois-ci elle tenterait de ne pas se laisser emporter par ses émotions brusques et sauvages, car elle savait qu’accueillir avec calme et froideur un rival au sang chaud ne pouvait que faire d’elle la plus forte d’entre les deux.
Celle qui saurait maîtriser ses émotions.
Alors l’argent pâle de ses yeux s’entrechoqua contre l’or en fusion du regard ennemi sans qu’aucune émotion n’y passe.

— Elle est venue défendre nos terres contre ce qu’il se trouve au-delà, comme vous. N’est-ce pas ce que font les héritiers de sang noble ?

Protéger la plèbe des monstres qui menaçaient en-dehors des frontières du royaume ?

Différente.

Oui, s’en était presque troublant. Peut-être l’absence du loup brun à ses côtés la rendait moins sûr d’elle ? Ou peut-être aussi que le fait qu’il ne soit pas accompagné de Floyd la rendait moins… venimeuse ? Hum… Le poil retombe, alors que son regard observe la louve. À leur dernière rencontre ils ne s’étaient que contentés de s’envoyer des piques, comme des enfants. Parce que Narcisse se laissait si facilement emporter en présence de ceux de sa famille, plus encore lorsque c’était des solitaires qu’il avait en face.

Il soutint le regard.
Il ne les aimait pas.

Parce que c’était ainsi qu’il avait été élevé, c’était dans sa nature. Chasser les étrangers. Protéger les terres de toute menaces. Que rien n’atteignent ceux qui lui étaient chers. Quoiqu’en soit le prix, qu’importe qu’il devienne le monstre si les autres pouvaient préserver leur innocence. Voilà comment le disciple de Kiro voyait les choses.

Mais aujourd’hui, il n’avait aucune raison de se montrer agressif. Pour l’instant du moins. L’assassin était loin des terres Etelkrus, ce territoire n’était pas le sien, ce n’était pas à lui de le surveiller. Ils avaient assez à faire avec la menace dans le Nord. Assez d’ennemis pour ne pas à avoir à s’en créer de nouveaux.
Au moins semblaient-ils avoir un objectif commun, s’occuper du danger venant de l’hiver.

Son sang. Narcisse n’aimait guère s’en vanter. Ce n’était pas grâce à Anette et Sheina qu’il parvenait à se construire une place, du moins il l’espérait. Nul ne s’en vantait dans sa fratrie de leur lignée. Peut-être Floyd aurait fanfaronné sur l’identité de ses mères… mais lui était l’enfant adopté, celui qui avait été raccroché à la branche de la famille.
Si cela pouvait lui permettre de se sentir plus « intégré » alors que grand bien lui fasse.

« — Hum… C’est là, le rôle de chacun, plèbe, noblesse ou royauté. »

Mais tout le monde n’avait pas le sens du devoir, auquel cas ils seraient tous ici à se battre pour l’honneur de leur clan ou à défaut de leur famille. À défaut, une grande partie demeurait à défendre les louveteaux.
À regret presque, il quitte les prunelles argentées pour observer la carrure de la louve. Ce n’était pas vraiment celle d’une combattante. Ni d’un assassin. Vraiment celle d’une princesse…

« — Mais sais-tu au moins ce qui t’attends au nord ? Que la faiblesse là-bas ne pardonne pas ? »

Que le moindre fléchissement coûtait la vie, si ce n’était pire ?
Non pas que Narcisse pleurerait la mort d’un solitaire, mais si elle montait dans le nord, ils seraient sans nul doutes amenés à se croiser contre les ennemis, et un loup qui n’était pas en mesure de se battre, serait plus un fardeau qu’une aide.

« — Sauras-tu au moins te défendre ? »

L’Etelkru soutint son regard, mais calma ses ardeurs devant son calme apparent.
Bien. Au moins ne retomberaient-ils pas dans le même schéma. Bien-sûr, elle voyait toujours briller l’aversion dans les prunelles dorées – et il en était de même pour ses sentiments à son égard.
Mais le fait de ne pas se trouver sur terrain conquis était un terreau fertile à une certaine forme de neutralité. Après tout, les menaces qu’Isrâ et elle avaient proférées ne s’appliquaient qu’aux terres libres et à ce qu’il restait de leurs terres – rien à voir avec la vallée des Nakhus.
Il mentionna que c’était le rôle de chacun, et elle haussa vaguement les épaules. Ce n’était pas donné à tout le monde, le sens de l’honneur. Le sang ne transmettait pas que des attributs favorables à leur réussite – par leur famille passait ce genre de valeurs dont certains préféraient ne pas s’encombrer.

Puis les iris du mâle quittèrent les siens et commencèrent à la scanner de bas en haut et de droite à gauche, envoyant à sa tête une bouffée de chaleur et d’agacement.
Pour qui se prenait-il, à la jauger ainsi ? Elle le voyait bien fouiller, détailler son corps de long et large et pouvait presque lire les doutes qui passaient dans son esprit.
Qu’il exprima de manière plus directe par ses questions.
Sa queue s’agita de quelques mouvements secs avant de se calmer ; trahissant sa gêne et son exaspération tandis que le feu lui était monté aux joues et qu’une soudaine vague d’embarras venait la noyer, prenant le dessus sur le sentiment vaguement scandalisé de se voir ainsi considérée.
L’éternel dédain Etelkru reprenait vite le dessus, apparemment. Simplement parce qu’il était plus musclé et qu’on les distinguait mieux sous sa fourrure plus courte, elle ne valait rien.

—Bien-sûr que je sais.

Elle répondit d’un ton sec mais sans se laisser emporter, relevant le museau pour se tenir un peu plus droite encore. Après tout, sa famille et elle avaient abattu un de ces cochon monstrueux géants pour en prendre la peau, et la bestiole avait même pas tenu un round sous l’assaut répété de leurs crocs.

— Dans ma famille aussi, on a appris à se battre.

Malgré ses tentatives de s’en tenir à la plus grande neutralité, elle ne put empêcher ses lèvres de remonter sur une légère moue vexée. C’est pas parce que la plupart de ses combats n’avaient pas été tout à fait des victoires qu’elle ne saurait pas se débrouiller. Elle avait appris des plus grands, et elle ne serait pas seule.
Le sentiment enfantin de vouloir le convaincre et lui prouver ses torts la traversa vivement ; agitant d’un spasme l’un de ses antérieurs qui manqua de monter à sa tête pour y dévoiler l’une des dagues se cachant dans sa chevelure.
Mais elle se retint – ces armes faisaient partie de ces atouts cachés que l’on avait tout intérêt à garder dissimulées, c’était le principe. Jusque-là, elle ne les avait encore montrées à personne à part à sa plus proche famille, eux même portant traditionnellement différents styles d’armes.

Après tout, il ne fallait pas révéler des talents à ceux qui seraient de probables ennemis, un lendemain prochain.

La solitaire ne partageait pas le même avis. Considérait-elle que seule la noblesse était digne de verser son sang sur le champ de bataille ? Étais-ce pour assouvir cet incessant besoin de surplomber le peuple en risquant sa vie là où eux demeuraient cachés ? Non. Narcisse ne partageait cet avis. Chacun se devait de verser son tribu de sang. Que ce soit pour défendre ses terres, défendre les siens, mais ainsi que son honneur. Se battre, allait bien au-delà d’une histoire de titre. C’était un devoir.
Que leur restait-il alors, si ils ne remplissaient pas leur devoir ? Rien. Ils ne devenaient que fardeau, simple parasite qui piétinaient la justice en ce monde.

Les babines frémissent, alors qu’il sent le regard courroucé de la louve sur lui. Toucherait-il une corde sensible en l’observant ainsi ? Elle qui se pensait princesse devait après tout être habituée à ce genre de regard… non ?

Serait-elle offusquée ?

L’assassin s’approche, son museau à quelques centimètres de celui de la louve, alors que ses sourcils se plissent. Toutefois, ses yeux ne trahissent pas d’agacement cette fois mais plutôt une sorte… d’amusement ?

« — Mais es-tu en mesure de le faire ? »

Les longues oreilles se redressent, alors qu’elle évoque sa famille. Narcisse se souvint des mots qu’ils savaient manier, mais surtout de Méridor. Le seul qu’il avait réellement pu voir à l’oeuvre face à l’ennemi. Un solitaire qui avait su capter l’attention de Narcisse, au point qu’il avait développé à son égard un début de respect.
Il était… moins stupide que les autres pour un solitaire.
Elle aussi, après tout.

« — Oui, je l’ai vu. Ton frère, Méridor, il sait se battre. »

Étais-ce le cas pour tous ?
Ou Méridor était-il l’exception ?

Hum… Maintenant qu’ils en étaient à l’étape d’une discussion sans s’arracher les poils, peut-être devrait-il faire preuve d’un minimum de civisme. Après tout, elle comptait rejoindre avec les siens le Nord, des alliés non négligeables contre les sauvageons si ce qu’elle disait était vrai. Les longs cils battent un instant durant lequel Narcisse conserve le silence avant de finalement l’interroger.

« — Quel nom la princesse porte-t-elle ? »

Qu’il puisse au moins mettre un nom sur le visage, à défaut de l’appeler insecte ou solitaire.

L’Etelkru approcha son museau tout près du sien, et si le poil de Mildred se hérissa d’une imperceptible manière elle ne recula pas la tête, restant campée sur ses positions sans perdre son air buté.
Voir son nez d’aussi près ne le rendait pas plus élégant, bien au contraire.
Il persista à douter de ses paroles, soulevant à nouveau la même question en des termes légèrement différents, et la louve n’aurait pas hésité à lui répondre en claquant des dents devant son museau pointu s’il n’avait pas ensuite prononcé un nom qui lui fit ouvrir des yeux ronds.

Ainsi donc, il confirmait le connaître. Chose qui n’avait pas été tout à fait… Claire, lors de leur première entrevue. Mildred perdit toute expression revêche à cet instant, troublée plutôt par une nouvelle vague de sentiments qui prit place en chassant les autres sans crier gare.
La colère et l’amertume encore présentes envers son frère, pulsant presque douloureusement. Mais aussi le regret et la tristesse, revenus en demi-teintes après l’avoir croisé récemment. Ils s’étaient regardés droits dans les yeux, il s’était expliqué –encore et toujours – et avait eu l’air d’être si abattu, perdu dans ses choix. Une expression qu’elle détestait voir sur son visage, elle détestait continuer de le voir se morfondre, lui qui avait toujours fait les mauvais choix et ne s’en rendait compte que trop tard. Il avait attisé la rancœur qui brûlait en elle.
Mais il lui manquait, son frère.
Ça aussi, il l’avait attisé, quand elle l’avait revu quelques jours plus tôt. Le manque. La nostalgie du passé quand celui-ci avait encore l’odeur de roses.

Milles questions différentes se pressèrent à la frontière de ses lèvres.
Mais la louve n’en posa qu’une seule, s’efforçant de maintenir sa voix d’une neutralité la plus pure sans laisser transparaître le bouillon de sentiments mêlés qui tournait dans son cœur.

— Est-ce qu’il est venu au Nord ? Méridor.

Sa langue était devenue plus sèche, et malgré ses efforts elle craignait de laisser une quelconque transparaître.
La louve passa une langue vive sur ses babines pour regagner sa contenance et en profita pour répondre à sa question d’une voix un peu précipitée.

— Mildred.

Pour l’instant elle ne s’intéressa pas à la réciprocité de l’information – seulement à savoir, pour son frère.
Les yeux d’argent fixaient avec avidité le mâle crème, sans ciller, suspendus à ses lèvres.

Il avait franchi une limite, Narcisse, cela il le savait, quand bien même l’attitude de la louve en face ne faisait que le confirmer. À cette distance, il était tout aussi bien en mesure de la blesser qu’elle le pouvait.

Le nom de Méridor semble causer un changement chez la louve. L’assassin en est presque troublé, sous-estimant le pouvoir d’un simple nom. Mais ce n’était pas n’importe qui, c’était le frère qui avait rejoint les Etelkrus, sans que le disciple de Kiro chercher en apprendre davantage. Qu’avait-il laissé derrière lui, à part deux membres de sa fratrie ? Combien étaient-ils en réalité à avoir pleuré la perte d’un frère ?
Elle n’a pas besoin de préciser de qui elle parlait pour que Narcisse comprenne, un soupir échappe à l’hybride. Il n’était pas agacé de la question et aurait aimé à sa place qu’on lui dise ce qu’il serait advenu des siens qui auraient suivi un chemin différent.

« — Non, il est resté auprès de ceux qui veillent sur le Grand Castel. » Il marque une brève pause avant de reprendre, hésitant presque à lâcher cette information. « Il va bien. »

Un guerrier qui défendrait les Etelkrus, son nouveau clan, car telle était la voie.
Il était difficile de lâcher de telles informations, qui dévoilaient des détails sur la sécurité, à une solitaire.

Une solitaire qui avait un nom, Mildred.

« — Pourquoi n’es-tu pas restée chez les Etelkrus, Mildred ? Tu aurais pu y trouver ta place là-bas… plutôt que de retourner à la vie de solitaire. »

Pas de jugement dans sa voix, simplement une certaine curiosité. Pourquoi partir alors qu’un clan avait tout à lui offrir ? Peut-être même, qu’elle aurait pu demeurer aux côtés de son frère ainsi.
L’apprenti de Pepper se doutait qu’elle aurait sûrement d’autres questions, aussi, il pose son arrière-train sur le sol, se tenant toujours droit, malgré le fait que son corps soit un peu plus… décontracté. Si elle avait voulu le tuer, elle l’aurait fait depuis longtemps.

La louve attendit que l’Etelkrus délivre l’information, sa queue marquant de lents mouvements, les yeux légèrement plissés par une forme de défiance. Comme si elle s’attendait à moitié à ce qu’il refuse de lui répondre, relançant les hostilités en cherchant à retenir quelque chose qui lui était cher.
Mais l’hybride accéda à sa demande, relâchant un nouveau degré de tension dans ses nerfs. Elle accueillit l’information avec une certaine déception - elle ne le verrait pas. Il n’était pas ici. Etaient-elles venues ici... Pour rien, si ni Raeghar ni Méridor n’étaient finalement sur ces terres ? Elle serra les crocs. S’était-il une nouvelle fois enfoncé dans un lâche mensonge quand il avait affirmé face à Mère qu’il comptait rejoindre leur aîné contre la menace des terres glacées ?
Les derniers mots lâchés par le mâle ne déclenchèrent pas particulièrement de nouvelle émotion chez elle. Il va bien. Physiquement, peut-être, elle n’en doutait pas tellement. Mais sur le reste ? Qu’en savait-il ? Son frère avait passé la majorité de sa vie en proie à des doutes sur le chemin à suivre, c’était encore le cas quand elle l’avait revu. Et en cela, tant qu’il n’aurait pas décidé une bonne fois pour toute de la voie à suivre, il ne pourrait pas aller bien.
Tout comme elle se savait être flamme vacillante, mais se refusait à le laisser transparaître dans l’image qu’elle renvoyait aux autres. Il n’y avait que face à son propre reflet qu’elle se savait honnête.
Il n’y avait qu’à soi-même que l’on ne pouvait rien cacher et que l’on devait rendre des comptes.

Méridor, lui... Il était trop sensible, et refuser de masquer ses émotions était sa plus grande faiblesse. Au moins avait-il admis ses torts là-dessus lors de leurs derniers mots échangés, avait-il accepté que Mère avait eu raison.
Qu’elle aussi avait eu raison, en le prévenant de ce qu’il vivrait au sein des Etelkrus.
Pour un instant elle s’était enfoncée dans ses pensées, mais ses iris revinrent vivement sur le loup quand il reprit la parole.

Sujet sensible qu’il décida d’aborder là, sans visiblement en avoir conscience au vu de la posture assise qu’il adopta.
Une vague d’agacement la submergea un instant mais elle se garda de le montrer, le fixant plutôt d’un regard froid cherchant à percer ses intentions derrière la question. Il parlait de trouver sa place dans leur meute, mais tout dans son attitude primaire avait révélé chez lui ce même dédain de l’étranger qu’elle avait repéré chez son cousin Salazar quand bien même ils partageaient le même sang, ce même mépris pour les loups qui vivaient en dehors de leurs frontières.
Méridor lui avait confirmé avoir ressenti ce même rejet, alors même que l’autre face à elle affirmait sans détour qu’il allait bien.
Il n’y avait que les Etelkrus eux-mêmes, pour être aveugles sur leurs propres comportements.

— Je n’ai pas une « vie de solitaire ». Ma famille est ma meute, nous sommes le restant des Lazulis.

La voix se fit sèche, trahissant un ersatz de la vexation ressentie face à ce loup pour qui toute vie en-dehors de celle de sa chère meute était un chemin d’égarement.

— Et la famille, c’est ce qu’il y a de plus important.

Queue et museau se redressèrent un peu plus, le regard d’argent vint s’arimer aux prunelles dorées.
Comme si elle le défiait presque de la contredire.

Les paroles ne semblent donner pleine satisfaction à la solitaire.
Les babines frémissent, trahissant une certaine forme d’amusement aux paroles de Mildred. Un éclat brille dans les yeux dorés de l’Etelkrus, alors qu’il l’entend évoquer les Lazulis. Cette meute, qui avait traité les dieux comme des moins que rien et en avaient payé le prix. Le disciple de Kiro ne comprenait pas comment l’on pouvait tomber aussi bas. Ne pas comprendre que face au pouvoir divin, il n’y avait rien à faire. Pourtant, les Lazulis s’étaient encore et encore enfoncés toujours plus loin dans leur bêtise, au point que désormais ils ne soient plus qu’une poignée. Jadis une des meutes les plus puissantes, ont les membres furent condamnés à errer.
Quelle triste finalité.

« — Le restant des Lazulis. Est-ce réellement pertinent de s’en vanter, sachant que les vôtres se sont attirés les foudres des dieux ? »

Et si les le restant des Lazulis ne se résumait qu’à cette louve et ses frères, peut-être n’étais-ce pas plus mal que l’histoire se termine avec eux. L’hybride soutint le regard de la solitaire.

« — Mais ta famille n’est pas complète. »

Un simple constat. Non. Les Etelkrus avaient Méridor dans leurs rangs, ce qui faisait que la famille de la solitaire n’était pas entière. Ce qui les rendait probablement plus vulnérable vu qu’ils n’étaient plus unis.
Mais elle semblait y tenir à sa satanée famille, alors pourquoi ne cherchait-elle pas à la réunir ?
Tss, après tout, ce n’était pas les affaire de Narcisse, mais cette histoire avait quelque chose de louche. Si cette famille semblait si parfaite, si unie, que faisait Méridor chez les Etelkrus ? Était-il une sorte d’espion pour la solde des fossiles Lazulis ?

Mildred ne manqua pas de ressentir que le mâle en face d’elle ne la prenait pas tout à fait au sérieux, encore.
Si lui se fit amusement, elle reprit chemin de l’agacement.
Les mots qu’il prononça étaient encore une fois emplis d’un mépris à peine voilé, pour ce qui fut leur clan.
Elle ne s’était jamais sentie très proche des Lazulis en eux-même, Mildred. Elle n’en avait pas eu le temps. Leur situation avait été particulière, et elle n’avait même pas pu assister au dénouement, coincée en-dehors du Dôme qu’elle avait été.
Envers la vaste majorité de ses anciens camarades de meute elle ne ressentait ni camaraderie, ni le respect initial qui était dû à tout membre partageant les mêmes terres - c’était parfois même l’inverse, quand elle avait regardé tant d’autres jeunes de son âge avec hauteur et les voyait comme des piètres rivaux. Elle était également au courant de cette réputation qui s’était répandue au-dehors de leurs frontières, tant sur le délitement de la meute que sur les conflits ayant mené au Dôme. Et pendant un long moment, à la chute de la prison divine et à la dispersion de leurs membres, elle avait fait en sorte de ne pas être assimilée à eux - pour ne pas faire face aux regards apitoyés, pour ne pas avoir à répondre de quoi que ce soit envers eux.

Mais son père en avait été l’Alpha, et sa mère était la Prêtresse des Roses.

Et cela lui suffisait pour avoir décidé que finalement, elle garderait jalousement leur nom gravé dans son esprit et son passé, qu’elle revendiquerait fièrement d’avoir été des leurs ; comme une pièce de son trésor filial tant marqué de noblesse et de grands noms.
Elle, Mildred, ne pouvait pas simplement être solitaire.
Et puisque eux, les disciples et prétendants de Moiro, n’avaient jamais pris part à cette révolte contre les Dieux, elle était fière de pouvoir se considérer comme un vestige de la gloire Lazulis originelle.
Ceux qui, comme les Etelkrus, savaient respecter leurs Dieux et les prier.

— Tu parles comme si tu avais vécu cette période de l’histoire, mais tu ne sais rien.

Le ton était sec et cinglant, l’encolure s’était redressée et elle laissa briller dans ses yeux d’argent une étincelle hautaine. Elle le savait plus jeune qu’elle, aussi du Dôme n’avait-il pu connaitre que l’extérieur ou la fin de celui-ci.
Alors à moins que Méridor ne leur ait conté en détails tout ce qui s’était passé au sein de leur meute, ce dont elle doutait fortement… Il ne savait rien de tout cela et des Lazulis, rien du tout.
Qu’il croit donc ce qui lui plaisait sur le sort des Lazulis et leurs relations aux Dieux - il n’était pas en mesure de les juger.

L’Etelkru bifurqua rapidement vers sa famille de nouveau, provoquant chez Mildred une brève et unique agitation de la queue. A croire qu’il s’intéressait à leur sort bien plus qu’il ne l’assumait.

— Cela ne nous empêche pas d’être forts. Et nombreux.

Elle avait failli simplement dire pour le moment et le laisser avec ça.
Pour titiller son esprit, le faire cogiter - tendre un fil et le voir s’emmêler dedans en s’imaginant si pendant que lui et nombreux de sa meute étaient au Nord, Méridor n’était pas en réalité en train de semer le trouble ou d’abuser de leur confiance.
Cela aurait été amusant, si elle n’avait pas craint de mettre son frère en danger par pareil sous-entendu.

Se laissant aller à une pointe de curiosité, elle rebondit sur le sujet, lasse d’être la seule à être la cible des questions.

— Si ta famille changeait de voie et quittait ta meute, tu ne les suivrais pas ? Tu leur préférerais les autres ?

Après tout, c’était possible. Tous n’avaient pas à coeur de rester au plus proche de leurs liens de sang pour faire front commun.
Leur frère n’en était-il pas une preuve vivante ?

La queue féline fouette l’air à la remarque de la louve. Narcisse considérait qu’il en savait suffisamment sur les Lazulis. Meute du passé. Meute condamnée à l’oubli. D’ici quelques générations, plus personne ne saurait qu’ils avaient existé. C’était vers le futur qu’eux tous devaient porter leur regard. Pourtant, il ne commente pas, se contente de conserver le silence. Au fond, la solitaire n’avait pas tort sur un point. Il ne savait rien. Tout simplement parce qu’il ne s’y était pas intéressé. Ce n’était pas son histoire, cela ne le concernait pas.
L’assassin constate qu’il est aisé de l’agacer cette louve. Si facile de l’énerver. S’en est presque amusant. Il se demande si il pourrait un peu plus pousser le jeu, avant de se rappeler que c’était sur les terres Nakhus qu’il se trouvait. Que Pepper n’apprécierait sûrement pas qu’il déclenche un affrontement sur ce territoire de paix.
Alors il se contente d’écouter.

Nombreux ?

Le museau s’approche, se trouvant à quelques centimètre de celui de la femelle, alors que les yeux dorés fixent avec cette intensité accrue par le pouvoir du Phénix, Mildred.

« — Pourtant, je ne vois que toi, Mildred. »

Il se recule aussitôt, a retenu lors de leur première rencontre avec le frère, qu’ils avaient plus d’un tour dans leur sac.
Et vint des questionnements. Parce qu’elle semble être lasse de ses remarques. Elle évoque une possibilité. Si les siens quittaient les Etelkrus. Resterait-il auprès de cette meute qui l’avait fait grandir ou suivrait-il son sang ? Le poil se gonfle un instant, offensé à la simple idée de trahir sa meute. De trahir Pepper.

Pourquoi t’énerves-tu petit loup, tu sais bien qu’elle ignore tes serments et promesses…

Le poil retombe à le remarque du Phénix. Un instant, le disciple de Kiro réfléchit à quelle réponse fournir. Trahirait-il sa famille si il ne les suivait pas ? À eux, il n’avait prêté aucun serment, rien ne l’empêcherait de leur rendre visite, surveiller de loin qu’ils soient en bonne santé. Il pouvait effectuer ses devoirs envers son sang, sans pour autant trahir sa meute.

« — J’ai prêté serment. À mon clan. À mon alpha. Trahir cela, ce serait mentir, et rien n’est plus déshonorant que le mensonge. »

Il méprisait cela. Plus que tout. La vérité était certes parfois chose cruelle, mais essentielle pour avancer.
Alors quelle utilité pouvait bien avoir le mensonge ?
Un soupir.

« — Ce n’est pas une question de préférence, mais de devoir. Je dois respecter mes engagements. » Le disciple de Kiro marque une pause. « Si les miens souhaitent suivre un autre chemin, ils en sont libres. Cela ne m’empêchera pas de les aimer. Je n’ai aucune emprise sur eux. »

Narcisse laissait sa famille faire ses propre choix. Lui se contenait de faire les siens de son côté.
Se tenant toujours droit, le loup plongea son regard dans celui de la louve, sans aucune gêne.

« — Et si ils sont heureux comme ça, alors cela me rends heureux. »

Qu’importe la vie qu’ils choisiront.
Du moment qu’ils sont en vie et épanouis.

Au museau de l’Etelkru qui s’approcha, sa réaction fut immédiate bien qu’invisible.
Les mâchoires s’entrouvrirent d’un imperceptible millimètre, prêtes à se relâcher complètement au moindre geste de travers pour venir se refermer sur son disgracieux nez.
Mais après avoir lâché ses mots, il recula aussi vite qu’il était venu.
Ne la considérant peut-être pas si inoffensive que cela, après tout.
Et finalement… C’est un bref rire plutôt qu’un grondement, qui s’échappa de ses mâchoires.

Sa voix se fit plus légère, presque amicale.

— Cela vaut mieux comme ça, crois-moi.

Avoir sa famille au complet pour mener une discussion, ce n’était… Pas forcément un cadeau.
Tous si semblables d’apparence, mais si hautement diversifiés dans leurs réactions - quand bien même l’instabilité semblait être un trait commun.
La pointe d’amusement s’effaça pour laisser place aux réponses qui viendraient de l’Etelkru, désormais. Elle crut voir un instant son pelage se dresser, ne put s’empêcher de ressentir une brève satisfaction - avait-elle touché un point sensible, à son tour ?
Mais il répondit finalement sans s’énerver, ce qu’elle avait perçu se dissipant aussi vite que cela n’était apparu.

Et ses paroles enfoncèrent une petite pique dans son coeur malgré elle. Une petite pique qui se ficha là et remua, agaçante, la narguant d’une voix lancinante.
Tu entends cela, Mildred ?
Tu te sens visée, blessée peut-être ?
Toi qui tord la vérité si souvent, qui dissémine tes mensonges dans le vent quand cela te plaît et quand cela t’arrange.

Elle chassa la voix d’un tic nerveux, fronçant une seconde les babines et calmant les palpitations de son coeur.
Depuis quand devait-elle se sentir touchée par les paroles d’un Etelkru, eux-même fieffés menteurs ?
Le mâle termina son laïus et Mildred soutint son regard jusqu’au bout. Essayait-il de lui faire passer un message ?
De lui dire de lâcher l’affaire, de laisser Méridor vaquer où bon lui semblait ?
Tsk. Son devoir à lui se situait peut-être entre les pattes d’étrangers à sa famille à qui il aurait décidé de donner sa loyauté, mais le devoir de Méridor ne se trouvait visiblement nul part.
Il n’avait jamais fait de serment, errait seulement dans l’espoir de trouver sa place sans oser se la tailler par crocs et griffes. Le seul lien qui aurait du le retenir quelque part était celui dû à sa famille, à son sang.
Même si la discorde pouvait entre eux éclater, pourquoi à tout prix chercher à les fuir ? Au lieu de s’unir pour se protéger et assurer la sécurité des uns et des autres ?

C’est ce que Gloriel aurait voulu.
Par ses actes, il ne contribuait qu’un peu plus à leur effondrement.

— Et si ils trouvaient leur voie à l’opposé de la tienne, mh ? Si là où ils allaient était derrière des rangs ennemis. Tu continuerais de les soutenir, encore ? Tu pourrais aimer sans trahir ?

Pour la première fois depuis de longues minutes, ses yeux avaient enfin quitté les siens.
Mildred s’était renfrognée, sa voix était devenue plus morne et sombre comme si elle se parlait finalement davantage à elle-même.

Ah, Méridor… De tous les chemins que tu aurais pu emprunter, il a fallu que ce soit celui le plus éloigné du notre.

Représentait-ils donc réelle menace, ces anciens Lazulis ? Ou étais-ce simplement leur comportement qui les rendait dangereux ? Y’avait-il plus dangereux dans l’ombre ? Une menace ? Narcisse n’aimait pas particulièrement cela, pour autant, ces loups ne leur avait pas posé de problèmes. Pas encore du moins.
Narcisse l’observe, alors qu’elle semble perdue dans ses pensées.
Il n’y a plus de provocation dans le regard de la louve, tout simplement parce qu’elle l’avait détourné. Le disciple de Kiro fronce un instant les sourcils aux questions de Mildred.

« — Alors, je ferai ce qui me semble juste. »

La réponse est donnée automatiquement.
Les siens n’étaient pas du genre à se tourner vers l’ennemi, parce qu’ils n’avaient pas été élevés dans ce but. Ils avaient simplement grandi, avec tout l’amour qu’on peut espérer recevoir de ses parents, avec tout le soutien qu’une meute peut apporter.

« — Aimer, ce n’est pas trahir. »

Le disciple de Kiro marque une pause.

« — Ma famille ne me demanderait pas de briser un serment, en sachant que je ne serais jamais heureux. Par amour, ils respecteraient mon choix, tout comme je respecterais le leur. »

Parce que Narcisse ne pouvait être heureux comme solitaire ou pirates. L’ennemi ne lui apporterait jamais rien, et l’obligerait à trahir son serment. Il serait contraint de laisser tout ce qu’il avait construit derrière, ses amis, son mentor, son dieu… C’était chose qu’il ne pouvait accepter.

« — C’est ce que ferait toute personne par amour. »

L’Etelkru parlait beaucoup de ce qui était juste, de ce qu’était l’amour.
A quel point avait-il pu les expérimenter, ces choses ? A l’entendre, sa famille était si parfaite. Aimante, compréhensive, soudée.
Toutes ces choses dont les siens avaient pu rêver tout en se marchant dessus pour atteindre le sommet au lieu de s’entraider à l’atteindre.
Elle releva les yeux pour l’observer de nouveau tandis qu’il parlait, se demandant bien qui de chez les Etelkrus pouvait l’avoir engendré, lui et sa fratrie dont elle n’avait vu qu’un membre gueulard.
Son physique était particulier, mais elle n’avait pas souvenir d’avoir croisé tel… Attribut pareil à ce nez chez un membre de la meute. Il y avait bien la Prêtresse de Kiro que l’on surnommait la chauve-souris, mais elle était discrète et Mildred n’avait jamais croisé sa route, nullement intéressée à s’aventurer vers le marais qui abritait le temple de Kiro, contrairement à l’attirance qu’elle avait pu ressentir un moment pour Dairo.
Quelques détails chez lui rappelaient l’image d’Anette à son esprit. Par ce pelage majoritairement ras, cette queue allongée, ces mouchetures sur le corps. Mais c’était ténu. Son esprit lui jouait simplement des tours, du fait que l’immense louve beige était probablement l’Etelkru qui l’avait la plus marquée… Positivement.

Quand il eut fini, un sourire asymétrique releva l’une de ses commissures, mettant en exergue la cicatrice qui barrait son museau de ce côté-là.

— Tu as l’air de drôlement bien t’y connaître, en amour.

Le ton était railleur, mais dénué de la véhémence habituelle.
Au fond, c’était plus une fatigue qui se ressentait dans les tréfonds de sa voix.
Comme si elle était presque épuisée de lutter contre ses paroles et sa vision qui était probablement plus saine que la sienne à ce sujet, mais qu’elle se refusait à l’accepter.
Car cela contredirait tout ce qui l’avait amenée jusqu’ici, cela ébranlerait les si maigres piliers qui la faisaient se tenir debout par cette hargne insatiable et ce besoin égoïste de vouloir avoir le contrôle.

— Je ne t’ai pas demandé ton nom, Etelkru.

Mildred se rendit compte qu’elle avait laissé filer le sien, de nom, mais n’avait pas réclamé la juste contrepartie qui aurait du lui revenir.
Celle d’avoir le sien en échange.

Narcisse sent encore le regard de la loue l’observait. Hum, cherchait-elle un moyen de l’atteindre ? La queue féline s’agite, alors que le loup n’apprécie pas trop cette étude silencieuse. Finalement, elle répond par une question. Les sourcils se froncent légèrement. Que connaissait-il réellement en amour ? Il connaissait l’amour qui unissait une famille. L’attachement à l’égard de sa fratrie. L’amour de leurs mères. Pourtant, ses propres sentiment, il ne les avait jamais exploré. Le disciple de Kiro ne comprenait pas vraiment lorsqu’il voyait Alex et Hollyhock. Un lien les unissait. Un lien puissant.
Un lien qui ne s’arrêtait pas au devoir ou à l’amitié.
C’était bien plus.
Quelque chose qui lui échappait encore.

« — Hum... peut-être est-ce toi qui ignores tout. »

Il répond sans réellement penser au poids des paroles.
Parce que pour lui sa famille était normale. C’était comme cela que des parents devaient se comporter à l’égard de leurs enfants, en les aimant. Pourtant, son esprit ne pouvait s’empêché de penser à Désastre et Pepper. L’aimait-elle ? Le lien qui les unissait était étrange. À défaut, Narcisse priait pour que son ami trouve son bonheur au travers d’autres liens… Après outil était loin d’être seul.

L’assassin en avait presque oublié qu’il ne s’était pas présenté.
Un instant il fut tenté de ne pas répondre. De demeurer simplement « L’Etelkrus. » Pourtant… elle avait décliné son nom…

« — Narcisse. »

Il avait répondu à ses questions, mais il se demandait…

« — Par amour, les tiens te laisseraient-ils mener la vie que tu souhaites ? »

Ou chercheraient-ils à t’emprisonner ?
Es-tu fourmi écrasée par la botte ou scarabée qui prend son envol ?

La remarque du mâle ne put faire qu’écho à ses propres pensées, mais sortie d’une gueule autre que sa voix intérieure elle lui paraissait d’autant plus détestable.
Ses doigts se contractèrent et les griffes fouillèrent la terre, mais Mildred s’efforça de ne pas répliquer.
Le sujet commençait légèrement à l’agacer en fin de compte, encore.
Tout ce qui n’allait pas dans son sens ne finissait-il par avoir cet effet ?
Elle nota le léger délai d’interrogation après sa question et manqua de s’en énerver, s’il venait à lui refuser de se déclarer, quand elle-même avait fourni si facilement son patronyme.

C’était probablement une erreur de sa part, d’ailleurs. Un faux pas qu’elle prendrait gare à ne pas réitérer.

Mais il finit par lui dire. Narcisse. Le nom d’une fleur, mais pas de n’importe laquelle.
Elle fut presque tentée d’en rire, tant son nom lui paraissait tout autant déplacé que correspondant à sa personne.
Ses oreilles se redressèrent quand il relança encore la conversation - elle en fut étonnée, et quelque peu prise au dépourvue.
Mais l’ombre ne tarda pas de revenir dans son regard.
Son coeur balança entre l’irritation qui lui donnait envie de mettre fin au sujet d’un claquement de dents et l’envie, bien plus faible, de lui accorder la même réciprocité dans les réponses qu’il avait pu le faire.
Mais sa famille à elle, c’était un sujet que l’on ne venait pas titiller si facilement. Il avait déjà bien trop essayé d’en savoir plus à leur sujet, probablement afin d’exploiter les faiblesses qu’elle aurait l’inadvertance de révéler.
Et Mildred se refusait à être l’origine d’une faille dans leur protection déjà instable.

— Je mène déjà la vie que je souhaite.

Ainsi donc, ce serait plutôt un autre demi-mensonge qui viendrait souiller ces lieux Nakhus, si prompts à l’honnêteté.

— Et ils ne peuvent que me soutenir, puisqu’elle est à leurs côtés.

Tu entends, Narcisse l’Etelkru ?
Malgré l’égarement d’un membre isolé, nous resterons soudés et indivisibles.
Et ils finiraient bien par ramener à la raison celui qui s’était éloigné des seuls êtres qui tenaient sincèrement à son intégrité.
Mildred releva à nouveau le museau pour le jauger du regard, désireuse de se ressaisir du moment de faiblesse qu’elle avait un peu trop laisser paraître et reprendre à nouveau le contrôle de l’échange.

— Tu sers le Dieu Anaconda. Pourquoi lui ?

Elle inclina la tête d’un demi centimètre, intriguée, l’ombre d’un sourire revenant sur ses lèvres.
Pourquoi le Serpent, et pas la Renarde ? Elle avait vu chez lui une certaine vivacité d’esprit qui aurait pu correspondre à la gardienne des oranges, mais que cachait-il d’autre ?

Les yeux dorés observent l’attitude de la louve. Les griffes qui retournent la terre quand il tarde à répondre. L’agacement trahi par ses muscles qui se contractent sous son pelage. La surprise quand il l’interroge. Et encore de l’agacement. Toujours. Cela semblait si facile de lui déplaire à cette solitaire.
Mildred répond à la question, Narcisse y perçoit l’hésitation.
Ça sent comme un mensonge.
Elle lui avait décrit la famille comme étant la chose la plus importante. L’étais-ce réellement à ses yeux ? Elle ne pensait qu’au pouvoir, à celui que les siens retrouveront lorsque le frère reviendra. Ce n’était pas de l’amour. Simplement de l’avidité. Aimer les siens, ce n’était pas les contrôler, c’était accepter leurs choix.

Les sourcils se froncent, alors qu’un léger grognement d’avertissement monte chez le loup. Tout au long de la discussion, Narcisse avait dit la vérité, avait même baissé ses barrières pour avoir une discussion civilisée avec cette solitaire car ils étaient en terres Nakhus. Étais-ce trop demander que d’obtenir la même chose en retour ?
N’avoir qu’un peu de sincérité ?

« — Pourquoi cela semble difficile à croire ? »

Un avertissement.
Il n’y en aurait pas d’autre.
Le poil s’est remis à gonfler, alors que la queue féline trahit l’agacement. Au prochain mensonge, il n’hésiterait pas. Mais se rendait-elle compte, qu’au moins elle ne disait pas toute la vérité ? Narcisse n’aimait pas ces doubles-jeux, pourtant chaque parole de la louve semblait en être un. Il ne parvenait à déterminer si elle jouait avec les mots pour le troubler ou pour cacher chose plus importante encore.
Pourtant, le disciple de Kiro se rendait compte d'une chose.
Elle se berçait d’illusions.

« — Ne vivrais-tu dans ce cas que pour être prisonnière de ta famille ? »

N’aimerais-tu pas t’élever de ton propre côté ? Être fière de ton dur labeur ? Savoir que tout ce que tu as, tu ne le dois pas aux autres, mais aussi au fruit de ton labeur ?

Déjà, elle cherche à l’embobiner avec une autre question, qui cette fois éveille l’intérêt du Phénix.

Oh, elle veut savoir Narcisse ! On pourrait lui montrer non ? Ce n’est qu’une solitaire, personne sauf les membres de sa démente famille ne pleurera sa mort. Alors qu’est-ce que tu en dis ?
Non. Nous ne sommes pas chez nous.
Et si…
J’ai dis non.

À la pensée de Kiro, l’assassin tente reprendre son calme. Le Phénix attendait toujours son moment dans l’ombre, inutile de lui donner une quelconque chance de prendre le contrôle. Les oreilles se couchent sur son crâne. Il n’était brute taille pour le combat, il ne voulait pas être stratège, quand son clan avait besoin qu’on le défende.
Il voulait être l’ombre qui rode. Prête à frapper.
Et Kiro, avait toujours été à ses côtés, depuis sa naissance. Parce qu’ils avaient été embryon en son temple, il était passé de louveteau à adolescent auprès de lui, puis adulte.
Kiro n’était pas seulement un dieu. Il faisait parti de la famille, parce que pas un seul jour, il n’avait été à leurs côtés.

« — Car j’ai grandi à ses côtés. »

Le regard est sûr.
Il ne doute pas, car il sait qu’il peut compter sur l’Anaconda, autant que ce dernier peut compter sur Narcisse.
Mais peut-être ne pouvait-elle pas comprendre, cette louve qui ne portait point de glowstick…

A peine l’orage semblait-il finir de gronder qu’il regagnait en vigueur, roulant sous leurs esprits, électrisant leurs regards.
Il ne lâchait pas l’affaire, l’Etelkru, il revenait à la charge et montait chez lui un agacement différent du sien. Elle pouvait le sentir, émaner de lui. Et quand bien même n’aurait-elle pas possédé cette faculté à ressentir plus facilement les émotions qui s’emparaient des autres, son poil gonflé et les mouvements de son corps étaient suffisamment explicites.
Si chez elle la montée d’une impatience négative était surtout du à son inconfort quand elle perdait le contrôle sur le fil de la conversation et qu’il tentait de s’immiscer dans sa tête, chez lui, le ressenti était autre.

C’était parce qu’il ne la croyait pas. Parce qu’il ne pouvait accepter un monde différent du sien, encore.
Ca devait être facile, pour lui, le mâle si accompli qui semblait toujours avoir eu sa place là où il était, qui était fier de l’occuper.
Lui, si aimant et si parfait à l’écouter, alors qu’elle ne décelait aucune bienveillance dans son regard.
Finalement, malgré le déroulé d’apparence courtoise de leur échange, il n’avait pas changé d’attitude, au fond. Il était celui qui avait réussi et qui tentait de lui faire comprendre qu’elle avait tort, qu’elle s’était égarée.
Mais encore une fois, il ne comprenait pas, et il ne savait rien.
Elle ne se laisserait pas dicter sa vie par l’enfant parfait des Etelkrus.

— Je ne suis pas prisonnière. Laisse tomber, Narcisse.

Sa fourrure s’était elle aussi légèrement hérissée et les babines s’étaient suffisamment tendues pour dévoiler la pointe d’une de ses crocs en réponse à son grognement sourd - sans pour autant les retrousser.
Un avertissement, de sa part aussi. Lâche l’affaire.
Mildred réalisa que la bordure de ses yeux la brûlait, mais ils restaient secs.
Enfant, elle pleurait souvent de frustration.
Adulte, elle avait appris à ne jamais les autoriser à sortir en présence de quelqu’un d’autre.

Elle relâcha la pression dans un souffle, se concentrant plutôt sur la réponse à son autre question. Il avait grandi aux côtés de Kiro, hein ? Alors lui aussi, il avait un Dieu familial ?
Comme eux et Moiro.
Ca leur faisait un maigre point commun, qui l’aurait presque fait sourire.
Si seulement elle pouvait elle aussi arborer la couleur de sa Déesse.

A sa pensée, Mildred fit l’effort de se redresser et de chasser les dernières bribes d’émotions incontrôlées qui avaient pu la secouer.

— Ça n’est pas suffisant pour qu’un Dieu accorde forcément sa couleur.

Elle était bien placée pour le savoir, quand bien même elle fit en sorte de ne pas laisser transparaître son amertume.

— Qu’as-tu fait de plus, pour le convaincre ? Tu grimpes aux arbres ? Tu sais éviter toutes les attaques ? Être plus rapide que quiconque ?

Son regard d’argent le passa au crible.
Dans sa famille, la plupart des membres pouvaient se vanter d’une bonne souplesse, d’un corps agile et léger. Le corps de Narcisse, filiforme et dont le poil court laissait entrevoir une musculature fine, suggérait des capacités accrues dans ces domaines.
Mais lesquelles, précisément ?

Encore une fois, ils ne parvenaient pas à se comprendre. L’ambiance était aussi tendue qu’au début de l’échange. Exactement comme lorsqu’elle était venue avec le brun pour chercher des noises à Floyd.
Les sourcils restent froncés, même si le regarde reflète rien. Il n’insisterait pas. Son but n’était pas de déclencher un affrontement, il y avait bien assez à faire avec les monstres du nord. Sans parler des sauvageons.

« — Hum »

Aucun des deux ne semblait vouloir s’attarder sur le sujet «  familial. » Ça avait l’air bien compliqué tout ça, pourquoi toutes les familles que Narcisse croisaient n’était pas… «  simples » ?
À la remarque, il sent encore elle regard de la louve sur lui et n’a aucune gêne à le soutenir. La réponse est vague.

« — Certes. »

C’était même loin d’être suffisant. La preuve, Alexandrine s’était tournée vers Aka pour une raison mystérieuse. Narcisse n’avait encore jamais vu personne échouer à l’épreuve de Kiro ceci dit, du moins pas depuis sa naissance.
Hum, qu’est-ce qui avait convaincu Kiro de l’accueillir comme disciple ? L’escalade oui, Narcisse en faisait depuis qu’il savait marcher (enfin plus ou moins vers cette période). Toujours plus haut. Toujours plus dangereux. C’était comme ça que son amitié avec Désastre avait commencé, avec cette envie d’atteindre le sommet.
Éviter les attaques, toutes non, éviter les plus grosses en tout cas, celles capables de lui infliger des dommages lourd au moins.
Puis la vitesse… Il avait bien ce don inné Narcisse, qui le rendait capable de se déplacer si vite sur une courte distance mais qui l’épuisant bien facilement.
C’était peut-être pour tout cela que Kiro avait accepté de l’avoir comme disciple ? Pas parce qu’il était enfant de la prêtresse, mais parce qu’il avait réussi à faire ses preuves auprès de la divinité. Il ne savait pas vraiment. Quelle importance de savoir pourquoi l’on avait été choisi ? L’Anaconda avait ses préférences, l’assassin s’en moquait, il aimait son dieu c’est tout ce qui importait.
Il choisit de répondre à la question par une autre.

« — Et toi, quel dieu comptes-tu convaincre ? Tu sembles rusée, en demeurant Etelkrus tu aurais peut-être pu prétendre à Dairo. »

Manipulatrice. Susceptible. Fière.
Elle était tout ça à la fois Mildred. Y’avait-il un dieu semblable en terres libres ? Il ne les connaissait pas vraiment ces divinités, leurs disciples étant bien plus rares.

Peut-être ne comptait-elle tout simplement prétendre à aucun glowstick.

L’Etelkru sembla enfin comprendre de s’éloigner de la voie qu’ils avaient préalablement empruntés, et Mildred se détendit un peu plus. Juste un peu.
Sur le reste, il sembla réfléchir, comme s’il cherchait ce qu’il pouvait bien valoir aux yeux du Dieu - la pensée l’amusa quand bien même elle n’en laissa rien paraître.
Elle était suffisamment observatrice pour savoir que de toute façon il n’en était rien, et que Narcisse avait des qualités évidentes par rapport à l’Anaconda, elle aurait simplement creuser un peu plus.
Savoir lesquelles. Pareil savoir était toujours chose utile à entreposer dans l’arsenal de ses pensées.
Mais de tout ce qui put lui passer par la tête il ne lui donna rien, à sa déception. Et renvoya une question.

La première partie lui donnait matière à évoluer, quand la seconde faisait naître un tourbillon - différent des autres.
Avait-il le don pour flairer les sujets plus sensibles que les autres, chez elle ?
Ou bien étaient-ils tout simplement trop nombreux, ces prétextes prompts à déclencher sa susceptibilité ?

— Je suis la voie de Moiro. J’ai moi aussi grandi avec elle, sur son Île, avec sa Prêtresse pour Mère. J’attends d’être prête pour me présenter à elle.

D’être la meilleure version de moi-même que je puisse être.
Hors de question de mentionner l’échec qu’elle avait essuyé de prime abord, quand même sa famille n’était pas au courant. Personne ne l’était.
Et puis, elle ne mentait pas, après tout. Il ne pourrait le lui reprocher. Pas la peine de préciser que Moiro avait jugé bon d’envoyer elle-même un signe pour la ramener sur sa voie - sur le reste, elle devait bel et bien se consacrer à évoluer.
En était-elle seulement capable.
Le nom de la Renarde qu’il prononça voila ses yeux un instant et fronça ses arcades.

— C’est vrai. J’ai pu me sentir proche d’elle plus que des deux autres. Mais rien de comparable avec la foi que je nourris pour Moiro, qui a toujours été présente pour me guider.

Quand finalement elle n’avait jamais vu ne serait-ce qu’un bout de la Renarde.
Sauf si on pouvait considérer Ely comme son ombre.

Elle l’avait considérée, oui, la Déesse orange.
Mais elle était persuadée que cela n’avait été qu’un bref égarement lors d’une période de faiblesse et de doutes plus prononcée que les autres.

Du moins voulait-elle s’en convaincre.

Prêtresse pour mère. Ça le fait tiquer Narcisse. Ça leur faisait un énième point commun. Encore une fois, il se demande si elle voulait être une disciple de Moiro parce que sa mère en était la prêtresse ou parce qu’il s’agissait d’un choix personnel. Mais il s’abstient. Parce qu’il n’a pas envie qu’elle monte encore sur ses grands chevaux (semblait si irritable cette louve).
Brièvement Mildred avait semblé être intéressée par Dairo, brièvement. La Renarde l’aurait-elle laissé rejoindre le rang de ses disciples si l’occasion s’était présentée ? Serait-elle devenue une Etelkrus ?
Narcisse soutint le regard de la solitaire.

« — Je vois. »

Il pouvait comprendre, que l’on préfère tel dieu à un autre.
L’Etelkrus se redresse.

« — Peut-être nous reverrons nous dans le Nord. »

Mais j’en doute.
La queue féline se balance, alors que Narcisse tourne le dos à Mildred pour retourner auprès des siens. Au moins… il avait pu constater que Méridor était bien différents de certains membres de sa famille…
Moins susceptible en tout cas.

Le mâle se contenta de garder leurs prunelles ancrées ensemble sans laisser passer grand chose sur son visage, presque comme s’il cherchait encore ce qu’il pouvait bien trouver à redire.
Mais finalement, après que quelques secondes se furent échappées, il ne dit rien de plus que deux mots.

Les oreilles de Mildred s’agitèrent, comme incertaines - s’attendant peut-être à une suite, à ce qu’il cherche encore une pique. Mais rien pour venir relancer la conversation tarie, si ce n’était les gestes du départ bientôt suivis par son annonce.
L’Etelkru se releva et lui tourna le dos, *juste comme ça*. Sans même un autre mot méchant à son encontre, sans même une mimique moqueuse, sans… Rien de particulier.

Elle ne savait pas si elle devait se sentir déçue, ou… agréablement surprise ?
Elle se contenta de ciller sans répondre, de réponse il n’attendait de toute manière pas. Sa silhouette à la démarche chaloupée s’éloignait d’elle à un rythme régulier et vif, ne se retournant jamais -pourquoi le ferait-il ?- et elle resta là un moment à simplement l’observer se faire progressivement avaler par les brumes et le paysage.

A se dire qu’il était si étrange, presque incongru, qu’ils viennent de conclure quelques minutes d’un échange certes houleux mais globalement cordial sans s’écharper, eux qui lors de leur première et seule entrevue n’avaient craché que de la haine.
Elle ne se serait pas attendue à autre chose que ce venin dans la prolongation de leurs quatre yeux et de leurs deux langues.

Peut-être nous reverrons-nous, au Nord, dit-il.
Ou peut-être pas.

Si elles trouvaient ce qu’elles étaient venues chercher, elles n’auraient aucune raison de se mêler à leurs rangs.

Puis la louve finit par se lever, s’ébroua doucement et secoua la tête en claquant de la langue avant de pivoter pour trotter dans une direction toute autre.

Tâchant d’oublier les sensations contrastées laissées par cette rencontre.