Chasse fraîche |Feat. Désastre.

Il a rentré sa tête entre ses épaules, Désastre, laisse davantage les longs poils de son encolure remonter sur ses joues. Emmitouflé dans son manteau, chaussé et les yeux protégés ; s'ajoute à cela un bonnet offert par sa mère qui revêt soudain allure de cadeau précieux que l'on apprécie exagérément, parce qu'un jour elle l'eut porté et que tout devenait relique à partir de moment où cela fut le cas.
Il tremble un peu et ne parle pas, à l'entrée du camp regarde sans saluer ceux qui passent. Cherche peut être une âme connue, pour s'y raccrocher un bref instant ; à défaut reste seul.
Comme si un jour la solitude fut de mauvaise compagnie, hein.
On s'y habitue.
Et comme d'habitude, aussi... Il a froid. Et comme d'habitude, encore...  Il n'aime pas le Grand Nord, la glace, la neige.
Le blanc, partout.
Omniprésent.
Putain de chiant.

Il pense aux terres Etelkrus et aux couleurs de l'automne, qu'il ne voit passer que de loin. Il pense aux derniers rayons de soleil, celui d'été indien qui baigne encore ses terres avant que tout ne s'éteigne pour l'hiver.
Il pense à cette saison qu'il rate, au froid qu'il va devoir supporter longtemps.
Poursuite du silence.
Souffle par le nez, en guise de long soupir.
Et il relève la tête pour regarder le ciel.
Blanc, lui aussi.
Comme c'est surprenant.

Ses membres se regroupent un peu plus les uns contre les autres, dans un assis au carré qui prend des airs forts serrés. Même sa queue trouve place contre ses cuisses et se glissent entre ses pattes avants, comme si le bout aurait pu se glacer. Il aurait peut être eu courte queue, à cette suite. Comme celle de Pepper.
Obsession du moment, que de ne cesser de penser à elle. A tout ce qu'il veut gagner, à tout ce qu'il a peur de perdre, avec des mots qui lui deviennent nécessaires.
Parce qu'il ne veut pas qu'être soldat. Mais s'y renferme de plus en plus, à défaut de trouver autre chose rassurant.
Parce qu'il veut se libérer de sa propre mécanique et vivre des moments comme il en a connu, ceux qu'il pense avoir aimé. Jusqu'à gagner incertitude quant à leur propre existence, parce qu'ici ils n'existent plus. Parce que depuis le combat, il n'est plus aussi assuré de ses fondements.
Une seule petite couleuvre, pour maintenir l'ersatz de vivant qui guette encore au coin de ses commissures et au fond de l’œil étoilé.

Un frisson le fait froncer le sourcil.
Et des mots, pour qu'il relève enfin la tête.

Œil dans œil, il peut le regarder.
Il est beau, le regard crocodile.
Du vert qui éclate, enfin.

Désastre se redresse.
Avec lui... Oui, c'est facile. C'est presque s'il n'en serait pas plus à l'aise, en fait, de savoir où il doit planter cet œil restant. Celui qui n'a pas a hésiter entre eux, dans un incessant va et viens passant d'une pupille à une autre. Qui finit par choisir celui en miroir, mais qui ne cesse de surprendre la même gêne chez son interlocuteur, qui ne sait bien saisir le regard. Compliqué, de se regarder dans les yeux, de se jauger d'un regard.
Mais là...
Là, c'est simple. Efficace.
Et Désastre aimait, lorsque les choses étaient ainsi.

C'est pour ça, qu'il appréciait autant l’œil borgne du panseur que le regard aveugle de Pepper.
Parce qu'il pouvait, alors, se concentrer sur autre chose.

Se permettre de capter.
D'analyser.

Il quitte le regard et tombe d'abord sur les traits fatigués. Les cernes, qu'il est certain de ne pas toujours avoir vu. Il observe assez pour le savoir ; plus encore celui qui fut et était toujours son confrère, d'abord de mentor puis de rang. Parce qu'il le fréquente, souvent. Parce qu'il le connait, assez.
Pas le temps d'y réfléchir davantage, quand tombe les mots.
De second degré, qui se bute à l'esprit qui ne sait s'adapter qu'au premier.

« Mmh.»

Geler. Est-ce qu’il pourrait vraiment geler ?
Il a soudain un doute, Désastre. Il fait tout pour l’éviter. Mais ce n’est peut-être pas suffisant ; Saqqarah comme lui possède l’ingéniosité des panseurs et il a peut être oublié quelque chose d’important,  pour se préserver des gelures.
Puis il lui parle de gargouille.
Et Désastre, encore, ne comprend pas.

« Je ne peux pas faire la gargouille. Seulement...Le Serpent à Plumes. »

Il a dû le voir. Il doit le savoir. Il y a méprise et Désastre se doit de rétablir cette vérité.
Avant de reprendre, d'un ton égal.

« ...Ok. Pour la chasse. »

Le gris s’engouffra dans cette porte de sortie, aux allures sécuritaires.
Retrouve le regard usé en même temps qu'il se met en mouvement et recommence à lire sur lui ; flaire une piste qu'il suit machinalement sans décrocher du visage connu.

Il sait qu'il est Quetzalcóatl, il sait qu'il porte des plumes.
Et pourtant l'a appelé Gargouille.
Il le perd un peu plus, Saqqarah, fait afficher sur le visage de Désastre un soupçon d'incompréhension qui lui fait plisser l’œil. Il avait dû vouloir dire autre chose, c'était peut-être une expression. Faire la gargouille : rester immobile. Mmh. Il n'est pas bon, pour trouver les sens aux phrases qui pour lui ne peuvent en avoir ; parce qu'elles défient toute logique. Parce qu'il ne sait pas, pourquoi on donna un sens à ce qui n'en avait pas, pourquoi des mots assemblés les uns aux autres sans rapport trouvés une définition dans quelque chose d'absurde.
Il fonctionnait de manière logique, avec peu de place pour l'imaginaire. Il ne comprendrait jamais vraiment, et aurait toujours besoin qu'on l'éclaire. Jusqu'à ce qu'il les connaisse toutes, du moins, si cela était possible.
Saqqarah le sait, ça.
Qu'il doit lui expliquer, avec des mots simples.

Une oreille est dirigée vers lui et il capte ses paroles. Ah. C'était une taquinerie. C'est pour ça, qu'il n'avait pas compris. Il agite l'extrémité du membre évidée, comme pour en chasser une mouche ; ne réponds que d'un mot que le loup sans doute aurait pu deviner rien qu'à la façon dont il eu d'ouvrir la gueule.

« D'accord. »

A chacun son D'accord quotidien, amen.
On ne reviendra sur le fait que perpette ne faisait parti du vocabulaire désastreux du loup de gris et de rouge, mot dont il choisit de lire plus tard la définition.
Au moins le gris, l'autre gris, celui avec du bleu...semblait se satisfaire de cette chasse partagée. Et dans ce qu'il sait être favorable à l'extinction des maux de l'esprit, Désastre avait espoir que la course, comme avec Izykia, affecterait positivement celui qu'il pouvait il lui semble classer dans la catégories des amis.

Ses narines frémissent.
Comme le loup aux allures de crocodile, il perçoit le musc puissant.

Et à chaque fois qu'un ours se présentait à sa proximité, ne pouvait empêcher une pensée ténue pour Bamboo de lui parvenir.

Il n'en avait jamais combattu un, Désastre.
Avait seulement assisté à un combat aussi magistrale que fatidique. Louveteau face à la puissance d'une grosse dame au glowstick rouge déversée contre un ours brun, car c'est vers un ursidé que les garçons se dirigeaient maintenant.
Il s'en souvient, de la beauté de ses attaques, des griffes qui agressent et des crocs qui claquent. Autant que le corps qui, ensuite, chuta dans les montagnes par l'action des dragons noirs attirés comme des charognards par l'ours vaincu.
Autant que la fuite, et de la façon dont Pepper ce jour là fut sincèrement inquiète pour lui.
Il n'a jamais su, si ce souvenir était bon ou mauvais.
Il se partage dans un autre deux, souvent se rappelle à lui.

La question le détourne de la piste.

« Parce que tu es fatigué et presque malade. D'un mal de l'esprit, je sais. »

Sa langue claque contre ses crocs dans une vérité sans détour. Parce qu'il n'y a pas de compassion, chez lui ; juste des constatations qu'il n'a pas à cacher. Et Saqqarah doit le savoir, qu'il est fatigué et atteint d'un mal : il est panseur tout autant que lui l'est, bien que de spécialités ils n'ont pas les mêmes. Il l'avait vu œuvrer le mi-crocodile, bien mieux que lui sur les maladies et l'usage des plantes, quand Désastre se savait compétences plus poussés au soins des blessures du corps.
Qu'il se rassure.
Ce n'est pas lui qui serait capable de le prendre en pitié.

« Tant que tu te sens capable face à l'ours, c'est ok. Sinon, on chasse les pingouins. »

Il l'a fait, avec Alexandrine, et c'était un peu drôle.
Espère qu'il aurait conscience de ses limites, sous peine de devoir les combler pour lui. Lui était frais et vaillant, atteint que d'un mal léger que l'on nommait déprime passagère et qui n'aurait su dégrader sa condition.
Possiblement prêt à prendre en charge les faiblesses du mâle, s'il venait à en avoir au combat ; mais préférait lui conférer rôle égal au sien et choisir de ce fait proie adaptée à l'énergie dont il disposait.

Il guette, de l’œil rouge.
Attend d'être certain, avant de marcher sur les pas d'un prédateur ambitieux pour deux loups, mais dont l'assurance conférée par Quetzalcóatl permettait d'assurer au besoin toute victoire.

Un soupir, énième murmure qui filtre ses babines sans former un mot. Un soupir, qui peut traduire un agacement, un sentiment de lassitude, une résignation ou bien... Trop de choses, qu'aujourd'hui il décide d'ignorer, une abstraction volontaire pour ne pas se laisser distraire. Il y a cette phrase qui s'ajoute à cette suite, après tout, celle qui s'accapare d'une plus grande partie de son attention, qui active ses synapses et fait d'un ersatz gonfler son poil alors que se redresse le port de sa tête. Là, un peu plus haut, alignant son œil à celui de Saqqarah.
Je pourrais croire que tu t'inquiètes pour moi.

« Les amis font ça. »

La réponse tombe sans une seconde entre la fin de ses mots et le début des siens.
Il croit, lui aussi.
Que c'est ce que doivent éprouver les amis, les uns pour les autres. L'expérience lui amène le fait que ce n'est pas une mauvaise chose : les maux de l'esprit, certains, se combattent mieux grâce à ça, pour l'inquiétude qu'on se voit témoigner. Il le sait, il l'a un peu vécu, quand les ombres sont chassés par les mots d'un ami. Sensation (ou sentiment ?), alors étrange, que ce qui survient après dissipation du brouillard qui bourdonne dans la tête et derrière l’orbite vide.
Aussi, en tant que panseur désireux de mener lutte réussie contre eux, mais aussi en tant qu'ami, est-il en droit de poser cet état sur ce qu'il ressent, quand dans la banque de données il extrait la précédente image et qu'il perçoit le changement des traits, des yeux fatiguées, des lèvres qui tombent et du poil sans éclat. C'est comme une étincelle, devant la constatation. Quelque chose qui crépite, au fond d'une pupille qui se rétracte comme si soudain le soleil venait la frapper (celui qui sort de derrière les montagnes et se réverbèrent sur la glace, il le déteste).
Ça doit être ça, l'inquiétude.
Ou la façon dont lui la vit.

Non ?

Il y a maintenant un sourie, sur ses babines, quand le loup à l’œil crocodile penche vers lui la tête. Il porte une assurance et Désastre fait confiance, parce que Désastre croit et jamais ne pense aux mensonges. Tout comme on lui apprit à connaître ses limites, il offrait même maîtrise à autrui, ne contesterait aucun de ses mots et pour une sempiternelle fois, se permettrait un

« D'accord. »

Et d'un œil et du sien, de devenir un regard commun sur la piste de l'ursidé.
Ses épaules roulent et ses muscles se gonflent sous l'action qui leur est incombée, le mécanisme de ses allures se met en route et impeccable devient machine. D'un mouvement souple et d'une foulée agile, il appose à peine ses coussinets contre le froid du sol, pas aérien autant que félin. Ses narines frémissent.
Parfois, il recroise le vert reptilien.
C'est un accord qui les lit, il le sait. Il s'est beaucoup battu, il a beaucoup chassé avec d'autres. Il reconnait les intentions, et l'attention de travailler en collaboration.
Solitaire et discret, il n'en restait pas moins loup de meute.
Apte à former une équipe, entrainé pour.

Ses aptitudes se déploient, il surveillera l'angle mort de la demi-vue du compagnon, comptera sur lui pour en faire de même.
Son positionnement même est réfléchit, pour déjà en déplacement couvrir celui-ci.

Et les voilà, là !
Prêt de l'ours blanc, face au vent.
Son échine s'abaisse, Désastre guette et avec Saqqarah entoure l'adversaire. Et soudain le bond éclate, crocs et griffes en canon s'effondrent sur l'endormi. Devant lui, ils ont tout de faibles : si petits, si légers, face à l'ursidé. Mais ils ont intelligence autre, qu'est celle de viser les points qui plus que d'autres menacent l’équilibre, font sortir en un jet le sang. Artères déchirées, articulation abimée pour que s'écroule l'adversaire.
Analyse de l'amplitude de ses mouvements, pour réfléchir à cet emplacement qui les rendrait invulnérable. Là, insoumis aux griffes de l'ours, à sa mâchoire féroce et aux yeux noirs comme les nuits d'ici.

Dans la mêlée Désastre se jette avec intelligence plus que force, atteint sans se faire atteindre, sent parfois les armes du polaire le frôler et le griffer sans le blesser grièvement. Quelques perles rouges, qui se perdent dans le noir du poil sans arriver à se mêler aux flaques de rouge.
Il veille à Saqqarah, va là où il n'est pas.
Profite quand il obtient l'attention de l'ours, attire celui-ci quand trop il l'obtient. Échange permanent, qui permet les derniers coups.

Enfin, il git au sol.

Et lui, essoufflé, l'aidera sans doute à dépecer l'animal. De sang, se salir pour l'ami.
Le goût de fer dans la bouche, lui laisser la peau de l'ours qu'ils avaient gagnés, quand une autre lutte peut-être trouverait aussi sa victoire.