Amitiés brisées - Pepper

Elle savait qu'Alexandrine n'avait pas dormi, cette nuit là.
Et que c'était de sa faute.

Sa tristesse s'était répandue comme une traînée de poudre et, ce matin, elle n'allait toujours pas très bien, Holly, en quittant le Castel pour aller chasser. Elle pensait encore beaucoup à ce qu'il s'était passé la veille. Aux paroles de Méridor, aux sentiments qu'il lui avait avoué ressentir pour elle.. Et qu'elle avait peut-être un jour ressenti pour lui. Mais à Alex, surtout, à ce couple qu'elle ne souhaitait, pour rien au monde, voir s'effondrer.
C'était leur premier coup dur et, bordel, ça n'y allait pas de patte morte.

Comme elle regrettait d'en avoir parlé. Mais, en même temps, aurait-il fallu tout cacher, pour préserver la louve aimée ? Elle n'était, très honnêtement, pas fan de ce genre de procédé, et craignant aussi qu'Alex finisse par l'apprendre d'une façon ou d'une autre et se sente trahie par le secret gardé. Comme si elle avait quelque chose à se reprocher, sur ses échanges avec Méridor.
Ce qui n'était pas le cas. Elle se savait fidèle et ne souhaitait déroger à cette règle sacrée.

Finalement, elle avait beaucoup plus pensé à Alexandrine qu'à Méridor, ce matin là.

Après lui, elle était toujours en colère, se sentait toujours trahie par son attitude, son indécision, ses paroles... Alors qu'il avait été bien accueilli, chez les Etelkrus. Alors qu'elle avait, elle-même, donné de son temps pour l'entraîner. Alors qu'elle se serait dressée entre lui et quiconque osant porter le moindre propos raciste sur sa personne.
Par ce qu'il avait été précieux. Par ce qu'il avait été son ami.

Elle pleura un peu, profitant d'être seule à chasser pour le faire. Ca faisait du bien, un peu, de pouvoir extérioriser tout ça, même si ça ne l'aiderait pas à prouver, et c'était ce qu'elle souhaitait faire, à Alexandrine qu'elle l'aimait elle et qu'elle ne voulait risquer la vie de leur couple pour l'armure dorée d'un trou du cul indécis.

Ouais, c'était tout ce qu'il était, un trou du cul indécis. Elle avait vraiment les nerfs contre lui et lui souhaitait de bien se faire chier dans sa forêt de merde, et rejeter par toute sa famille et...
C'était méchant, mais ça faisait du bien, ça aussi.

Holly finit par rentrer au Castel, deux beaux lapins dans la gueule. Son regard bleu s'arrêta sur la silhouette à la teinte similaire d'une louve fort appréciée.

- Alpha Pepper.

Elle lui sourit.

- Je me dois de vous informer que Sire Méridor ne reviendra pas.

Il préfère ses bois pourris à notre super meute. C'est ouf, ça, non ?

Oui.
Oui, cela la touchait plus que cela le devrait.
Oui, elle n'aurait rien du ressentir d'autre que de la colère et du mépris, face à son comportement, face à ce qui était ressenti par une trahison. Mais c'était plus compliqué que cela, par ce que Méridor avait été important, par ce que Méridor avait été un ami, par ce qu'il lui avait fait une promesse qu'elle ne l'avait jamais pensé capable de rompre.
Elle ne choisissait pas d'avoir la gorge et le cœur qui se serraient à la simple évocation de cette histoire, tant il lui manquait encore et, qu'honnêtement, elle n'arrivait pas à accepter les évènements. Pas pour le moment. Et évidemment, cela l'importunait, d'être à nouveau pleine d'affect.

Elle aurait aimé être une guerrière forte qui jamais ne ploie. C'était un objectif qu'elle pensait avoir atteint, avant ce jour.
Pourtant, la peur de l'abandon subsistait.

Holly suivit la petite louve bleue sur le toit, adaptant son pas au sien. Ce n'était jamais chose aisée : Elle avait l'habitude de longues foulées souples. Et puisque la plupart de ses fréquentations régulières s'avéraient être des individus plutôt grands, à croire que c'était là un trait récurrent chez les Etelkrus, elle n'avait jamais eu à modifier son allure pour ne pas distancer. Mais Pepper était petite et ses pattes ne pouvaient aller aussi loin que les siennes.
Sur la roche, cependant, lorsqu'il s'agissait de grimper, de se hisser, elles étaient égales et leur différence de taille s'effaçait pour mettre en valeur la similarité de leurs compétences en agilité.
Elles se ressemblaient tant, malgré leurs différences.

Et tu étais, pour elle, bien plus qu'une mère, Pepper. Plus qu'une mère, lorsque la sienne n'avait jamais été capable de l'aimer alors que toi, toujours demeurait présente, prête à dispenser conseils et enseignement.

Le bleu de ses yeux accrocha celui du ciel.
Dans sa voix, l'amertume.

- Il m'a trahie.

Elle cilla.

- Il a promis et je lui ai offert mon temps, ma confiance et une place dans mon cœur.

Du temps pour le soutenir, lors du conseil d'admission. Du temps pour l'entraîner, lorsqu'il avait exprimé le souhait de devenir plus fort. Du temps pour lui confectionner une cape, afin qu'il puisse partir au Nord. Du temps passé à l'aider à reconstruire ses terres.
Du temps gâché.

Et lui, que lui avait-il offert, à part cette pauvre promesse bafouée ?
Une déclaration d'amour pour la perdre davantage, dans cet instant qui ne s'y prêtait pas.

Ses babines tremblèrent. Son échine se gonfla.

- Il est parti après avoir craché sur nos valeurs et ce que nous sommes.

En insultant les Etelkrus, il l'avait insultée.
Un autre ne serait peut-être pas parti indemne, après de telles paroles. Après de tels mensonges, après une comédie si minable, du pauvre petit loup martyrisé par ce qu'il était solitaire. Mais le savait-il seulement, Méridor, que la Conseillère se serait érigée en un mur solide entre lui et toute médisance ?
Par ce qu'il avait été précieux.
Par ce qu'elle l'avait aimé.

- Comment faire confiance, lorsque l'on a été trahie ?

De par son éducation, elle était méfiante envers les solitaires, Holly.
Et désormais, Méridor venait s'ajouter sur le haut de la pile. La preuve vivante du bien fondé de cette méfiance.
Un avertissement, peut-être.

Aveuglée par le chagrin et la colère, Holly en avait oublié l'essentiel : l'objectivité.
Elle l'aurait jugé impardonnable démon, Méridor, et se serait trouvée bien trop sotte pour savoir qui, de ces loups, lui voulait du bien et qui profiterait d'elle avant de la lâcher. Elle savait, cependant, que cette confiance offerte deviendrait moins accessible, pour ceux qui n'étaient pas déjà dans son cercle proche et qu'elle devrait, désormais, se méfier d'un trop joli minois qui lui promettrait, d'un langage chevaleresque, monts et merveilles.
Car c'était ce qu'il avait fait et elle lui avait donné Dairo sans confession, sans douter ne serait-ce qu'un n'instant qu'il pouvait, très bien, ne pas être aussi gentil que ce qu'il voulait bien lui montrer. Qu'il avait peut-être d'autres idées, derrière la tête, qu'il se gardait bien de partager avec ceux qui n'étaient pas de son sang.

Elle était furieuse contre le mâle indécis qui n'avait pas été en mesure de tenir sa promesse, sous prétexte de grands sentiments à son égard. Mais le jeune loup rougissant et gentil rencontré au gouffre, celui qui lui avouait souffrir de la solitude, lui manquait tellement.
Elle avait espéré lui offrir quelque chose, le rendre, heureux, mais avait désormais le sentiment que cette mission qu'elle s'était donnée ne pourrait être remplie. Pas tant qu'il serait indécis, pas tant qu'il l'aimerait alors qu'elle en aimait une autre.

Il avait été important et l'était toujours, malgré tout. Assez pour faire couler les larmes, la nuit et lorsqu'elle était seule.

Ce n'était pas pour ça qu'elle serait capable de le pardonner. Pas tout de suite, du moins. Pas si il ne réfléchissait pas, sur sa décision, pour faire machine arrière. Ses mots, restaient en elle, cette violence, ces critiques contre cette meute qui comptait tant, cette meute pour laquelle elle vivait.
Reviendrait-il, d'ailleurs ? Avait-elle le droit d'espérer un retour de sa part, malgré la trahison ? N'était-ce pas, là, faire preuve de faiblesse ?

Regrettait-il seulement ses choix ?
Lui manquait-elle comme il lui manquait, lui ?

A la révélation faite, elle cilla.

- Je l'ignorais.

Comme quoi, même les personnes les plus respectables pouvaient blesser les loups aimés.
Et elle, blessait-elle Alex, en accordant tant d'importance à celui qui n'était plus des leurs ?

- J'ai conscience que l'affect nuit beaucoup à ma perception des évènements. J'agis et pense avec le cœur plus qu'avec la raison.

Et donc, peut-être les dramatisait-elle quelque peu, ces évènements. C'était ce que sa douce avait essayé, la veille, de lui faire comprendre.

- Merci Pepper. Une fois de plus, vous avez été ma lumière.

Celle qui éclaire les chemins trop sombres où l'on se perd, pour montrer la bonne voie à suivre. Ou au moins donner les informations suffisantes pour faire ses propres choix.
Elle poussa vers l'Alpha l'un des deux lapins chassés, alors gardé vers elle le temps de vider son sac, par ce qu'elle n'y avait plus pensé.

Les yeux plissés, éblouie par le soleil, elle se permit une question, plus légère, un peu plus apaisée.

- Quel genre de jeune louve étiez vous ?

Elle n'avait jamais rien connu d'autre que cette louve bleue solennelle mais, petit à petit, pour les confessions faites lors de leurs échanges, imaginait autre chose.

Une confession faite, preuve de la confiance que son Alpha voulait bien lui accorder. Ce n'était pas quelque chose dont on parlait à un inconnu, la trahison. Par ce que c'était dévoiler une part de soi-même qu'il était, souvent, difficile d'accepter : Le fait que l'on puisse se tromper, blesser, tromper.
Une confidence dont la Conseillère ne pouvait qu'être honorée. De même pour ce qui était d'avoir telle étoile au dessus d'elle, de ne pas être abandonnée là, sans repères, faute d'avoir une mère aimante. Elle avait conscience des erreurs et des maladresses qu'elle pouvait parfois commettre, Holly, dans ce manque d'encadrement et d'entourage subi dès la petite enfance. Que sera-t-elle alors, sans Pepper ? Sans ces loups qui, sans partager son sang, avaient, un jour, eu une parole, un sourire, pour la mettre sur le bon chemin.

Sans eux, elle ne serait plus qu'un souvenir, une louve détruite, hantée par un deuil qui ne se serait jamais fait et qui n'aurait trouvé d'autre solution que celle qui consistait à se jeter d'une haute falaise pour éteindre cette douleur qui l'avait, jadis, consumée. Elle pouvait être heureuse, en jetant un regard par dessus son épaule, du chemin accompli. De voir que tous ses efforts, en plus des pattes tendues, avaient payées.
Que son amour pour les Etelkrus l'avaient aussi sauvée.

Aujourd'hui, grâce à eux, elle parvenait à rester droite, à regarder vers l'avenir, à y placer des rêves et des objectifs. Holly souhaitait continuer de servir les Etelkrus et, chose dont elle n'avait parlé à personne, espérait enfanter un jour. Pas trop tard, pour avoir le plaisir de voir ses enfants grandir et faire un beau doigt d'honneur à ce destin qui, si tôt dans sa vie, avait tenté de la faire couler.

Et Pepper s'était aussi jouée du Destin, en quelque sorte, apparaissant là où l'on ne l'aurait certainement pas attendue. Qui donc pourrait voir, en une enfant turbulente et bruyante, une future meneuse calme et fière ? C'était comme imaginer Alex ainsi, un jour, une chose qui lui paraissait impossible, tant sa douce était vivante.

- Ca alors, j'étais bien loin de vous imaginer ainsi. Je crois que je vous ai toujours imaginée comme vous l'êtes aujourd'hui.

C'était rassurant, de savoir que l'on pouvait faire des bêtises et bien s'en sortir.
Elle vint toucher du museau l'épaule de Pepper, mouvement qui se voulait réconfortant face à cette tristesse, cette amertume qu'elle pouvait percevoir.
Elle fronça le museau, les yeux brillants.

- Vous pouvez être fière de ce que vous êtes devenues et confiante pour ce que vous serez. Vous vous en sortirez toujours avec brio.

Sourire, franc.

- Et tant que je serai debout, je resterai à vos côtés.