Extrait de la petite lettre en feu ✩ Eva

Quelques étincelles dans la nuit, quelques braises qui ne veulent s'éteindre et teintent les étoiles de mille lueurs de feu et de sang. Deux mondes qui se confondent, opposés et complémentaires, une vue d'immensité et d'infini qui donne à Eva l'impression de n'être qu'une puce sur le dos d'un chien. Une louve, sur le sol ferme de la réalité. Elle ferme les yeux et inspire à plein poumons les fragrances de la nuit.

Elle a du mal à se remettre de tout ça. Pendant un temps, tout s'était passé tranquillement. Sa petite vie avait passé, ses premiers enfants (!!) avaient grandi, dans la douceur et dans le bruit. L'été avait été doux, malgré les prémices des monstres du nord, malgré les mammouths et les préparations. Ils avaient formé alliance, avec les Etelkrus. Les âmes s'étaient rapprochées, des liens s'étaient noués.

Puis était venu le monstre, celui qui avait croqué une patte à son meilleur ami.

Puis était venue l'exploration, celle qui l'avait ramenée changée.

Puis était venue l'annonce, de son frère et du grand nord, qui encore aujourd'hui lui serrait le coeur.

Puis était venue l'annonce, de sa maternité, et le coeur qu'elle avait de ce fait brisé.

D'illusions en désillusions.

Alors aujourd'hui, dans la nuit, elle observait les pointes rouges strier le noir, en s'approchant à pas lents. La silhouette de Sobieski se dévoila bientôt, penché en avant, faisant son deuil, un deuil qu'il n'aurait pas du avoir à faire. Elle entra dans le cercle de lumière, observant le fin parchemin n'être plus que cendres. Offrant à la nuit des mots jamais dit, des mots trop longtemps retenus et qui à Yurai seule se trouvaient adressés aujourd'hui.

Eva s'assit près de son ami, de biais, de sorte à ne pas avoir le feu entre eux deux mais sans non plus lui imposer une proximité dévorante. Elle ouvrit sans mot dire sa besace de cuir et en sortir l'énorme hand pan qu'elle avait confectionné avec l'aide de Fergus. Elle le cala devant elle et posa ses pattes dessus, s'abandonnant un instant au silence.

Puis elle tapa d'une patte sur l'instrument, qui lâcha un son clair entre les crépitements du feu.

Un second suivit.



Un troisième, un quatrième et toute une mélodie qui s'arracha doucement à l'instrument à l'écoute onirique. Eva laisse les accords s'installer, amener une routine, et enfin y allia une voix douce. Elle n'a pas le chant merveilleux, Eva. Mais elle chante avec le coeur, et ses notes sont justes.

Keep me here, my heart is near

Elle chante, l'intro, le refrain, les reprises.

Speak to me

Elle chante, d'une voix qui prend doucement de l'ampleur, de notes qui ne désemplissent pas, elle chante et sa voix parfois tremble alors qu'elle s'efforce de chasser les larmes qui malgré elle lui viennent, alors qu'elle sent son ventre son estomac se serrer, elle chante.

Elle chante pour lui, car c'est tout ce qu'elle a à lui offrir à cet instant, elle chante.

Et lorsqu'elle a fini de chanter, lorsque les paroles s'arrêtent, lorsque la mélodie seule prend le relais, elle infléchit les notes. Les accords ont beau être toujours en mineur, ils se suivent de façon plus énergique et surtout plus joyeuse, alors qu'elle reprend la parole.



Give a little time for the child within you

Elle sourit, timidement. Elle veut sourire, elle veut lui sourire et surtout elle veut qu'il sourie avec elle, elle veut qu'ils rient ensemble, elle ne souhaite que ça, un rayon de soleil dans la nuit sombre. Qu'il reste son ami, celui qu'il est, qu'il n'a jamais cessé d'être, celui qu'elle a peur de perdre.

Run down the beach kicking clouds of sands
Stop and listen : Love you

Les notes s'égrennent dans la nuit noire, de ses pattes qui heurtent le métal et en tirent des tons clairs et scintillants qui s'entremêlent avec la fumée blanche et s'élèvent aux étoiles ensemble pour s'y noyer.

Je suis désolée, Bibi. Je t'aime, d'accord ?

Elle jette de subtils coups d'oeil à Sobieski, mais la plupart du temps son regard est focalisé sur la fumée qui s'élève dans la nuit noir en direction des étoiles. Lorsque son ami se joint à elle pour la seconde partie, pour les notes plus joyeuses et éclatantes. Les notes pour demain. La voix de Bibi est baume pour son coeur, le seul dont elle ait besoin à cet instant.
Lorsqu'arrive la fin de la mélodie, le silence se fait. Eva ne le brise pas, elle prend le temps d'inspirer à pleins poumons, fermer à demi les yeux, profiter de l'instant, ces dernières soirées supportables avant que vienne le gros de l'hiver.

Puis elle abandonne l'instrument pour se rapprocher du loup étoilé, s'assoit à côté de lui et ouvre une aile pour le recouvrir et l'inviter auprès d'elle, glisser son museau dans son cou, exprimer d'une autre façon tout ce qu'elle ressent pour lui, tout ce qu'elle a toujours peur de perdre. Ce qu'elle a peur de briser, en permanence.

Elle ne dit rien, car rien n'a besoin d'être dit.

Elle relève la tête et aperçoit une autre silhouette amie, à proximité. Nocera, jumelle de son jumeau, attentive.

Eva l'invite en ouvrant à demi son autre aile - à moins qu'elle ne préfère se glisser auprès de son frère.