La traque - Alexandrine, Désastre, Tawana, Meshret.

La fureur qui s’abattit sur eux fut déchainement grandiose de la puissance du monstre, la queue s’abattant tant et si bien sur leur groupe qu’elle n’en manqua presque personne. En abima certains bien plus que d’autres.
Si elle-même se savait bien atteinte, la force des coups balaya Meshret et Tawana plus violemment encore, lui faisant serrer les crocs. Elle avait senti la présence d’Axie suffisamment en forme our la rejoindre vivement, entendu les mots de Dez, s’était apprêtée à lui répondre ; mais la scène catalysait soudain toute son attention et avait suspendu le temps comme elle mit sa voix en pause. Pour eux qui s’étaient placés vers la piste à remonter alors que le reste de leurs camarades était séparé de leur position par un monstre qui ne voulait pas les lâcher.
Les iris figés de la louve détachaient chaque mouvement comme un film lancé au ralenti. Ses mâchoires et le reste de son corps étaient crispés dans une tension douloureuse.
De savoir quel serait le dénouement de cette scène d’angoisse où ses amis étaient en proie à créature plus forte qu’eux.

Une pause, un soupir dans la partition infernale. Sa poitrine se gonfla alors qu’elle s’apprêta à reprendre le fil déroulé sur une trajectoire chaotique pour laisser Dez les mener, pour rassembler sa troupe et la lancer dans un même mouvement avant que le dinosaure ne se jette sur eux de nouveau. Mais n’en eut pas le temps.
Que déjà sa presque jumelle, tant elles étaient fusionnelles, se jetait de l’avant.

Un glapissement étranglé s’échappa pour seule réponse, son encolure se tendit et ses mâchoires claquèrent faiblement dans l’air là où elle tenta de les refermer sur un bout d’aile ou de queue, quelque chose pour retenir sa soeur à ses côtés, avec les autres, pour qu’ils restent ensemble.
Et que personne n’aille se jeter en pâture au monstre. Ils n’en avaient pas le droit.
Mais elle était déjà partie, si vive ; et les pupilles étrécies par la peur ne purent que suivre la glorieuse métamorphose de celle dont ne pouvait douter de l’affiliation d’Aka.
Elle était si brillante, et son coeur battait si fort.

Mais elle n’avait pas le droit de l’en empêcher malgré la peur qui vrillait sa poitrine comme un choc électrique.  Elle n’avait pas le droit de douter, tout comme elle s’était mise en avant face au Monstre des Glaces pour faire ce qui lui semblait bon.
Axie s’en sortirait, comme elle s’en était toujours sortie.
Anita entendit à peine les mots de Tawana, encore trop focalisée sur les mouvements de la louve devenue dragonne, mais commença à reculer doucement en accordant un lent hochement de tête à Dez. Prends la tête, guide nous.

Mais nouvel éclair vint la frapper quand le dinosaure se prit au jeu et d’un claquement de mâchoire qui résonna comme bien trop familier chez elle vint attraper l’une des ailes rougeoyantes.
Le choc des crocs immenses qui déchirèrent l’atmosphère pour se refermer sur sa soeur la fit frissonner jusqu’au plus profond de ses os, ravivant la douleur le long de ses flancs, laissant le feu courir ses cicatrices.
Et l’incongru duo ainsi formé de sa soeur prisonnière et du monstre rapide fonça vers eux. Pour simplement les ignorer et s’engouffrer à fond de train dans le tunnel qu’ils voulaient emprunter la seconde d’avant.

Ses babines se plissent sur un rictus presque mauvais quand le feu se répandit pour ne plus la paralyser mais lui donner la force en même temps qu’elle se dit bien, très bien ! S’il voulait montrer la route de lui-même pour les laisser devenir chasseurs à ses trousses, ça lui allait.
Oubliées ses douleurs - s’il n’y avait pas eu le sifflement de son ami pour la rappeler à la nécessité de faire les choses dans l’ordre, Anita n’aurait pas hésité à poursuivre la lourde foulée du prédateur. Il ne lui enlèverait pas sa soeur comme il avait enlevé Solelio. Elle ne le laisserait pas l’emporter loin d’elle en perdant de nouveau la trace.
Trace qu’elle n’avait cependant pas oublier de marquer.
C’est presque un rire qui vint la faire trembler quand elle remarqua les traces jaunes s’inscrire au sol, l’odeur se nicher dans leurs truffes alors que Dez piquait déjà sa peau et ses plaies.
Ses griffes fouillèrent le sol avec impatience, sa longue queue claqua dans les airs. Ses pupilles étaient verrouillées sur la voie à suivre, les muscles chauds et tendus. Elle n’attendait que le signal pour s’élancer.
Les moteurs ronronnaient et vibraient sous le capot, prêts à brûler tout le carburant dont elle disposait.

La fatigue s’était éclipsée et elle faisait confiance aux sutures de son ami et à l’excellence de ses soins pour soutenir l’effort qu’elle ferait subir à son corps.
Elle tiendrait, et plus que ça encore. Elle réussirait.

Enfin fusa l’autorisation.
D’une étincelle de lucidité encore présente avant qu’elle ne s’offre toute entière à l’exaltation de la course elle jeta un dernier regard à ses trois compagnons pour leur aboyer une dernière commande.

— Ne vous séparez pas.

Ne laissez personne s’en prendre à vous. On se retrouve un peu plus loin.

Et les ailes qui s’étaient déjà à moitié étendues claquèrent pour se faire impulsion en même temps qu’elle relâcha toute l’énergie accumulée dans ses postérieurs galbés.
Dans son sillage, seule demeura une projection de poudreuse et la louve devenue foudre disparue dans le tunnel.

Ses griffes lacéraient la roche et la glace, le bout de ses ailes traçait des lignes le long du tunnel parfois si étroit qu’elle en éraflait ses membranes à vouloir trop les étendre.
Mais Anita n’y prenait pas garde. L’essentiel était de se propulser en avant, toujours plus loin, toujours plus vite. Si un monstre de cette taille avait pu cavaler dans ces boyaux glacés et étroits, cela ne saurait être un problème pour sa carrure à elle.
Pourtant...
Pourtant il avait pris de l’avance. Trop d’avance. Elle sentait toujours les vibrations de ses pas lourds faire trembler le sol et les parois, mais elle ne parvenait pas à suffisamment s’approcher.
Elle perdait trop de temps à hésiter parfois sur un embranchement, quand elle devait déployer concentration plutôt que vitesse à vérifier qu’elle suivait toujours la bonne piste dans ce labyrinthe.
Et à chaque seconde ainsi perdue ses crocs se serraient davantage, alors que s’ancrait en elle la réalisation frustrante qu’elle ne pourrait désormais le rattraper sans abandonner définitivement ses coéquipiers.

Ses foulées ralentirent, les ailes se replièrent. Quand elle cessa complètement de bouger, la cacophonie de la poursuite retomba - ne restaient plus que les échos distants de quelques gouttes chutant des stalactites, quelques cailloux dérangés par l’agitation se mettant à dévaler les flancs de glace, et la profonde et lointaine pulsation d’une course qui s’éloignait.
Son coeur se serra, ses babines se plissèrent.

Un rare geste d’humeur l’emporta sur elle et la louve griffa rageusement le sol avant de se contraindre à faire demi-tour. Avant d’hésiter davantage et de changer à nouveau d’avis.
Aurait-elle un jour pensé devoir renoncer à aider sa soeur dans un tel moment ? Devoir taire son envie la plus profonde, ne pas s’adonner à quelque chose qu’elle voulait faire pour donner priorité à un devoir érigé en maître par la raison ?
C’était la deuxième fois en peu de temps.

Elle remonta le chemin qu’elle avait emprunté à vive allure mais sans l’entrain furieux qui l’avait animée à l’aller.
Pour autant il ne faudrait pas tarder à reprendre la suite de la piste, une fois que toute la troupe pourrait à nouveau avancer. Chaque minute continuait de compter. Pour Axie encore plus que pour Solelio, maintenant.
Elle les retrouva non loin de l’endroit où elle les avait abandonnés. Ils étaient encore tous ensemble et plus en forme que précédemment, s’entraidant pour se remettre sur patte et progresser, et cette vision rassurante ramena une étincelle de chaleur et de vigueur en son coeur ainsi qu’un léger sourire sur ses babines.

— Je n’ai pas pu continuer sans prendre le risque de vous perdre... Allons-y ensemble. Il est parti loin. Il faut progresser vite mais sans s’épuiser. On sait pas ce qui nous attend... Ensuite.

Ses traits se durcirent.
Si le combat devenait inévitable pour récupérer la prisonnière, il en serait ainsi.
Elle jeta un regard soucieux à Meshret et Tawana. Ils avaient été rafistolés tout comme elle, mais les blessures demeuraient. Mais la louve gardait espoir, faisait confiance en leur résilience et leurs capacités, ainsi que dans le soutien que Dez pouvait apporter.
Un hochement de tête, comme pour se convaincre elle-même - et encore une fois, elle fit volte-face pour s’enfoncer de nouveau dans les tunnels, les yeux plissés par la détermination.

Ensemble, ils viendraient au bout de cette piste.

- Dé Réussite END-