Saison des Typhons [Ajani]

Le soleil s'approchait de plus en plus de la fin de sa course journalière, d'ici un quart d'heure, dix minutes, il aurait disparu. Déjà Limule sentait les picotements du changement agressés sa peau tandis qu'il lui semblait entendre au fond d'elle les ricanement du démon, elle qui chaque nuit maintenant, était marqué de sa trop grande exposition à leur présence. La louve blanche avait l'impression que chaque jour, elle reculait d'un pas pour s'éloigner de son statut de loup, c'était sans doute le cas. Est-ce que ça en valait la peine ? Elle ne le savait pas encore mais l'espérait.

Limule était assise sur la plage de cette île qui n'était pas la sienne, ignorant derrière elle le bruit de la jungle, fixant l'horizon, observant le soleil décroître. La nuit venait, étendant son ciel sombre tandis que doucement l'ombre des démons noircissait son pelage. D'ici quelques minutes, elle n'aurait plus grand chose du loup lambda parmi les siens, ressemblerait bien plus à un spectre d'une île fantôme, celui d'elle même peut-être.
Ce n'était pas pour cela qu'elle ne tenta pas de rentrer pourtant, même pour un Raeders, l'Océan la nuit pouvait être mortel, surtout lorsque se levait le vent. Ce n'est pas tant le soleil qu'elle regarde que la tempête qui se prépare, elle aussi, elle serait bientôt là. Limule attendait la nuit, simplement pour se reposer, un instant, avant de ramasser le poisson fraîchement pêcher qui attendait à ses pattes et partir chercher un abri.

Il s'était aventuré bien plus loin que d'ordinaire. Haute silhouette blanche dans le paysage gris et orangé de l'automne, l'Oracle Nakhu avançait à larges et lourdes foulées. Son regard clair allait et venait dans ces paysages à demi-familiers, tandis qu'il sentait peu à peu le vent se charger des odeurs de la mer. Un moment encore, et il parviendrait sur la côte. Le soleil était bas dans le ciel, mais il ne craignait pas de revenir de nuit. Bien au contraire, c'était dans la journée que ses camarades Nakhus avaient le plus besoin de lui, et lorsque l'astre lunaire se levait venait le calme et les moments qui n'étaient consacrés qu'à lui. Cette fois-ci, il avait laissé le Sanctuaire sous bonne garde en prévenant qu'il se rendait à l'Atoll Tropical. C'était là que devait avoir lieu la réunion des meutes, et une petite reconnaissance de l'endroit ne ferait pas de mal.

Il avait cependant au fond de lui l'espoir de croiser quelque pirate - voire même une pirate en particulier - aux abords de l'Océan, afin de s'assurer que tout allait bien pour eux. La venue des monstres du nord était quelque-chose de terrible pour ceux du continent, même si, comme l'avait souligné sa jumelle lors de leur entrevue, les Raeders ne s'impliqueraient pas dans cette guerre-là. Cependant, il se sentait le devoir de les prévenir qu'une bataille avait eu lieu contre une créature venant des abysses. Ils s'en étaient sortis par la force du nombre, grâce à l'alliance des Nakhus et des Etelkrus dans ce combat, mais il n'osait imaginer ce qu'il serait advenu si le monstre avait pointé le bout de son nez près de son île natale. Cette pensée n'avait cessé de tourner et retourner dans esprit jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus et s'en aille dans cette solitaire expédition. Et son souhait allait être plus qu'exaucé.

Il dirigea ses patte svers l'Atoll, comme il était convenu, et après avoir traversé le bras de mer le éparant de l'île de quelques brasses musclées, prit le grand trot pour en longer la côte. Une jungle épaisse la recouvrait, pas endroit, laissant toutefois des clairières et des zones dégagées qui seraient tout à fait adaptées pour une réunion. Il repéra, non loin du centre de l'Atoll, en endroit où de larges pierres émergeaient du sol moussu. Là, ce serait très bien. Ils auraient une vue plutôt dégagée sur le continent tout en étant isolé de ce dernier. Un lieu de trêve idéal.

Il inspecta encore quelques instants l'endroit en silence. Puis alors qu'il allait rebrousser chemin, le vent tourna légèrement, capricieux, lui portant pendant un bref instant une odeur familière. Il se figea dans son geste et redressa lentement la tête, le museau frémissant. Une seconde plus tard, il s'était remis en marche. Mais dans la direction complètement opposée à celle qu'il pensait prendre juste avant, suivant une piste qui était tout d'abord floue, puis qui devint de plus en plus nette. Limule. La lumière autour de son cou pulsa de la joie et du soulagement qu'il avait à la savoir dans les environs. Cela signifiait qu'elle était toujours en vie, ce qui était déjà une chose rassurante. Il finit par parvenir à l'endroit où l'odeur était la plus forte, et son regard tomba sur cette silhouette si familière.

Au même instant, un flash assombrit son champ de vision. Des créatures noires comme l'encre, des yeux, des voix déformées qui hurlaient dans son oreille recouvrirent soudain la réalité, alors qu'il se sentait comme prisonnier. Une chape de tristesse, de détresse, de désespoir s'abattit sur son esprit, en même temps que l'odeur du sel emplissait ses narines. Il sentit son échine se hérisser et ses babines frémir, tandis que de son glowstick jaillissait une aura bien plus sombre que tout ce dont il avait l'habitude. Sa gorge serrée ne pouvait plus parler, ses pupilles s'étaient dilatée sous la puissance de ces sombres émotions qui l'emplissaient à en déborder. Jamais il ne s'était sentit si proche du gouffre, si viscéralement malheureux, et ça le prenait aux tripes avec une violence inattendue. Il laissa échapper un grondement presque douloureux en secouant la tête. Lorsqu'il ouvrit les paupières, tout avait disparu. Tout, sauf cette silhouette claire devant lui, qu'il voyait désormais chargée d'ombre et de tristesse.

"... Limule ?" Jappa-t-il, la voix un peu rauque.

Il était évident qu'elle l'avait vu, mais il était soudain pris d'un doute, comme s'il ne pouvait s'agir que d'une hallucination. Il avait la certitude étrange que les créatures qui venaient de s'imprimer sur sa rétine habitaient les ombres autour d'eux, et il lui paraissait même distinguer autour de sa soeur comme une aura qui faisait froid dans le dos. La tête basse, il s'avança d'un pas prudent, réduisant la distance entre eux. Etait-ce réellement elle ? Etait-il entrain de devenir fou ?

Post perdu

Ce n'était pas le fruit de son imagination. Il pouvait sentir son odeur, et entendre le son de sa voix. Ses mots n'étaient pas accueillants, mais il n'en aurait jamais tant demandé. Il savait qu'elle ne lui avait pas réellement pardonné son départ, bien qu'elle eût semblé essayer fut un temps. Bien qu'elle lui eût donné des mots qui avaient empli temporairement son coeur de joie, jusqu'à ce que le destin ne les rassemblent à nouveau. Mais il ne lui en voulait pas. Peut-être le temps finirait par arranger les choses, après tout. Et ce qu'il voulait lui dire dépassait ce genre de conflit. Il ne répondit pas à sa première phrase, se contentant de la regarder se redresser. Il ressentait sans peine le fait qu'il n'était pas le bienvenu, et s'efforça de garder ses pensées les plus neutres, voire bienveillantes, possibles. La vision qu'il venait d'avoir se faisait encore sentir, il avait l'impression d'avoir couru à toute allure pendant un très long moment. S'il leur avait demandé un trop gros effort, ses pattes auraient sans doute commencé à trembler. Fort heureusement pour lui, ce n'était pas le cas.

"Attends !" Lança-t-il lorsqu'elle détourna le pas pour s'éloigner de lui.

Il se décolla du sol et en quelques foulées, la dépassa pour lui barrer la route. Il y avait plus subtil, mais le temps n'était pas réellement aux subtilités. Les quelques blessures fraîches qui marquaient encore son pelage en étaient un bon témoin.

"Je cherchais un Raeder, pour vous prévenir." Ajouta-t-il en plantant son regard dans le sien.

A nouveau, alors que ses yeux s'attardaient sur elle, il sentait poindre cette violente tristesse, ce désespoir qui menaçait de noyer ses pensées. Mais cette fois-ci, il le vit venir et garda la maîtrise de lui-même. Seuls ses muscles se crispèrent légèrement. Il se concentra sur la tâche simple qu'il avait à cet instant : lui parler du monstre. Lui parler de la bataille terrible, de cette chose qu'ils avaient vaincue au prix de graves blessures, aidés par la meute la plus puissante du continent. Cette chose qui n'aurait fait qu'une bouchée des Raeders s'ils avaient été sur son chemin.

"Des monstres venus du Nord envahissent le Continent. Et nous en avons combattu un qui se déplaçait dans l'océan." Dit-il plus posément, retenant l'angoisse qui menaçait de l'envahir. "Il y a eu beaucoup de blessés, et les forces Nakhus et Etelkrus ont dû s'allier pour le repousser."

Il recula d'un pas. Maintenant que le message était transmis, il lui offrait la liberté de s'en aller, lui ouvrait cette porte. Cela lui était égal qu'elle fasse mine de n'en avoir rien à faire, qu'elle l'attaque, ou qu'elle se contente simplement de partir en l'ignorant. Au moins elle était au courant.

"Ils peuvent venir des profondeurs." Acheva-t-il d'un ton sombre, les oreilles rabattues.

Inutile de préciser ce que cela pouvait impliquer pour les Raeders, qui passaient beaucoup de temps dans l'eau. Sans avoir vu le monstre ou sa carcasse, il était difficile de se représenter sa menace. Mais pour lui qui l'avait vu, entendu, combattu, qui avait planté ses griffes dans sa peau salée, la vision d'une telle chose attaquant Morne-Oeil était terrible.

Si elle ralentit d'un pas lorsqu'il lui demanda d'attendre, le pelage de Limule se hérissa lorsque Ajani lui barra la route, reculant également d'un léger bond. Réaction instinctive bien plus dû aux stigmates de sa vie plutôt parce que c'était son frère qu'elle avait devant la truffe. Sa queue s'agita de mouvements secs, oreilles en arrière, grimace de museau froncé tandis que le grand mâle blanc parlait, Limule ne voulait pas l'entendre et pourtant, elle s'efforça à écouter.
Un monstre c'est ça?
A l'évocation, peut-être que la louve blanche remarqua sur la peau du mâle quelques blessures et balafres récentes. Oui peut-être bien qu'il avait affronté ce genre de bête mais...

« Contrairement aux Continentaux, nous n'avons pas oublié que dans ce monde, nous sommes très loin d'être les plus gros prédateurs, surtout lorsque nous nageons dans l'Océan. »

Ce n'était pas vraiment un reproche, le ton était neutre et son habituelle froideur qui se reflétait jusque dans ses yeux de glace tandis que la nuit elle même commença à faire régner sa propre fraîcheur en continuant d'engloutir le soleil.

« Qui peut savoir ce quelles sont les ténèbres que renferment encore les Abysses ? »

Et comme une malédiction, comme un avertissement, alors que le dernier rayon de soleil disparu à l'horizon, Limule comme à chaque nuit depuis peu, se fit voler son apparence par les démons. Si elle ne ressentait aucune douleur, aucune véritable gêne, elle sentait que c'était arrivé. Le crâne du crocodile qui se fusionnait avec le siens pour offrir au monde ce visage de cauchemars, son pelage blanc qui se noircissait en partie comme si on avait versé de l'encre dessus, laissant apparaître dans une transparence luminescente les contours de ses os sous sa chair et sa queue qui s'allongeait pour se dénuder de tout. Une apparence maudite pour avoir jouer trop longtemps avec les ombres.
Limule n'aurait pas voulu que son frère soit le premier au courant, elle n'aurait pas voulu qu'il le soit tout court mais il était là, au mauvais endroit, au mauvais moment et l'avait empêché de s'enfuir. Alors elle fit le choix de ne pas s'en formaliser, faire comme si tout demeurait normal et se décala d'un pas pour contourner Ajani.

« Ceci dit, il est toujours bon de savoir quand elles remontent vers la surface, merci »

Bien plus de la politesse que de la reconnaissance alors dans ce ton de neutralité froide.