One day — Anette & Pepper & Ajani

Zboum. Zboum.

Le bruit que faisait Lewis en retombant sur le sol après chaque bond. Au fil du temps, la louve mauve se rendait compte qu’il lui manquait quelque chose d’essentiel lors des combats, de l’endurance. Car si elle débordait d’énergie, les coups pouvaient facilement la mettre à terre, ce qui n’était pas chose réellement acceptable. L’exercice consistait à sautiller au-dessus d’un petit tronc tombé à cause du vent, le plus vite possible et le plus haut. Cela lui permettait de se défouler même si ça manquait un peu de vie en face. Dommage que Cendres ne soit pas un bon joueur.
La louvette commence à se lasser, cessant son petit entraînement alors que Poe vient bondir sur sa tignasse mauve. Hum…
Puis une silhouette blanche apparaît dans le champ de vision que l’ancienne pirate reconnaît sans mal. Elle jappe à l’intention de l'Oracle avant de s'élancer vers lui. Son petit corps se déplace rapidement autour du grand loup, alors qu’elle sautille tout autour, un Poe qui tentait solidement de s’accrocher à ses cheveux.

« — AJANIIIIII ! »

La tête se glisse sous les mèches blanches qui traînaient au sol, ne laissant qu’apercevoir que la petite tête de la mauve dont les babines étaient étirées en un immense sourire. Elle l’avait attrapé dans le temple ! Comme les deux alphas l’avaient demandé ! (Enfin pas vraiment avec cet objectif, m’enfinnn). D’ailleurs, voilà qu’elle les voit approcher, timing parfait !

« — Ajani, faut qu’on parle de quelque chose ! Louve-Bleue-Qui-Gouverna-Des-Cieux et Celle-Qui-Irradies-La-Force sont venues… »

Ok, maintenant ne restait plus qu’à espérer que tout le monde soit accroché.

« — … Et j’ai besoin que tu écoutes. »

Un sourire innocent vint étirer les babines de Lewis, qui se doutait bien que les choses risquaient d’êtres compliquées. Après tout, elle proposait de venir disciple d’un dieu autre que la Corneille, de devenir mercenaire pour un clan opposé malgré les alliances.
Alors ne restait plus qu’à espérer.

Ajani sortait de l'Eglise, pensif, lorsqu'un aboiement lui fit redresser la tête. Après une chasse étonnamment fructueuse pour la saison, il avait fait un crochet par le temple de la Corneille pour lui déposer sa plus belle proie. Il avait passé un petit moment à se recueillir devant la haute statue, laissant les pensées affectueuses qu'il avait à l'égard de sa compagne et de ses enfants l'envahir, comme pour le partager un peu avec sa déesse. Il ignorait si les divins étaient capables des mêmes sentiments que les mortels. Yurai portrait ur eux un regard qui lui paraissait celui d'une mère, mais était-ce ainsi qu'elle le voyait. Il tenait en tout cas à lui offrir un peu du bonheur qu'il vivait malgré la situation dans laquelle leurs terres se trouvaient. Il avait fini par tourner les talons pour repartir voir sa famille en réalité et non plus en pensée. Peut-être pourrait-il croiser Ruine pour lui proposer un petit entraînement dans l'après-midi.

La silhouette qui s'était annoncée n'était autre que celle de Lewis. Les oreilles de l'Oracle se redressèrent et il s'immobilisa en bas des marches du temple, alors qu'elle bondissait à toute allure vers lui. Elle le rejoignit et se mit à tournicoter à petits bonds autour de lui, visiblement surexcitée, comme une enfant encore bien qu'elle aie depuis longtemps atteint l'âge adulte. Surpris, le grand loup blanc renonça à essayer d'attraper son regard, se contentant de le croiser lorsqu'elle se trouvait à un endroit où il n'avait pas besoin de se tordre le cou pour le faire. Finalement, elle se campa à côté de lui, à moitié cachée sous ses lourdes mèches et un grand sourire aux babines, pour lui demander... d'écouter. Alors qu'il se demandait qui étaint les loups qui avaient hérité de ces surnoms dont la louve mauve affublait tout ceux qu'elle croisait, une odeur à la fois familière et étrangère vint chatouiller ses narines. Il redressa la tête et son regard clair se posa sur les deux silhouettes qui approchaient.
Les deux alpha Etelkru.

Une lueur interrogative passa dans ses prunelles, brève, invisible, alors qu'ils contemplait les deux louves qui approchaient. Que pouvait donc lier ce que Lewis voulait lui dire et ces deux-là ? Il finit par tourner la tête vers l'ancienne pirate, et chasser d'un coup léger de museau la mèche qui lui obstruait le regard. Il posa ses yeux dans les siens et répondit doucement :

"Je t'écoute."

L'une de ses oreilles demeura tournée vers les deux nouvelles venues, guettant leur approche et leur annonce.

Rohlala, les deux qui se pointaient, ça ne devait pas être de très bon présage pour Ajani. M’enfin, Lewis n’avait commis aucune bêtise, qu’il se rassure. Au moins pour cette fois. La sans-glowstick incline l’avant de son corps, toujours à moitié cachée dans la tignasse du lion blanc.

« — Alors voilà, toi et moi, nous savons tout deux que je ne suis et ne serais, ô grand jamais une disciple de la Corneille, ni pleinement Nakhus. »

Ça, c’était le plus bête des constats. Parce qu’elle ni sage, ni tempérée. Et si le mauve était la couleur de son pelage, ce n’était point la couleur de son âme qui elle était bien trop sauvage pour ça.
Mais au moins, existait-il un dieu qui représentait cela. Lui permettait d’user de la force. Les sourcils se froncent doucement, alors que le sourire se fait un peu moins large, presque… sérieux.

« — Mais il y a un dieu qui pourtant m’intéresse, Aka. Ce qui soulève un problème aux yeux de Louve-Bleue-Qui-Gouverna-Des-Cieux et Celle-Qui-Irradies-La-Force qui veulent ton accord et… parler si j’ai bien tout compris ? »

C’était plus ou moins ce qu’il en était ressorti de leur discussion après tout, un échange, s’agissant des modalités. Une histoire de politique. Un art auquel Lewis ne touchait guère, préférant de loin user de la force brute.

« — Je crois que je n’ai rien oublié ? »

À qui le tour maintenant ?

Comme il lui avait été demandé, il écouta. Dès les premiers mots de Lewis, il fut en mesure de deviner ce qu'elle allait lui dire, dans les grandes lignes. Il ne fut pas extraordinairement surpris par le fait que la louve mauve ne se sente pas l'âme d'une disciple de la Corneille. Il aurait été étonné - agréablement, mais étonné tout de même - qu'elle aille au-devant d'elle pour lui demander son glowstick. Il ne le fut pas non plus par le nom qu'elle prononça, Aka. En revanche, la suite, il ne s'y attendait pas exactement. Les Alphas Etelkrus désiraient son accord ? Il en aurait probablement ri doucement s'il avait été un loup moins sérieux, et plus expressif.

Le temps des mots de Lewis, Pepper et Anette étaient parvenues jusqu'à eux. Il les salua d'un mouvement de la tête, sans interrompre la petite louve. Ce fut d'ailleurs la bleue qui s'en chargea, répliquant un peu sèchement en précisant que cela ferait d'elle une mercenaire Etelkru. Avant même que plus de choses ne soient dites, quelque-chose était apparu clairement aux yeux du lion blanc : les Etelkrus n'avaient pas du tout la même conception de ce que cela signifiait de faire partie de leur meute que les Nakhus. Son regard clair se posa sur celle qui avait repris la parole. Petite silhouette bleue qu'il a déjà croisé au combat et dont il savait la férocité, de par ce qu'il a vu comme de part les rumeurs qui courent. Il répondit simplement à leur salutation, mais se contenta ensuite d'écouter. Il se fondait dans l'image que l'on attendait de lui. Grand, impassible, sans le moindre heurt dans les émotions qui émanaient du médaillon autour de son cou. Rien qu'une douce tranquillité, parce qu'il ne craignait rien de cette rencontre.

Ses yeux se posèrent sur la seconde Alpha, d'une plus grande stature, lorsqu'elle parla à son tour. Ses paroles furent plus brèves, son attitude plus neutre. Quand sa voix s'éteignit elle aussi, il savait déjà ce qu'il allait répondre à tout cela. Il lui faudrait sans doute faire un effort plus important que d'ordinaire pour s'exprimer avec des mots un peu plus jolis, des phrases un peu plus belles et enluminées. Mais si la forme serait peut-être imparfaite, le fond était une certitude.

"Merci d'avoir fait le trajet jusqu'ici." Lança-t-il de son timbre grave. "Et de votre considération pour l'alliance qui est la notre."

Il inspira en silence, posa les yeux sur Lewis un instant, et continua :

"Notre meute n'est pas une cage. Les Nakhus sont libres de s'en aller s'ils le désirent ou de porter une autre couleur que celle de la Corneille." Il ramena ses prunelles sur les deux meneuses face à lui, et sa queue brassa doucement l'air derrière lui, une fois, de droite à gauche. "Je n'ai donc pas d'accord ou de permission à donner. A mes yeux, Lewis est ainsi libre d'aller prétendre au glowstick de votre dieu. Ou même de vous rejoindre, si c'est là qu'elle se sent à sa place."

Il laissa filer un court instant et ajouta en se tournant vers la petite louve mauve :

"Ceci est d'autant plus vrai si tu ne te considères pas comme Nakhu."

Le ton n'était ni vindicatif ni agressif. A peine voilé d'une discrète tristesse, car pour lui les Nakhus n'étaient pas uniquement constitués de ceux destinés à être disciples de la Corneille. Peut-être simplement qu'il n'avait pas assez fait en sorte qu'elle se sente chez elle. Il l'avait traitée comme tous les autres, comme les Nakhus traient tous ceux qui rejoignent leur groupe et leurs terres. Pour une semaine, un an, une vie. Aurait-il dû lui accorder une traitement différent ? Désormais, il était trop tard pour ruminer le sujet, bien-sûr. Dans son coeur, elle faisait partie des Nakhus autant que lui. Mais il acceptait que pour elle ce soit différent.

Les oreilles se redressent à la voix de la louve bleue. Lewis ne sent pas l’agacement chez l’alpha, mais elle a des yeux et perçoit l’expression contrariée. Le sourire aux babines ne se fait que plus grand. Mercenaire. Oui c’était un titre qu’elle n’était pas prête d’oublier l’ancienne pirate.

« — Je ne l’ai pas oublié, Louve-Bleue-Qui-Gouverna-Des-Cieux. »

Le ton demeure joyeux, alors que la queue recourbée remue gaiement. La deuxième alpha prend la parole à son tour, proposant que Lewis serve les deux meutes, ce qui occasionne un léger froncement de sourcils chez la mauve. Déjà être rattaché à un clan pour obtenir un glowstick était un lourd prix à payer à ses yeux, mais alors deux… Cela ferait-il donc de tous les pirates et solitaires des ennemis à abattre ? Simplement parce qu’ils n’appartenaient pas à une des deux meutes ?
Les prunelles améthystes fixent alors l’Oracle. Voudrait-il se servir d’elle comme d’une arme ? La décision lui appartenait maintenant, Lewis avait bien compris que les deux Etelkrus ne feraient rien sans l’accord du loup blanc. Pourtant… Pourtant, il parvient à la surprendre. La petite louve écoute les paroles, les yeux écarquillés. Ajani la laissait partir. Il la laissait prétendre à une couleur en totale opposition avec la Corneille. Elle sentit la tristesse dans sa voix, pu lire la peine dans ses traits. Sa truffe vient effleurer celle de l’ancien Raeder.

« — Ajani. » Les pattes mauves se posent sur le museau du loup. « Je te remercie de me laisser prétendre à la couleur du grizzly, dont les valeurs sont contraires à la Corneille. »

Lewis en oublie presque la présence des deux alphas. Qu’importe, elles pourraient parler par la suite, autant qu’elles le souhaiteraient. En revanche, avec Ajani, c’était peut-être la dernière fois. Avant un au revoir. Les paupières se ferment un instant. Oui, elle n’avait su trouver sa place auprès de la déesse mauves, ni réellement aux côtés des valeurs Nakhus. Pourtant, le tableau n’avait pas été noir pour autant, bien au contraire.
Les Nakhus lui avaient apporté des choses qu’elle n’aurait su espérer en quittant les pirates. L’expression se fait un peu plus sérieuse, alors que la louvette réouvre ses paupières, dans ses yeux brillants de la gratitude.

« — Cendres et moi avons décidé de nous établir ailleurs, ainsi, mes actions ne seront pas rattachés aux Nakhus. Ma présence ne sera être un problème pour toi et la meute. »

Ainsi, elle ne ternirait l’image de la Corneille par le port d’un glowstick rouge.
Ainsi, sa présence n’agacerait plus aucun d’eux.
Mais elle n’oublierait pas.
Le ton est un peu plus bas, pas pour cacher quoique ce soit aux invitées, seulement pour n’adresser des mots qui n’étaient destinés qu’à un seul dans cette pièce. Un sourire reconnaissant vient étirer les babines de la louve.

« — Les tiens m’ont beaucoup apporté, Lion-Blanc. J’espère que si nos chemins venaient à se croiser de nouveau, nous serons toujours en aussi bons termes. Ne considères pas mon départ comme un échec, ce n’était pas à toi de trouver ma place en ce monde. C’est à moi de la chercher. »

Et elle n’arrêterait jamais ses recherches, même si celles-ci nécessitaient des sacrifices.
La mauve se recule pour laisser un peu d’espace au loup blanc, avant de poser son arrière train sur le sol. Son regard glisse vers les deux louves, ne sachant réellement ce qui devait être fait à présent.