S'adapter aux Devoirs [Anita]

Samaël avait appris une chose concernant le rang de bouclier qu'il exerçait dorénavant, ce n'étaient pas de simple garde, ils se devaient de chasser également, pour la meute. Le jeune prince n'avait rien contre ce principe, bien au contraire, la chasse était une des activités physique que son rang exerçait en loisir, d'où le dressage de faucons, et même sans, il était d'ailleurs plutôt bon. Mais voilà, lorsqu'il était prince, il chassait pour lui, rapportait fièrement comme trophée écailles de varan et fourrure de fennec, parfois quelque chose de plus gros qui était servi en repas pour se vanter mais le gros des banquets, la nourriture était ramenée par des loups aux classes plus inférieurs dont c'était la fonction, comme être garde en était une autre. Samaël n'était plus prince, il le savait, devait s'y faire mais il avait donc maintenant un double rôle de larbin et s'il ne râlait pas ouvertement du principe, intérieurement, il faisait un peu la gueule tout de même. Ce qu'il avait oublié avec le principe de vie en communauté, c'était le retour des interactions avec les autres et parce qu'il n'était encore personne ici, il devait se faire sa place -alors qu'avant, elle avait toujours été parfaitement définie. Il n'avait pas pensé non plus que dans un petit groupe, le partage était une valeur clé dans l'organisation mais pour l'instant, Samaël ne recevait pas de retour à hauteur de ses attentes.Oh il devinait que ce n'était que le début, le temps que choses se face, mais ça n'empêchait pas que pour le moment, ça lui déplaisait.

Pour la chasse, on lui avait conseillé les Rougelandes, riches en proie, alors le jeune mâle s'y était rendu. Bien sûr, il ne connaissait pas bien le terrain, ne l'ayant traversant que lors d'une patrouille où il avait longé sa frontière alors fut-il assez surpris à sentir un vent chaud très appréciable lui ébouriffer sa tignasse bouclée. Et bien, si le principe même de l'activité de la journée l'avait rendu de mauvaise humeur, cette chaleur venue du sud qui lui réchauffait le corps était elle, très appréciable, l'endroit n'était pas si mal.

L’un des aspects qui avait le plus manqué à Anita lors de sa présence sur les terres du Nord était la chaleur ambiante de ses terres natales.
Bien évidemment, ce n’était pas le cas de chaque endroit, certaines zones étant plus propices à être gouvernées par un genre de micro climat qui les rendait plus ou moins froides et pluvieuses, mais la grande majorité de leur territoire bénéficiait néanmoins d’un cadre de vie agréable que l’on venait rapidement à regretter lorsque seul soufflait un vent froid et régulier. Vent qui n’hésitait d’ailleurs pas à fréquemment devenir blizzard, balayant alors les plaines gelées qui ne regorgeaient pas d’abris naturels pour venir se protéger des assauts glacés - dès lors que l’on s’était un peu trop éloigné du camp, il valait mieux donc ne pas avoir oublié l’équipement adéquat.
La Rougelande était l’une de ces terres graciées par la douceur des températures, et quand même l’hiver venait doucement s’insinuer jusqu’au Sud, la lande -qui en cette saison reprenait une teinte tout à fait banale et faisait perdre tout son sens au nom dont elle était baptisée- restait relativement épargnée des pires assauts du froid.
Réchauffant ses ailes et son dos sous un soleil qui s’acheminait peu à peu vers son zénith, Anita en somnolait presque, perchée sur l’un des rares rochers qui permettait d’avoir une vue surplombante de l’endroit. Son corps longiligne était étalé sans retenue, deux de ses quatre pattes débordant de son promontoire en se balançant par-dessus bord, sa longue queue épousant la courbe de la roche en ne s’agitant que d’un ou deux mouvements de temps en temps, pareille à un immense serpent se prélassant.

Bref, elle profitait d’une matinée sympa et sans tracas avant de repartir chercher la compagnie d’autres loups aux abords du Castel.
Mais peut-être n’aurait-elle pas besoin de repartir si loin pour cela.

Une oreille se dressa sur son crâne quand elle perçut un distant bruissement, caractéristique d’un passage à travers les hautes herbes.
Les paupières mi-closes se rouvrirent pour poser un regard alerte sur le territoire et déjà frissonnaient les ailes à l’idée de bondir vers les cieux et de repartir en filant, frôlant les herbes d’un vol agile et véloce.
La présence était celle d’un loup -pas de doute, mais quel loup ?
D’ici, ce n’était personne qu’elle ne parvenait à reconnaître, et la louve connaissait pourtant bien les membres de sa meute. Aucune lueur distincte pouvant trahir un glowstick ne lui parvenait non plus.
Son corps se mit en branle sans tarder. L’agréable torpeur qui l’avait envahie se dissipa, la louve secoua la tête et claqua de la queue, griffa le roc de ses griffes, déploya à plusieurs reprises les ailes pour en échauffer la fine membrane. Enfin elle s’ébroua - et bondissant souplement vers le sol, se laissa finalement glisser avec fluidité dans la direction du possible intrus, ailes ouvertes dans un vol silencieux.

Comme elle arrivait dans son dos, elle prit un peu de hauteur en un battement d’ailes pour se donner un peu plus de temps et ne pas lui rentrer dedans - contrairement à nombre de ses camarades, elle ne s’amusait pas spécialement à mordre les loups marchant sur la frontière avant même d’avoir vu leur tête.
Décrivant un cercle au-dessus de lui, Anita détailla la fourrure sable teintée d’orange, le tissu rouge qui l’enveloppait, les cheveux bruns... Et fronçait de plus en plus le museau en une grimace perplexe, tant il ne lui disait rien. Et pourtant, pour un étranger, il n’avait pas l’air de particulièrement se presser ou d’être sur ses gardes, un peu comme s’il était... Chez lui.
Une impulsion pour le dépasser, une aile qui s’étendit pour un virage serré, et la louve se posa face au mâle, droite parmi les herbes hautes.

— Ne sais-tu pas que ces terres sont- Héé ! Mais t’es le nouveau, toi !

Interrompue en plein milieu de sa théâtrale tirade par la réalisation qui s’inscrivit sur son visage en une expression de surprise, Anita ouvrit de grands yeux et laissa son sourire amusé déborder bien plus loin sur ses commissures. En un instant elle s’était rapprochée de deux foulées agiles, tendant le cou pour inspecter de plus près le nouveau venu.
Hah, sa tante ne semblait pas l’avoir laissé rentrer pour rien. D’une musculature sèche et bien dessinée, le loup n’avait pas l’air d’être un amateur complet et s’inscrivait déjà bien dans un phénotype Etelkru.
Bon, non pas que cela soit la première priorité pour Anita lorsqu’elle adressait la parole à quelqu’un, mais le détail l’amusa.
La louve se recula presque aussi soudainement qu’elle s’était approchée et commença à lui tourner autour de sa démarche ondulante, observant encore un peu son accoutrement avant de revenir planter ses yeux améthystes dans les prunelles dorées.

— Alors ? Tu te plais bien, ici ?

Après tout, l’intégration était parfois un processus semé d’aléas.

Samaël avait fini par suivre la piste d'un renard, les gros herbivores étant jugé peut-être un peu trop gros pour un loup de son gabarit seul et les lapins trop étaient trop insignifiants. Les renards au moins ça avait une belle fourrure, si les Etelkrus ne l'utilisaient pas, Samaël lui compterait bien la garder pour se faire un petit logement un peu moins... rustique disons. Ah il ne retrouverait pas le  luxe de sa suite aux mosaïque colorés, aux banquettes couvertes de soies, moelleux oreillers brodés, riches fourrures, avec cette douce odeur de fleurs et de miel, avec le gloussement de quelques femelles qui se trempaient les pattes dans le bassin de l'atrium... Non ça il risquait d'avoir un peu de mal à tout ravoir ici mais rien ne l'obligeait à se contenter des murs de pierres gris et de la mousse comme les autres membres de cette meute.
Donc Samaël suivait la piste d'un renard lorsqu'un bruit de battement d'air lui fit relever la tête suivit d'une immense ombre qui passa au dessus lui. Le mâle brun fronça un instant les sourcils, méfiant, avant d'identifier un louve même si elle avait de grandes ailes de chauve-souris et une longue queue. Ah oui... le fameux exotisme de la région, elles étaient nombreuses à avoir ici. Louve qui commença à le prendre pour un intrus avant de se rattraper très rapidement.

« Oui, je m'appelle Samaël. »

Il ne savait pas si elle faisait partie de ceux qui avaient été assez curieux pour avoir pris la peine de se renseigner quant à son nom mais au moins se présenter inciterait certainement la femelle à rappeler le siens. Il eut un mouvement de recul naturel lorsqu'elle s'approcha tordant un peu son cou vers l'arrière mais il revint rapidement parfaitement droit lorsqu'elle commença à lui tourner autour, la suivant du regard mais sans véritable timidité, presque autant de curiosité qu'elle. Si Samaël était observé sous toute ses coutures, lui aussi se fit son propre avis. C'était une louve plutôt jolie, fine et élancée comme les filles de chez lui sauf que contrairement à elles, celle-ci avait le pelage couleur cendre, comme les restes d'une savane brûlée. Elle aurait pu rapidement faire triste si elle n'avait pas ce large sourire sur les babines.

« Je dois encore m'adapter à certaines choses. »

C'était la réponse qu'il donnait peut-être à un peu trop d'etelkrus.