Feu mourant [libre]

Le ciel nocturne commençait à s'éclaircir à l'horizon à l'approche d'un soleil naissant. L'air était froid, l'eau glacée, saisissant pattes, corps et loups dans sa morsure hivernale. L'hiver n'était pas agréable sur Morne-oeil, c'était comme si le vent humide et inarrêtable de l'Océan vous lançait des milliers de petits morceaux de glace à la figure, le froid entrait jusqu'aux os et les animaux répondaient à cette agression en se faisant plus gras pour la mauvaise saison. Ils survivaient, tous, même les loups, on en parlait pas des échecs de toute façon, on les oubliait, on les dévorait.

Des jours d'hiver, Safran en avait vu des centaines se lever, des centaines se coucher. Des jours tout court, bien plus encore. Elle savait une chose cependant, celui-ci qui naissait, cette aube qui débutait, ce lever de soleil, elle ne le verrait pas.
Il ressemblait à tout les autres pourtant, effroyablement banal. Elle était là, assise sur la plage, la mer venait s'y écrasé par ressac, des mouettes plus matinales que les autres criaient dans le ciel à l'annonce du début de leur pêche, quelques phoques était étendu au loin, rocher de chair dans l'eau peu profonde de la marée basse. Cette journée ressemblait à hier, elle ressemblerait bien plus à demain.
Safran n'était plus une jeune louve, elle avait vu des Raeders naître, elle en avait vu mourir, des plus vieux qu'elle, des bien plus jeunes. Elle même était passée par là à un moment, assassinée par un Continental duquel elle n'était pas parvenu à se venger avant que la malédiction de l'île ne la rattrape. C'était quelque chose qu'elle regrettait, un peu, comme on peut regretter une occasion manquée. Elle avait entraîné la jeune génération, Makuro au moins, s'était fait dépassé par elle. Ça avait été frustrant, c'était la vie pourtant,d'un côté c'était rassurant, si Safran évitait le coup fatidique, le monde ne l'aurait pas fait, il valait mieux savoir se défendre.

Safran avait foulé cette terre trop longtemps, elle le savait. Sur le plan théorique, elle aurait pu le faire encore quelques années mais on ne pouvait négocier avec les forces supérieurs qui vous avait déjà accordé un répit sur vos erreurs. Elle avait atteint la fin du contrat.
Assise sur la plage, face à l’horizon, face au levant, elle attendait, droite, l'inévitable. Les premiers rayons du soleil virent lécher le monde, virent brûler ses pattes. Comme si elle s'était approché du Continent, comme si la malédiction prenait effet, petit à petit, la chair qui aurait du être dévorée depuis longtemps par les poissons,  se calcina, s'envolant en cendre emportée par le vent, emportant même les os comme pour payer toute la dette.

On pouvait faire toute sorte de chose dans une vie, être ce prédateur qui règne sur sa terre, l'existence était une chose éphémère et nee resta sur cette plage, en dernier témoignage d'une vie passée, quelques traces de pas que le vent soufflait déjà et un vieux chapeau usé qui avait pris l'eau bien trop de fois.