Serait tu un coeur libre? (Joaquin)

Vous parvenez à en abattre au vol, les coinçant entre vos crocs, sous vos griffes. Le reste de l'essaim hurle, vrombit, dessine maintes arabesques dans le ciel. Les créatures vous regardent d'un mauvais œil, se chicanent entre elles pour savoir qui sera la proie principale. Et puis, de nouveau, elles se séparent en deux groupes, cherchant à vous blesser aux pattes ; que vous vous teniez tranquilles lorsqu'elles sont dans les airs.

C'est avec une exclamation satisfaite que Joaquín parvint à attraper l'une des créatures au vol, la broyant entre ses crocs tout en secouant la tête avec ferveur, pour finalement la lâcher et l'envoyer s'écraser un peu plus loin au sol. Du coin de l'oeil il aperçut Vanhir qui achevait celle qu'ils étaient parvenus à blesser un peu plus tôt. C'était un travail de longue haleine, mais cela en faisait toujours deux de moins.

Deux sur dix.
Ca n'allait pas assez vite, réalisa-t-il sombrement, tandis qu'un nouveau raid des créatures s'abattait sur lui.

Il parvint de justesse à esquiver l'une d'entre elles et lui asséna un violent coup de patte au passage, abimant l'une de ses ailes. Le reste ne fut qu'une succession de nouvelles estafilades qu'il accueillit avec un grondement rauque.
Joaquín était endurant.
Mais sa joueuse était une grosse merde aux dés, et annihilait systématiquement toute once de crédibilité qu'il pouvait avoir en tant que combattant supposément aguerri.
Ainsi sentait-il avec effroi ses forces qui diminuaient lentement. Ca n'avait l'air que de blessures mineures, mais elles s'accumulaient et lentement le sang commençait à teinter la flaque d'eau au centre de laquelle il se tenait encore, le souffle court et rauque, les pattes tremblantes.
Ca n'allait pas.
Comment Diable avait-il pu en arriver là ? S'il avait eu la sympathique expérience de frôler la défaite quelques fois, il avait toujours combattu vaillamment, sans jamais faiblir, ni même douter : il n'y avait tout simplement pas de doute à avoir. Parce que Joaquín n'envisageait pas la défaite.
Parce que Joaquín se fichait de perdre, dans le fond. Que sa vie se soit arrêtée à ce moment-là ou au cours du combat suivant, il n'avait jamais pris la peine de réfléchir, supposant que c'était de toute manière ainsi qu'il en finirait, et qu'il n'avait rien de spécial à attendre de la vie.
Mais maintenant, alors qu'il se trouvait probablement au plus bas, et que la perspective d'y laisser sa peau aurait dû le laisser plus indifférent que jamais, il réalisait qu'en cet instant précis, avec le sang qui lui battait dans les oreilles et le goût salé du sang dans sa gueule, qu'il n'avait pas envie de mourir. Pas ici, pas maintenant. Pas comme ça.
Pas face à ce ridicule escadron de moustiques au nez proéminent. Pas sans son oiseau à ses côtés — même s'il était bien heureux qu'Ixcanul ne soit pas là en cet instant précis, mais qu'aurait-il pensé s'il ne l'avait pas vu à ses côtés au lever du soleil ? –, pas dans l'indifférence la plus totale, aux côtés d'un pauvre bougre qui avait eu le malheur d'être en sa compagnie au mauvais endroit, au mauvais moment.
C'était de sa faute, au final. Encore. Ca ne pouvait qu'être ça.
Où qu'il aille, quoi qu'il fasse, il attirait les emmerdes. Encore et encore et toujours. Et s'il avait été une époque où Joaquín avait pu s'épanouir dans le chaos, là, cette nuit, ce soir, alors qu'il était au plus profond de la triste abîme qu'était son désespoir de mec bouffé par la solitude, ça ne marchait tout simplement plus. Et ce pauvre Vanhir allait se manger les dégâts collatéraux alors qu'il cherchait juste un point d'eau. Un putain de point d'eau.

Quel connard tu faisais, Joaquín. Quel connard. Après un mauvais départ dans la vie et avoir fait de ton mieux pour contrebalancer le mauvais sort qui t'avait vu naître dans de mauvaises prédispositions, tu te trouvais bien con, là, à t'échiner contre de vulgaires farfadets, tout juste bons à te picoter, mais bien trop nombreux pour toi. Etait-elle là, la fière destinée du descendant de Miguel, du solitaire venu d'un désert lointain où tout n'était que débauche et violence ? A chasser les courants d'air comme un crétin, trop orgueilleux pour battre en retraite ?
Tu risquais fort de crever là, Joaquín.
Sans avoir rien accompli.
Sans avoir jamais fait pencher la balance en ta faveur.
Tout au plus tu avais réussir à détruire les rares choses dont tu t'étais approché.
Tu allais crever là, Joaquín. Tu allais crever seul.
Et le pire dans tout ça ?
Tu allais crever sobre.

Tu esquives l'un d'entre eux, et l'écrase de ta patte Joaquin ; tandis que ton comparse évite de peu ces frelons furibonds. Ils sont étonnés, presque choqués, de voir ainsi leur attaque mise en déroute. Ils se regroupent alors, vrombissant tandis que vous tentez de vous soignez, de temporiser ce combat.
L'un d'entre eux, cependant, reste à terre, blessé, paralysé par ta contre. Ils hésitent. Après tout, déja deux des leurs sont morts ; et en voila un au seuil de la grande Fin. Il serait judicieux de t'éviter un temps... En tout cas, pour les moins hardis.

Joaquín 5PV

Il avait accueilli avec résignation les nouvelles piqûres, et s'apprêtait à lancer de nouveau l'assaut lorsque Vanhir s'approcha de lui, extrayant une sorte de baume de sa sacoche pour l'appliquer sur l'une de ses pattes. Joaquín se raidit, soudain coupé dans son élan, n'ayant guère vu venir son camarade. Il se laissa néanmoins faire, luttant contre l'envie de bondir de nouveau droit dans la bataille. Mais à peine Vanhir avait-il eu le temps d'apposer sa crème sur l'une de ses blessures que plusieurs des créatures fonçaient droit vers eux.

— ¡Cuídate! s'exclama-t-il en bondissant par dessus l'une de celles qui filaient vers lui, avant de se saisir d'une aile de la suivante et de la renvoyer plus loin.

Malheureusement pour lui, Vanhir fut cette fois-ci pris en cible par un plus grand nombre d'assaillants. Le souffle court, Joaquín laissa ses yeux aller furieusement de l'autre loup à la masse vrombissante qui se regroupait à l'écart. Et si tous ses instincts et a fureur lui hurlaient d'attaquer de nouveau, il ne pouvait renier cette amère forme de culpabilité qui le prenait en voyant l'état dans lequel l'autre solitaire s'était retrouvé. Peut-être que cela ne serait pas arrivé s'il n'avait tenté de lui venir en aide.
Il cracha un épais caillot de sang bien glamour par terre avant de regarder autour de lui. Non loin, le lutin volant ou il-ne-savait-pas-trop-quoi qu'il avait blessé précédemment continuait d'agoniser. Et un peu plus loin, sur la gauche, un petit buisson épineux où poussaient des baies rouges.
Il s'approcha prudemment du Méphyte, sans cesser d'observer l'essaim, et lorsqu'il fut à son niveau lui décocha un coup de patte, non pas dans le but de le blesser mais juste de l'écarter — de manière un peu brusque certes, mais on ne se refaisait pas – et de l'envoyer vers ses comparses. Il marcha alors rapidement jusqu'au buisson, l'inspecta brièvement et attrapa quelques baies dans sa gueule, pour ensuite retourner vers Vanhir.

— Mange ça, dit-il en déposant les baies face à lui. Goût dégueulasse mais bon contre inflammations.

Et anti-douleur notable, si la douleur elle-même n'était pas trop forte.
Il releva le nez vers l'essaim. Certains de ses membres n'avaient pas attaqué, cette fois. Peut-être était-ce une question de distance, un nid dont ils étaient trop près. Joaquín venait régulièrement s'abreuver ici mais n'y restait guère longtemps en général.
Peut-être avaient-ils juste peur. Ca aurait été surprenant.
Vanhir avait suggéré de fuir.
Cette perspective ne l'enchantait guère, mais son état ne lui permettait pas vraiment de continuer le combat. Il inspira longuement par le nez, avant de vider ses poumons d'une brève expiration.
Il ne s'était clairement pas attendu à ça, en décidant d'aller se promener au milieu de la nuit, à peine une heure plus tôt.

En voila un qui fuit, sous les caquètements moqueurs des petits monstres. Une partie de l'essaim se détache, le poursuivant non sans essayer de lui tirer le poil, de lui jeter quelques graviers. Mais l'autre... Le grand foncé, le grand musclé, voilà qu'il restait. Le trio de méphytes restait sur place te jauge, Joaquin. Leur dernière attaque contre toi a été un échec. Vas-tu essayer de rejoindre ton comparse ? Vas-tu tenter le tout pour le tout ? La méfiance se lit sur leur visage facétieux et vorace ; et avant même que tu ne puisses en savoir d'avantage sur leurs intentions, ils se dispersent autour de toi ; à l'instar de leur comparses vautours. Ils te surplombent de leur hauteur, volent en cercle, patientent quelques instants, avant de chercher à te mordre la croupe.

Joaquín 2PV

Ca aurait pu se finir là. Il s'était fait une raison.
Sans doute que la présence de Vanhir aidait. S'il avait été seul face à ces créatures, il se serait contenté de se battre jusqu'à l'abîme, se serait laissé consumer par le brasier ardent de la bataille, n'ayant cure de la mort et des blessures. De la frontière à ne pas franchir.
Joaquín n'allait pas très bien, en ce moment. Le peu de vie personnelle à laquelle il pouvait prétendre menaçait de s'écrouler à tout moment.
Au moins, là, à se battre, il avait le contrôle. Il était dans son élément. Il était maître de la situation, même face à une potentielle défaite. Il pouvait choisir de fuir. Il pouvait choisir de rester et d'en assumer les conséquences.

Vanhir était parvenu à se faufiler jusqu'à la sortie, et semblait désormais hors de danger. Il l'attendait là, dehors, sous le clair de lune. Ca paraissait si proche.
Et il s'apprêtait à en faire de même, en dépit de la piqûre qu'un tel acte de retraite pouvait infliger à son égo — douleur vivace bien plus intolérable à son goût que les nombreuses estafilades infligées par leurs ennemis ailés qui maculaient désormais son pelage de sang. Après tout un bon guerrier devait savoir battre en retraite. C'était ce qu'il tentait de se dire. Même si ça faisait mal.
Il était sur le point de décoller, de prendre à son tour la poudre d'escampette, pour rejoindre l'autre solitaire plus mal en point que lui et laisser cette sombre histoire derrière lui — ou en tout cas d'essayer. Ses chances étaient bonnes, il ne se faisait pas trop de soucis.
Mais les créatures revinrent s'attaquer à lui, un petit groupe d'entre elles, et ce n'était pas vraiment une attaque, c'était une humiliation.
Et ça, c'était le coup de trop, la ligne à ne pas franchir. Toute possibilité de fuite fut annihiler lorsque que ces crétins volants décidèrent de venir lui piquer la croupe. Le sang de Joaquín — ou en tout cas ce qu'il restait à l'intérieur de son corps – n'eut sans doute même pas le temps de faire un tour. Ses yeux quittèrent Vanhir et sa destination pour venir se darder sur ses adversaires.
Pas de fuite, donc. Tant pis.

Joaquín se cabra et alla claquer des mâchoires vers le plus proches. Sa vision était floue mais il y allait à l'instinct. Il leur avait offert une trêve, à sa façon. Avait tenté de leur proposer un cessez-le-feu. Mais si ces trois connards voulaient jouer au plus malin, alors il leur rendrait la monnaie de leur pièce, car il n'allait pas
Jamais
En aucun cas
S'enfuir comme un lâche, battu et humilié jusqu'à l'os, la queue entre les jambes.

C'était tout simplement hors de sa portée.

Maintenant qu’il vivait ici, qu’était-ce que sa vie à part une vie d’errance ?

Des jours à parcourir les flancs des montagnes, à simplement penser à la survie au jour le jour.
Quelques vagues pensées dirigées vers les maigres connaissances qu’il avait.
Des fragments des spectres qu’il avait laissé loin derrière qui continuaient à s’accrocher et à se semer dans ses empreintes, malgré les années et la distance.
Mais au final, ça lui convenait. C’était toujours mieux, au moins, que ce qu’il avait fuit initialement, malgré les monstres qui avaient ici une fâcheuse tendance à surgir de nulle part.

Il n’en était pas prisonnier, et cela lui suffisait.
Aujourd’hui, Justice quittait le bout de montagnes qu’il avait apprivoisé pour se diriger vers une trouée dans le coeur de celles-ci.
Là où un autre solitaire avait plus ou moins élu domicile, aux dernières nouvelles.
Peut-être parce qu’il s’ennuyait particulièrement, ce jour-ci ; et qu’il avait rassemblé suffisamment de carcasses enfouies sous la neige non loin d’une de ses tanières pour ne pas avoir à se soucier d’en trouver encore aujourd’hui.
Peut-être parce qu’au fond, il y avait cette éternelle rengaine de la promesse d’un jour moins morne quand il retrouverait sa trace.
Que quelque chose leur tombe sur l’échine quand ils étaient ensemble, véritables catalyseurs à emmerdes, était fort probable et était presque devenu une routine.

Devait-il en déduire que ça lui manquait ?

Quelle que soit la réponse, dont il n’était pas bien sûr, il se dirigeait sur les traces de Roakine.
Tâche colorée dans le ciel, l’oiseau-insecte qu’il avait lui aussi appris à inclure dans sa routine quotidienne l’aiderait probablement à accomplir plus vite sa tâche.
En réalité, lui qui s’attendait à plusieurs heures de recherches dans les méandres du canyon serait agréablement surpris.
Peut-être même amusé, de constater qu’il n’avait pas eu tort ; et que c’était bien des emmerdes dues à une énième bestiole qu’il trouverait dès qu’il attraperait la fragrance du mâle noir.
La créature sentinelle laissa s’échapper un bruit court et discret, que ses oreilles avaient appris à discerner malgré le vent qui soufflait fort en ces lieux. Le son que l’animal avait repéré quelque chose d’intérêt - et il fallait bien admettre que la recherche de nourriture pour subsister au coeur de l’hiver s’était rendue plus aisée grâce à sa présence.

Justice fit halte sur une saillie rocheuse pour détailler le paysage en contre-bas, passant les parois de roche au crible de ses yeux perçants.
Jusqu’à voir un loup blanc débouler, tâché de sang et visiblement complètement essoufflé, en regardant derrière lui comme s’il avait le Diable aux trousses. Comme s’il avait oublié quelque chose là-bas et regrettait un peu, aussi.
Le solitaire tendit le cou pour humer l’air.
Et à l’instant même où l’inconnu clair revint sur sa décision et s’élança en sens inverse pour s’engouffrer à nouveau dans une ouverture béante dans la roche, l’odeur qu’il cherchait lui vint.
Ainsi que l’odeur du sang, et de quelque chose de non identifié qui lui semblait expliquer tout le reste.

Alors il n’attendit pas bien longtemps, Justice, pour bander ses muscles et sauter à bas de son promontoire.
Dans un galop qu’il ne chercha pas à rendre discret, ponctué qu’il était par le cliquetis des griffes d’argent raclant la pierre, il se fondit dans l’ombre de l’inconnu blanc pour se laisser avaler par l’immense mur de rocaille - se retrouvant happé par l’obscurité pendant un instant avant que sa vue ne s’habitue à l’obscurité.

C’est alors qu’il le vit, Roakine, harassé par une nuée de… moustiques ?
En bien plus gros. Et bien plus affreux.
Et il se démenait dans des mouvements erratiques, certains éclataient sous ses crocs, mais ils étaient encore plusieurs à voleter et à chercher à loger leur dard.

Puisqu’il n’y avait pas grand chose de plus à comprendre, c’est presque avec soulagement que Justice laissa s’éveiller la machinerie un peu rouillée de son corps rodé au combat, sentant la chaleur brûler ses veines et gagner ses muscles.
Il n’y aurait pas même de grondement d’avertissement pour ces choses odieuses.

Juste un corps noir qui se jetait sur elles et une mâchoire béante pour les y écraser.

Oof. Tu répliques Joaquin, de belle façon. Ton comparse, lui, a profité de sa fuite pour semer et prendre par surprise les méphytes. Les petits corps tombent, redeviennent poussière ; battue aussitôt par de nouveaux morts. De duo, vous passez à trio, répandant le carnage entre les rangs aériens. Les bestioles paniquent, crient, s'éparpillent. Mais avant même qu'elles ne recherchent leur nid, elles ne sont plus que deux. Deux misérables petites bestioles, dont une bien amochée par tes crocs, loup noir.

Bon sang. Si le concept de mortalité pouvait les toucher comme il vous touche, probablement auraient elles fuient. Mais les méphytes ne sont que petit golem animés ; de la terre, du sable. Rien de plus.
Alors à quoi bon rechigner le combat.
Toi, petit loup fuyard ; tu vas payer pour les autres.

Il y avait eu un retournement de situation.

Il ne comprenait pas trop comment, mais voilà que de perdant il était passé à probable vainqueur. Un moment, il se faisait emmerder par ces choses, bien trop nombreuses pour lui, et voilà que celui d'après il parvenait enfin à riposter de manière efficace, et voyait débouler Justice, qui pour le coup endossait la cape d'un étrange justicier nocturne, et Vanhir, bien décidé à ne pas l'abandonner à son triste sort en dépit de ses propres blessures.

Justice fit clairement pencher la balance.
Il supposait qu'une part de lui aurait dû s'en voir frustrée : l'énergumène débarquait toujours pour lui sauver les miches. Comme s'il n'était plus capable de se débrouiller seul.
Le nombre faisait la force.
C'était ce qu'on lui avait toujours dit et ce dont il avait toujours été convaincu, mais avec les années Joaquín avait dû se résigner à la perspective de ne pouvoir peut-être compter que sur lui-même. Ce n'était de toute évidence pas suffisant.
Preuve était qu'il avait suffi que leur équipe passe de deux à trois pour que la situation tourne à leur avantage.
Il n'allait pas cracher dessus.

En quelques secondes il ne restait plus que deux créatures, qui s'acharnaient toutes deux sur Vanhir.
Les muscles de Joaquín peinaient à se plier à ses désirs, de vives brûlures s'élançant dans tout son corps à chaque infime mouvement. C'est donc avec moins de vigueur qu'à l'accoutumée que le solitaire se ramassa sur lui-même, l'écume aux lèvres et le pelage maculé de sang.