Elle avait traversé les airs d'un pas pressé, déterminé. Trois ans. Trois ans qu'elle vivait sur ce monde, à jouer, à se balader. A ignorer les problèmes d'adultes. Trois ans de candeur. De naïveté. Et voilà que la réalité la frappait en plein ventre.
Cendres était parti avec Lewis.
Momon était parti avec Pierre.
Elle était tata.
Elle était grande sœur.

Mais plus que tout, elle était seule.

Elle n'avait pas prit le temps de se préparer. Ni même d'apporter un présent. Elle avait fuit, tout simplement. Elle avait fuit vers ce qu'elle espérait être sa seule solution. Le changement. Car elle ne comptait pas faire comme son géniteur. La fuite pour la fuite. Non. Ce n'était qu'un repli temporaire. Un recul, pour mieux charger. Pour croquer à pleine dent le renouveau.
Elle était Ruine. Florissante. Et jamais elle ne s’écroulerait.

- Moiro.

Elle inspira.

- Je ne suis pas la plus intelligente. Ni la plus sage. Je suis... Je suis une bourrine maladroite. Un bœuf parmi les loups. Mais je refuse d'être relégué avec Aka, aussi puissant soit il. Je refuse d'utiliser ma force pour l'attaque. Je refuse d'être ce tank, ce barbare, qu'on m'a assigné depuis l'enfance. Je veux qu'on me voit comme la Gentillesse. Comme la force brute qui défend, qui soutient. Et vous êtes la seule, qui, à mes yeux, représente cette valeur.

Elle se racla la gorge, tremblante.

- La grâce et le charme. Abandonnée par les Lazulis ; et par beaucoup de loups, qui préfèrent des valeurs plus... concrètes. Mais ils ne voient pas, il ne comprennent pas. Vous n'êtes pas juste une... Une bimbo -pardon- superficielle. Vous êtes, outre la beauté, la force de soutien ; celle qui fait rêver, qui renforce la confiance et nous pousse à continuer. Celle qui stimule, qui obnubile. Qui aime.

Nouvelle inspiration.

- Je me présente à vous pour... pour vous demander de ne plus être seule. Je n'ai pas encore demandé à Ajani ou Yurai mais... Mais vous êtes la première concernée, et je pense que vous devais donc être la première à décider... Moiro.

Tremblement. Bouche sèche.
Et son cœur qui battait la passion.

- Rejoignez les Nahkus en tant que seconde déesse, s'il vous plait.

Du grec pathos, la souffrance.

La déception. Même parler aux dieux, elle en était incapable. Elle baissa les yeux à la réponse, cinglante, de la déesse ; maugréant mentalement sur cet échec. Elle avait ses raisons. Elle avait ses envies. Et pourtant, si Ruine ne comprenait pas, elle sentait qu'elle devait accepter.
Accepter qu'elle ne puisse en rien changer la situation.

- D'accord Moiro. Je pensais que... que l'unité était quelque chose que vous aimiez. Je veux dire... Enfin, dans l'Histoire, il y a toujours eu des meutes ; et à ces meutes des dieux. On est a votre image, enfin, physiquement en tout cas ; alors peut être auriez vous été aussi sociaux que les loups mortels que nous sommes. Que vous aviez besoin d'être entouré, et pas que par vos disciples.

Soupir.

- C'est dommage. Les Lazulis ont vraiment tout gâché... Et maintenant, vous êtes tous les trois en colère. Déçus. N'y a t'il donc rien à faire pour que vous puissiez faire de nouveau confiance ? Après tant d'années, de centaines, de milliers d'années au sein des meutes, de combats en votre nom, de prières ; est-ce que ce seul échec suffit à effacer tous les bons côtés qu'il y a eu ? Est-ce qu'il n'y a plus que vos disciples pour compter sur vous, et vous, compter sur eux ? Est-ce... Est-ce qu'on aura la chance de pouvoir vous faire sourire de nouveau ? Une nouvelle meute, une nouvelle génération peut être ?

Accepter sans comprendre. Plus dur qu'elle ne l'aurait escompté. Elle plongea son regard dans celui, si blanc, de la déesse, sentant la colère et l'injustice l'emporter.

- J'veux pas vivre dans un monde où la moitié des dieux, qui nous ont aidé pendant des générations, sont pas dans l'mood. Juste à cause de quelques péons à qui un "merci" arrachent la gueule.

Petit moue agacée, comme une gosse à qui ont refuse un dessert. Et qui sait très bien qu'il n'aura pas gain de cause.

- Pardon pour le vocabulaire. Et pour les questions... Et le blabla en général, j'parle trop ; je suis fille de pie, ça ressort souvent. Merci pour l'temps alloué en tout cas, c'est gentil.

Silence. Elle ouvrit la bouche, la referma sans un mot ; incapable de maitriser ce flux de questions qui la taraudait. Ce n'était pas le moment de mettre Moiro plus en colère qu'elle était, et de se taper une marque.

-... J'peux rester un peu ? Je casserai rien, promis...

Rentrer à la maison les pattes vides, la tête pleine de ressentiment ; et sans avoir changé la situation ; c'était quelque chose qu'elle avait redouté. Elle devait désormais y faire face. Et ne faisait que retarder, ruminer, l'inévitable moment de solitude que cela entraînerai.

Dans ce temple, au moins, elle n'était pas seule.
Pas physiquement en tout cas.
Les statues ça compte.
Quand on est Ruine, en tout cas, elles comptent.