Rites et potions ○ libre

• 4 ans •
F A E I

Voilà de longues lunes qu'elle n'avait pas posé les pattes ici. La truffe en l'air, observant la bâtisse géante, Ann se demanda qui donc avait pu construire telle merveille. Outre les nombreux trésors de savoirs détenus ici, l'architecture avait de quoi impressionner. La petite sorcière délassa ses épaules avant d'entrer d'un pas tranquille. Ce lieu était ouvert à tous, alors elle venait en parfaite confiance s'imprégner d'un peu de nouvelles connaissances. L'odeur poussiéreuse des vieux volumes lui titilla les narines, celles de l'encre et du parchemin neuf l’attirait moins au contraire. C'est donc dans les rayonnages les plus âgés, là où se trouvaient les manuscrits les plus anciens qu'elle se dirigea. S'il y avait bien un endroit où elle pouvait découvrir de nouvelles histoires, des légendes oubliés, des rites inconnus ou des recettes perdues, c'était bien par là ! L'ambiance tamisée et l'atmosphère monacale de l'endroit lui plaisait tant qu'elle en frissonna. Pour se calquer sur la quiétude de la Bibliothèque, la noiraude s'efforçait d'être discrète, d'éviter de faire teinter ses bijoux et de marcher d'un pas feutré sur les parquets usés par les innombrables pattes à les avoir caressé.

Ses prunelles sanguines couvèrent les reliures épaisses, les titres gravés dans le cuir ou finement calligraphiés. De tels ouvrages étaient aussi beau à observer que fascinants à étudier. Un titre attira ses yeux : les murmures de Cancrelune. La couverture, rabougrie, était en cuir tanné, craquelé par endroit. Le bouquin était plutôt petit, mais plein. Tel un carnet de route d'un navigateur, il y avait des schémas, des annotations, des ratures et des dessins ajoutés à droites à gauches. Quelques feuilles volantes aussi, étaient coincés entre deux pages du mémoire. Les orbes de la Raeder se mirent à pétiller, son instinct l'avait encore une fois bien conseillé, il y avait là dedans nombre d'écrits formidables. Ann se mit à dévorer cette lecture, si bien qu'elle perdit toute notion du temps et releva le museau des heures plus tard, à la fois essoufflée et pleine de gratitude pour cette Cancrelune qui avait coucher sur du parchemin ses aventures et savoirs. Nullement fatiguée, la femelle noire alla récupérer une bougie afin de chasser la pénombre d'un soir tombant. Puis elle récupéra dans son petit sac son pot d'encre de seiche et ses plumes, afin de recopier quelques pages...

Une bouteille d'abondance pour les pirates, un philtre d'amour pour elle, un charme de protection pour Morne-Oeil, une invocation pour des richesses, des rituels pour retrouver la santé... Elles pourraient utiliser toutes ces idées ! A des fins plus ou moins personnelles bien entendu, mais aussi pour attirer trésors et prospérité pour les Raeders... Ces nouveautés lui donnaient bien des idées pour les jours à venir ! Une fois certains sorts compilés, elle s'attaqua à un autre ouvrage au titre indéchiffrable. Là encore, elle trouva quelques recettes forts sympathiques. Et elle continua à s'instruire jusqu'à être terrassée de fatigue et de littéralement tomber de sommeil sur sa cinquième lecture... S'ensuivirent quelques songes aux vagues houleuses et aux apparitions bien étranges... Enfin, rien de très inhabituel pour une sorcière ! Cette fois-ci, toutefois, elle devait avouer que son esprit tordue avait fait fort, car elle se réveilla bien plus tard, en sueur et le poil hirsute, avec un puissant arrière goût de sel imprégnant son palais. Elle sorti alors l'une de ses petites bouteilles de réserve pour se rincer le gosier et se réchauffer l'âme.

La vie était une aventure grandiose, aux cheminements parfois sinueux et aux rencontres toujours étonnantes. Galopant à grandes foulées sur ses petites pattes, Oriande ne savait plus où donner de la tête. Le bâtiment était immense. Elle aurait pu se dresser sur ses pattes arrière qu'elle n'aurait même pas atteint la deuxième rangées des grandes étagères chargées de volumes anciens qui ornaient les murs. Elle aimait bien l'odeur de cet endroit, entre poussière et vieux parchemin. Même l'électron survolté qu'elle était trouvait le lieu étonnamment reposant, et c'était avec un respect inhabituel qu'elle s'était avancée en son sein aux côté de sa mère adoptive. Tout du moins, avant que les échos ne l'amusent et qu'elle se mette à courir comme une dératée à la recherche d'une éventuelle relique magique tout droit sortie de son imagination fertile...

Quant à savoir comment elle était arrivée là, seule, c'était un autre mystère. Elle se souvenait avoir suivi Maman-Serket qui lui avait intimé de ne pas trop s'éloigner ─chose qu'elle s'était efforcée de respecter autant que possible avant que son attention ne soit capturée par un petit insecte bleuté qui voltigeait entre les sections. Elle avait remué la queue, s'était élancé et... S'était retrouvée ici, loin de sa mère ou de tout chemin connu. Avec la sérénité d'un louveteau à qui ce genre de mésaventures arrivaient bien trop souvent, Oriande avait donc entreprit d'inspecter le grand bâtiment en profondeur. Elle avait pris un soin solennel à renifler les premiers volumes épais qu'elle avait trouvé, se questionnant sur leur utilité. Au goût, elle était désormais certaine qu'en tout cas, ils n'était pas fait pour être digérés.

Le soir tombait et les ombres s'allongeaient. Loin d'être particulièrement inquiète, la loupiote se perdit dans la contemplation d'une page volante sur laquelle était représentée d'étranges créatures à ailes et à crocs, tant et si bien que la nuit semblait bien entamée lorsqu'il vient à son esprit que peut-être (peut-être) Maman-Serket serait inquiète de ne pas la voir revenir. Oups. S'étirant sur ses petites pattes, Oriande slaloma entre les sections de la grande bibliothèque à la recherche de sa protectrice... Lorsqu'une petite lueur attira son attention. Une louve au pelage sombre mais haute en couleurs était installée là, entourée de livres, de feuilles griffonnées et d'une étrange aura de mystère. Et ce n'était certainement pas sa mère adoptive.

Il n'en fallut pas plus à la petite pour trottiner vers elle, toute la curiosité du monde se lisant dans ses prunelles bleutées. La louve portait une étrange fragrance d'embruns marins et de sel qui chatouillaient le bout de son museau. Encore un mystère.

─ Vous arrivez à comprendre tous ces symboles ? s'étonne Oriande avec une admiration candide, sa petite voix se répercutant contre les hautes étagères.  

• 4 ans •
F A E I

Une petite voix fluette fit passage jusqu'à ses tympans. Ann tourna le museau lentement et observa la louve miniature. Un louveteau dans la Bibliothèque, a priori hors surveillance. Elle haussa un sourcil, vérifiant quand même autour d'elles si aucun adulte catastrophé ne venait lui chercher querelle... Elle savait que les pirates étaient bien peu appréciés et les Nakhus ne verraient sans doute pas d'un bon œil que l'une de leurs enfants chéris soit si proche d'une Damnée de Morne-Oeil. Un large sourire fendit la gueule de la sorcière, finalement, quand elle répondit avec malice :

« Pas tous encore, mais j'y travaille. »

Diverses langues, diverses polices manuscrites, diverses époques et donc des phrasés parfois étonnant... Sans parler des autres alphabets. C'était un des avantages de l'écriture : il y en avait toujours d'autres à comprendre et traduire. Et il était fort peu probable qu'une vie de loup suffise à connaître tous les dialectes du monde. La femelle Raeder pencha la tête sur le côté en se retournant pour s'asseoir dans le bon sens, tout en analysant la posture de la gamine, déterminant son degré de curiosité, d'insouciance et de courage. Elle avait sans doute dû en entendre des histoires sur les pirates... Alors sois elle était terriblement inconsciente, soit elle voulait, du haut de ses trois-pommes, se mesurer aux monstres des contes racontés aux morveux pour les effrayer. Elle termina son observation en plantant ses prunelles rouge vide de pupille dans les orbes glacés qui lui faisait face.

« Tu aimes les livres ? »

Les Nakhus étaient-ils tous aussi mièvre et idéaliste dès la naissance ? Ou bien ils réprimaient les esprits trop imaginatifs et avides de découvertes pour les faire coller à ce moule d'idiots bienheureux ? C'était une vraie question. Après tous, Raeder ou meutard, l'un comme l'autre était poussé par quelques préjugés ancrés tôt dans leur esprit... D'où la méfiance réciproque. Mais elle était rigolote cette petite, avec ses feuilles sur la tête et le dos. Ann avait envie de lui laisser quelques minutes de son temps pas plus précieux qu'un autre.

La petite se perd un instant dans la contemplation de son interlocutrice, détaillant ses innombrables accessoires au thème qui évoquait l'océan. Oriande aimait bien l'océan, même si des fois, elle se disait qu'elle n'était pas vraiment sûre de vouloir savoir ce qui habitait en dessous. Mais d'un autre côté, il devait y avoir des trésors, non ? Son esprit d'enfant prit un certain temps pour peser le pour et le contre d'une expédition sous-marine, avant d'être ramené à la réalité par la mystérieuse réponse de la louve sombre.

Elle fronce le museau à la question qui suivit au sujet des livres.

─ Ils n'ont pas très bon goût, fait-elle remarquer avec une grimace équivoque.

Elle avait du mal à comprendre comment qui que ce soit pouvait bien apprécier la sensation des parchemins poussiéreux entre ses crocs, mais eh ! Qui était-elle pour juger ? Elle s'allonge sur le sol froid et pose son museau sur une des pages volantes. Évidemment, elle ne savait pas lire. Mais il y avait de fascinants dessins, alors ça lui suffisait. Ses yeux s'agrandirent à la vision d'une grande créature toute en crocs et en ailerons. Une révélation s'alluma dans son esprit.

─ Toutes ces bêtes existent vraiment, alors ? s'exclame-t-elle, sa queue battant le sol de façon frénétique témoignant de son émerveillement. Elle lève son regard azur vers la louve, toute timidité envolée. Vous en avez déjà rencontré ?

Elle saute sur ses pattes, dans l'attente pressée de la réponse de la mystérieuse inconnue.

• 4 ans •
F A E I

Un rire franc s'échappa de la femelle noire. Les livres n'avaient pas très bon goût. Il ne lui était même jamais venu à l'esprit de les mâchouiller... Peut-être parce que son père leur lisait souvent des histoires et qu'elle avait dès sa plus tendre -quoi que bien peu tendre en réalité au vu de la vie sur Morne-Oeil- enfance, à quoi ces morceaux de papier reliés pouvaient bien servir.

« C'est parce que ce n'est pas de la nourriture pour le ventre ! Seulement pour la tête et les yeux. »

Il y avait chez cette enfant quelques chose d'amusant, d'intéressant. Peut-être simplement parce qu’elle n'était pas effrayée par la petite sorcière de l'Océan. Elle supposa que son aspect feuillu, la rendant différente de la majorité des loups lui offrait une ouverture d'esprit candide et confiante en tous. Ou alors elle n'avait encore jamais été confronter à la mesquinerie de l'intolérance et du rejet de l'autre pour cause d'appartenance à un autre groupe social ou pour un physique non dans les normes. La seconde option était la plus probable ceci dit. Et puis, elle était bien adorable avec ses amas de feuilles à droite à gauche et son minois curieux, sans doute ne subirait-elle jamais le regard désapprobateur des étroits d'esprits. Pas comme les maudits Raeders qui effrayait dès leur transformation... Quelque part, Ann aurait aimé retrouver la naïveté de ses jeunes jours. Elle chassa vite ces idées un peu grises pour rire encore !

« Parsambleu ! Pour sûr, petite Donzelle ! »

Ann entreprit de dessiner un crabe avec une couronne et une murène avec un sabre comme elle avait pu le voir dans le bouquin parlant du monde des abysses.

« Ma grand-mère à rencontré le Roi des Océan, un crabe géant bleu du nom de Pontos. Il n'était pas content car les loups n'ont pas réussis à remplir ses missions alors il les a maudits. Depuis tous les pirates se transforment en monstre marin en vieillissant. Et mon père a vu Céto, une madame serpent de mer immense avec des dents dix fois plus grandes que toi et qui n'aime que le sang... »

Avec un sourire en coin, elle ajouta :

« J'espère bien que bientôt l'Océan me permettra de rencontrer ses démons ! »

Puis la noiraude s'ébroua sans faire le moindre bruit. Ses nombreuses breloques ne teintèrent pas alors qu'elle se cognaient les uns aux autres, ses perles et autres petits os s’entrechoquèrent pourtant mais aucun son ne fût produit. Pas même un froissement de poil ou de tissu. Le regard rouge de la louve revint vers la petite Nakhu, avant de sortir deux os de seiche de son sac et d'en pousser un vers la naine.

« Croque moi ça, jpense pas que t'en trouve dans ta cayenne ! »

Puis pour donner l'exemple, elle commencer à ronger le sien. Ann appréciait énormément de mâchouiller ces petites friandises salées, et en plus ça lui donnait des dents toujours éclatantes.