Tourner la page [Ann Revenge]

~ Dans le poulailler, au pied de la tour construite par Désastre, Alexandrine et Noé

L'odeur de la terre fraichement retournée empreignait ses narines. Quelle parfum délicieux pour notre Colombe. Il l'avait toujours accompagnée, élément déclencheur de beaux souvenirs mais également d'avenir. Toute petite graine finissait par devenir une belle et forte plante. Aaah la beauté de la vie ! Il était si facile d'en être le spectateur lorsque l'on possédait une âme proche de la pureté.

Elle était heureuse notre Kerguelen, avec ses pattes dans la terre. A ses côtés, attendaient sagement des pots d'Aubriete. Prêts à redonner une lueur de joie à cette tour construite par deux Etelkrus. Architecture au symbole pas très réjouissant. Associé au meurtre de Cocotte et Roussette. A la non-compréhension mutuelle. A l'échec de communication. Mais avec son travail, elle allait changer tout çà. Oui, elle apporterait cette lueur améthyste à ces pierres grisâtres. Pour en faire quelque chose d'admirable. Pour chasser les mauvais souvenirs. Pour apporter plus qu'un pardon à l'acte de Désastre et d'Alexandrine. Pour clore définitivement cette difficile épreuve de sa Vie et avancer l'esprit serein.

Un doux sourire rehaussait ses babines. Elle creusa encore quelques minutes avant de juger d'un regard appréciateur son trou. Oui, c'était assez profond. L'Aubriete s'épanouira ici. Ses fleurs violettes illumineront les roches année après année. Elle apporteront des cachettes pour les lézards des murailles et les insectes. Peut être que ses colocataires les poules gouteront aux pétales. Mais elle avait foi en la résistance de cette plante. Elle l'avait choisie pour sa rusticité et son côté vivace. Tous les éléments étaient là pour la réussite de son projet de végétalisation. Elle attrapa le premier pot et commença la transplantation. Chacun de ses gestes étaient effectués avec douceur afin de ne pas compromettre la vitalité du pied. Une fois la vivace dans son trou, elle ajouta la terre nécessaire à son recouvrement. Elle tassa minutieusement le tout et recula pour admirer sa plantation.

"Bienvenue dans ta nouvelle maison, Aubriete ! Tu vois, tu as beaucoup d'espace rien que pour toi. Tu vas pouvoir t'épanouir sans soucis."

Elle était contente et si concentrée dans sa tâche qu'elle ne faisait plus attention à ce qui l'entourait. La présence d'un congénère lui était passée complètement inaperçue.

▒ 5 ans ▒
F A E I

Drôle de coutume que de rendre la plantation d'une fleur si intense. Ann, de passage discret dans les champs afin de dissimuler au mieux son odeur au milieu de celles plus puissantes, des nombreuses fleurs, avait observé de loin le manège de la louve grise comme happée par ses gestes minutieux et tendre. Pour une sorcière comme elle, la façon d'être et d'agir de la Nakhu lui fit penser à une cérémonie de naissance : elle s'occupait de son pot avec l'amour d'une mère pour son nouveau-né. Cette idée était très perturbante, et à la fois, drôlement intriguante. La Maitresse des Rituels décida finalement de s'approcher pour entendre les paroles de la fille de Yurai. Ces loups étaient-ils réellement tous aussi doux que des agneaux ? Comment leur meute avait-elle pu survivre face aux destructeurs Etelkrus qu'elle avait croisé dans son enfance ?

« Que représente t-elle pour toi ? »

La noiraude n'avait pu s'empêcher d'interférer, trop curieuse, trop attirée. Les us des continentaux étaient déjà bien étranges de base, mais alors, on atteignait des sommets. Cela dit, elle était du genre à vouloir comprendre le fondement d'un acte et avait la patience et l'attrait de l'apprentissage de toutes choses. Bien loin de la terrible image de sorcière au bord de la folie qu'elle tentait de maintenir en général. De toute façon, malgré la volupté des courbes et la finesse des traits de la louve Nakhu, elle était certaine que sa force de concombre de mer ne l'aiderait pas ici. Et puis elle ne montrait d'hostilité que contre ceux qui en montrait en premier. La Pirate étira un sourire mystérieux, bien curieuse d'en savoir plus sur cette énergumène sans oreilles. D'ailleurs, pouvait-elle seulement l'entendre ?

Une voix bien proche la sortit de sa contemplation. Elle eut un petit sursaut de surprise. Elle tourna doucement la tête pour voir à qui appartenait ces mots. Une louve sombre au parfum particulier. Mais de ses appréhensions, elle devait faire l'impasse. Car elle était une disciple de la juste Yurai.

"Oh, bonjour ! Excusez-moi, la passion m'avait coupée du monde."

Les excuses étaient peut être nécessaires car elle ne savait pas depuis combien de temps elle avait de la compagnie. Et c'était un peu malpoli d'ignorer quelqu'un, même involontairement. Elle s'empressa d'ailleurs de répondre avec chaleur à sa question. Parce qu'elle n'avait rien à cacher et aimait échanger avec ses congénères.

"Le pardon. La fin d'un jour et le début d'un autre. Le renouveau qui sied si bien avec ce début de Printemps. Il fait si bon aujourd'hui, vous ne trouvez pas ?"

Un sourire sympathique s'épanouit sur sa frimousse, comme s'épanouirait l'Aubriete. Deux être différents mais qui illumineraient leur entourage. L'une par ses pétales colorés, l'autre par son sourire solaire. La Sans-Oreille ne put empêcher son regard de se poser sur les dessins ornant les pattes de sa camarade. Ils étaient plein de vitalité sur son pelage sombre.

"Un hommage à l'océan ?"

▒ 5 ans ▒
F A E I

Sursaut. Ah oui. Elle entendait donc très bien. Ann aimait bien faire ce genre de petite frayeur. Elle avait toujours adoré, avec sa jumelle autrefois, produire ce petit serrement au cœur d'une peur éclair. On revenait vite à un état plus tranquille après, mais ce petit instant, ce petit pincement, était toujours un délice à observer chez les autres. Passée la petite seconde de stupeur, c'est avec un engouement auquel la sorcière n'était pas habituée que répondit la grise. Les oreilles de la noiraude se dressèrent, à l'écoute, attentive à cette femelle trop joviale.

« Mmh. »

Fût sa seule réponse face aux banalités données. Parler de la météo, vraiment ? Ainsi en plus d'être des tendres moutons, les Nakhus étaient aussi ennuyeux qu'eux... Ann plissa les yeux, observant plus en détail les attributs de la louve, son écharpe, son glowstick, ses plumes en guise d'oreille et ses yeux dorés. Où avaient-elle déjà vu tel regard déjà ? Le visage lumineux de bienveillance de l'interlocutrice lui paru étonnant. Jamais on n'avait accueillit si tranquillement un pirate, ou que ce soit.

« En quelque sorte. Marque d'appartenance ou hommage à sa Puissance, au choix. C'est l'un des vôtres qui les as dessinés, il y a longtemps. »

Ann s'assit, bien droite, sans lâcher des yeux la Nakhu. Sa douceur et son sourire avait ce petit quelque chose d'apaisant, si bien qu'Ann lâcha finalement du leste dans sa garde, et se contenta d'observer le travail de plantation de la grise.

« Sobieski nous as donné des graines, et des méthodes de plantation. Peut-être devrierions-nous y mettre tiens... A qui pardonne tu ? »

Elle avait toujours parler pour elle-même, avant de revenir vers la jardinière.

L'Océan fut associé au mot Puissance. Le doute, même léger, n'était plus permis. Elle était bel et bien en train de discuter avec un membre de cette meute isolée. Étrange situation. Elle chassa ce sentiment de bizarrerie d'un souffle. Vole donc ailleurs petite plume de l'appréhension. Elle avait décidé de se faire son propre avis et de fermer ses oreilles, qu'elle ne possédait pas, aux ragots. Prête à accepter l'inconnu pour mieux le comprendre.

"Oh, vous avez dû avoir affaire à notre feu Tatoueur Sachiel. Il était si talentueux. Mais la vieillesse l'a emporté cet hiver. Nul n'est immortel malheureusement."

Un nom aimé fut prononcé et la Colombe se redressa, intéressée. Ainsi, Sobi' avait tendu la patte aux pirates. Cela devait sûrement dater des Ambassades. Pas à pas, les Nakhus essayaient d'apaiser les tensions. Peut être devraient-ils redoubler d'efforts ? Parfois, un manque de partage et de savoirs la brûlait. Certes, il y avait la Bibliothèque à leur disposition. Mais cela ne remplaçait pas un véritable échange.

"Si vous avez besoin des conseils ou d'autres graines, je peux vous en donner ! C'est si beau de voir la vie végétale naitre sous nos pattes."

Vint une question qui lui demanda plus de réflexion. Car cela touchait au personnel. A ses sentiments propres.

"A l'échec de ma communication. Je ferai mieux la prochaine fois !"

Un rire léger, rempli d'optimisme sortit de sa gorge. Libérateur de cette culpabilité.

▒ 5 ans ▒
F A E I

Triste nouvelle fût apportée par la fille de la corneille, tel un oiseau de mauvais augure que la grise ne semblait pourtant pas être. Celui qui avait su mettre en formes et en couleurs son amour et sa foi pour l'Océan avait retrouvé liberté et devait sans doute chasser dans les nuages auprès de sa déesse, paradis écho à leur nage dans les tréfonds des abîmes en compagnie des monstres marins imaginait la sorcière. Il était amusant comme les vivants supposait une vie après la mort dans un endroit merveilleux et inaccessible de leur vivant. Pour les uns, haut dans le ciel, pour les autres loin sous la surface, hors des limites du monde connu. Si la mort ne peinait pas Ann grâce à ses convictions, elle offrit un sourire compatissant -du moins pas narquois- à la Nakhu. Les continentaux vivait le deuil autrement qu'elle, pour la plupart.

« Il aura laisser quelques belles traces de son passage, ce feu Tatoueur. »

La petite louve noire étira ses épaules, puis les roula, comme pour décontracté un peu les muscles fourbus du haut de son corps. Son regard ne lâchait pas les pattes affairées de la grise sans oreilles. Lorsqu'elle se redressa, les écoutilles d'Ann s'agitèrent et elle releva le museau, les yeux interrogateurs. Qu'avait-elle dit qui avait fait réagir la femelle ? Etait-ce parce que l'un des siens avaient partagés avec eux leur savoir en plantation ? Sobieski était-il son ami ? Ou bien avait-elle été déroutée par sa question ? Rendue très curieuse, la Raeder écouta, non sans... surprise. Mine étonnée qu'elle ne prit pas la peine de cacher. Cette meute était vraiment spéciale, à se blâmer pour les erreurs d'autrui. Si la disciple de Yurai devait pardonner à quelqu'un, elle ne devait pas s'en vouloir de quoi ? D'ailleurs ? Son échec de communication ? Avait-elle dit des choses regrettables ? Des insultes ? Des gros mots qui auraient fait faire les gros yeux à sa gentille Déesse ? Vraiment étonnant ces loups que dirigeait Ajani. Ann souffla des naseaux. Peut-être était-ce juste cette louve qui était un peu perchée, et pas tout le groupe ? En tout cas, d'emblée, la sorcière l'aimait bien. Même si elle la trouvait bien naïve. Un peu dans le même genre que le loup qu'elle aimait tant, en fin de compte.

« Tu es bien surprenante, mini-Corneille. Peut-être devrais tu être Oracle à la place de l'Oracle. »

Un sourire malicieux et un clin d'oeil plus tard, la sorcière se releva et fit quelques pas pour imprégner sa truffe de l'odeur de la plante fraichement mise en terre. Elle tourna le museau vers la grise qui avait gagné un poil de son estime avec sa franchise et sa bizarrerie. Enfin, pour elle qui vivait une vie insulaire et portait foi en d'autres entités, ça l'était. De fait, elle se dit, que pour une fois, elle pouvait faire un pas en avant vers la meutarde et lui laisser le bénéfice du doute. Sans expression autre que son éternelle sourire énigmatique, celui qu'elle affectionnait tant, elle déclara :

« Je suis Ann, la sorcière de l'île maudite. J'apprécierais beaucoup d'en apprendre davantage sur les soins à apportés au plantes qui ne peuvent avoir le luxe de la pleine terre. »

Si ce qu'avait offert Sobieski était inestimable, la Maitresse des Rituels préférait apprendre concrètement et avec ses pattes, avant de se plonger pleinement dans les carnets que le loup pâle avait ramené et qui désormais, grâce à cette rencontre, lui revenait en mémoire. Pour leur vie au large, il serait indispensable de se faire des morceaux de potagers à nourriture, pour s'allier avec les fruits de la pêche, et plantes officinales. Ainsi les pirates se suffiraient à eux-même, parfaitement autonomes.

Oui, à sa façon Sachiel avait réussi à laisser des traces de son passage dans ce monde. Et elle, notre Colombe serait elle aussi immortelle par les plantations qu'elle disséminaient ici et là. Petites plantes qui grandiraient et verraient bien plus de saisons qu'elle. Nourries de tout son amour. Un jour, il faudrait vraiment qu'elle songea à trouver un successeur. Pour pouvoir partir sereinement. Mais trêve de pensées sur un futur au conditionnel. Profitons donc du présent !

Elle put observer à loisir que ses mots avaient créé la surprise chez son interlocutrice. Un peu comme si elle avait donné une réponse inappropriée. Mais elle ne voyait du mal nulle part. Simplement de la sincérité de sa part, comme d'habitude. Mais en se mettant à la place de la Pirate, il était vrai qu'il était difficile de comprendre sans connaitre le contexte entourant tout ceci. Mais la page se tournait. Plus la peine de s'enliser dans un passé qu'elle venait d'accepter.

"Ahah ! Cette place est le destin d'Ajani. Et il fait un travail formidable !"

Elle ne pouvait se montrer objective. Nounou était son plus vieil ami. Un être aimé depuis son jeune âge, avant les tragédies. L'unique lien qui la reliait à sa chère Gloria. Parce qu'on n'oubliait jamais sa seule et éphémère amie d'enfance.

Au mouvement de la louve vers sa plantation toute fraiche, un sourire éclaira son visage. Elle était toujours ravie de voir les autres montrer de l'intérêt pour les plantes. Peut être les considéraient-elles un peu comme ses enfants, qui sait ?

"Aubriete. Je veux dire c'est son nom à elle. Mais le mien est Kerguelen. Gardienne du Jardin polyvalente si on peut dire !"

Elle aurait pu ajouter jardinière, apicultrice, médecin. Mais çà faisait beaucoup. Il faudrait trouver un mot qui regroupait toutes ses fonctions. Passionnée de botanique peut être ? Non, ce terme ne lui convenait pas. Autant rester hors des petites cases. Unique.

Notre Sans-Oreille se pencha ensuite sur le projet évoqué par la dénommée Ann. Celle qui se prétendait sorcière. Voilà ses deux appréhensions réunies en une seule personne. Magnifique défi. Mais elle devait refouler ses sentiments pour réfléchir correctement et proposer une solution adaptée.

Elle posa sur une patte sur la tour. Muraille fraiche qui aidait à réfléchir. Roche qui devait ressembler à celle de l'île des Raeders. Mais avec un climat radicalement différent.

"Est-ce pour des plantes médicinales, comestibles ou ornementales ? J'avoue que j'ignore ce que vous a fourni Sobieski. Mais on pourrait commencer par là pour établir un petit plan."

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