Great wisdom does not come without learning | Rhaegar

Knowing much is not enough to be wise
To see the wonder
In all we've been given
In a world that's not always as it seems
On the part that we choose
Turn every corner
Follow on, for another begins


Il pleuvait au-dehors. Une pluie froide, vestige de l'hiver qui n'avait pas encore été complètement chassé des terres Nakhus. La belle et la mauvaise saison se mélangeaient sur les territoires, tantôt verts et ensoleillés, tantôt plongés dans la grisaille et les brumes glacées. A l'intérieur de l'Eglise, Ajani entendait les gouttes épaisses frapper sur le toit de pierre, frapper sur le sol devant l'entrée en un incessant martèlement. Une brise légère soufflait dans l'allée, jusqu'à la statue et la fontaine qu'elle surplombait, jusqu'au pelage épais du grand loup qui s'y trouvait, assis, les yeux clos. Les mèches de ses cheveux voletaient de temps à autre, pour se reposer aussitôt sur les lourds plis de sa cape. Il ne la portait pas tout le temps, mais ce jour-là si. Il tâchait de le faire lorsqu'il allait au temple de Yurai, même s'il savait que la Corneille lirait dans son coeur même s'il devait venir sous une autre apparence.

Il avait décidé d'annoncer son départ imminent à Yurai, puisqu'il devait se rendre sur Morne-Oeil pour rendre un dernier hommage à Limule. Ces derniers jours avaient été chargés d'une lourdeur inhabituelle pour lui. Il oscillait entre des moments de tristesse profonde, et d'autres où tout lui semblait irréel. Où la conversation qu'il avait eue avec Abysse paraissait n'être qu'un rêve, une pensée, la bribe d'un cauchemar dont il s'était éveillé et qui ne faisait pas partie de son monde. Pourtant, au fond de lui, il savait. Il savait que c'était arrivé, il savait qu'il avait parlé aux pirates, qu'il devait se rendre chez eux pour un dernier au-revoir à celle qui avait été si importante pour lui, et pourtant si différente.

Après avoir adressé quelques mots à la Corneille, sans attendre de réponse, i était resté assis. Longtemps. Il avait laissé sa respiration s'apaiser, ses muscles se détendre, et avait petit à petit laissé la tristesse qu'il refoulait prendre la place qu'elle méritait dans son esprit. Il savait qu'il n'était pas raisonnable de la repousser, et il lui laissa un peu de terrain. Il avait le droit d'être peiné, et s'il faisait attention de ne pas trop laisser filtrer d'émotion en présence des autres, ce moment solitaire lui permet de souffler. Il laissa la lumière de son glowstick devenir plus vive, répandre autour de lui le sentiment de deuil qui déchirait son grand coeur.
Il n'y avait, après tout, personne pour en souffrir.

Rhaegar

Plusieurs années s'étaient écoulées depuis le début de son voyage, il avait découvert la brèche avec quelques confrères, participé à la confection de capes, lu plusieurs livres pour s'instruire et participé à la restauration des fontaines du peuple Nordien. Il estimait sa mission accomplie dans le Nord et depuis les récentes nouvelles concernant sa famille, il se devait de revenir auprès d'eux pour assumer son rôle de grand frère. Il avait appris tant de choses en ces terres, comme la patience, le pardon, l'introspection, le partage de ses connaissances, l'amour, le sens de l'observation et de la prudence. Il avait appris par dessus tout à contrôler ses émotions et à les libérer au besoin. Une tâche qui se voulait encore difficile cependant, car quand bien même il prenait conscience des épreuves incontournables de la vie, il ne pouvait pas empêcher la douleur de lui serrer le cœur quand elles lui tombaient dessus. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour extérioriser ses émotions à la suite du décès de sa bien aimée et de son père, l'eau avait coulé si violemment que son visage s'était creusé, marqué par des cernes qui restèrent de nombreux jours. Il avait réussi à alléger un peu son cœur grâce à cela, mais un vide béant lui tiraillait la poitrine comme un trou noir depuis et rien ne pouvait le combler.  

L'heure de son départ était donc enfin arrivée et Rhaegar s'était orienté vers l'Eglise dans l'espoir d'y trouver son amie d'enfance. C'était bien la première fois qu'il osait s'approcher d'aussi près du grand édifice de pierre, car il avait repoussé pendant longtemps ce moment. Depuis tout ce temps qu'il a passé sur le territoire de la Corneille, il se devait de lui rendre visite au moins une fois en gage de respect. Lorsqu'il arrêta son immense silhouette devant l'entrée, les volatiles teintés de noir se mirent à piailler et s'envolèrent dans un raffut qui l'annoncèrent à tous les habitants du coin. L'aura qui s'échappait de l'intérieur de l'église était sinistre et triste et Rhaegar hésita avant d'entrer.  Le vide qui sommeillait en lui s'accentua lorsqu'il s'engouffra à l'intérieur et il se sentit soudainement accablé par le chagrin, comme si une nouvelle crise le guettait. Il sentit une vague de frissons le parcourir du bas du dos jusqu'à la pointe de son unique oreille restante lorsqu'il aperçut la silhouette de l'oracle, assis près de la fontaine. Chaque pas qui l'approcha de lui fut comme une épreuve, alourdissant de plus en plus son cœur et ses épaules. Arrivé près de lui, il s'assit, les yeux brillants de larmes qui ne peuvent plus couler dirigés vers la statue de la Corneille.

C'est ici que tu te cachais, Oracle Ajani.

Ça lui faisait bizarre de prononcer cela, mais il avait fini par s'y faire. Ils étaient désormais assis l'un à côté de l'autre, l'ours noir et le lion blanc, tous deux tourmentés par le deuil comme deux vieux amis partageant leurs tristesses.

Un parfum nouveau vint soudain habiter les lieux, que cet endroit n'avait sans doute jamais connu mais qui était bien familier au lion blanc. Ses paupières se rouvrirent en une mince fente alors qu'il écoutait les pas lourds qui s'approchaient, avec la drôle d'impression d'entendre son propre poids sur les froides dalles de pierre. Cette présence arracha lentement ses pensées à la tristesse dans laquelle il s'était laissé aller, mais il lui fallait de long instant avant de pouvoir en faire refluer les vagues pour les enfermer dans ses propres pensées. Et encore, il n'y parvint en réalité par complètement, laissant involontairement flotter autour de lui de la nostalgie, du manque, de la peine. Un magma indéfinissable de choses qui, pour lui, constituaient la douleur d'avoir perdu quelqu'un de précieux. Gérer ce genre d'émotions avaient toujours été plus difficile pour lui, sans doute parce qu'elles étaient toujours d'une intensité terrible. Elles s'écrasaient en vagues violentes contre les barrières de son esprit, les faisaient vaciller, projetaient à l'extérieur un peu de leur amertume et de leur encre. Il se concentra sur le loup qui s'était assis près de lui pour leur faire face.
Ainsi, il avait fini par venir.
Rhaegar.

Cela faisait de nombreuses lunes - quelques années même - qu'il apportait son aide aux Nakhus. Sa présence faisait partie de leur paysage depuis si longtemps qu'un étranger l'aurait sans doute pris pour l'un des leurs, que son pelage emporterait avec lui quelques fragrances de leur territoire. Sa piste n'était plus celle d'un inconnu, pas plus que sa silhouette ou son odeur. Sa présence ici cependant, dans cet endroit sacré où jamais l'Oracle n'avait flairé sa piste, signifiait peut-être que ce temps-là était révolu. D'une manière ou d'une autre, qu'il reste plus durablement ou qu'il parte, il était évident que l'ours noir ne souhaitait pas garder ce statut un peu hybride.

Ajani tourna la tête vers lui, pour contempler sans mot dire sa silhouette fatiguée. Vivre chez les Nakhus était synonyme d'introspection perpétuelle, de remise en question de ses valeurs, de recherche du Bien, du meilleur. Mais cette voie-là n'était pas nécessairement des plus aisées, et leur existence était loin de se limiter à des journées entières de tranquille méditation au creux de la Bibliothèque. Les dernières lunes et le problème auquel ils faisaient face sur les Plateaux du Soleil en étaient une belle preuve.

"Me voici, en effet." Répondit-il.

Puis après un instant :

"Et toi voici, surtout."

Il avait conscience de l'effort que cela demandait à l'ours noir de venir en ces lieux, lui qui avait été maudit par une autre divinité. Depuis lors, il avait beaucoup travaillé pour réparer son erreur, mais les rumeurs disaient que la colère ne Mido paraissait ne pas devoir s'arrêter un jour. Ceux qui l'avaient offensé en avaient fait un être instable et dangereux. La pensée que peut-être avait-ce été là le sort de Yurai avant qu'elle ne devienne mauvaise passa dans l'esprit d'Ajani. Que se passerait-il, si l'un des Sept était à nouveau enfermé dans la Prison Céleste ? Il avait toujours eu le sentiment que l'équilibre de leur monde reposait sur la présence de ces divinités, et le chaos qui avait marqué leur histoire avant le retour de Yurai en était une preuve intéressante. Cettte pensée s'inscrivit dans un coin de son esprit, mais il ne voulait pas y réfléchir immédiatement.

La moitié du visage de Rhaegar baignait dans la lumière verdâtre qui émanait de sa marque. L'autre dans celle violacée que lui envoyait la proximité de la fontaine. L'image était saisissante, d'esthétisme et de symbolique.

"Pourquoi es-tu venu ?" Demanda-t-il doucement, sans animosité, l'écho de sa voix grave se perdant entre les hautes colonnes qui les entouraient.

La question état plus large que ce que signifiaient littéralement les mots qui la constituaient - il avait eu l'espoir que Rhaegar finisse par accepter sa proposition de rencontrer la Corneille. Mais l'épreuve de Yurai était celle de l'introspection, de savoir mettre des mots, ou à défaut des pensées, sur ce que l'on avait été, ce que l'on était et ce que l'on souhaitait suivre comme chemin pour l'avenir. Même si l'ours noir n'était pas ici pour rejoindre l'étendard violet, le prêtre avait le sentiment qu'il y avait quelque-chose d'une épreuve de sagesse dans ce qui allait suivre.